Quebec History Marianopolis College


Date Published:
août 2006

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

David RAJOTTE, Les Jeunes Laurentiens. Jeunesse, militantisme et nationalisme dans le Canada français des années 1940, Mémoire de M. A. (Histoire), Université de Montréal, 2006, xxvi-215p.

 

4. La femme pour les Jeunes Laurentiens

Les femmes n’étaient pas exclues du discours laurentien. Comme l’était le jeune, elles étaient considérées comme un des piliers de la société canadienne-française.  Le mouvement croyait qu’elles avaient toute une série de rôles qui les constituaient dans leur être même. Ceux-ci étaient même en mesure de sauver et sauvegarder la nation tant appréciée. À l’instar des jeunes, la femme se voyait toutefois menacée par une multitude de problèmes. Si elle était en danger, c’est malheureusement la patrie qui le devenait elle aussi.

 

a) Les rôles de la femme

 

La femme des Jeunesses laurentiennes avait des devoirs et des rôles bien définis. On disait en fait qu’elle avait un «triple devoir envers Dieu, la Famille et la Patrie (169) ». Rosaire Morin expliquait d’abord qu’une «jeune fille est une personne au même titre que l’homme, ayant les mêmes droits essentiels et la même fin surnaturelle (170)».Par conséquent, la femme était un être qui devait servir et aimer Dieu. Elle devait vivre une vie en tout point chrétienne et chercher à christianiser son environnement. Il fallait cependant qu’elle trouve «le juste point entre le modernisme et le catholicisme (171)». Il était dans son intérêt de comprendre les problèmes qui nuisent à la bonne tenue de sa religion. Il en allait évidemment de même de sa contrepartie masculine. Tous deux étaient de passage sur terre et devaient mériter leur salut éternel.

 

Si le premier devoir de la femme correspondait à celui de l’homme, il n’en allait pas de même du second. Les Jeunesses laurentiennes croyaient que, règle générale, une jeune fille devait se marier. La question du mariage occupait de fait une place de choix pour le mouvement. Il arrivait que les sections masculines en discutent en réunion (172). Plusieurs mots d’ordre étaient donnés pour d’abord se bien fréquenter. On expliquait qu’il fallait s’opposer à l’amour moderne, c’est-à-dire à un type de fréquentation qui évite la surveillance des parents et mène à la débauche. Il fallait plutôt se rappeler «cette tradition qui consiste, pour un jeune homme, à courtiser […] (173) » . Celui qui «défendait l’amour ancien est un amoureux moderne (174)», disait-on. Les fréquentations avaient pour buts de bien se connaître et de s’assurer que les partenaires étaient faits l’un pour l’autre. Les laurentiens voulaient que les femmes soient amoureuses et fières de leur mari. On disait ainsi aux jeunes filles que «l’amour doit être un principe de vie. Il faut que vous aimiez. Votre indifférence aurait des conséquences fatales (175)».

 

La femme devait en fait être le digne complément de l’homme. Il était bien spécifié qu’il fallait qu’elle soit «soumise à son mari (176)». On ajoutait cependant qu’elle ne devait pas être sa servante. «Vous serez son amie intime, plus intime que tout autre en ce monde (177)», expliquait-on aux futures mariées. On disait que la femme pouvait inspirer son conjoint. Elle pouvait lui fournir un appui moral qu’il ne trouvait pas nécessairement ailleurs. Elle avait en fait toute une série de qualités qui pouvaient aider son mari. On expliquait que «les qualités de cœur chez la femme s’allient aux qualités de l’homme. À lui, talent, génie, vaillance; à elle les dons plus humbles, douceur, bonté, don de soi (178)». La femme était également celle qui était le plus à même de rendre heureux son époux. La gaieté et le sourire d’une épouse étaient irremplaçables selon les Jeunes Laurentiens. Morin expliquait en ce sens que «beauté de la nature, chants des petits oiseaux, charmes des fleurs, rien n’est comparable au prestige de la femme qui sourit (179)».

