Documents
in Quebec History
Last
revised: 23 August 2000 | Les
Québécois, le clergé catholique et l'affaire des écoles du Manitoba / Quebecers,
the Catholic Clergy and the Manitoba School Question, 1890-1916
Les
réclamations de Mgr Langevin en 1902. Lettre
pastorale de Mgr Langevin sur les écoles catholiques [9
mars 1902] [Note de l'éditeur
: Cinq ans après l'encyclique Affari vos, douze ans depuis le début
de l'affaire des écoles, la question préoccupe toujours Mgr. Langevin et n'est
toujours pas réglée. Les questions litigieuses sont à peu près les mêmes que celles
du document de 1898. Néanmoins, on notera que Mgr. Langevin reconnaît dans ce
document qu'il y a eu des arrangements et que, au moins dans la zone rurale de
son diocèse, la loi est appliquée d'une façon peu contraignante sur un certain
nombre de points.] [
] Dans
la mémorable encyclique Affari vos, le Très Saint Père, après avoir proclamé
les principes catholiques en matière d'éducation, nous dit ce qu'il faut penser
de la loi funeste de 1890, qui nous a enlevé nos droits scolaires. Il s'exprime
ainsi : « L'Acte d'Union à la Confédération canadienne avait assuré aux enfants
catholiques le droit d'être élevés dans des écoles publiques selon les prescriptions
de leur conscience. Or, ce droit, le parlement du Manitoba l'a aboli par une loi
contraire. C'est une loi nuisible. » Et
c'est alors que le Pape réprouve, pour les enfants catholiques, toute école autre
qu'une école catholique... De plus, la
même voix autorisée nous a dit, à tous, ce qu'il faut penser de l'amendement apporté
en 1896 et 1897 à cette loi nuisible. « Nous n'ignorons pas qu'il a été fait quelque
chose pour amender la loi. Les hommes qui sont à la tête du gouvernement fédéral
et du gouvernement de la Province ont déjà pris certaines décisions en vue de
diminuer les griefs, d'ailleurs si légitimes, des catholiques du Manitoba. Nous
n'avons aucune raison de douter qu'elles n'aient été inspirées par l'amour de
l'équité et par une intention louable. Nous ne pouvons toutefois dissimuler la
vérité ; la loi que l'on a faite dans le but de réparation est défectueuse, imparfaite,
insuffisante. C'est beaucoup plus que les catholiques demandent et qu'ils ont
- personne n'en doute - le droit de demander[
]. Pour tout dire en un mot,
il n'a pas été suffisamment pourvu aux droits des catholiques et à l'éducation
de nos enfants du Manitoba. » En relisant
cette page, N. T. C. F., et en considérant l'état de chose actuel, alors qu'aucun
de nos droits scolaires ne nous a été rendu, de par la loi, bien que notre situation
soit améliorée, nous nous demandons comment il peut se faire que des catholiques,
pères de familles ou hommes d Etat, journalistes ou autres, osent dire que la
question de nos écoles est enfin réglée à la satisfaction de la minorité catholique
! Rien ne peut être plus contraire à la vérité. Non, notre question scolaire n'est
pas réglée ; mais elle est entrée dans une phase nouvelle qui nous permet de recevoir
les octrois des municipalités et du gouvernement, parce que nous subissons la
loi au lieu de la combattre. Voici, au
reste, la teneur de la direction donnée par le souverain Pontife lui-même: « En
attendant, jusqu'à ce qu'il leur soit donné de faire triompher toutes leurs revendications,
qu'ils ne refusent pas des satisfactions partielles. C'est pourquoi partout où
la loi, ou le fait, ou les bonnes dispositions des personnes leur offrent quelques
moyens d'atténuer le mal et d'en éloigner davantage le danger, il convient tout
à fait et il est utile qu'ils en usent et qu'ils en tirent le meilleur parti possible.
