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23 August 2000


Les Québécois, le clergé catholique et l'affaire des écoles du Manitoba / Quebecers, the Catholic Clergy and the Manitoba School Question, 1890-1916

Lettre pastorale de Monseigneur l'archevêque de Cyrène [Mgr. Bégin] administrateur de l'archidiocèse de Québec

PROMULGUANT L'ENCYCLIQUE « AFFARI VOS »

SUR LES ÉCOLES DU MANITOBA

[Note de l'éditeur: L'Encyclique du pape Léon XIII, signée le 8 décembre 1897, fut envoyée à Mgr Bégin, primat de l'Église canadienne, qui la reçut le 28 décembre. Au début, Il fut le seul à en recevoir une copie de Rome. L'encyclique était en latin, avec une traduction « officielle » française telle que demandée par les évêques du Québec pour couper court aux différentes interprétations et minimiser les débats sémantiques. Le 6 janvier 1898, une réunion des archevêques de Halifax, Montréal et Ottawa, ainsi que de Mgr Bégin eut lieu à Montréal discuter d'un projet de promulgation commune d'un mandement qui accompagnerait l'Encyclique. Une ébauche, rédigée par Mgr. L.. A. Paquet, fut discutée et rejetée. Les archevêques apportèrent quelques nuances au texte de Paquet et il fut décidé que la publication se ferait sous la seule autorité de Mgr Bégin. Les autres évêques canadiens devaient prononcer leur assentiment, d'une manière ou d'une autre, à ce document. Tous les évêques des provinces maritimes, ceux de Kingston et Toronto, ainsi que ceux de la Province de Québec le firent à l'exception de Mgr Émard qui reprochait au document de ne pas discuter suffisamment de Mgr Merry del Val et de ne pas reconnaître le mérite dû à Laurier.

Le document qui suit donne le texte de la promulgation de Mgr Bégin avec son long commentaire sur la question; en annexe, il donne un exemple de promulgation d'assentiment d'un évêque, celui de Mgr Laflèche, au texte de Mgr Bégin.]

LOUIS-NAZAIRE BÉGIN, par la grâce de Dieu et du Siège Apostolique, Archevêque de Cyrène, Administrateur de l'archidiocèse de Québec.

Au clergé séculier et régulier, aux Communautés religieuses, et à tous les fidèles de l'archidiocèse, Salut et Bénédiction en Notre-Seigneur.

NOS TRES CHERS FRERES,

Nous sommes heureux de porter aujourd'hui à votre connaissance l'Encyclique que Notre Très Saint-Père le Pape Léon XIII vient d'adresser aux Archevêques, aux Évêques et autres Ordinaires de la Confédération canadienne en union avec le Siège Apostolique.

Nous attendions pour la publier, que tous les Archevêques et Evêques de la Puissance l'eussent reçue et eussent signé la lettre collective qui devait l'accompagner. Mais voici que le Pape demande de promulguer sans retard ce document important, qui n'a été expédié encore qu'à Nous seul, en notre qualité de Coadjuteur de Son Eminence le Cardinal archevêque de l'Église Métropolitaine de Québec, Eglise mère de toutes les Eglises du Canada.

Cette Encyclique était attendue depuis longtemps. Avec l'enseignement de l'infaillible docteur, la décision du plus auguste tribunal qui soit sur la terre, il nous apporte un nouveau témoignage de la sollicitude et de l'affection paternelle du Chef de l'Église envers notre pays.

Voilà vingt ans que Léon XIII gouverne le monde, vingt ans consacrés sans relâche à la sanctification des âmes, à la prédication de la vérité, à la lutte pacifique pour le bien, à l'union des esprits et des coeurs. Ses lettres resteront, sans contredit, l'un des plus glorieux monuments de la papauté. Elles ont conquis l'admiration de l'univers, elles sont esprit et vie. Toutes les questions qui intéressent davantage l'individu, la famille et la société, la science et la foi, Léon XIII les a successivement traitées ; les grands problèmes qui agitaient les peuples, il en a donné la solution ; il est vraiment le maitre de son siècle.

Mais s'il a enseigné l'Eglise universelle, il n'a pas négligé les Eglises particulières, et il n'en est presque point aujourd'hui, en Orient comme en Occident, auxquelles sa voix ne se soit fait entendre, et qui n'aient reçu de sa bouche auguste des conseils et une direction. Son grand coeur embrasse toutes les nations, les plus humbles comme les plus puissantes, celles qui ont des siècles derrière elles et celles qui commencent, celles qui sont restées dans la voix droite et celles qui s'en sont détournées. Pour toutes et pour chacune, son admirable intelligence, enrichie des plus beaux dons de la nature et de la grâce, a été une lumière comme le Verbe, son divin exemplaire, dont elle continue l'oeuvre et le bienfait.

