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revised: 23 August 2000 | Les
Québécois, le clergé catholique et l'affaire des écoles du Manitoba / Quebecers,
the Catholic Clergy and the Manitoba School Question, 1890-1916
La
situation dans les écoles manitobaines en 1905 Extension
de la question scolaire dans le Nord-Ouest (Saskatchewan
et Alberta) [Note de l'éditeur
: Il s'agit ici d'une Circulaire de Mgr. Langevin, datée du 9 mars 1905, et
envoyée aux membres du clergé de son diocèse. Son but est d'informer ses prêtres
du développement de la question scolaire et de démontrer que les attaques contre
les écoles séparées ont débordé les frontières du Manitoba pour rejoindre les
nouvelles provinces de Saskatchewan et de l'Alberta, connues alors sous le nom
de territoires du Nord-Ouest.] Comme
un grand nombre de personnes, non seulement en dehors, mais même dans le diocèse,
ne savent plus guère où en est la question des écoles du Manitoba, et que beaucoup
croient faussement qu'elle est réglée, au moins en partie, Nous allons profiter
de la circonstance si grave où la question des écoles des Territoires du Nord-Ouest
est soulevée par la clause sur l'éducation insérée dans le bill d'organisation
des deux provinces d'Alberta et de Saskatchewan, pour résumer la situation et
au Manitoba, et dans les Territoires. Question
des écoles du Manitoba au 1er Janvier 1905. - L'on
sait que la loi néfaste de 1890 nous a enlevé, an Manitoba, nos écoles séparées
et confessionnelles, et si nous étions tentés de croire que ces écoles sont encore
nôtres, parce qu'elles sont fréquentées par nos enfants, les difficultés qui nous
sont faites, trop souvent, au sujet des livres de l'enseignement, du cathéchisme.
etc., etc., nous désabuseraient complètement. Depuis
1890, aucune loi ne nous a rendu nos droits à l'école séparée et confessionnelle. Le
règlement (Greenway-Laurier) de 1896, devenu loi en 1897 (30 mars), renferme une
clause qui consacre le principe de l'école neutre. La clause 7 dit : « No separation
of pupils by religious denominations shall take place during the secular school
work. » « Il n'y aura pas de séparations d'élèves d'après la religion durant les
heures de classe consacrées à l'enseignement profane. » Quand
Nous avons essayé à plusieurs reprises, de faire accepter nos écoles catholiques
libres de Winnipeg par la ville elle-même, le « Bureau des écoles publiques »
nous a répondu « Cela est impossible, parce que c'est contre la loi, » et on nous
a menacé d'un procès si le Bureau passait outre. La clause 4 qui permet d'avoir
un maître catholique alors qu'il y a 40 enfants dans les villes, et 25 dans les
campagnes, a toujours été invoquée en vain dans les centres mixtes. On s'en est
bien moqué à Winnipeg et à Brandon. Quant
à la clause 10 concernant l'enseignement du français ou d'une autre langue que
l'anglais, elle nous a rendu service dans quelques occasions, encore assez rares
malheureusement. La grande souffrance
du moment, c'est que dans les centres mixtes (à Winnipeg et à Brandon), où il
y a des écoles catholiques libres, nos catholiques sont obligés de payer une double
taxe (un double impôt), l'une obligatoire, pour soutenir les écoles publiques
neutres, ou mieux protestantes, et l'autre volontaire pour le soutien des écoles
catholiques dirigées par nos chers Frères et les R. Soeurs, munis, pourtant, de
diplômes reconnus par l'Etat. Mais on
nous demandera : Est-ce que votre position n'a pas été améliorée dans les centres
catholiques, et à qui le devez-vous ? Notre
position a été améliorée dans les centres catholiques, parce que, à la demande
du Souverain Pontife en 1897, nous avons consenti à faire passer nos écoles
sous le régime des écoles publiques neutres, et en retour, nous avons reçu, depuis
lors, les octrois des municipalités et du gouvernement local, et ces' écoles ne
sont plus nôtres. « Mais, ajoutera-t-on,
vous recevez beaucoup d'argent pour vos écoles, de quoi vous plaignez-vous ? » Nous
recevons, il est vrai beaucoup d'argent, mais c'est parce que nous consentons
à subir la privation momentanée de nos droits scolaires. De
par la loi actuelle nous n'avons plus droit à nos livres catholiques ; nous n'avons
plus droit à des maîtres catholiques, au moins dans les centres mixtes ; nous
n'avons plus droit à l'enseignement religieux durant les heures de classe ; nous,
