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revised: 23 August 2000 | Les
Québécois, le clergé catholique et l'affaire des écoles du Manitoba / Quebecers,
the Catholic Clergy and the Manitoba School Question, 1890-1916
Encyclique
Affari vos du pape Léon XIII sur les écoles du Manitoba [8
décembre 1897] [Note de l'éditeur
: les circonstances qui menèrent à cette encyclique papale, en 1897, ont été
expliquées dans l'introduction du document de la lettre collective des évêques
de la province de Québec. Les multiples fautes d'édition ont été corrigées pour
faciliter la lecture du texte.] A
NOS VÉNÉRABLES FRÈRES LES ARCHEVÈQUES, LES ÉVÊQUES ET LES AUTRES ORDINAIRES DE
LA CONFÉDÉRATION CANADIENNE EN PAIX ET EN COMMUNION AVEC LE SIÈGE APOSTOLIQUE. LÉON
XIII, PAPE Vénérables Frères, Salut
et bénédiction apostolique. En vous adressant
aujourd'hui la parole et Nous le faisons d'un coeur tout aimant, Notre pensée
se porte d'elle-même à ces rapports de mutuelle bienveillance, à ces échanges
de bons offices qui ont régné de tout temps entre le Siège apostolique et le peuple
canadien. A côté de votre berceau même on trouve l'Eglise et sa charité. Et depuis
qu'elle vous a accueillis dans son sein, elle n'a cessé de vous tenir étroitement
embrassés, et de vous prodiguer ses bienfaits. Si cet homme d'immortelle mémoire,
que fut François de Laval Montmorency, put accomplir les oeuvres de si haute vertu,
et si fécondes pour votre pays, dont furent témoins vos ancêtres, ce fut assurément
appuyé sur l'autorité et sur la faveur des Pontifes romains. Ce ne fut pas non
plus à d'autres sources que prirent origine et que puisèrent leur garantie de
succès, les oeuvres des évêques subséquents, personnages de si éclatants mérites.
De même encore, pour remonter à la période la plus reculée, c'est bien sous l'inspiration
et sur l'initiative du Siège apostolique, que de généreuses cohortes de missionnaires
apprirent la route de votre pays, pour lui apporter, avec la lumière de l'Evangile,
une culture plus élevée et les premiers germes de la civilisation. Et ce sont
ces germes, qui, fécondés aussi par eux, au prix de longs et patients labeurs,
ont mis le peuple canadien au niveau des plus policés et des plus glorieux, et
ont fait de lui, quoique venu tardivement, leur émule. Toutes
ces choses Nous sont de fort agréable souvenir; d'autant plus qu'il en reste des
fruits sous Nos yeux et de non médiocre importance. Le plus considérable de tous
assurément, c'est, parmi les multitudes catholiques, un amour et un zèle pour
notre sainte religion, pour cette religion que vos ancêtres, venus providentiellement
d'abord et surtout de la France, puis de l'Irlande, et d'ailleurs encore dans
la suite, professèrent scrupuleusement, et transmirent à leur postérité, comme
un dépôt inviolable. Mais si leurs fils conservent fidèlement ce précieux héritage,
il Nous est facile de comprendre quelle grande part de louange en revient à votre
vigilance et à votre activité, Vénérables Frères, quelle grande part aussi au
zèle de votre clergé; tous on effet, d'une seule âme, vous travaillez assidûment
à la conservation et au progrès de la foi catholique, et il faut rendre cet hommage
à la vérité, sans rencontrer ni défaveur ni entrave, dans les lois de l'empire
britannique. Aussi, lorsque mus par la considération de vos communs mérites, Nous
conférâmes, il y a quelques années, à l'archevêque de Québec, l'honneur de la
pourpre romaine, Nous eûmes en vue, non seulement de relever ses vertus personnelles,
mais encore de rendre un solennel hommage à la piété de tous vos catholiques. Pour
ce qui touche à l'éducation de la jeunesse, sur quoi reposent les meilleures espérances
de la société religieuse et civile, le Siège apostolique n'a jamais cessé de s'en
occuper de concert avec vous et avec vos prédécesseurs; c'est ainsi qu'ont-été
fondées en grand nombre, dans votre pays, des institutions destinées à la formation
morale et scientifique de la jeunesse, institutions qui sont si florissantes sous
la garde et la protection de l'Eglise. En ce genre l'Université de Québec, ornée
de tous les titres et gratifiée de tous les droits qu'a coutume de conférer l'autorité
apostolique, occupe une place d'honneur et prouve suffisamment que le Saint-Siège
n'a pas eu de plus grande préoccupation ni de désir plus ardent que la formation
d'une jeunesse aussi distinguée par sa culture intellectuelle que recommandable
par ses vertus. Aussi, est-ce avec une extrême sollicitude, il vous est facile
de le comprendre, que Nous avons suivi les événements fâcheux, qui ont marqué,
en ces derniers temps, l'histoire de l'éducation catholique au Manitoba. C'est
Notre volonté et cette volonté Nous est un devoir, de tendre à obtenir et d'obtenir
effectivement, par tous les moyens et tous les efforts en Notre pouvoir, que nulle
atteinte ne soit portée à la religion, parmi tant de milliers d'âmes dont le salut
Nous a été spécialement confié, dans une région surtout qui doit à l'Eglise d'avoir
été initiée à la doctrine chrétienne et aux premiers rudiments de la civilisation.
