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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia
David RAJOTTE, Les Jeunes Laurentiens. Jeunesse, militantisme et nationalisme dans le Canada français des années 1940, Mémoire de M. A. (Histoire), Université de Montréal, 2006, xxvi-215p.
2.3 Les Jeunesses laurentiennes en tant que jeunes
Les Jeunes Laurentiens avaient leur propre vision de la jeunesse. Ils avaient également une manière bien à eux de concevoir les liens à entretenir avec les aînés. Puisque étant un mouvement spécifique, ils se devaient aussi d’expliquer les raisons de leur existence. On disait généralement en fait que les Jeunes Laurentiens étaient nés d’un besoin. C’était à cause de la transformation de l’ACJC en mouvement d’action catholique que les Jeunesses Saint-Eusèbe furent fondées (100). Au début des années 1930, il semble que la section de l’ACJC de la paroisse Saint-Eusèbe finit par s’intégrer à la branche locale de la JIC. Cela avait créé un manque pour les fondateurs des Jeunesses Saint-Eusèbe. Ils croyaient qu’«il fallait de toute nécessité améliorer le sort des jeunes. Il fallait surtout leur apprendre à vivre non pas en indifférents de la question nationale, mais en Canadiens-français catholiques […] (101)». Les Jeunes Laurentiens sont donc nés d’un abandon de la jeunesse sur le plan national. Ce fut un désir d’action nationaliste qui poussa les fondateurs des Jeunesses Saint-Eusèbe à agir.
Tout au long de son existence, l’association se qualifia en fait très souvent de «mouvement de la jeunesse nationaliste (102)». Cette idée revenait tel un leitmotiv et était à la base de la perception que les laurentiens avaient d’eux-mêmes. C’est pourquoi on pouvait expliquer que les Jeunesses laurentiennes étaient la seule ligue de jeunes qui «tend à faire de chaque Canadien français un patriote éclairé et actif, qui, sans aucun intérêt de groupe, défend et illustre le fait français (103)». Les Jeunes Laurentiens existaient en quelque sorte dans le seul but de regrouper leurs jeunes compatriotes sous la bannière catholique et française. Ils précisaient bien que leur organisation était ouverte à toute la jeunesse. Ce n’est pas pour rien que Rosaire Morin demandait: ne croyez-vous pas logique que de jeunes patriotes, d’où qu’ils viennent, de quelque milieu qu’ils soient, qui croient à la mission catholqieu [sic] et française de leur groupe ethnique, ne s’unissent en une association spécialisée pour l’affirmation de leur vouloir vivre canadien-français (104)?
Pour les Jeunes Laurentiens, cette spécificité ne devait cependant pas mener à des conflits avec les groupes d’action catholique. On disait qu’on pouvait très bien faire partie des deux types d’association. C’était le cas puisque «l’action nationale et l’action catholique se complètent (105)», selon les laurentiens.Ces derniers se considéraient même comme un mouvement auxiliaire de l’action catholique. Ils disaient cependant ne pas vouloir être considérés comme une association de ce type à cause de leur nationalisme. Cela leur permettait aussi d’agir «plus librement et en toute indépendance de la hiérarchie (106)». Ils croyaient en fait que ça serait une charge d’être considéré comme un mouvement d’action catholique. Ces derniers avaient en effet un mandat de l’évêque et devaient se soumettre à ses directives.
Si les Jeunes Laurentiens étaient uniques de par leur nationalisme, c’est également le fait d’appartenir à la jeunesse qui les différenciait des nationalistes plus âgés. On reconnaissait par exemple très bien que les Jeunes Laurentiens et la Société Saint-Jean-Baptiste avaient les mêmes buts. Celle-ci était cependant vue comme une organisation pour les «pères», tandis que ce n’était évidemment pas le cas pour les premiers. C’est en ce sens que Rosaire Morin expliquait que «nous les jeunes, nous irons aux Jeunesses laurentiennes. Chacun dans son milieu ; pour moi, je préfère d’être jeune (107)».