n'avons plus droit, dans les centres mixtes, à nos taxes scolaires ; en un mot,
ce que nous appelions jusqu'ici nos écoles, n'est plus nôtre, parce que
nous n'avons plus droit de les gouverner. Ces écoles ne sont plus des écoles catholiques,
ce sont des écoles neutres. Or, S. S. Léon XIII, dans sa mémorable encyclique
Affari vos sur nos écoles catholiques du Manitoba, définit ainsi l'école
catholique : « De là la nécessité
d'avoir des maîtres catholiques, des livres de lecture et d'en- seignement approuvés
par les évêques, et d'avoir la liberté d'organiser l'école de façon que l'enseignement
y soit en plein accord avec la foi catholique. » Si
donc la position s'est améliorée au point de vue matériel (au point de vue de
l'argent), et dans les seuls centres catholiques, c'est que le Souverain Pontife
Léon XIII nous a demandé de faire de grandes concessions, - mais qui oserait dire
que ceci règle la question de nos droits ! Elles
restent vraies les paroles du grand pontife qui a qualifié la loi de 1897 de défectueuse,
d'imparfaite et d'insuffisante, et qui a ajouté : « C'est beaucoup
plus que les catholiques demandent et qu'ils ont, personne n'en doute, le
droit de demander. » [...]. Il ne faut
pas juger de notre situation scolaire par la quantité d'argent reçu, ni par les
déclarations et les écrits de politiciens ou de visiteurs intéressés ou salariés,
il faut la voir à la lumière des principes catholiques, à la lumière de la parole
du Pape, et aussi à la lumière de la constitution du pays, puisque le plus haut
tribunal de l'Empire Britannique a déclaré que nos droits avaient été lésés,
que le pacte fédéral avait été violé ; or, ces droits n'ont jamais
été restaurés depuis, et le pacte fédéral reste violé. Nous
ne voulons pas cependant être ingrats envers nos gouvernants actuels à Winnipeg,
en méconnaissant la façon si libérale dont ils nous traitent, bien qu'ils ne reçoivent
pas de tous les catholiques l'appui qu'ils auraient droit d'en attendre dans les
circonstances actuelles. Nous devons ajouter aussi que c'est grâce à une entente
entre le Gouvernement Fédéral actuel et le Gouvernement local du Manitoba qu'une
Ecole Normale, pour les écoles bilingues franco-anglaises, a été bâtie à Saint-Boniface. Nous
jouissons de certaines latitudes précieuses, mais tout cela est précaire et ne
tient qu'à un fil : la loi ne reconnait, que des écoles neutres (non-sectarian).
Nous subissons encore des restrictions pénibles : ainsi nous n'avons plus, de
par la loi, une série de livres catholiques de lecture, d'histoire et de géographie
approuvés par le gouvernement comme ce fut la pratique et notre droit durant vingt
ans, de 1870 à 1890. Nous sommes encore
gênés par un serment heureusement modifié, il est vrai, à la demande des ministres
protestants eux-mêmes, mais qui oblige nos maîtres et maîtresses à déclarer qu'ils
ont fait ou n'ont pas fait, des exercices religieux, et qu'ils ont donné
ou n'ont pas donné, l'enseignement religieux à 3 heures et
demie. Et surtout, nous ne pouvons pas percevoir à Winnipeg et à Brandon, les
taxes scolaires de nos catholiques, alors que ces taxes suffiraient pour l'entretien
de nos écoles [...]. Nous n'avons donc
au Manitoba, ni des écoles séparées, comme dans les Territoires du Nord-Ouest,
ni des écoles confessionnelles (catholiques) comme dans Québec et Ontario,
et il est évident pour tout homme sensé et de bonne foi, que notre question des
écoles n'est pas réglée [...] La Question
des écoles dans les Territoires du Nord-Ouest (Assiniboia-Saskatchewan-Alberta-Arthabaska)
au 1er janvier 1905 - Dans les Territoires du Nord-Ouest,
dès 1875 lors de leur organisation jusqu'en 1892, il y a eu des
écoles publiques, séparées (catholiques et protestantes) tout comme au Manitoba
jusqu'en 1890, et comme à Québec et à Ontario, actuellement. Jusqu'en
1892 il y avait une section catholique du Bureau d'éducation, à Régina,
et les catholiques avaient le contrôle de leurs écoles tout comme la minorité
protestante de Québec en ce moment. Mais
en 1892, une ordonnance néfaste a supprimé la section catholique du
Bureau d'éducation, et, depuis lors, les catholiques ont cessé de contrôler
les livres, l'enseignement religieux, la formation des maîtres catholiques. Ils
n'ont pas même un inspecteur catholique et deux membres catholiques ont seulement
voix consultative dans le Conseil de l'Instruction publique, à Régina.