 

La femme devait non seulement être l’appui foncier de son mari, mais aussi de ses enfants. Le mouvement spécifiait bien que le but fondamental du mariage était d’engendrer des descendants. Il rappelait en ce sens l’encyclique Arcanum de Léon XIII qui affirmait précisément cela (180). La femme ne devait pas avoir peur d’avoir plusieurs enfants. On croyait que ces derniers faisaient partie du plan divin. Faire des enfants, c’était «fournir à l’Église ses ministres, à l’État ses citoyens, ses soldats (181)».Faire des enfants, c’était donc assurer l’avenir de la patrie. Les Jeunes Laurentiennes, futures ou jeunes mères, se plaisaient à rappeler cette parole de Lionel Groulx: «[elles] nous ont élevé contre l’envahisseur une frontière de berceaux (182)». C’est aux femmes qu’incombait la tâche d’élever les enfants. Elles donnaient toute l’éducation de base à leurs petits. C’est à elles que revenait de former leur intelligence, leur caractère et leur volonté. C’est ce qui fit dire à Rosaire Morin que «le rôle de la femme est plus grand que le travail du chimiste ou du soldat, il consiste à former des honnêtes hommes et des honnêtes femmes (183)».

 

Ces devoirs envers maris et enfants rattachaient la femme à la maison. Les laurentiennes expliquaient en fait que «la femme comme épouse et mère se doit à son foyer (184)». Cela était même considéré comme une «mission sacrée» (185) d’une grandeur et d’une sublimité inégalées. La femme était le pilier du foyer. Sans elle, il ne pouvait tout simplement pas subsister. C’est elle qui, «par ses paroles d’encouragements, ses sages conseils (186)», menait les siens au bonheur. C’est elle qui devait tenir la maison avec méthode et la rendre la plus attrayante et confortable possible. Une de ses tâches était également de «faire aimer à tous leur travail (187)». Les femmes avaient pour rôle d’arrêter la «déchéance» de la famille canadienne-française dont on a déjà parlé. Elles pourraient permettre au Canada français de renouer avec ses traditions.

 

C’est entre autres ce qui faisait que la femme avait également des devoirs envers la Patrie. Les laurentiens croyaient en effet que les femmes avaient un rôle à jouer dans la «vie nationale» (188). Elles pouvaient aider la nation « non seulement en lui formant des enfants patriotes, mais en lui conservant les époux vivants et en lui transformant en citoyens nationalistes les maris endormis (189)». Elles pouvaient en outre insuffler des améliorations à la vie publique. Les caractéristiques foncières des femmes offraient à cette dernière des qualités «de modération, de justice et de charité (190)». Les laurentiens pensaient également que les femmes étaient le plus à même de faire fructifier certains éléments de la nation. On pensait notamment aux coopératives de consommation, élément clé du relèvement national pensé par les Jeunesses laurentiennes. Cela parce que ce sont elles qui s’occupent de bien approvisionner le ménage et qui font les dépenses quotidiennes nécessaires à son bon fonctionnement. Elles devraient donc y jouer «un rôle plus important que les hommes (191)».

 

b) Les problèmes de la femme

 

La femme avait certes plusieurs devoirs envers le Canada français. Les laurentiens croyaient toutefois que plusieurs choses l’empêchaient de mener à bien ses différentes tâches. Trop de jeunes filles s’étaient laissé happer par le monde moderne. Plusieurs étaient malheureuses et buvaient plus que certains hommes. D’autres encore vivaient dans «le matérialisme, le snobisme et le garçonnisme (192)». On suggérait même que ne pas adopter ces trois derniers éléments pour vivre, c’était aujourd’hui risquer de demeurer vieilles filles (193). Le mouvement croyait également que beaucoup de consœurs étaient ignorantes de «l’art de tenir une maison avec goût et amour (194)». Les laurentiens assistaient à des conférences où on leur expliquait que la femme était en train d’être pervertie. Lorenzo Gauthier, alors aumônier de l’organisation, leur assurait que «la perversion de la femme amènera nécessairement la perversion du monde (195)». Il ajoutait que cela se ferait par la mode. C’est certainement ce qui faisait dire à Rosaire Morin  que «certaines femmes ne valent pas mieux que des couacks (196)».

 

C’est également toute l’institution du mariage qui était attaquée. Non seulement se fréquentait-on trop souvent pour le seul plaisir de se fréquenter, mais on oubliait tout sens moral au mariage. Marcel Coupal, alors responsable social des laurentiens, expliquait que cela pouvait mener à une «vie conjugale insupportable», des infidélités, un «manque de fermeté pour élever les enfants» et des divorces (197). Il arrivait également trop souvent qu’on ne se prépare pas matériellement au mariage. La femme en venait donc à avoir de la difficulté à remplir ses obligations les plus simples. C’est alors les enfants et le foyer qui en souffraient. Comme ces derniers étaient le fondement et le futur de la nation, le Canada français était également en danger.

