Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Novembre 2013

Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents

 

 

Lettre d'un lecteur

 

 

Maurice X ...

 

 

Chronologie de la controverse sur l'Appel de la Race

 

Madame,

 

Il est sans doute difficile d'ajouter un commentaire inédit aux études critiques que MM. du Roure et Louvigny de Montigny ont consacrées, dans vos numéros de décembre et de janvier, à L'Appel de la Race. Vous permettrez pourtant à un lecteur habituel de votre estimable revue de vous adresser ici quelques réflexions que lui a inspirées la lecture de ce roman.

 

L'un des principaux arguments de la thèse de M. de Lestres est que le croisement des races ne produise que « désordre mental », « dédoublement psychologique ». On le trouve exposé aux pages 68 et suivantes. Lantagnac, regardant de près ses enfants, découvre en eux il ne sait trop « quelle imprécision maladive, quel désordre de la pensée, quelle incohérence de la personnalité intellectuelle »; il y a en eux » comme deux âmes , deux esprits en lutte et qui dominaient tour à tour ». Et cet argument, l'auteur le base sur une théorie du docteur Gustave Le Bon, d'après qui « les croisements ... constituent toujours un élément de dégénérescence quand ces races, même supérieures, sont trop différentes ».

 

Cet argument sociologique, emprunté à Le Bon, peut être discuté. Mais s'il est juste, – et admettons qu'il l'est, – s'il est juste, il vaudra pour tous les produits de ces mélanges ethniques, et pour tous sans exception. S'il y a des exceptions, elles ne pourront être que le fait d'individualités particulièrement fortes et possédant une personnalité assez marquée pour résister aux conséquences dissolvantes de leur double ascendance. Ce ne seront que des exceptions individuelles, – confirmant la règle.

 

Or Alonie de Lestres a distingué, à ce propos, entre les enfants Latagnac où domine l'ascendance anglaise et ceux où l'ascendance française l'emporte, en écrivant : « Le plus étrange, c'est que ce dualisme mental se manifestait surtout en William et en Nellie, les deux en qui s'affichait dominant le type bien caractérisé de la race saxonne. » Pourquoi ceux-ci, plus que ceux-là, sont-ils sujets à l'imprécision maladive, au désordre mental qui sont censés résulter du croisement de certaines races ? Pourquoi les uns, pourquoi pas les autres ? Pourquoi cette loi sociologique est-elle vraie quand il s'agit des deux enfants où s'accuse l'élément anglo-saxon, ? pourquoi est-elle moins vraie quand il s'agit des deux enfants chez qui prédomine l'élément celto-latin ? C'est ce qu'on n'aperçoit pas le moins du monde, et l'on souhaite que M. de Lestres eût justifié, au moins sommairement, cette distinction arbitraire et bien peu scientifique.

 

Il y a mieux. A la fin du roman, les deux francisants, si l'on peut dire, des quatre enfants de Lantagnac, Virginia et Wolfred, se rangent tout à fait aux côtés de leur père; chez eux, le « dualisme mental » disparaît; ils ont choisi et se fixent dans leur choix. Mais est-ce que les deux anglicisants, Nellie et William, en demeurant aux côtés de leur mère anglaise, n'en font pas autant ? Si, chez les premiers, l'hérédité catholique et française l'emporte,  – l'hérédité saxonne et protestante ne s'affirme-t-elle pas chez les seconds ? Ceux-ci n'ont-ils pas subi la même « précipitation » morale (au sens chimique) que ceux-là, dans une direction opposée il est vrai, mais suivant un rythme à peu près analogue ? Eux aussi se sont donc défaits de leur « imprécision maladive », de leur « désordre mental » ? Et alors que reste-t-il de l'argument : « les croisements de race constituent toujours un élément de dégénérescence » ?

 

Je conclus. Il est dangereux de faire des romans à thèse lorsqu'on n'y est pas préparé, car, à vouloir trop prouver, on s'empêtre dans sa démonstration, on en vient, à force de passion et de parti-pris – si peu charitables, – à oublier les prémisses qu'on a soi-même posées, et on aboutit à ne plus rien prouver du tout en abattant, par une conclusion inattendue, l'un des principaux piliers de l'échafaudage doctrinal qu'on a péniblement élevé.

 

Veuillez agréer, etc.

 

Maurice X ....

 

Montréal, le 20 janvier 1923.

 

Source : Maurice X ...., « Lettre d'un lecteur », dans La Revue moderne, février 1923, p. 13.

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