Documents
in Quebec History
Last
revised: 23 August 2000 | Les
Québécois, le clergé catholique et l'affaire des écoles du Manitoba / Quebecers,
the Catholic Clergy and the Manitoba School Question, 1890-1916
L'Opinion
d'un théologien sur l'intervention des Évêques dans la campagne électorale de
1896* par Louis-Adolphe
Paquet, prêtre [*Note de l'éditeur
: Professeur de théologie pendant des décennies à l'université Laval, Mgr
Paquet [1859-1942] fut le plus éminent théologien du Canada français. Son ultramontanisme
et son conservatisme social, alliés à son rigorisme théologique qu'on jugeait
à l'époque irréprochable, en faisaient l'un des défenseurs les plus appréciés,
et les plus redoutables, de la cause catholique au Canada. Mgr Paquet était aussi
un clérico-nationaliste dont la contribution principale, dans ce domaine, fut
son fameux sermon sur La vocation de la race française en Amérique, prononcé
le 23 juin 1902 et édité éventuellement par le chanoine Emile Chartier sous le
titre de Bréviaire du patriote canadien-français,[Bibliothèque de l'action
française, 1925, 59p.]. Dans ce sermon, Mgr Paquet soutient que la mission du
Canada français est de répandre des valeurs spirituelles et catholiques sur un
continent matérialiste et anglo-saxon. Pour être fidèle à cette mission, les Canadiens
français doivent donc demeurer catholique et français et tourner le dos aux tendances
modernistes. Le texte que l'on retrouve
ci-dessous fut rédigé pour réfuter la campagne du journal libéral L'Électeur
à l'hiver de 1896, au moment où la loi réparatrice allait être soumise et que
la rumeur d'une intervention épiscopale sous forme d'une Lettre pastorale collective
circulait, et immédiatement après l'élection partielle de Charlevoix, gagnée par
les Libéraux, et où l'intervention de Mgr. Labrecque, évêque de Chicoutimi, avait
été substantielle. Ce journal, parmi les plus avancés à l'époque, combattait l'intervention
cléricale dans les affaires politiques, spécialement telle que manifestée autour
de l'affaire des écoles du Manitoba et des élections qui suivirent, et mettait
de l'avant une vision moderniste et libérale de la société qui confrontait naturellement
la perspective traditionaliste pronée par l'Église québécoise. Le
12 février 1896, L'Électeur avait publié, sous la signature anonyme d'un
« théologien » un texte rejetant l'intervention cléricale dans les affaires du
Manitoba et justifiant l'attitude négative du parti libéral. En réalité, derrière
la signature anonyme, il semble bien que l'écrivain libéral L. O. David [1840-1925]
se cachait. Ancien membre de l'Institut canadien condamné par Mgr Bourget et historien
de différentes questions chères aux libéraux, David écrivit en 1896, en pleine
crise manitobaine, une brochure intitulée Le clergé canadien qui fut condamnée
par le pape et mise à l'Index.] Le
12 février 1896, l'Electeur publiait, à propos de la lutte électorale de
Charlevoix, un article soigneusement élaboré, au ton doctoral et sentencieux,
tendant à nier à l'Episcopat canadien tout droit d'intervention dans la question
d'une législation remédiatrice relative aux affaires scolaires du Manitoba.
Nous avons lu et, comme bien d'autres,
non sans un sentiment de surprise, la thèse développée dans les, colonnes de l'Electeur
par un théologien que la Rédaction, dans le numéro du 14, se plaît à appeler
l'un des plus éminents de la Province ecclésiastique de Québec. Cette thèse, hâtons-nous
de le dire, contraire aux droits des Evêques, et se rattachant, à l'insu sans
doute de l'auteur, aux principes mêmes du libéralisme catholique, est fausse,
pernicieuse et absolument condamnable. Pour
mous conformer aux désirs de l'autorité ecclésiastique de ce diocèse, et avec
son approbation formelle, nous dirons quelques mots des doctrines téméraires émises
dans l'article du journal libéral et ferons voir en quoi pèche l'argumentation
de l'auteur de cet écrit. Tout d'abord,
qu'on le sache bien, nous nous plaçons ici en dehors de toute considération ou
préoccupation purement politique. Car il ne s'agit pas pour nous d'un intérêt
de parti, mais d'une question de doctrine et de droit public ecclésiastique de
la plus haute portée religieuse et nationale. En
second lieu, nous voulons défendre contre toute prétention contraire la légitimité
juridique et morale, ainsi que l'opportunité de l'intervention épiscopale dans
les conditions mêmes où cette intervention s'est produite à Charlevoix, c'est-à-dire
dans l'hypothèse que la mesure remédiatrice, proposée par le gouvernement, sera
de nature à mériter le suffrage des Évêques. Inutile donc d'en appeler, contre
nous, pour étayer une thèse chancelante, à la défectuosité de l'acte remédiateur,
si défectuosité il y a; ce ne serait là qu'une échappatoire. Ceci
posé, abordons l'argument principal sur lequel repose la doctrine chère à l'Electeur,
si l'Eglise a le droit d'exiger que la question des écoles du Manitoba
soit réglée conformément aux principes de la justice, il ne lui appartient pas
cependant de déterminer ni d'approuver un moyen plutôt qu'un autre entre ceux