 

Ce qui inquiétait le plus les Jeunesses laurentiennes était toutefois le fait que la femme travaillait de plus en plus hors du foyer. C’était en fait la guerre qui avait amené un accroissement du travail des femmes. Les lieux de travail étaient considérés comme des endroits où l’immoralité régnait. On disait que les gens y tenaient des propos scabreux et que les écrits subversifs y étaient propagés allègrement. Il y avait une trop grande proximité entre les femmes et les hommes. Le vol était également monnaie courante (198). Le mouvement expliquait que le travail à l’extérieur du foyer incitait à ne pas avoir d’enfants. Il n’y avait plus assez de temps pour les faire et les élever. On croyait que l’égalité au travail pouvait s’accompagner de l’égalité dans la famille. Morin constatait cela et s’insurgeait «l’une des conséquences est l’achat de lits jumeaux (199)». On disait par ailleurs que si le travail peut amener de l’argent, il est beaucoup plus économique d’être au foyer. La femme peut alors faire «les milles et une économies d’une bonne ménagère (200)». Paul-Émile Robert expliquait quant à lui que le travail nuisait à la santé des femmes. Il affirmait que «c’est toute une génération si non plus qui souffrira d’un tel état de choses (201)».

 

Les Jeunes Laurentiens expliquaient en fait que le but du travail féminin était de «détruire notre race par la démoralisation de la femme (202)».On parlait même d’un «suicide organisé de notre famille ou de notre société (203)». Pas étonnant qu’on tint des assemblées contre le travail des femmes la nuit (204). Des tracts reprenant les arguments énoncés ci-dessus furent également diffusés «aux quatre coins de notre ville (205)». Les laurentiens demandaient globalement que le travail de nuit des femmes et jeunes filles soit interdit et que le travail d’une mère ayant des enfants de moins de 16 ans le soit également. Ils proposaient en outre des journées de 8 heures pour cinq jours de travail (206). Ailleurs ils disaient plutôt vouloir réintégrer les femmes «dans des organisations coopératives orientées vers l’artisanat et l’industrie de chez nous (207)».

 

(169) CRLG, «Discours de Rosaire Morin, sans titre, 26 août 1945», p. 3, Fonds Rosaire Morin, P16/C,34.

(170) Ibid., p. 2.

(171) Ibid.

(172) Voir: CRLG, «Procès-verbaux des réunions de la section Lafontaine», 30 décembre 1945, Fonds J.Z. Léon Patenaude, P30/4,4. Notons que nous n’avons trouvé aucune mention des possibilités de vocation religieuse par la femme dans toute la documentation des Jeunesses laurentiennes que nous avons amassée.

(173) Marcel Coupal, «Pour ou contre Dieu ?», La Vérité, vol. 4, n° 2, décembre 1945, p. 16.

(174) CRLG, «Discours de Rosaire Morin, “Pour la vérité’’, 23 septembre 1945», p. 6, Fonds Rosaire Morin, P16/C,34.

(175) «Lettre à une Jeune Laurentienne», La Vérité, vol. 3, n° 5, juin-juillet 1945, p. 28.

(176) Rita Pilon, «Domaine familial: féminisme chrétien», Les Jeunes Laurentiennes, décembre 1944, p. 9.

(177) CRLG, «Discours de Rosaire Morin, sans titre, 26 août 1945», p. 3, Fonds Rosaire Morin, P16/C,34.

(178) Rita Pilon, «Domaine familial: féminisme chrétien», Les Jeunes Laurentiennes, décembre 1944, p. 9.

(179) CRLG, «Discours de Rosaire Morin, sans titre, 26 août 1945», p. 3, Fonds Rosaire Morin, P16/C,34.

(180) CRLG, «Discours de Rosaire Morin, sans titre, 16 novembre 1943», p. 2, Fonds Rosaire Morin, P16/C,32.

(181) Ibid.

(182) «Vive la canadienne», Les Jeunes Laurentiennes, mars 1945, p. 9.

(183) CRLG, «Discours de Rosaire Morin, sans titre, 16 novembre 1943», p. 12, Fonds Rosaire Morin, P16/C,32.