Naguère, parlant aux Évêques d'Autriche, d'Allemagne et de Suisse, au sujet de la question de l'éducation, - question qui, plus que toutes les autres peut-être, est l'objet de ses préoccupations et de son zèle, - il résumait, dans une page magnifique, les principes que les catholiques ne doivent jamais perdre de vue.

Nous avons été frappé de cet enseignement si clair, si ferme, et qui répondait si parfaitement aux besoins de notre époque agitée. Léon XIII exhortait les Evêques à ne rien négliger pour maintenir la foi pleine et entière dans toutes les écoles, celles des jeunes enfants et celles qu'on appelle secondaires ou académiques. Il mettait en garde contre l'école mixte ou neutre, celle où la religion est altérée et celle d'où elle est bannie. L'indifférentisme ou la neutralité dans l'école lui apparaissait comme un sacrilège, et il ne craignait pas de dire que « organiser l'enseignement de manière à lui enlever tout point de contact avec la religion, c'est corrompre dans l'âme les germes mêmes du beau et de l'honnête, c'est préparer non point des défenseurs de la patrie, mais une peste et un fléau pour le genre humain. » Puis désireux de faire bien comprendre aux chefs de famille et à tous ceux qui doivent s'occuper d'éducation, que ce que l'enfant réclame, comme baptisé et catholique, ce n'est pas seulement un peu d'instruction religieuse reléguée au second rang, mais un enseignement pénétré tout entier de l'esprit chrétien, il écrivait ces belles paroles que Nous aimons à reproduire ici : « Il faut non seulement que la religion soit enseignée aux enfants à certaines heures, mais que tout le reste de l'enseignement exhale comme une odeur de piété chrétienne. Sans cela, si cet arôme sacré ne pénètre pas et ne ranime pas l'esprit des maitres et des élèves, l'instruction quelle qu'elle soit, ne produira que peu de fruits, et aura souvent, au contraire, des inconvénients fort graves. »

Ces importantes leçons, N -T.-C.-F., Léon XIII les répète aujourd'hui en s'adressant à Nous dans la Lettre magistrale que Nous avons mission de promulguer. Les catholiques du monde entier en tireront profit, mais c'est à vous surtout qu'incombe le devoir de les écouter avec le plus profond respect et de les mettre fidèlement en pratique.

Que l'immortel Pontife daigne ainsi particulièrement s'occuper de nous, étudier nos multiples besoins, se rendre un compte exact de notre état social, de nos forces et de nos faiblesses, chercher la cause des maux dont nous souffrons et des luttes qui nous divisent, pour nous indiquer la voie qu'il faut suivre et les remèdes que nous devons employer, c'est assurément pour le Canada tout entier un honneur insigne et un inappréciable avantage. Celui à qui il a été dit par Jésus-Christ luimême : « Pais mes agneaux et mes brebis ; - Confirme tes frères, » oui, c'est celui-là qui parle de la sainte colline du Vatican, et les pages pleines de tendresse et de forte doctrine que sa main a tracées formeront l'un des plus beaux chapitres de notre histoire nationale.

Mais pourquoi le Pape a-t-il parlé à vos Evêques et par eux à tout le peuple canadien? Pourquoi vient-il vous rappeler avec plus de force peut-être qu'il ne l'a encore fait dans aucun des documents émanés de son autorisé, les règles immuables dont les enfants de l'Eglise ne sauraient jamais se départir en matière d'instruction et d'éducation? Il est bon que vous le sachiez, et nous allons vous le dire brièvement.