(Voir au tome VII des Voix Canadiennes. pages 248 et suiv.
: Mémoire adressé par Mgr Taché au Gouvernement d'Ottawa, au sujet des écoles
du Nord-Ouest et de Manitoba, la lettre du R. P: Leduc à Mgr Taché et autres documents
qui montrent que les catholiques ont été injustement spolié de leurs droits
en 1892) . [...] Ajoutons le passage
remarquable d'une lettre d'un catholique éminent écrivant à Mgr Taché :
« Jusqu'à la date de l'Ordonnance
de 1892, l'on ne nous avait jamais dénié le droit d'administrer nos écoles, d'en
régler le programme des études, de choisir les livres de classe, de contrôler
l'enseignement religieux et enfin d'autoriser l'usage de la langue française partout
où nous le jugions convenable. Ces droits étaient exercés par la Section catholique
du Bureau d'éducation et à la rigueur suffisaient pour conserver à nos écoles
leur caractère distinctif d'écoles catholiques. Maintenant
tout cela est disparu : le Bureau d'éducation n'existe plus. Toutes les écoles
publiques et séparées, catholiques comme protestantes, sont par l'Ordonnance de
1892 placées sous le contrôle direct d'un surintendant d'éducation protestant
et d'un Conseil d'Instruction publique composé des membres du Comité exécutif
où les catholiques n'ont pas un seul représentant. Il
est vrai que par une clause de l'Ordonnance, il est pourvu à la nomination de
quatre membres additionnels, mais sur le Conseil de l'Instruction publique, dont
deux protestants et deux catholiques, mais en les privant du droit d'appuyer de
leurs votes les opinions qu'ils pourraient exprimer et de ne pouvoir assister
aux séances du Conseil sur l'invitation du Comité Exécutif ; leur utilité se trouve
réduite à bien peu de chose. » Mgr
Taché avait donc raison de dire : « Plus astucieux que le gouvernement du Manitoba,
celui des Territoires a laissé aux écoles catholiques leur existence, mais il
les a dépouillées de ce qui constitue leur caractère propre et assure leur liberté
d'action. Les nouvelles lois scolaires du Manitoba et du Nord-Ouest sont une violation
palpable et manifeste des assurances données au nom de Sa Majesté et par son autorité.
Les convictions des catholiques au lieu d'être traitées avec la considération
et le respect promis aux différentes persuasions religieuses sont dépouillées
de droits et privilèges qui devraient être considérés comme naturels et inaliénables
dans un pays où l'on affirme qu'il y a égalité religieuse et liberté de conscience.
» Or, cette situation s'est aggravée
de plus en plus au point de devenir intolérable: Beaucoup d'écoles sont fermées
et beaucoup d'autres ne peuvent pas s'ouvrir dans les Territoires parce que le
Département de l'Instruction publique à Régina se montre d'une exigence décourageante
même pour des maîtres catholiques des mieux qualifiés pour enseigner. II
est important de remarquer ici que même le droit à des écoles dites séparées
ne peut s'exercer que dans les limites des districts publics préalablement établis
par la majorité, ce qui empêche beaucoup de petits centres catholiques d'avoir
des écoles séparées et les force à maintenir des écoles publiques communes et
sans religion. Dans ces conditions, il n'y a que quelques rares centres comme
Régina, Balgonie, Q'Appelle, Calgary, Edmonton et Prince-Albert qui peuvent avoir
des écoles séparées, et que de difficultés ne rencontrerons-nous pas à chaque
instant ! C'est à se demander sil ne vaudrait pas mieux n'avoir plus ce semblant
de liberté qui nous expose au danger de nous endormir pendant que nous dépérissons,
que nos restes de droits disparaissent et qu'un grand nombre de nos enfants croupissent
dans l'ignorance ! Il ne faut pourtant
pas nous décourager dans les Territoires. Le recensement officiel de 1901 porte
la population des Territoires à 160,800 et le nombre des catholiques à 30.000
sans compter les Grecs dont un grand nombre sont catholiques, on peut bien dire
4.000 sur 7.000 âmes ; ce qui donnerait 34 000 catholiques en1901. Si,