L’organisation croyait aussi avoir des rôles particuliers auprès de la jeunesse. Les Jeunes Laurentiens étaient en fait vus comme «un mouvement d’éducation nationale et une école de chefs (108)». La formation de chefs était de fait un des buts fondamentaux du mouvement. Le premier bulletin des Jeunes Laurentiens précise ainsi que c’était le manque de chefs qui avait conduit à l’état actuel des choses. Il fallait former des meneurs chez les jeunes. On expliquait «qu’un troupeau de moutons conduit par un lion, vaut mieux qu’un troupeau de lions conduit par un mouton (109)». Il fallait des jeunes qui savent agir, tenir le coup et qui sacrifient le plaisir pour la cause. «Une poignée de jeunes qui oseront tout pour Dieu et la Patrie (110)» pourraient seule permettre au Canada de survivre. Une élite devait être constituée. La campagne de souscription publique de 1947 ne fut pas baptisée sans raison «campagne de souscription pour une élite nationale» (111).
Faire des chefs, cela impliquait un minimum de formation. L’autre grand rôle du mouvement était donc de former les jeunes sur le plan national et religieux. Des documents de propagande disaient aux futurs adhérents qu’ils pourraient étudier, se former, agir et unir au sein de l’association (112). C’est un idéal de vie qu’on voulait donner aux jeunes. Il fallait les former de leur temps et de leur milieu (113) et les préparer aux tâches futures. Les Jeunes Laurentiens conviaient «la jeunesse à l’ascension vers la supériorité dans tous les domaines: l’économique, le social, le national, etc. (114)» Ce n’est pas pour rien que Rosaire Morin a pu dire qu’il s’est joint à l’association précisément pour se donner des connaissances religieuses et nationales adéquates (115). Les laurentiens tiraient leurs compatriotes de l’insouciance, de l’indifférence et du sommeil de l’ignorance. La connaissance, l’amour de Dieu et de la Patrie formaient l’héritage qu’ils souhaitaient laisser. C’est en fait la génération des vivants qu’on voulait édifier. Cette dernière ne devait pas seulement vivre sur un idéal, mais savoir agir. Une des maximes préférées de certains dirigeants du mouvement était: «Concevoir c’est beau. Réaliser c’est tout (116)».
Les Jeunesses laurentiennes pensaient contribuer au relèvement de la jeunesse canadienne-française. On disait ainsi que le meilleur moyen d’assurer un avenir aux jeunes dans l’après-guerre était d’adopter les principes économiques chers au mouvement. La jeunesse pourrait alors se maîtriser elle-même et sortir de l’impasse dans laquelle elle était. On parlait avec conviction de «l’armée des Jeunes Laurentiens qui gagnera l’après-guerre de la jeunesse (117)». C’est également dans cette optique que les Jeunes Laurentiens proposèrent à quelques reprises l’union de tous les mouvements de jeunes. L’idée fut en fait lancée dès le premier congrès du mouvement (118). La fédération ainsi constituée aurait eu essentiellement pour but de créer un «programme uniforme d’action et de reconstruction d’après-guerre pour la jeunesse canadienne-française (119)». Les laurentiens tentèrent à plusieurs reprises d’en convaincre les autres groupes de jeunes (120).
Voulant fédérer et unir la jeunesse par des principes, le mouvement fut en fait engagé dans chacune des tribunes offertes aux jeunes de l’époque. Il participa notamment à la Commission canadienne de la jeunesse. Cette dernière était une institution fédérale constituée en 1943 qui avait pour objectif d’étudier les problèmes des jeunes partout au Canada. Elle publia une multitude de rapports sur les sujets les plus divers: les jeunes et les loisirs, les jeunes et la religion etc. (121) Les Jeunesses laurentiennes s’y intéressèrent très tôt. Elles s’inquiétèrent d’abord du fait que peu de Canadiens français y siégeaient. Tous les membres du central furent toutefois invités à donner leurs opinions pour la création de mémoires (122). Deux documents furent ainsi produits. Dans le premier, les relations entre État et religion et entre le fédéral et le provincial furent exposées. L’autre appuyait globalement les propositions de la JEC sur les loisirs (123). À cause de leurs idées nationalistes, les laurentiens se firent remarquer lors de la présentation de ces mémoires. Il fut apparemment question de les expulser (124). Leurs opinions furent toutefois diluées à travers celles de plusieurs autres organisations dans les rapports (125).