Et, comme beaucoup attendaient que Nous Nous prononcions sur la question, et demandaient
que Nous leur tracions une ligne de conduite et la marche à suivre, il Nous a
plu de ne rien statuer à ce sujet, avant que Notre délégué apostolique fût allé
sur place. Chargé de procéder à un examen soigneux de la situation et de Nous
faire une relation sur l'état des choses, il a rempli fidèlement et avec zèle
le mandat que Nous lui avions confié. La
question qui s'agite est assurément d'une très haute importance et d'une gravité
exceptionnelle. Nous voulons parler des décisions prises, il y a sept ans, au
sujet des écoles, par le parlement du Manitoba. L'acte d'union à la Confédération
avait assuré aux enfants catholiques le droit d'être élevés dans des écoles publiques
selon les prescriptions de leur conscience : or, ce droit, le parlement du Manitoba
l'a aboli par une loi contraire. C'est une loi nuisible. Car il ne saurait être
permis à nos enfants d'aller demander le bienfait de l'instruction à des écoles
qui ignorent la religion catholique ou qui la combattent positivement, à des écoles
où sa doctrine est méprisée, et ses principes fondamentaux répudiés. Que si l'Eglise
l'a permis quelque part, ce n'a été qu'avec peine à son corps défendant, et en
entourant les enfants de multiples sauvegardes, qui trop souvent d'ailleurs sont
reconnues insuffisantes pour parer au danger. Pareillement, il faut fuir à tout
prix, comme très funestes, les écoles où toutes les croyances sont accueillies
indifféremment et traitées de pair, comme si, pour ce qui regarde Dieu et les
choses divines, il importait peu d'avoir ou non de saines doctrines, d'adopter
la vérité ou l'erreur. Vous êtes loin d'ignorer, Vénérables Frères, que toute
école de ce genre a été condamnée par l'Eglise, parce qu'il ne se peut rien de
plus pernicieux, de plus propre à ruiner l'intégrité de la foi et à détourner
les jeunes intelligences du sentier de la vérité. Il
est un autre point sur lequel Nous serons facilement d'accord avec ceux-mêmes
qui seraient en dissidence avec Nous pour tout le reste : savoir, que ce n'est
pas au moyen d'une instruction purement scientifique, ni de notions vagues et
superficielles de la vertu, que les enfants catholiques sortiront jamais de l'école,
tels que la patrie les désire et les attend. C'est de choses autrement graves
et importantes qu'il les faut nourrir, pour en faire de bons chrétiens, des citoyens
probes et honnêtes : leur formation doit résulter de principes, qui, gravés au
fond de leur conscience, s'imposent à leur vie comme conséquences naturelles de
leur foi et de leur religion. Car sans religion, point d'éducation morale digne
de ce nom, ni vraiment efficace : attendu que la nature même et la force de tout
devoir dérivent de ces devoirs, spéciaux qui relient l'homme à Dieu, à Dieu qui
commande, qui défend, et qui appose une sanction au bien et au mal. C'est pourquoi,
vouloir des âmes imbues de bonnes moeurs, et les laisser en même temps dépourvues
de religion, c'est chose aussi insensée que d'inviter à la vertu après en avoir
ruiné la base. Or, pour le catholique, il n'y a qu'une seule vraie religion, la
religion catholique; et c'est pourquoi, en fait de doctrines, de moralité ou de
religion, il n'en peut accepter ni reconnaître aucune qui ne soit puisée aux sources
mêmes de l'enseignement catholique. La
justice et la raison exigent donc que nos élèves trouvent dans les écoles non
seulement l'instruction scientifique, mais encore des connaissances morales en