que la politique suggère. - Nous nions cette assertion et voici nos raisons : L'Eglise
étant, à cause de sa fin, une société essentiellement supérieure à l'Etat, l'Etat
lui est subordonné en tout ce qui touche aux intérêts religieux : c'est un principe
clair et certain. Aussi, en vertu de ce principe, reconnait-on que l'Eglise jouit
d'une juridiction véritable sur le pouvoir séculier jusque dans les questions
d'ordre temporel, pourvu toutefois que ces matières aient un rapport de nécessité
ou d'utilité réelle avec la fin de la société religieuse. C'est l'enseignement
de Léon XIII, formulé dans la proposition suivante que nous extrayons de l'Encyclique
Immortale Dei : « Tout ce qui dans les choses humaines est sacré
à un titre quelconque; tout ce qui touche au salut des âmes et au culte de Dieu,
soit par sa nature, soit par rapport à son but, tout cela est du ressort de l'autorité
de l'Eglise. » C'est pourquoi, bien que,
étant donnés deux moyens politiques également aptes de toutes manières à favoriser
dans toute leur étendue les intérêts de l'Église, celle-ci n'ait aucune raison
de faire elle-même un choix, mais doive plutôt abandonner ce soin à la puissance
séculière, il en va tout autrement lorsque l'un de ces moyens, au jugement unanime
des premiers pasteurs d'un pays et d'après la nature même des choses, offre des
garanties d'efficacité et de stabilité que l'autre ne saurait offrir. Dans ce
cas, en effet, l'Eglise, dont les intérêts priment tout droit, toute considération
au toute aspiration politique quelconque, peut et doit exercer sa juridiction
sur le moyen lui-même à prendre, sur la voie à suivre pour arriver au but désiré.
Ne pas le faire serait compromettre gravement la cause qu'elle défend. En le faisant,
elle demeure dans sa sphère; car le moyen par elle choisi, quoique politique et
temporel de sa nature, revêt néanmoins à raison de sa destination et de
sa supériorité relative, un caractère religieux exceptionnel qui justifie parfaitement
l'intervention de l'autorité ecclésiastique. C'est
le cas actuel. Nos chefs spirituels,
après avoir attendu pendant cinq ans avec une poignante anxiété le règlement d'une
question si importante et si vitale au point de vue catholique, jugent, et à bon
droit, qu'il serait imprudent de renoncer au bénéfice d'une décision portée en
faveur de leur cause par le plus haut tribunal de l'Empire, pour remettre en question
des droits si ouvertement reconnus. Ils jugent, et à bon droit, qu'il serait téméraire,
dans une affaire aussi grave, de confier leurs espérances à un projet, d'enquête
qui amènerait inévitablement de nouveaux retards, et qui, faisant abstraction
de l'intervention fédérale à laquelle ses promoteurs s'opposent, soumettrait les
catholiques à la merci de leur persécuteurs. Car,
supposé même - ce dont il est bien permis de douter - que le gouvernement manitobain,
foncièrement hostile aux catholiques, et confirmé dans cette hostilité par sa
récente victoire électorale, consentirait cependant, sur les instances d'amis
politiques, à rétablir le système d'écoles séparées dont jouissaient nos coreligionnaires
avant 1890, qui nous assurera que ces mêmes gouvernants ou d'autres, poussés par
les mêmes motifs de fanatisme ou d'intérêt, ne recommenceront pas tôt ou tard
sur ce même terrain scolaire la guerre violente et injuste que nous déplorons
aujourd'hui ? Ne vaut-il pas infiniment mieux que le pouvoir central, puisqu'il
en le droit et l'occasion, élève dès maintenant contre tous les persécuteurs présents
et futurs un rempart de justice et de protection religieuse, irrésistible à tous
les vents et à toutes les tempêtes ? J'ajouterai
qu'étant donné l'esprit de parti qui divise si profondément nos hommes publics,
ce n'est pas d'un groupe politique particulier qu'il faut attendre la force d'union
nécessaire pour rallier dans une même pensée et sous un même drapeau tous les
catholiques. L'Episcopat seul peut espérer de produire ce ralliement à ceux dont
il dirige les consciences, de s'élever pour un moment au-dessus des intérêts temporels
qui les agitent, d'oublier leurs dissensions politiques, et, prenant pour appui
le jugement du Conseil Privé d'Angleterre, d'en faire la base inébranlable d'une
législation vraiment réparatrice. Le
droit d'intervention des Evêques, dans une affaire de cette nature, découle du
reste, assez clairement des enseignements contenus dans le Manuel du citoyen
catholique, publié avec la recommandation toute spéciale de NN. SS. les Evêques
de la province de Québec. Voici ce que nous lisons à la page 37 :
« Par suite de la dépendance dans
laquelle les princes chrétiens sont vis-à-vis de l'Eglise, l'Eglise a le pouvoir
de régler l'usage que ces princes doivent faire en certains cas, de leur puissance
temporelle; car il faut tenir pour assuré, d'après l'enseignement des théologiens,
que le pouvoir des clefs donné par Jésus-Christ à Pierre et en sa personne à ses
sucsesseurs (Matth. XVI, 19) comprend le droit de régler l'usage que les
prince chrétiens doivent faire de leur puissance temporelle dans ses rapports
avec la religion et le salut des âmes, et de soumettre, dans différentes occasions.