L’expérience acquise à la commission convainquit toutefois les Jeunesses laurentiennes de continuer à œuvrer pour une grande union de la jeunesse canadienne-française et catholique (126). C’est certainement en partie à cause du mouvement nationaliste que la Fédération des mouvements de jeunesse du Québec (FMJQ) fut créée en 1947. Cette organisation naquit en réaction à des tentatives internationales de fédération de la jeunesse. Ces dernières étaient en fait vues comme un «nid de communisme». De fait, plusieurs associations, dont les Jeunes Laurentiens, protestèrent contre des congrès organisés par ce type de fédération (127). Les laurentiens étaient présents à la réunion de fondation de la FMJQ (128). Ils s’y impliquèrent toutefois apparemment très peu (129). Il faut dire que cette fédération fonctionna plus ou moins bien. Elle finit par être contrôlée essentiellement par les groupes d’Action catholique (130). En 1950, alors que les Jeunesses laurentiennes étaient sur le point de disparaître, on participait encore à des tentatives de fédération des mouvements de jeunes du Québec. Rosaire Morin et Henri-Paul Ouellette furent ainsi présents à la réunion de fondation du Comité canadien des mouvements de jeunesse. Les deux laurentiens y jouèrent les trouble-fêtes nationalistes. Ils firent expulser un jeune communiste. Ils proposèrent également de nombreux amendements afin que le comité soit réservé aux seuls catholiques de langue française. Rosaire Morin tenta par ailleurs de se faire élire à un poste de direction. N’ayant que l’appui de l’ACJC, ces tentatives se soldèrent souvent par un échec (131).
Les Jeunes Laurentiens croyaient que leurs actions et leur doctrine servaient le Canada français en tant que tel. Le mouvement formait des jeunes nouveaux pour une patrie nouvelle. Il permettait à la jeunesse de prendre «connaissance de sa force (132)» et de lutter efficacement contre les ennemis de la nation. Les laurentiens contribuaient en fait à préparer la paix, rechristianiser le milieu, restaurer l’ordre social et «réaffirmer le vouloir vivre des canadiens-français (133)». Ils participaient plus concrètement au relèvement économique, religieux et national de ces derniers. C’est pourquoi Rosaire Morin alla jusqu’à dire que si les Jeunesses laurentiennes ne prenaient pas d’ampleur, «c’en est fini du fait français en Amérique». On proclama dans le même ordre d’idée que «Jeune Laurentien tu es l’espoir de la patrie et de l’Église (134)».
Les Jeunesses laurentiennes étaient bien sûr conscientes que la tâche était loin d’être accomplie. Elles reconnaissaient facilement que la partie était difficile. Elles étaient par contre prêtes à faire les sacrifices nécessaires. On pouvait ainsi affirmer qu’«il faut se préparer à donner nos vies en chantant (135)». On expliquait que «la vie chez les Jeunes Laurentiens est comme un combat de boxe (136)». La victoire appartient à celui qui frappe le plus longtemps et pas à celui qui frappe le plus fort. Le mouvement était parfaitement conscient de former une force, même s’il n’était pas autant répandu qu’il l’aurait voulu. On répétait en fait souvent une phrase d’Henri Bourassa qui le démontrait bien:«Nous ne sommes qu’une poignée, mais nous comptons pour ce que nous sommes (137)». On disait préférer la qualité à la quantité pour les membres de l’association, «car la quantité est endormie et difficile à réveiller, la qualité réveillée est difficile à endormir (138)».
Croyant que les Jeunes Laurentiens avaient beaucoup de valeur en tant qu’individus, on s’attendait à ce qu’ils aient justement plusieurs qualités. On disait que les règlements de l’association étaient «rigides par les qualités que l’on exige du membre (139)». L’article 12 de ces règlements demandait que tout membre ait entre 16 et 30 ans. Il devait en outre impérativement être catholique et canadien-français (140). Il ne devait évidemment pas être n’importe quel catholique. Il fallait que les membres soient des croisés et des «enragés du Christ, de son amour et de sa doctrine (141)». Ils devaient bien connaître leur catéchisme et savoir défendre leur religion en tout temps. Les Jeunesses laurentiennes n’étaient pas non plus des nationalistes comme les autres. Elles devaient être des patriotes éclairés, c’est-à-dire des «hommes de culture qui pourront embrasser tous les problèmes […] maîtriseront la compétence […] seront droits d’esprit et de conscience (142)». Il fallait qu’ils soient des chefs qui donnent l’exemple d’une bonne vie nationale et religieuse. Dans un numéro de La Vérité, on décida de publier «Les sept commandements d’un Jeune Laurentien» qui témoignent bien de ce qu’on attendait de ce dernier. On dit alors qu’il devait être un éveilleur d’âme, un grand volontaire, un homme d’étude, un chef intelligent, un martyr de la vérité et un prêcheur d’exemple (143).
