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revised: 23 August 2000 | Les
Québécois, le clergé catholique et l'affaire des écoles du Manitoba / Quebecers,
the Catholic Clergy and the Manitoba School Question, 1890-1916
Mémoire
de l'abbé Gingras soumis à Mgr. Merry del Val [15
avril 1897] [Note de l'éditeur
: Le document qui suit représente bien l'attitude du bas clergé québécois
sur les questions du règlement Laurier-Greenway et de l'intervention des évêques
dans la politique canadienne. L'abbé Appolinaire Gingras était le curé de l'Ange-Gardien
dans la région de Québec. Robert Rumilly affirme que l'abbé Gingras avait l'accord
de presque tous ses collègues du clergé.] Excellence, Je
prends, sans y être invité par Son Excellence elle-même, la respectueuse liberté
non pas d'oser vous aviser, mais de vous faire connaître en quelques mots ma très
humble manière de voir la situation. Il est pour moi de toute évidence que la
crise actuelle est bien, au point de vue de son objectif et de ses conséquences,
la plus importante lutte qui se soit faite au Canada jusqu'à ce jour. Je considère
que l'éminent Délégué, aux mains de qui le Saint Père a mis l'avenir de l'Église
du Canada car c'est l'avenir de l'Église du Canada qui se joue en ce moment !
- ne peut avoir trop de renseignements, fussent-ils puisés aux sources les plus
modestes. Il me semble très à propos pour ne pas dire essentiel, qu'il arrive
aux oreilles de Son Excellence quelques échos des masses, du bas peuple, au milieu
duquel vivent et respirent les curés de campagne. J'exerce moi-même le saint ministère
depuis 25 ans. Depuis 25 ans, je suis comme un autre la marche des événements
dans mon jeune pays. Depuis 25 ans, par conséquent, j'ai l'oreille dans le peuple.
Il me semble que je suis, autant que d'autres plus instruits ou plus intelligents,
en état de juger, comme d'instinct, la situation. Sans
parti pris, désireux seulement de servir la justice et la Sainte Église, voici
en toute franchise ma très humble manière de voir : 1.
La minorité manitobaine, en justice et d'après la Constitution, a clairement droit
à ses écoles séparées, telles que les réclament, au non de cette minorité, NN.
SS. les évêques du Canada; 2. Le jugement
du Conseil Privé d'Angleterre ne peut pas prêter à l'équivoque, et doit être interprété
comme l'interprètent et NN. SS. les évêques et le parti conservateur, et comme
le parti libéral l'a interprété lui-même aussi longtemps qu'il a vu dans semblable
interprétation une chance pour lui d'embarrasser ses adversaires et d'escalader
le pouvoir. L'étrange et posthume interprétation de l'honorable Edward Blake n'est
à mes yeux qu'une opinion de partisan à lui arrachée par des alliés politiques
qui ont l'habitude de faire flèche de tout bois; 3.
A l'instar de leurs prédécesseurs, NN. SS. les évêques, dans toute cette lutte
n'ont fait que maintenir purement et simplement ces droits par leurs circulaires
et leurs mandements. Scrupuleusement dégagés de tout esprit de parti, avec un
calme et une modération admirables au milieu des provocations, ils ont patriotiquement
revendiqué la mise à exécution d'un contrat solennel, la loyale et pratique reconnaissance
de notre Constitution. Ils ont héroïquement revendiqué, comme un patrimoine sacré
conquis à la civilisation et à l'Église par les intrépides missionnaires du Nord-Ouest,
le droit de sauvegarder, comme un dépôt à eux confié, la foi et l'âme de cette
infortunée minorité que veut écraser le fanatisme et que n'ont pas la virilité
de défendre quelques compatriotes qui ne sont montés au pouvoir que sur la promesse
solennelle de le faire. 4. Le but évident
des chefs libéraux actuels est de séculariser jusque dans la province de Québec
l'enseignement même primaire. L'honorable M. Tarte entre autres l'a clairement
laissé entrevoir ou avoué... Excellence,
il faut avoir lu et étudié l'histoire des deux partis, il faut, impartialement
et froidement comme nous l'avons fait, avoir vu à l'oeuvre le parti libéral pour
avoir une idée de l'hypocrisie dont il fait preuve aujourd'hui en provoquant cette
nouvelle phase. Toute cette fine stratégie n'est que de la haute comédie jouée
dans l'unique espoir de gagner du temps, de retarder la condamnation - inévitable,
il nous semble - de ce pitoyable trompe-l'oeil qu'ils appellent un règlement.