Depuis leur entrée dans la Confédération canadienne, les catholiques du Manitoba avaient leurs écoles où leurs enfants étaient instruits conformément à leurs principes religieux et à la direction de l'Eglise. Ils possédaient ces écoles, non pas en vertu d'une concession ou d'une tolérance quelconque, mais en vertu d'un pacte solennel que l'honneur et la justice défendaient de briser, et dans lequel ils mettaient leur absolue confiance. Respectueux eux-mêmes pour les convictions et les libertés de ceux qui ne partageaient pas leurs croyances, ils demandaient non une faveur, mais simplement l'exercice du droit qu'ils avaient d'élever leurs enfants suivant les dictées de leur conscience. Pendant vingt ans ces droits furent reconnus, et la paix et l'harmonie régnèrent dans toute la province du Manitoba. Tout à coup, pour des raisons que nous n'avons pas à rechercher ici, en 1890, une loi malheureuse vint jeter la consternation au milieu de nos frères et leur enlever à eux, les plus faibles, les moins nombreux, les plus pauvres de cette contrée, une liberté que leur assuraient des engagements sacrés, et à laquelle ils tenaient plus qu'à leur propre vie. Leurs écoles disparaissaient pour faire place à des écoles publiques, à l'érection et à l'entretien desquelles ils étaient forcés de contribuer de leur argent, et que leur conscience de catholiques leur faisait cependant un devoir d'interdire à leurs enfants à cause des règlements qui y étaient suivis, des livres qu'on y adoptait, de la neutralité religieuse qu'on y introduisait. Ils se sentirent blessés ; ils comprirent d'autant plus l'injustice dont ils étaient victimes que, dans une autre province où les protestants sont le petit nombre, les frères de ceux qui leur ravissaient leurs droits étaient traités par les catholiques avec une équité et une cordialité hautement reconnues de tous. Ce fut une ère de deuil et de sacrifices qui commença pour eux. Ils protestèrent noblement, énergiquement, et dans tout le pays, on peut le dire, tous ceux qui ont le sens de la justice, et pour qui les stipulations d'un contrat ne sont pas chose vaine, qu'ils appartinssent ou non à la même foi, protestèrent avec eux. Après des revendications restées malheureusement sans effet la lutte légale s'engagea. Il s'agissait d'une question qui intéressait au plus haut point la conscience catholique ; les Evêques ne pouvaient donc pas rester neutres et inactifs ; ils furent fidèles au devoir ; unis ensemble, ils firent appel aux catholiques et à tous les citoyens sincères et loyaux. Il leur semblait qu'une cause si juste et si sainte devait triompher bientôt. Leurs enseignements et leurs conseils sont encore présents à votre mémoire ; la postérité, nous en sommes certains, leur sera reconnaissante de ce qu'ils ont fait pendant ces douloureuses années, en faveur d'une minorité opprimée.

Hélas ! une question que l'on aurait pu si facilement et si promptement résoudre d'après les seuls principes d'équité naturelle, rencontra des complications nombreuses et inattendues. Portée de tribunal en tribunal, elle tomba dans l'arène politique. Là encore, comme c'était leur droit et leur devoir, les Evêques, se plaçant au-dessus de tous les intérêts de partis et de toutes les spéculations de la politique, essayèrent de la faire triompher, parce que, alors comme avant, elle restait toujours une question de conscience, et ils ne pouvaient pas l'abandonner. La loi fédérale proposée pour la résoudre échoua, et, depuis ce moment, notre pays continua à être le théâtre de luttes pénibles.

Un nouveau gouvernement remplaça l'ancien, et nous apprîmes un jour que entre lui et le gouvernement du Manitoba une entente était survenue, un compromis avait été arrêté.

Ce compromis n'était pas la restitution des droits violés. Il n'était pas même une amélioration qui pouvait se concilier avec les prescriptions si formelles de l'Eglise. Comment l'épiscopat aurait il pu l'approuver ? Il le déclara donc inacceptable, et les catholiques du Manitoba continuèrent à soutenir leurs propres écoles au prix des plus grands sacrifices.

La situation devenait de plus en plus tendue. La question fut déférée au Pape, à ce chef vénéré de l'Eglise, que les catholiques reconnaissent comme leur pasteur suprême, à ce grand diplomate, à ce maitre prudent et sage que ceux même qui ne sont pas ses fils ont plusieurs fois choisi pour arbitre dans leurs difficultés. Comme il l'avait fait en des circonstances analogues, pour d'autres peuples, Léon XIII voulut bien se faire notre docteur et notre guide. Mais avant de se prononcer sur une question aussi grave, et afin de donner satisfaction à tous, le Souverain Pontife nomma un Délégué Apostolique, et le chargea de lui faire rapport après avoir entendu les parties intéressées.

Léon XIII nous parle donc aujourd'hui, N. T.C. F., non seulement avec un coeur rempli de la plus vive affection, mais après avoir tout étudié, tout pesé mûrement, confiant que sa parole sera accueillie comme une parole d'équité et de paix.