Tout cela fait en sorte qu’on attende des membres du mouvement qu’ils aient un certain nombre de qualités morales. Ils devaient être humbles, sages et avoir une bonne connaissance d’eux-mêmes. On disait ainsi que les laurentiens peuvent prendre exemple sur une goutte d’eau dans leur attitude avec les autres. Cela parce que deux gouttes d’eau s’unissent lorsqu’elles se rencontrent. Elles ne perdent pas leur temps en bisbille ou dispute (144). La conviction, l’espérance, la charité et la volonté étaient autant de vertus que les adhérents avaient également avantage à cultiver (145). À un certain moment, on publia les normes de conduite du Jeune Laurentien. Elles démontrent évidemment très bien les valeurs morales qu’on attendait de celui-ci. On demandait à ce qu’il haïsse la vie facile, se libère de ses passions, ait une vie privée immaculée, ait confiance en l’avenir et soit conscient du fait que le plus petit de ses actes pouvait porter fruit (146). On spécifiait bien que la volonté peut accomplir des merveilles.
On attendait aussi des adhérents qu’ils fassent preuve de qualités plus portées vers l’action. On voulait qu’ils soient capables d’aller jusqu’au bout et de surmonter les obstacles. Ils devaient savoir sacrifier des soirées et être réalistes et courageux. Il était demandé aux Jeunes Laurentiens «de bien faire ce que vous faites (147)». Dans l’idéal, l’orientation vers le nationalisme des individus et institutions qu’ils côtoyaient était un de leurs soucis constants. Ils savaient en outre «lutter comme un lion […] et prier comme un enfant (148)». Ils faisaient preuve de zèle et se maîtrisaient eux-mêmes. L’effort ne leur faisait pas peur. On attendait également des membres qu’ils soient «optimistes – réactionnaires – ardents – entraineurs [sic] – actifs – enthousiastes – dévoués – enragés (149)».
Tels de bons soldats, les Jeunes Laurentiens devaient aussi avoir plusieurs qualités qui étaient nécessaires à la bonne marche de l’organisation. Il n’était pas bon de faire partie de dix associations ou d’être à la queue du mouvement. Ils devaient plutôt savoir servir les autres de bon cœur, faire preuve de discipline et de sérieux. Faire ce qu’on leur demandait, avoir confiance en leur chef et être utile au mouvement étaient également ce qu’on attendait d’eux (150). Certaines versions des règlements de l’organisation comportaient un serment de fidélité qui incluait l’obéissance au chef (151). Que les Jeunesses laurentiennes dépensent leur argent de manière utile à l’association était aussi plutôt bien vu (152). Le membre de base devait en bref apprendre à servir du mieux qu’il pouvait sans rechigner.
Les Jeunes Laurentiens avaient une conception claire de ce qu’était la jeunesse, que ce soit par rapport à eux-mêmes ou par rapport au Canada français en général. On a vu qu’à l’instar de nombreux sociologues, la jeunesse était pour eux un temps de formation et de passage à la vie adulte. Ils se définirent aussi comme jeunes en se comparant avec leurs aînés. On sait que Pierre Bourdieu pense que la jeunesse se construit en termes de lutte et d’enjeu de pouvoir avec les «vieux» (153). L’identité des Jeunesses laurentiennes vient contester en partie cette thèse. L’association s’opposait certes à bon nombre d’aînés, mais en adopta également plusieurs comme exemples à suivre. Il est certainement possible de croire que cette constatation peut être élargie à l’ensemble de la jeunesse. Encore aujourd’hui, même les jeunes qui semblent en révolte totale contre l’autorité ont des modèles plus âgés. C’est seulement dans les derniers temps du mouvement que les Jeunes Laurentiens se montrèrent totalement critiques envers les aînés. Ils croyaient en fait que ces derniers étaient une des causes de la disparition de l’organisation. Rosaire Morin affirma ainsi que «obligation financière et collaboration des aînés […] expliquent et justifient l’échec des Laurentiens (154)».
