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revised: 23 August 2000 | Les
Québécois, le clergé catholique et l'affaire des écoles du Manitoba / Quebecers,
the Catholic Clergy and the Manitoba School Question, 1890-1916
Laurier
décrit le règlement Laurier-Greenway [Novembre
1896] [Note de l'éditeur : Depuis
le mois d'août 1896, des négociations se poursuivaient entre le gouvernement Laurier
et le gouvernement Greenway du Manitoba. De façon surprenante, ces négociations
excluaient les chefs de la minorité manitobaine. Le principal intéressé, du côté
de la province du Manitoba, était Clifford Sifton, Procureur-Général de la province,
responsable du dossier des écoles minoritaires du Manitoba et opposé à tout changement
qui amènerait la destruction du système d'école publique unique instauré par la
loi scolaire de 1890. Or, la rumeur voulait que Sifton entre au cabinet fédéral
de Laurier aussitôt que l'entente entre les deux gouvernements serait signée.
Le règlement Laurier-Greenway est le couronnement de la politique de conciliation
de Laurier, celle qu'on qualifiait typiquement de « sunny ways » selon la formule
de la fable d'Esope où le soleil et le vent se disputent pour savoir qui a le
plus de puissance et pourrait arriver à mettre à nu un passant. Dans la fable,
le vent, métaphore pour la manière forte de la loi réparatrice telle que proposée
par les conservateurs, souffle férocement pour arracher le manteau qui couvre
le voyageur; mais plus le vent souffle, plus celui-ci s'accroche à sa redingote,
et le vent est incapable d'arriver à ses fins. Par contre, le soleil, métaphore
pour la manière douce de la conciliation poursuivie par Laurier, brille de tous
ses éclats sur le personnage qui accepte volontairement d'enlever son manteau
pour se rendre la vie plus agréable. L'annonce
de l'accord Laurier-Greenway, en novembre 1896, allait précipiter une autre ronde
de controverses qui aboutira, éventuellement, à l'envoi d'un légat papal, Mgr.
Merry del Val, et à l'encyclique Affari vos. Il est à noter que le règlement
touche à la question des droits du français au Manitoba, question qui avait été
peu discutée depuis le début de la controverse. Or, en 1890, le statut légal du
français avait été aboli dans la législature, les cours de justice et les écoles
publiques de la province. Désormais, tout se ferait en anglais. Bien sûr, le français
pouvait toujours être utilisé dans les écoles catholiques qui subsistaient, mais
on sait que ces écoles n'étaient pas subventionnées par l'État, qu'elles étaient,
en quelque sorte, une espèce d'écoles privées vouées à la disparition. Bien que
le règlement Laurier-Greenway restaure au français une place dans les institutions
scolaires publiques du Manitoba, il est à noter qu'il ne le faisait pas de façon
exclusive puisque tout groupe linguistique qui réunissait les conditions définies
dans le règlement pouvait aussi avoir des écoles ou des classes dans sa langue.