Son admirable Encyclique pourrait fournir le sujet de nombreuses et salutaires instructions, mais ce n'est pas notre intention de la commenter aujourd'hui. Nous voulons simplement la promulguer en en donnant le sens et la portée. Ce sens, du reste, est bien clair et ne saurait fournir matière à discussion.

Après avoir payé un juste tribut d'hommages aux gloires religieuses qui ont marqué les origines et les progrès de l'Église du Canada, après avoir rappelé ce que l'Église a fait au milieu de nous pour l'instruction de l'enfance et de la jeunesse, et après avoir mis le peuple canadien « au niveau des peuples les plus policés et les plus glorieux », et en avoir fait « leur émule, » Léon XIII se hâte d'aborder, pour la résoudre, la grande controverse scolaire dont nous avons parlé plus haut. On peut, dans sa Lettre, distinguer trois parties principales:

I. - Principes de l'Eglise catholique en matière d'éducation ;

2. - Appréciation de tous les évènements qui se rapportent à la question scolaire du Manitoba depuis la loi de 1890 jusqu'à ce jour ;

3. - Devoir des catholiques et de tous les citoyens, relativement à cette question, pour l'avenir.

PREMIERE PARTIE

Principes de l'Église catholique en matière d'éducation

Dans cette première partie Léon XIII enseigne : 1. - Qu'il appartient par-dessus tout aux parents, sous la conduite et avec le concours de l'Église, de pourvoir à l'éducation des enfants et à leur assurer un genre d'enseignement qui contienne et s'adapte à leurs croyances religieuses. « De voir, dit-il, dans quelles institutions seront élevés les enfants, quels maîtres seront appelés à leur donner des préceptes de morale, c'est un droit inhérent à la puissance paternelle. » Voilà pourquoi on peut voir dans les lois de 1890 qui ont frappé nos coreligionnaires du Manitoba, non seulement une violation du pacte fédéral, mais encore une atteinte déplorable portée aux droits imprescriptibles de l'Église et des parents.

2. - Léon XIII condamne énergiquement, comme il l'a fait souvent déjà, les écoles mixtes et neutres. « Il faut fuir à tout prix comme très funestes, dit-il, en parlant de ces dernières, les écoles, où toutes les croyances sont accueillies indifféremment et traitées de pair, comme si pour ce qui regarde Dieu et les choses divines, il importait peu d'avoir ou non de saines doctrines et d'adopter la vérité ou l'erreur. »

3. - Léon XIII définit l'école catholique celle qui est tenue par « des maîtres catholiques, dont les livres de lecture et d'enseignement sont approuvés par les évêques, » et dont le système s'harmonise avec les besoins et les devoirs religieux des jeunes élèves En dehors de ces conditions, l'école offre aux enfants catholiques les dangers les plus graves, et c'est une suprême injustice (le mot est de Léon XIII) de forcer les pères de famille à y exposer ceux dont l'Auteur de la nature leur a confié le soin. « Quand les catholiques demandent - et c'est leur devoir de le demander et de le revendiquer - que l'enseignement des maîtres concorde avec la religion de leurs enfants, ils usent de leur droit. Et il ne se pourrait rien faire de plus injuste que de les mettre dans l'alternative ou de laisser leurs enfants croître dans l'ignorance ou de les jeter dans un milieu qui constitue un danger suprême pour leurs âmes. »

DEUXIEME PARTIE

Appréciation, de tous les événements qui se rapportent à

la question scolaire du Manitoba depuis la loi de 1890 jusqu'à ce jour.

1. - Puisque la loi de 1890 constituait une véritable injustice envers la minorité catholique du Manitoba, c'était le devoir des évêques de prendre la défense de cette minorité. Ils l'ont fait, et Léon XIII veut bien les en louer en ces termes : « Aussi lorsque la nouvelle loi vint frapper l'éducation catholique dans la province du Manitoba, était-il de votre devoir, Vénérables Frères, de protester ouvertement contre l'injustice et contre le coup qui lui était porté ; et la manière dont voue avez rempli ce devoir a été une preuve de votre commune vigilance et d'un zèle vraiment digne d'évêques. Et bien que sur ce point chacun de vous trouve une approbation suffisante dans le témoignage de sa conscience, sachez néanmoins que Nous y ajoutons Notre assentiment et Notre approbation. Car elles sont sacrées, ces choses que vous avez cherché, et que vous cherchez encore à protéger et à défendre. »