» C'est en conformité avec cette direction
que nous avons agi, N. T. C. F., et nous avons la conscience d'avoir rempli un
devoir et de l'avoir fait avec une scupuleuse exactitude. Bien
que la loi consacre encore, en principe, l'école neutre (non-sectarian), et
qu'elle nous accorde aucunement le droit au contrôle de nos écoles, à la liberté
entière de l'enseignement religieux et à des livres catholiques ; bien que l'on
nous conteste le droit d'engager des maîtres ou des maîtresses portant le costume
religieux et même le droit de placer des emblèmes religieux dans l'école, nous
consentons néanmoins à subir les lois scolaires, sans pourtant renoncer à réclamer,
comme nôtres, des écoles où nous ne sommes plus les maîtres. Malgré
cela, nous n'avons jusqu'ici renoncé à aucun droit, nous n'en avons aliéné aucun,
directement ou indirectement. Mais, je le répète, ce que nous appelons encore
nos écoles ne sont plus nôtres comme autrefois, bien que nous les ayons conservées
nôtres, autant que possible. En retour,
il est vrai, nous avons l'avantage très appréciable de recevoir les octrois municipaux
et les octrois du gouvernement pour toutes nos écoles, excepté pour nos cinq écoles
libres de Winnipeg et l'école libre de Brandon ; nous recevons de fortes sommes
d'argent, et la loi nous est appliquée avec une grande bénignité ; mais nous n'avons
pas recouvré nos droits, et pour tous les hommes sérieux, la question des écoles
n'est pas une question d'argent, mais une question de droit. Nous plaignons sincèrement
les colons du Manitoba et les journaux d'autres parties du pays qui osent invoquer
la question d'argent pour dire que tout est réglé ! Ils font preuve d'une ignorance
ou d'une mauvaise foi qui ne leur fait pas honneur. Jamais la minorité protestante
de la province de Québec ne voudrait accepter une position analogue à la nôtre
au détriment de ses droits, mais à l'avantage de sa bourse. Un misérable esprit
de partisannerie ou d intérêt politique peut seul aveugler ainsi ceux qui ne veulent
pas voir. Ignore-t-on que les catholiques
de Winnipeg paient des taxes scolaires énormes pour les écoles publiques - près
de 8000.000 livres sterling par an - et ne reçoivent pas un sou pour leurs
propres écoles ; et que cela dure depuis bientôt 12 ans ! Non
seulement nous n'avons pas recouvré nos droits scolaires, mais les concessions
pratiques que nous devons au bon vouloir des hommes, c'est-à-dire de nos
gouvernants, à Ottawa et à Winnipeg, sont très précaires; il suffirait d'un de
ces changements politiques si fréquents dans le pays, pour nous créer de très
grands embarras et nous forcer même à fermer nos écoles, si nous pouvons
encore les appeler ainsi. Ecoutez encore,
N. T. C. F., et admirez avec nous la sagesse prévoyante de notre grand Pape :
« En outre, ces tempéraments mêmes que l'on a imaginés ont aussi ce défaut que,
par des changements de circonstances locales, ils peuvent facilement manquer leur
effet pratique. » Rien de plus juste
et de plus vrai. Au reste, les expédients peuvent bien améliorer une situation,
arrêter le progrès du mal, mais nulle part, et en aucun temps, les expédients
n'ont réglé définitivement les questions de principes ; souvent même ils n'ont
réussi qu'à les compromettre. C'est donc
notre devoir, N. T. C. F.. de vous dire qu'elles doivent être nos réclamations
à tous, et quel est le devoir de chacun en particulier, dans les circonstances
présentes. Nos réclamations et notre
devoir à l'heure présente (nous revenons aux « Notes » poursuivant
: Ce que nous réclamons en ce moment,
au nom du droit naturel aussi bien qu'au nom de la constitution du pays, c'est
la restauration des droits scolaires violés en 1890. Nous demandons d'abord : 1.