(184) Rita Pilon, «Domaine familial: la femme au foyer», Les Jeunes Laurentiennes, février 1945, p. 4.

(185) Voir: Lisons! Construisons!: mémoire sur  “Les Jeunes Laurentiens’’, s.l., s.d., p. 6.

(186) Rita Pilon, «Domaine familial: la femme au foyer», Les Jeunes Laurentiennes, février 1945, p. 4.

(187) CRLG, «Les Jeunesses laurentiennes: 3e congrès national tenu à Montréal les 21-22-23 septembre 1945», p. 17, Fonds J.Z. Léon Patenaude, P30/4,23.

(188) C’est ce qui est affirmé dans le manifeste des Jeunes Laurentiennes. Voir: Manifeste des Jeunes Laurentiennes, s.l., s.d., p. 9. La manifeste masculin affirme quant à lui que la jeunesse féminine doit seconder la «croisade» des hommes. Voir: Manifeste des Jeunes Laurentiens, s.l., s.d., p. 9.

(189) CRLG, «Discours de Rosaire Morin, sans titre, 26 août 1945», p. 3, Fonds Rosaire Morin, P16/C,34.

(190) Ibid.

(191) CRLG, «Domaine économique: règlement d’un syndicat d’épargne», p. 5, Fonds J.Z. Léon Patenaude, P30/4,15.

(192) CRLG, «Discours de Rosaire Morin, sans titre, 26 août 1945», p. 2, Fonds Rosaire Morin, P16/C,34.

(193) C’est ce que fait Rosaire Morin dans: Ibid.

(194) «Les Jeunesses laurentiennes», Le Devoir, 22 septembre 1947, p. 5.

(195) CRLG, «Première semaine d’étude de la Jeunesse laurentienne», p. 3, Fonds J.Z. Léon Patenaude, P30/4,23.

(196) CRLG, «Discours de Rosaire Morin, sans titre, 23 mai 1943», p. 25, Fonds Rosaire Morin, P16/C,32.

(197) Marcel Coupal, «Pour ou contre Dieu ?», La Vérité, vol. 4, n° 2, décembre 1945, p. 18.

(198) Roger Lemay, alors responsable social, affirme cela dans: Roger Lemay, «Réalités!», La Vérité, vol. 3, n° 3, mars 1945, p. 16.

(199) CRLG, «Discours de Rosaire Morin, sans titre, 16 novembre 1943», p. 6, Fonds Rosaire Morin, P16/C,32.

(200) Ibid.

(201) «Les “Jeunes Laurentiens’’ contre le travail féminin de nuit», Le Devoir, 22 février 1943, p. 2.

(202) Lisons! Construisons!: mémoire sur  “Les Jeunes Laurentiens’’, s.l., s.d., p. 6.

(203) «Construisons», La Vérité, vol. 3, n° 2, février 1945, p. 7.

(204) Voir: Les “Jeunes Laurentiens’’ contre le travail féminin de nuit», Le Devoir, 22 février 1943, p. 2.

(205) CRLG, «Discours de Rosaire Morin, “Un mouvement d’action’’, 20 septembre 1944», p. 10, Fonds Rosaire Morin, P16/C,33. C’est ce qui fut fait avec Plaidoyer pour la canadienne du R.P. Alexandre Dugré.

(206) «Les “Jeunes Laurentiens’’ contre le travail féminin de nuit», Le Devoir, 22 février 1943, p. 2. Les Jeunes Laurentiens appuyaient en ce sens les résolutions de la SSJB de Québec. Celle-ci avait même lancé une pétition pour que ces idées deviennent réalité. Voir: «Les sections juvéniles», Chez-nous: organe de la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec, vol. 1, n° 2, 15 mars 1943, p. 6. Les Jeunesses laurentiennes ne prirent, à notre connaissance, pas part à la diffusion de cette pétition.

(207) Lisons! Construisons!: mémoire sur  “Les Jeunes Laurentiens’’, s.l., s.d., p. 6.

 

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Source: David RAJOTTE, Les Jeunes Laurentiens. Jeunesse, militantisme et nationalisme dans le Canada français des années 1940, Mémoire de M.A. (Histoire), Université de Montréal, 2006, xxvi-215p., pp. 83-88.

 

 
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