Il appert que les Jeunes Laurentiens partageaient plusieurs éléments de l’identité de groupes de jeunes qui existèrent à la même époque qu’eux. Les caractéristiques propres à tous les mouvements de jeunesse nés dans l’entre-deux-guerres que délimite Aline Coutrot (155) se retrouvent aussi chez les Jeunesses laurentiennes. Ces dernières souhaitaient du changement comme les autres associations de jeunes. La santé et les loisirs sains étaient également importants pour le mouvement nationaliste. Celui-ci avait des idées arrêtées sur le monde politique et croyait même devoir y participer. Les Jeunes Laurentiens usaient enfin de plusieurs expressions symboliques pour affirmer leur allégeance identitaire. Comme nombre d’organisations, l’association avait sa devise (156) et son chant (157). À certains moments, on pouvait par ailleurs se qualifier mutuellement de frères (158). L’association offrait également une carte de membre à ses adhérents. Il semble même que certains l’approchèrent strictement pour avoir cette carte. Il arriva ainsi qu’on proteste parce qu’un don à la Ligue pour la défense du Canada ne fut pas récompensé par l’émission d’un tel document (159).
Les laurentiens avaient aussi plusieurs traits en commun avec les mouvements d’Action catholique (160) du Canada français. Les deux regroupements se sentaient être les victimes innocentes de certains aînés négligents. Ils croyaient que c’était à la jeunesse de redresser les torts commis. Tous deux voyaient la jeunesse comme un temps de préparation à la vie active et comme un état porteur de pureté, d’idéal et d’espoir. Autant les Jeunesses laurentiennes que les groupes d’Action catholique pensaient être les meilleurs représentants de la jeunesse. Chacun s’intéressa également à la formation de cette dernière.
Ce qui différenciait les deux types d’organisations était en fait essentiellement la position par rapport au nationalisme. On sait que ce dernier occupait une place centrale dans l’identité et l’idéologie des Jeunes Laurentiens. Les groupes d’Action catholique observaient plutôt une certaine méfiance à son sujet. Ils ne le réprouvaient pas, mais croyaient qu’ils pouvaient être dangereux. Cela notamment à cause des directives du pape Pie XI qui avait voulu dépolitiser l’Action catholique. Celle-ci ne s’empêchait cependant pas de s’intéresser au nationalisme. Elle pouvait parler de l’autonomie provinciale assez souvent (161). Des sections de la JOC, de la JAC et de la JIC envoyèrent également des pétitions pour que le gouvernement provincial adopte le fleurdelisé (162). En certains endroits, tel Montmagny, un cercle de la JEC pouvait aussi entretenir des liens avec une section juvénile de la Société Saint-Jean-Baptiste (163). Ailleurs, c’est parfois une section locale de la JIC qui s’occupait de la fête de Dollard (164). Les différents mouvements d’Action catholique s’intéressaient toutefois beaucoup plus à des questions comme l’emploi chez les jeunes ou la préparation au mariage. Ce sont évidemment aussi des éléments qui intéressèrent les Jeunes Laurentiens, mais de façon moins prépondérante.
Les opinions concernant le nationalisme faisaient également en sorte qu’on se positionna différemment par rapport aux aînés. Les laurentiens adoptèrent certains nationalistes âgés comme modèles. L’Action catholique spécialisée offrait d’abord son respect aux enseignants et au clergé. Comme le dit Louise Bienvenue, ces groupes respectaient en fait surtout l’autorité qui avait un rôle dans la sphère privée (165). Ils ne s’empêchaient absolument pas de faire «le procès des aînés qui occupent des positions sociales de pouvoirsi leur conduite le justifie (166)». Il en allait également de même des Jeunes Laurentiens, mais ceux-ci encensaient également des gens qui occupaient de telles positions. L’Action catholique se montrait ainsi distante de modèles adoptés par les laurentiens. Elle refusa par exemple d’assister aux festivités entourant les trente années d’enseignement de Lionel Groulx (167). C’est ce genre de chose qui mena certainement ce dernier à s’interroger: «Que nous réserve l’avenir avec cette génération qui, sous prétexte d’action catholique, l’on a élevé en dehors de toute préoccupation nationale, sans même réussir à la faire catholique, avec ce catholicisme déraciné qu’on lui a prêché (168)».