Le contrôle de nos écoles, c'est-à-dire, pour parler comme le Pape lui-même,
« la liberté d'organiser l'école de façon que l'enseignement y soit en plein accord
avec la foi catholique. » Nous acceptons volontiers, dès maintenant, les programmes
d'études des écoles publiques. La loi
modifiée selon nos justes demandes, enlèverait d'un côté à nos commissaires catholiques
la crainte de perdre l'octroi en agissant contrairement à la loi, - ce que la
conscience catholique leur demande pourtant parfois, et ce que plusieurs n'osent
faire - et de l'autre côté, elle nous protégerait contre le mauvais vouloir de
certains commissaires non-catholiques. 2.
Nous demandons, en second lieu le droit de retenir les services de maîtres ou
maîtresses catholiques, même dans les centres mixtes et même s'ils portent un
costume religieux. On connaît la restriction odieuse décrétée, à tort ou à raison,
au nom de la loi, par les commissaires d'écoles de Winnipeg. 3.
En troisième lieu, nous réclamons le droit à des livres catholiques d'histoire,
de géographie et de lecture, tout comme avant la loi de 1890; car, seuls, ces
livres peuvent être approuvés par les évêques, selon ce que demande le
Pape d'après ses paroles déjà citées. II
est vrai que l'Advisory Board de Winnipeg a approuvé des livres de lecture
manuscrits, en anglais et en français qui seront imprimés bientôt, mais il a fallu
les mutiler en retranchant plusieurs leçons trop catholiques et toujours à cause
du principe faux et inadmissible pour des catholiques, que tout doit être neutre,
non confessionnel (non-sectarian) dans l'école. 4.
En quatrième lieu, nous réclamons la liberté complète de l'enseignement et des
exercices religieux, celle aussi, de mettre et de garder le crucifix aux murs
de nos écoles. Il est vrai que la formule
de serment concernant l'enseinement et les exercices religieux a été modifiée
de façon à ne plus gêner autant la conscience des maîtres et maîtresses catholiques;
mais il y a encore dans la loi une restriction odieuse et incompatible avec la
conscience catholique qui ne peut pas l'accepter. Dieu
sait les ennuis qui nous sont suscités à ce sujet, même par des commissaires catholiques
trop zélés ou trop craintifs ! Voilà,
N. T. C. F., ce que nous devons réclamer fermement et c'est bien là, ce beaucoup
plus, dont parle le Souverain Pontife. Ayons
confiance que la Constitution du pays, telle qu'interprétée par le plus haut tribunal
de l'Empire Britannique, aura enfin son plein effet. Mais
en attendant que ces droits nous soient rendus nous devons redoubler de zèle pour
les écoles élémentaires. a) Devoirs
des catholiques en général. - Les nouveaux colons catholiques doivent s'efforcer
de former des arrondissements scolaires partout où leur nombre le leur permet.
Ils doivent bâtir et meubler convenablement, de bonnes maisons d'écoles. Nous
les exhortons aussi à user de leurs droits de citoyens pour élire des catholiques
bien disposés comme commissaires d'écoles. b)
Devoirs des parents. - Les parents doivent envoyer régulièrement leurs
enfants aux écoles catholiques, c'est-à-dire à celles que nous continuons de considérer
comme telles en pratique, bien que nous n'en soyons plus les maîtres. Si les parents
ont des raisons graves de placer leurs enfants dans d'autres écoles, ils doivent
exposer ces raisons à l'autorité ecclésiastique. Les parents doivent veiller à
ce que leurs enfants apprennent le catéchisme, et cela autant que possible, dans
leur langue maternelle. puisque c'est un moyen puissant et efficace de conserver
la foi. c) Devoirs des Maîtres et
Maîtresses. - Les maîtres et les maîtresses sont tenus, en conscience,
d'enseigner la lettre du catéchisme, à trois heures et demie. Jamais le catéchisme
n'a été si peu appris ! Que les maîtres et les maîtresses profitent de toutes
les occasions qui leur sont offertes, et même qu'ils en fassent naître, au besoin,
pour enseigner aux enfants la vraie vertu, leurs devoirs envers Dieu, envers le
prochain et envers eux-mêmes. C'est aussi leur devoir de faire la prière avant
et après les classes et d'enseigner des cantiques pieux et des chants patriotiques
durant l'exercice da chant. d) Devoirs
des Commissaires d'écoles. - Les commissaires d'écoles doivent se rappeler
qu'ils ne cessent pas d'être catholiques et soumis à l'Eglise, parce qu'ils sont
devenus officiers civils. Ils représentent les parents et les tuteurs catholiques.