2. - Tous les hommes honnêtes, tous les catholiques surtout auraient dû s'unir eux aussi pour défendre une cause dont l'importance ne saurait entrer en comparaison avec de simples intérêts politiques. Malheureusement l'esprit de parti est venu empêcher l'accomplissement de ce devoir sacré, et le Saint-Père le déplore amèrement. « Ce qui est plus déplorable encore, dit-il, c'est que les catholiques canadiens eux-mêmes n'aient pas su se concerter pour défendre des intérêts dont la grandeur et la gravité devaient imposer silence aux intérêts des partis politiques qui sont d'ordre bien inférieur. »

3. - La convention effectuée entre les autorités fédérales d'Ottawa et le gouvernement provincial de Winnipeg, convention à laquelle on a voulu donner le nom de règlement de la question scolaire, est déclarée défectueuse, imparfaite, insuffisante, et par conséquent ne saurait être acceptée comme une solution équitable de la question.

« C'est beaucoup plus, dit Léon XIII, que les catholiques demandent et qu'ils ont - personne n'en doute - le droit de demander. Pour tout dire en un mot, il n'a pas encore été pourvu suffisamment aux droits des catholiques et à l'éducation de nos enfants au Manitoba. » C'est donc avec raison que cette convention a été répudiée par l'Episcopat et que la minorité manitobaine n'a pas voulu s'y soumettre.

TROISIEME PARTIE

Devoirs des catholiques et de tous les citoyens, relativement

à cette question, pour l'avenir.

Ce n'est pas assez de constater l'injustice commise et l'insuffisance des moyens proposés jusqu'ici pour sa réparation ; il importe de tracer une ligne de conduite pour l'avenir. Et c'est ce que fait Léon XIII dans la dernière partie de son Encyclique.

1. - Les catholiques sont tenus de travailler à reconquérir, par tous les moyens légaux à leur disposition, leurs droits dans leur plénitude : « C'est à quoi, dit le Pape, l'on doit viser, c'est le but que l'on doit poursuivre avec zèle et prudence. »

2. - Dans cette lutte difficile, où tous ne doivent avoir qu'une seule ambition et qu'un même désir, faire rendre pleine justice à la minorité, si d'honnêtes divergences d'opinion peuvent se produire, il faut cependant que ces divers sentiments exposés en toute modestie et charité finissent par s'effacer et se fondre en quelque sorte dans une commune pensée et une fraternelle unanimité. Le principe de cette unité de vues et d'action, c'est l'autorité et la direction épiscopale, sans laquelle rien ne doit se faire ni s'entreprendre, non sine consilio vestro.

3. - Les catholiques manitobains doivent être disposés, comme ils l'ont toujours été, à accepter, sans cesser de réclamer justice entière, les réparations partielles qu'ils peuvent obtenir, pourvu, naturellement, qu'elles répondent aux enseignements de l'Eglise et fassent disparaitre des écoles l'enseignement neutre condamné par le Souverain Pontife.

4. - Le Saint-Père, confiant dans l'excellence de la cause des catholiques, exprime l'espoir que, grâce à l'équité et à la vraie prudence qu'on est en droit d'attendre de nos gouvernements, grâce aussi au bon vouloir et à l'esprit de justice de tous les Canadiens, cette question épineuse finira par recevoir une solution pleinement satisfaisante. Il compte aussi beaucoup, pour arriver à ce résultat, sur le concours loyal et éclairé des journalistes dont la tâche est si noble et si importante, mais qui ne peuvent dignement remplir leur mission qu'en respectant les droits de la vérité, de la justice, de la religion, et en suivant avec obéissance les directions épiscopales : Vereantur ac sancte observent Episcoporum auctoritatem.

5. - Tant que justice n'aura pas été obtenue, les catholiques aideront de leurs aumônes au soutien des écoles catholiques du Manitoba, et ils ne sauraient faire une oeuvre meilleure et plus sainte. Pour notre part nous voulons que l'oeuvre du denier du Manitoba, approuvée par le Saint-Siège, soit encouragée par tous les catholiques de Notre diocèse.

6. - Les évêques doivent voir à ce que, par leur autorité et avec le concours de ceux qui dirigent les établissements d'éducation, on élabore avec soin et sagesse tout le programme des études, et qu'on n'admette comme professeurs que des hommes pourvus des qualités que comportent les fonctions de l'enseignement solide et profondément religieux.