harmonie, comme Nous l'avons dit, avec les principes de leur religion, connaissances
sans lesquelles, loin d'être fructueuses, aucune éducation ne saurait être qu'absolument
funeste. De là, la nécessité d'avoir des maîtres catholiques, des livres de lecture
et d'enseignement approuvés par les évêques, et d'avoir la liberté d'organiser
l'école de façon que l'enseignement y soit en plein accord avec la foi catholique,
ainsi qu'avec tous les devoirs qui en découlent. Au reste, de voir dans quelles
institutions seront élevés les enfants, quels maîtres seront appelés à leur donner
des préceptes de Morale, c'est un droit inhérent à la puissance paternelle. Quand
donc les catholiques demandent, et c'est leur devoir de le demander et de le revendiquer,
que l'enseignement des maîtres concorde avec la religion de leurs enfants, ils
usent de leur droit. Et il ne se pourrait rien de plus injuste que les mettre
dans l'alternative, ou de laisser leurs enfants croître dans l'ignorance, ou de
les jeter dans un milieu qui constitue un danger manifeste pour les intérêts suprêmes
de leurs âmes. Ces principes de jugement
et de conduite, qui reposent sur la vérité et la justice, et qui sont la sauvegarde
des intérêts publics autant que privés, il n'est pas permis de les révoquer en
doute, ni de les abandonner en aucune façon. Aussi, lorsque la nouvelle loi vint
frapper l'éducation catholique dans la province du Manitoba, était-il de votre
devoir, Vénérables Frères, de protester ouvertement contre l'injustice et contre
le coup qui lui était porté : et la manière dont vous avez rempli ce devoir a
été une preuve éclatante de votre commune vigilance, et d'un zèle vraiment digne
d'évêques. Et, bien que sur ce point chacun de vous trouve une approbation suffisante
dans le témoignage de sa conscience, sachez néanmoins que Nous y ajoutons Notre
assentiment et Notre approbation. Car elles sont sacrées, ces choses que
vous avez cherché et que vous cherchez encore à protéger et à défendre. Du
reste, les inconvénients de la loi en question avertissaient par eux-mêmes que,
pour trouver au mal un adoucissement opportun, il était besoin d'une entente parfaite.
Telle était la cause des catholiques, que tous les citoyens droits et honnêtes
sans distinction de partis, eussent dû se concerter et s'associer étroitement
pour s'en faire des défenseurs. Au grand détriment de cette même cause, c'est
le contraire qui est arrivé. Ce qui est plus déplorable encore, c'est que les
catholiques canadiens eux-mêmes n'aient pu se concerter pour défendre des intérêts
qui importent à un si haut point au bien commun, et dont la grandeur et la gravité
devaient imposer silence aux intérêts des partis politiques, qui sont d'ordre
bien inférieur. Nous n'ignorons pas qu'il
a été fait quelque chose pour amender la loi. Les hommes qui sont à la tête du
gouvernement fédéral et du gouvernement de la province ont déjà pris certaines
décisions en vu de diminuer les griefs, d'ailleurs si légitimes, des catholiques
du Manitoba. Nous n'avons aucune raison de douter qu'elles n'aient été inspirées
par l'amour de l'équité et par une intention louable. Nous ne pouvons toutefois
dissimuler la vérité : la loi que l'on a faite, dans un but de réparation, est
défectueuse, imparfaite, insuffisante. C'est beaucoup plus que les catholiques
demandent et qu'ils ont, personne n'en doute, le droit de demander. En outre,
ces tempéraments mêmes que l'on a imaginés ont aussi ce défaut que, par des changements
de circonstances locales, ils peuvent facilement manquer leur effet pratique.