Aussi, leur devoir est de favoriser l'enseignement religieux et l'emploi des livres
religieux. C'est pour eux un devoir de conscience de s'entendre avec leur curé
ou leur missionnaire pour engager des maîtres ou des maîtresses catholiques, et
ils doivent les engager à enseigner la lettre du catéchisme, au moins aux
heures prescrites par la loi. e) Devoirs
des Curés et Missionnaires. - Enfin, MM. les curés et missionnaires me permettront
de leur rappeler qu'ils doivent visiter les écoles de la paroisse, au moins quatre
fois l'an, comme nous l'avons déjà demandé, et ils doivent s'assurer si rien ne
laisse à désirer pour l'enseignement religieux, les livres, la morale et la discipline
des classes. La prudence exige que l'on ne confesse point les enfants dans l'école
pendant les heures de classe. Par école où doit entendre la maison d'école ou
la partie du couvent ou collège louée à MM. les commissaires. C'est à l'école
que les enfants doivent apprendre la lettre du catéchisme et c'est notre désir
que le prêtre indique lui-mème les parties à apprendre, durant chaque quartier
de l'année scolaire, au moins pour les enfants qui se préparent à la première
communion. N'oubliez jamais N. T. C.
F., que c'est le devoir des évêques de diriger les fidèles en ces matières d'éducation
: c'est ce que dit formellement leT. S. Père quand il loue hautement l'attitude
de l'épiscopat canadien luttant pour la cause des écoles du Manitoba: « Aussi
lorsque la nouvelle loi vint frapper l'éducation catholique dans la province du
Manitoba, était-il de votre devoir, Vénérables Frères, de protester ouvertement
contre l'injustice et contre le coup qui lui était porté; et la manière dont vous
avez accompli ce devoir à été une preuve de votre commune vigilance, d'un zèle
vraiment digne d'évêques. » Que ces éloges
du Pasteur des Pasteurs restent gravés [sic] dans votre mémoire comme l'énoncé
d'un principe indéniable et aussi comme une réponse victorieuse à tout ce que
l'on a osé dire ou écrire contre ceux dont il est dit : « Ne touchez pas mes Christs,
» c'est-à-dire, les oints du Seigneur, les évêques. N'oubliez
pas non plus que, tout en profitant des satisfactions partielles dues au bon vouloir
des gouvernants, nous avons le droit et le devoir de demander beaucoup plus.
pour nos écoles. Que les paroles d'espérance du Grand Voyant du Vatican l'illustre
Léon XIII, le Pape dans sa célèbre lettre encyclique déjà citée si souvent, restent
toujours présentes à l'esprit pour nous consoler et nous fortifier: « Nous avons,
dit-il, confiance que, Dieu aidant, ils (les catholiques du Manitoba) arriveront
un jour à obtenir pleine satisfaction. Cette confiance s'appuie surtout sur la
bonté de leur cause, ensuite sur l'équité et la sagesse de ceux qui tiennent en
main le gouvernement de la chose publique et enfin sur le bon vouloir de tous
les hommes droits du Canada. » Le Souverain
Pontife a bien voulu nous le dire à nous-même alors que nous étions prosterné
à ses pieds en 1898. « Monseigneur, ayez confiance vous obtiendrez tout.
» [...] Source : Arthur Savaète,
Voix canadiennes. Vers l'abîme. Vol. 12. Mgr Adélard Langevin, Archevêque
de St. Boniface. Sa vie, ses contrariétés, ses uvres, Paris, Arthur
Savaète éditeur, [s.d.], 540p., pp. 234-239. Nous avons effectué quelques changements
sur l'édition originale, là où il y avait de toute évidence des erreurs. ©
2000 Claude Bélanger, Marianopolis College |