(100) Sur les changements qui survinrent dans les objectifs de l’ACJC au cours des années 1930, on pourra consulter: Louise Bienvenue, Quand la jeunesse entre en scène: l’Action catholique avant la Révolution tranquille, Montréal, Boréal, 2003, p. 31, 41-47. (101) CRLG, «Discours de Rosaire Morin, “Pour la vérité’’, 23 septembre 1945», p. 1, Fonds Rosaire Morin, P16/C,34. (102) Voir, par exemple: Raymond Gaudreau, «La coopération (suite)», La Vérité, vol. 3, n° 4, avril 1945, p.12. (103) Dollard des Ormeaux, «Chronique des Jeunes Laurentiens: À la jeunesse de mon pays», La Boussole, 15 avril 1944, p. 4. (104) CRLG, «Discours de Rosaire Morin, sans titre, 8 mars 1943», p. 6-7, Fonds Rosaire Morin, P16/C,32. (105) Rosaire Morin, «Chronique des Jeunes Laurentiens», La Boussole, 8 juillet 1944, p. 6. (106) «Réponse aux inquiets», La Vérité, vol. 3, n° 4, avril 1945, p. 28. (107) CRLG, «Discours de Rosaire Morin, sans titre, 4 mars 1942», p. 3, Fonds Rosaire Morin, P16/C,31. (108) CRLG, «Circulaire n° 5: aux dirigeants et membres de la section Lafontaine», p. 1, Fonds J.Z-Léon Patenaude, P30/4,11. (109) «Énorme travail à accomplir chez les “Jeunes Laurentiens’’», Chez nous, vol. 2, n° 6, 1er septembre 1941, p. 8. (110) CRLG, «Discours de Rosaire Morin, sans titre, 4 février 1943», p. 1, Fonds Rosaire Morin, P16/C,32. (111) Voir: «Les Jeunesses laurentiennes: campagne de souscription pour une élite nationale», Le Devoir, 10 février 1947, p. 11. (112) Voir, par exemple: Mobilisation pour Dieu et la Patrie: les Jeunesses laurentiennes, 4e année nationale, 1947, Montréal, 1947, p. 5. (113) Olivette Payette et Rosaire Morin, «Jeunesses Laurentiennes», La Boussole, 16 février 1946, p. 6. (114) Rosaire Morin, «Message du président général: Bâtir et non détruire», La Vérité, vol. 4, n° 1, novembre 1945, p. 5. (115) CRLG, «Discours de Rosaire Morin, sans titre, 17 février 1943», p. 2, Fonds Rosaire Morin, P16/C,32. (116) Rosaire Morin employa cette expression à plusieurs reprises. Voir, par exemple: CRLG, «Procès-verbaux de l’assemblée générale, 1944», 25 août 1944, Fonds Rosaire Morin, P16/C,10. (117) CRLG, «Discours de Rosaire Morin, sans titre, 4 février 1943», p. 3, Fonds Rosaire Morin, P16/C,32. (118) «Congrès des Jeunes Laurentiens», Le Devoir, 27 septembre 1943, p. 2. (119) Lisons! Construisons ! : mémoire sur les Jeunes Laurentiens, s.l., 1944., p. 7. (120) Voir notamment: CRLG, «Procès-verbaux du conseil central, 1942-1945», 2 février 1945, Fonds Rosaire Morin, P16/C6. Sans qu’on précise lesquels, ce sont certainement d’abord aux mouvements d’action catholique qu’on pense alors. (121) Voir: «Les œuvres de la jeunesse: important congrès de la commission canadienne de la jeunesse à Ottawa», Le Devoir, 16 octobre 1946, p. 3. (122) CRLG, «Procès-verbaux des réunions du conseil central, 1942-1945», 2 juin et 17 novembre 1944, Fonds Rosaire Morin, P16/C,6. (123) Voir: CRLG, «Mémoire à la commission canadienne de la jeunesse par les Jeunes Laurentiens» et «Mémoire sur les loisirs», Fonds Rosaire Morin, P16/C,12. (124) C’est ce qu’affirme Rosaire Morin dans: CRLG, «Discours de Rosaire Morin, “Pour la vérité’’, 23 