Pour tout dire en un mot, il n'a pas encore été suffisamment pourvu aux droits
des catholiques et à l'éducation de nos enfants au Manitoba. Or, tout demande
dans cette question, et en conformité avec la justice, que l'on y pourvoie, pleinement,
c'est-à-dire que l'on mette à couvert et en sûreté les principes immuables et
sacrés que Nous avons touchés plus haut. C'est à quoi l'on doit viser, c'est le
but que l'on doit poursuivre avec zèle et avec prudence. Or, à cela rien de plus
contraire que la discorde : il y faut absolument l'union des esprits et l'harmonie
de l'action. Toutefois, comme le but que l'on s'est proposé d'atteindre, et que
l'on doit atteindre en effet, n'impose pas une ligne de conduite déterminée et
exclusive, mais en admet au contraire plusieurs, comme il arrive d'ordinaire en
ces sortes de choses, il s'ensuit qu'il peut y avoir sur la marche à suivre une
certaine multiplicité d'opinions également bonnes et plausibles. Que nul donc
ne perde de vue les règles de la modération, de la douceur, et de la charité fraternelle,
que nul n'oublie le respect qu'il doit à autrui : mais que tous pèsent mûrement
ce qu'exigent les circonstances, déterminent ce qu'il y a de mieux à faire et
le fassent, dans une entente toute cordiale, et non sans avoir pris votre conseil. Pour
ce qui regarde en particulier les catholiques du Manitoba, Nous avons confiance
que, Dieu aidant, ils arriveront un jour à obtenir pleine satisfaction. Cette
confiance s'appuie surtout sur la bonté de leur cause, ensuite sur l'équité et
la sagesse de ceux qui tiennent en main le gouvernement de la chose publique,
et enfin sur le bon vouloir de tous les hommes droits du Canada. En attendant,
et jusqu'à ce qu'il leur soit donné de faire triompher toutes leurs revendications,
qu'ils ne refusent pas des satisfactions partielles. C'est pourquoi, partout où
la loi, ou le fait, ou les bonnes dispositions des personnes leur offrent quelques
moyens d'atténuer le mal, et d'en éloigner davantage les dangers, il convient
tout à fait et il est utile qu'ils en usent et qu'ils en tirent le meilleur parti
possible. Partout, au contraire, où le mal n'aurait pas d'autre remède, Nous les
exhortons et les conjurons d'y obvier par un redoublement de généreuse libéralité.
Ils ne pourront rien faire qui leur soit plus salutaire, à eux-mêmes, ni qui soit
plus favorable à la prospérité de leur pays, que de contribuer au maintien de
leurs écoles dans toute la mesure de leurs ressources. Il
est un autre point qui appelle encore vos communes sollicitudes. C'est que, par
votre autorité, et avec le concours de ceux qui dirigent les établissements d'éducation,
on élabore, avec soin et sagesse, tout le programme des études, et que l'on prenne
surtout garde de n'admettre, aux fonctions de l'enseignement que des hommes abondamment
pourvus de toutes les qualités qu'elles comportent, naturelles et acquises. Il
convient en effet, que les écoles catholiques puissent rivaliser avec les plus
florissantes, par la bonté des méthodes de formation et par l'éclat de l'enseignement.
Au point de vue de la culture intellectuelle et du progrès de la civilisation,
on ne peut que trouver beau et noble le dessein conçu par les provinces canadiennes,
de développer l'instruction publique, et d'en élever de plus en plus le niveau,
et d'en faire ainsi une chose toujours plus haute et plus parfaite. Or, nul genre
d'étude, nul progrès du savoir humain qui ne puisse se pleinement harmoniser avec
la doctrine catholique. A expliquer et
à défendre tout ce que Nous avons dit jusqu'ici, ceux-la d'entre les catholiques
y peuvent puissamment contribuer, qui se sont consacrés aux travaux de la presse,
surtout de la presse quotidienne. Qu'ils se souviennent donc de leur devoir .Qu'ils
défendent religieusement et avec courage tout ce qui est vérité, droit, intérêts
de l'Eglise et de la société : de telle sorte pourtant qu'ils restent dignes,
respectueux des personnes, mesurés en toutes choses. Qu'ils soient respectueux
et qu'ils aient une scrupuleuse déférence envers l'autorité épiscopale et envers
tout pouvoir légitime. Plus les temps sont difficiles, plus est menaçant le danger
de division, et plus aussi ils doivent s'étudier à inculquer cette unité de pensées,
et d'action, sans laquelle il y a peu ou même point d'espoir d'obtenir jamais
ce qui est l'objet de nos communs désirs. Comme
gage des dons célestes et de Notre affection paternelle, recevez la bénédiction
apostolique que Nous vous accordons de tout coeur dans le Seigneur, à vous, Vénérables
Frères, à votre clergé, et à vos ouailles. Donné
à Rome, près Saint-Pierre, le huitième jour de décembre de l'année 1897, la vingtième
de Notre Pontificat. LÉON XIII, PAPE. Source
: uvres pastorales de Mgr J. M. Émard, premier évêque de Valleyfield.
Tome premier, 1892-1900, Paris, Pierre Téqui libraire-éditeur, 1921, 348p.,
pp. 290-297. © 2000 Claude
Bélanger, Marianopolis College |