leurs actes politiques à son jugement. » Enfin
l'éminent théologien que nous combattons doit savoir que la proposition suivante
: « II appartient au pouvoir civil de définir quels sont les droits de l'Eglise
et les limites dans lesquelles elle peut les exercer », a été justement condamnée
dans le Syllabus. C'est à l'Eglise, en effet, ou à ses légitimes représentants,
non à d'autres qu'il appartient, en cas de doute, de déterminer jusqu'où doit
s'étendre la juridiction ecclésiastique ou épiscopale. Voilà pourquoi Mgr Cavagnis,
dans son ouvrage intitulé : Notions de Droit public naturel et ecclésiastique,
établit avec assurance cette proposition : « L'Eglise détermine avec autorité
ce qui est ou ce qui n'est point de sa compétence, et l'Etat doit respecter ce
jugement. » II avait dit précédemment : « Dans le conflit entre le spirituel et
le temporel celui-là doit prévaloir. » Le
distingué correspond de l'Electeur, jugeant sa thèse mal affermie, sent
le besoin de la confirmer par une circulaire de Mgr Taschereau écrite en 1872
touchant les écoles du Nouveau-Brunswick, circulaire dans laquelle Sa Grandeur
l'Archevêque de Québec déclare les catholiques libres de choisir les moyens qu'ils
croiront les plus aptes à atteindre le but désiré, c'est-à-dire porter remède
au système scolaire du Nouveau-Brunswick. Mais
nous nions la parité entre ce cas et celui des écoles manitobaines. En 1872, les
catholiques n'avaient pour eux aucun acte constitutionnel et juridique, propre
à donner à la direction de l'Episcopat une base légale et à assurer d'une manière
déterminée le triomphe des droits lésés. Aujourd'hui, non seulement l'Acte du
Manitoba contient une clause favorable aux droits de la minorité, mais de plus
la plus haute autorité judiciaire de l'Empire britannique a sanctionné solennellement
ces droits et tracé au gouvernement fédéral la voie à suivre. Les Évêques pourraient-ils,
sans trahir la cause catholique, refuser de se servir d'une arme que la Providence
met si opportunément entre leurs mains ? Le
correspondant de l'Electeur en appelle de plus à l'intervention du Pape
dans les affaires politiques d'Allemagne et de France, et s'autorise de ces faits
pour tirer une conclusion nullement contenue dans les prémisses. On ne peut être
plus maladroit. En effet, ou l'acte d'intervention du Souverain Pontife, dans
ces deux circonsances, était un commandement, ou il était un simple conseil. Dans
le premier cas, il y a eu désobéissance grave de la part des catholiques réfractaires;
dans le second, un manque de déférence blâmable. Dans les deux cas toutefois,
il appert que le Pape a jugé à propos de donner aux catholiques, dans les affaires
politiques elles-mêmes, une direction motivée par les intérêts religieux dont
il a la charge. Donc le pouvoir religieux peut parfois intervenir dans ces sortes
de matières. A lui alors de juger si l'intervention doit se produire sous forme
de commandement ou de conseil; et quand cette intervention prend la forme impérative
comme dans le cas des écoles du Manitoba, il ne reste plus aux fidèles qu'une
chose à faire : obéir. L'homme obéissant,
dit l'Ecriture, ira de victoires en victoires, Vir obediens loquetur
victorias. C'est l'obéissance, non l'insubordination, qui sauve les peuples
comme les individus. Nous espérons fermement que tous les catholiques canadiens,
quel que soit leur drapeau politique, comprendront cette doctrine et ne donneront
pas, à l'Eglise et au monde, le triste spectacle d'une division déplorable là
où l'union, sous la direction éclairée de l'Episcopat, et avec le concours des
protestants bien pensants de ce pays, est nécessaire pour le triomphe de la justice
et le maintien de la paix religieuse dans la confédération canadienne. Source
: Arthur Savaète, Voix canadiennes. Vers l'abîme. Tome VII, Les écoles
du Nord-Ouest canadien, Paris, Arthur Savaète éditeur, [s.d.], 516p., pp.
358-361. ©
2000 Claude Bélanger, Marianopolis College |