septembre 1945», p. 6, Fonds Rosaire Morin, P16/C,34. (125) Voir: AHEC, «Rapport sur la religion» et «Rapport sur les loisirs», Fonds François-Albert Angers, P027, Z00Z9. (126) C’est ce qu’on expliqua en réunion du conseil central: CRLG, «Procès-verbaux des réunions du conseil central, 1942-1945», 2 février 1945, Fonds Rosaire Morin, P16/C,6. (127) «Le festival de Prague, un nid de communisme: déclaration des principales organisations de jeunesse du Canada», Le Devoir, 19 avril 1947, p. 1 et 3. (128) Voir: Jacques Giraldeau, «L’Université reçoit les jeunes du Québec», Le Quartier Latin, 28 novembre 1947, p. 3. (129) Ils n’étaient ainsi pas au congrès de la FMJQ en 1949: ANQC, «Rapport du congrès de la fédération des mouvements de jeunesse du Québec, 18 et 19 juin 1949», Fonds ACJC, P55/103.291.04.01. (130) Louise Bienvenue, op. cit., p. 228. (131) CRLG, «Rapport de la réunion de fondation du Comité canadien des mouvements de jeunesse, 11 et 12 février 1950», p. 8-30, Fonds, J.Z.-Léon Patenaude, P30/7,32. (132) CRLG, Lettre de J.Z.-Léon Patenaude à Gérard Langlois, 31 janvier 1943, Fonds J.Z.-Léon Patenaude, P30/4,17. (133) CRLG, «Discours de Rosaire Morin, “À la jeunesse de mon pays’’, 23 juin 1943», p. 1, Fonds Rosaire Morin, P16/C,32. (134) Léon Patenaude, «Que seras-tu ?», La Vérité, vol. 3, n° 1, septembre 1944, p. 18. (135) André-Jean Filion, «Nous serons de grands volontaires !», La Vérité, vol. 3, n° 2, février 1945, p. 15. (136) Jean-Paul Cloutier, «Bâtir!», La Vérité, vol. 3, n° 5, p. 17. (137) Cette phrase est par exemple citée dans: CRLG, «Discours de Rosaire Morin, sans titre, 4 mars 1942», p. 2, Fonds Rosaire Morin, P16/C,31. (138) ANQM, «Discours de Rosaire Morin, “1945-1946: les Jeunes Laurentiens”, 5 octobre 1946», p. 4, Fonds Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, P82/119,1830. (139) ANQM, «Conférence-concert de monsieur Robert Rumilly, historien et des chanteurs du Vieux Moulin sous les auspices des Jeunes Laurentiens de Québec», p. 2, Fonds Robert Rumilly, P303, S6, SS9, D1. (140) CRLG, «Règlements des Jeunesses laurentiennes», p. 2, Fonds J.Z.-Léon Patenaude, P30/4,22. (141) Rosaire Morin, «Une troupe de croisés», La Vérité, vol. 3, n° 1, septembre 1944, p. 4. (142) CRLG, «Discours de Rosaire Morin, sans titre, 4 mars 1942», p. 1, Fonds Rosaire Morin, P16/C,31. (143) «Les 7 commandements d’un Jeune Laurentien», La Vérité, vol. 3, n° 1, septembre 1944, p. 23. (144) Cette métaphore est développée par Rosaire Morin dans: CRLG, «Discours de Rosaire Morin, “Un mouvement d’action’’, 20 septembre 1944», p. 13, Fonds Rosaire Morin, P16/C,33. (145) Rosaire Morin, «Message du président général: directives», La Vérité, décembre 1946 – janvier 1947, p. 1-2. (146) Anonyme, «Normes de conduite du Jeune Laurentien», dans: CRLG, «Rapport annuel de la section Lafontaine, 1943-1944», p. 8, Fonds J.Z.-Léon Patenaude, P30/4,12. (147) Rosaire Morin, «Message du président général», dans: CRLG, «Les Jeunesses laurentiennes, Montréal, septembre 1946», p.1, Fonds Rosaire Morin, P16/C,3. (148) CRLG, Lettre de Rosaire Morin aux présidents et aux membres des Jeunes Laurentiens, 4 octobre 1944, Fonds Rosaire Morin, P30/4,11. (149) CRLG, «Discours de Rosaire Morin, “Ou vivre ou mourir”, 27 janvier 1946», p. 1, Fonds Rosaire Morin, P16/C,35. (150) Voir, par exemple: CRLG, «Circulaire n° 2, décembre 1944, aux dirigeants et aux membres de la section Lafontaine de St-Ambroise», Fonds J.Z.