maintenant, on porte en 1905 le chiffre de la population probable des futures
provinces à 500,OOO âmes, nous pouvons assurément doubler le chiffre de la population
catholique et dire qu'il y a, en ce moment, plus de 70.000 catholiques dans les
Territoires. La minorité catholique des provinces de Saskatchewan et d'Alberta
serait donc à peu près, un septième de la population tout comme la minorité protestante
dans Québec. N'y a-t-il pas lieu d'espérer que les catholiques en s'unissant et
en s'organisant avec un programme bien arrêté obtiendront la restauration de leurs
droits scolaires ?... Au moment où nous
allons mettre sous presse la présente circulaire nous apprenons avec une indicible
douleur que la clause sur l'éducation destinée à être insérée dans le bill d'organisation
des deux nouvelles provinces « d'Alberta » et de «Saskatchewan » ne nous remettra
point dans la position où nous étions en 1875, lors de l'organisation des Territoires
du Nord-Ouest, en vertu de l'Acte de l'Amérique Britannique du Nord, mais elle
va consacrer la spoliation de nos droits scolaires par l'ordonnance de 1892, en
reconnaissant toutes les ordonnances jusqu'en 1901. C'en
est donc fait, la spoliation de 1892 va donc être définitiment confirmée et consacrée
et nous perdons l'espoir de recouvrer nos droits, nous qui attendions cet acte
de justice et de haute sagesse, en même temps que de vrai patriotisme, de la part
de nos gouvernants à Ottawa. Nous avions
en 1875 les mêmes droits scolaires que la Minorité protestante de Québec et la
Minorité catholique d'Ontario, et ces droits odieusement violés, en dépit de la
Constitution de 1875, ne nous seront point reconnus et rendus comme nous avions
lieu de nous y attendre de la part d'un Parlement qui en a le pouvoir ! [...] En
conséquence, nous croyons de notre devoir, vénérés et chers collaborateurs, d'élever
la voix pour protester contre cette méconnaissance de droits scolaires que nous
avons de par la Constitution du pays. Nous
avons droit à des écoles séparées et confessionnelles dans les Territoires et
nous demandons hautement et instamment que ces droits soient reconnus et protégés
au moment où l'on organise deux nouvelles provinces. Nous
invoquons le « Pacte Fédéral », si sacré pour les citoyens du Canada, nous invoquons
les promesses solennelles faites au grand pacificateur de 1870 à notre illustre
et regretté prédécesseur, Mgr Taché, au nom de Sa Majesté Britannique: « Par l'autorité
de Sa Majesté, je vous assure qu'après votre union avec le Canada, tous vos droits
et privilèges civils et religieux seront respectés. » (Gouverneur général, Mémoire,
p. 33). « En déclarant le désir et
la détermination du Cabinet Britannique vous pourrez en toute sûreté vous servir
de l'ancienne formule ; le droit prévaudra en toute circonstance. » (Mémoire,
p. 35. Gouverneur général). Ce droit reconnu officiellement en 1875,
nous le réclamons au nom de la bonne foi, de la conscience, de l'équité naturelle,
aussi bien qu'au nom de la Constitution du pays, et surtout au nom du droit
des gens. Nos droits sont aussi sacrés
et aussi sûrs aujourd'hui qu'ils l'étaient en 1875. Et si quelques opportunistes
étaient tentés de nous demander le silence en invoquant l'amour de la paix ou
l'impossibilité de recouvrer présentement nos droits, nous lui répondrions. «
II ne peut y avoir de paix que dans la justice. On ne prescrit jamais contre le
droit. Toute question de principe n'est vraiment réglée que quand elle l'est selon
la justice et l'équité. Notre cause est celle de la justice et de la paix parce
que c'est la cause de la conscience et de la vérité, et la vérité est comme Dieu,
elle ne meurt pas » [...]. Source : Arthur
Savaète, Voix canadiennes. Vers l'abîme. Vol. XII, Mgr Adélard Langevin,
Archevêque de St. Boniface, Sa vie, ses contrariétés, ses uvres, Paris,
Arthur Savaète éditeur, [s.d.], 540p., pp. 241-246. ©
2000 Claude Bélanger, Marianopolis College |