Voilà, N.-T.-C.-F., cette Encyclique de Léon XIII dont vous lirez la traduction officielle, à Nous envoyée par le Saint-Père lui-même. Ce qu'elle déclare, ce qu'elle prescrit, ce qu'elle conseille, nous venons de vous le dire en accomplissant les fonctions de Notre charge pastorale, et nous interdisons comme injurieuse à Sa Sainteté toute interprétation contraire. Il ne nous reste plus qu'à faire appel à l'esprit de foi et de soumission dont Nous vous savons animés envers le Saint-Siège. Nous tenons à le proclamer bien haut : Nous sommes au dessus de tous les partis politiques ; Nous ne voulons Nous inféoder aucun d'eux. Ce que nous désirons, c'est le triomphe d'une cause sacrée et non le triomphe d'un parti. Et ce triomphe, Nous avons l'espérance que tous les hommes de coeur, tous les amis de la justice et de la liberté nous aideront à l'obtenir. Il ne s'agit pas de revenir sur un malheureux passé; c'est l'heure de la réparation complète, entière, que Nous attendons, et c'est cette heure que toutes les sympathies, tous les nobles courages, toutes les vaillances généreuses doivent s'efforcer de hâter. Que les hommes publics s'unissent donc et recourent aux moyens que la sagesse et le patriotisme leur inspireront pour mettre fin au violent état de choses dont nous souffrons tous. Ils savent les moyens d'action que la constitution autorise. Que le salut nous vienne du gouvernement de Winnipeg amené à réparer l'injustice commise ; qu'il nous vienne du gouvernement fédéral, par une loi efficace et stable, comme nous l'avions demandé déjà, ou même, s'il était possible, du gouvernement impérial : nous nous en réjouirons et le coeur du Souerain-Pontife, nous le savons, en sera consolé.

Au nom de la justice, au nom de l'harmonie qui doit régner entre tous les citoyens d'un même pays, nous demandons aux protestants - que la diversité de croyances n'empêche pas d'être nos frères - de nous donner la main et de travailler avec nous. Déjà un grand nombre d'entre eux, par ce qu'ils ont fait dans le passé, ont acquis des titres à notre reconnaissance et Nous leur en offrons ici l'expression sincère. Tous, Nous l'espérons, écouteront Notre voix, ils traiteront cette petite mais vaillante minorité du Manitoba comme ils voudraient être traités eux-mêmes s'ils étaient à sa place. Nous comptons sur eux, et qu'ils le sachent, la victoire que nous remporterons sera, la leur aussi bien que la nôtre, car ce sera la victoire du droit et de la liberté.

Sera la présente lettre pastorale lue et publiée, le premier dimanche après sa réception, au prône de toutes les églises et chapelles où se fait l'office public, et en chapitre dans les communautés religieuses.

Donné à Québec, sous notre seing, le sceau de l'archidiocèse et le contre-seing de notre secrétaire, le six janvier mil huit cent quatre-vint-dix-huit.

† LOUIS-NAZAIRE, Arch. de Cyrène,

Administrateur.

Par mandement de Monseigneur l'Adminis trateur,

B. Ph. GARNEAU, Ptre, Secrétaire.

N. B - (a) Puisque Nous interdisons aux fidèles en général, comme injurieuse à Sa Sainteté, toute interprétation contraire à celle donnée par l'Ordinaire dans le présent mandement, Nous sommes en droit d'attendre et, au besoin, Nous ordonnons que tous les prêtres s'abstiennent absolument soit en public ou en chaire, soit dans leurs conversations privées, de ne rien dire qui puisse amoindrir Nos paroles, modifier le sens de Nos enseignements ou entraver la direction que Nous donnons.

(b) Les prêtres, qui jugeront opportun de faire quelques commentaires pour rendre Notre mandement plus accessible à l'intelligence de leurs ouailles, devront préalablement s'entendre avec leur Ordinaire, lui indiquer les passages obscurs, lui soumettre les explications jugées nécessaires et en recevoir une direction qu'ils se feront une obligation grave de suivre à la lettre.

† L.-N. ARCH. DE CYRÈNE,

Administrateur de Québec.

 

Nous voulons que cette direction disciplinaire, donnée par Mgr l'Administrateur de Québec, oblige dans le diocèse des Trois-Rivières comme dans celui de Québec.

L. F., EV. DES TROIS-RIVIÈRES,

Source : Mandements, Lettres pastorales, Circulaires de Mgr. L. F. Laflèche, second évêque des Trois-Rivières. Vol. 5 [3 octobre 1894 au 10 janvier 1898], Trois-Rivières, P. V. Ayotte, 1898, 500p. et 59p., pp. 4-22 [1898]. Cette Circulaire n'est pas numérotée.

 

© 2000 Claude Bélanger, Marianopolis College