Leur but - et ils menacent de réussir - c'est de retarder cette condamnation assez
pour avoir le temps de faire les élections locales de Québec avec la poussée des
dernières élections fédérales; une fois maîtres des deux gouvernements - les chefs,
paraît-il, l'avouent cyniquement - on n'en appellera qu'à la force, on se rira
et des droits de la minorité, et de l'Épiscopat, et de son Excellence elle-même.
Dans toute cette lutte, du commencement à la fin, le parti libéral n'a agi que
de ruse et d'astuce, avec la plus insigne mauvaise foi. 5.
Si Son Excellence et le Souverain Pontife se prononcent clairement contre le règlement
Laurier-Greenmay, bien explicitement, de façon à être compris même du gros public
chez un peuple jeune et peu instruit, la masse va plier. A part un groupe de fanatiques
qui n'ont qu'une religion de surface et de tradition, la masse va se rendre immédiatement,
malgré le travail fait par la mauvaise presse, malgré cet injuste préjugé que
la presse libérale est parvenue à créer dans l'opinion, à savoir : que NN. SS.
les évêques ne sont mus que par l'esprit de parti et non par le sentiment de la
justice et le souci de la religion. Cette odieuse calomnie, insinuée, distillée
à petites doses dans les masses par la presse libérale, a fait d'effrayants ravages;
car elle a détruit et le prestige de l'Épiscopat et la confiance du peuple dans
la bonne foi et l'honnêteté de ses évêques. Pendant que les chefs libéraux remuaient
ciel et terre pour empêcher ou retarder la pastorale qui devait condamner leur
prétendu règlement, ces mêmes chefs, au moyen de leur presse, publiaient leurs
mandements à la journée et à la semaine soufflaient dans le peuple le mépris de
l'autorité, l'esprit d'insubordination; coloraient de spécieux sophismes leur
trahison essayaient même d'effrayer par la ridicule perspective d'une guerre le
peuple de sa nature peu belliqueux, etc., etc. Comme l'opinion appartient d'ordinaire
à ceux qui s'en emparent les premiers, ils ont réussi à fanatiser l'opinion d'une
grande partie de la population. A cause des préjugés ainsi implantés par la presse
libérale, il faudra, pour se frayer dans l'opinion un large chemin, que la condamnation
du règlement soit d'autant plus claire et plus explicite: il faudra qu'elle ait
la force d'un torrent. 6. Si Son Excellence
ne maintient pas carrément - je dis plus - si Son Excellence cède le moindre des
droits de la minorité et ne maintient pas intégralement et avec un chaleureux
éloge l'attitude ferme, patriotique et strictement constitutionnelle prise par
l'Épiscopat, je conjure Soit Excellence de vouloir bien prêter l'oreille à la
prophétie que j'ose lui faire avec toute la conviction d'un homme qui lit clairement
dans le peuple, parce que le livre est près de ses yeux : Les Évêques actuels
n'ont qu'une chose à faire - offrir avec dignité leur démission. Et il n'y a pas
un homme qui osera relever leur crosse, parce que toute l'autorité des évêques
et du clergé aura sombré à tout jamais dans ce pays. L'Eglise du Canada aura entendu
sonner sa dernière heure... Château-Richer,
15 avril 1897. Source : Robert Rumilly,
Histoire de la province de Québec. Vol. 8, Laurier, 2ième édition,
Montréal, Fides, 233p., pp. 177-179. ©
2000 Claude Bélanger, Marianopolis College |