-Léon Patenaude, P30/4,11. (151) Voir, par exemple: CRLG, «Règlements de l’association», p. 6, Fonds J.Z.-Léon Patenaude, P30/4,1. (152) C’est ce que sous-entend Rosaire Morin dans: CRLG, «Discours de Rosaire Morin, sans titre, 23 mai 1943», p. 35-36, Fonds Rosaire Morin, P16/C,32. (153) Voir: Pierre Bourdieu, loc. cit., p. 143-144. (154) ANC, Lettre de Rosaire Morin au secrétaire général de l’OJC, 11 janvier 1950, p. 1, Fonds Ordre de Jacques-Cartier, MG 28 I98, vol. 128, dossier «Jeunesse (associations et clubs de), 1949-1950». (155) Voir: Aline Coutrot, «Le mouvement de jeunesse, un phénomène au singulier», dansGérard Cholvy dir., Mouvements de jeunesse chrétiens et juifs: sociabilité juvénile dans un cadre européen, 1799-1968, Paris, Cerf, 1985, p. 114-118. (156) La devise «Osons» apparaît en effet sur nombre de publications du mouvement. Parfois l’expression «Osons jusqu’au bout» est aussi employé. (157) C’est Rosaire Morin qui écrivit les paroles de «Debout!», chant des Jeunesses laurentiennes. Ce dernier fut mis en en musique par Eugène La Pierre. Voir: ANQM, «Debout!», Fonds Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, P82/119, 1830. (158) Voir, par exemple: ANQM, «Les Jeunesses laurentiennes, comité général le 8 avril 1945», p. 6, Fonds Société St-Jean-Baptiste de Montréal, P82/119, 1828. (159) Voir: CRLG, Lettre de Bernard Janelle à la Ligue pour la défense du Canada, 20 avril 1942, Fonds Ligue pour la défense du Canada, P6/C,8. (160) Pour un examen détaillé de l’identité des mouvements d’Action catholique, on pourra consulter: Louise Bienvenue, op. cit., p. 71-128. (161) Ibid., p. 178-179. (162) Voir, par exemple: Louis-Philippe Roy, «Adhésion de la ligue du drapeau national », L’Action catholique, 16 janvier 1948, p. 22 et «Des milliers de signatures», L’Action catholique, 20 janvier 1948, p.16. (163) C’est ainsi que la JEC de Montmagny se vit parfois offrir de l’espace dans la chronique qu’avait la section juvénile dans le journal local. Voir, entre autres: «Nous grandir: section juvénile de la Société St-Jean-Baptiste», Le Courrier de Montmagny, 18 mars 1944, p. 5. Nous parlerons plus longuement des sections juvéniles de la SSJB du diocèse de Québec au prochain chapitre. (164) C’est notamment ce qui arriva à Granby en 1945: «“Dollard fut un sauveur ; nous devons marcher sur ses traces’’», La Revue de Granby, 30 mai 1945, p. 4. (165) Louise Bienvenue, op. cit., p. 109. (166) Ibid. (167) Ibid., p. 179. (168) ASJCF, Lettre de Lionel Groulx à “cher père’’, 6 janvier 1953, Fonds ACJC, K-13-0,6.
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Source: David RAJOTTE, Les Jeunes laurentiens. Jeunesse, militantisme et nationalisme dans le Canada français des années 1940, Mémoire de M.A. (Histoire), Université de Montréal, 2006, xxvi, 215p., pp. 72-82.
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