Ainsi, le gouvernement Greenway, qui avait aboli les écoles françaises, disait-il,
entr'autres raisons à l'époque, parce que la province du Manitoba était trop peu
peuplée et pauvre pour subvenir à un double système scolaire, promettait de subventionner
tout groupe linguistique qui désirait établir des écoles dans sa langue. Il y
aura donc, en plus des écoles françaises et anglaises, des écoles islandaises,
polonaises, ukrainienne etc. C' était faire fi des droits constitutionnels du
français, langue protégée au même titre que l'anglais dans la constitution canadienne,
l'une des deux langues du pays. Après le règlement Laurier-Greenway, le français
n'était plus l'égal de l'anglais, mais plutôt de l'allemand ou du polonais. Il
était à prévoir que la province ne pourraiindéfinimentiement subvenir à un système
linguistique d'écoles aussi diversifié. On ne doit donc pas se surprendre que
la clause linguistique du règlement ait été abolie en 1916. Dorénavant, toutes
les écoles publiques du Manitoba n'enseignèrent plus qu'en anglais. Les
deux lettres reproduites ci-dessous ont été envoyées à Ernest Pacaud qui publiait
le journal libéral L'Électeur.] Ottawa,
le 18 novembre 1896. Je vais t'adresser
ces jours-ci, probablement demain ou après-demain, le texte du projet de loi par
lequel le gouvernement du Manitoba s'oblige à régler la question des écoles. Pour
bien comprendre ce règlement, il y a deux choses à observer : l'organisation scolaire
au Manitoba est placée entre les mains des municipalités ; les commissaires sont
élus directement par les contribuables dans chaque municipalité. Le règlement
a deux dispositions différentes : une pour les municipalités où les catholiques
sont en majorité, et l'autre pour les municipalités où ils sont en minorité. Dans
les municipalités où les catholiques sont en majorité, les commissaires (trustees)
seront naturellement catholiques ; et dans ces municipalités-là il suffira d'une
simple résolution pour avoir l'enseignement religieux dans les écoles. Ceci revient
à dire que, dans tout le comté de Provencher, les catholiques auront leurs écoles
comme ils l'entendront. Au contraire,
dans les municipalités où les catholiques sont en minorité, les écoles ne peuvent
pas être sous le contrôle des commissaires catholiques ; mais, en ce cas, la loi
agira d'une autre façon : sur une pétition présentée par un certain nombre de
familles, les commissaires seront obligés de donner aux élèves l'enseignement
religieux. S'il n'y a pas le nombre d'enfants fixé par la loi, le prêtre aura
le droit d'aller lui-même dans l'école et de donner cet enseignement ; il aura
le droit également de se faire remplacer par qui il voudra. S'il y a le nombre
d'enfants requis par la loi, les commissaires seront obligés de faire appel à
un instituteur catholique. Maintenant,
combien faut-il d'enfants pour obliger les commissaires à engager un instituteur
catholique ? Nous avons cru qu'il était impossible d'ouvrir une école à moins
d'avoir vingt-cinq enfants dans les campagnes et quarante dans les villes. Ces
chiffres ont été fixés d'après l'étude minutieuse de statistiques de la population
du Manitoba. Si donc il y a vingt-cinq enfants catholiques dans une école rurale,
et quarante dans une école de ville, les commissaires seront obligés de donner
à ces enfants-là un instituteur catholique, non seulement pour les matières religieuses,
mais aussi pour les matières profanes. L'instruction religieuse sera donnée à
trois heures et demie de l'après-midi. Quant à la nature de l'enseignement religieux
et au choix des livres pour cette matière, la chose est laissée entièrement à
la discrétion des parents et des autorités ecclésiastiques ; l'Etat ne prétend
exercer là aucun contrôle. Une autre
disposition importante est celle-ci : dans toutes les écoles où il y aura dix
enfants de langue française, l'instruction française sera un privilège indiscutable.
Voilà quelles sont les lignes générales du règlement, et je crois que le public
en sera pleinement satisfait. Le règlement
aura cet autre avantage, qu'il sera mis à exécution par un gouvernement sympathique,
qui aura fait la concession de bonne grâce. Je suis en mesure de dire que ces
dispositions seront acceptées par les principaux catholiques du Manitoba, sauf
l'archevêque, qui reste intransigeant. Ton
tout dévoué, WILFRID LAURIER [deuxième
lettre de Laurier à Ernest Pacaud] Ottawa,
le 19 novembre 1896. Je t'envoie le texte
du règlement sur la question des écoles. Il est entendu, entre le gouvernement
du Manitoba et nous, que ce document ne sera pas publié avant demain après-midi
; et encore ne doit-tu [sic] pas l'imprimer, à moins que je te télégraphie demain
avant-midi. Ne me trompe pas sur ce point. Tu ne publieras le texte que si je
te télégraphie. Maintenant, il serait
bon d'avoir plusieurs articles solides pour faire ressortir les avantages de ce
règlement : l. De bonnes écoles, sans charges additionnelles pour la population
catholique; 2. enseignement religieux; 3. Enseignement de la langue française
; 4. Enseignement religieux laissé exclusivement à la discrétion des parents et
du clergé, sans contrôle de l'Etat. Bien
à toi, WiLFRiD LAURIER. Source
: Lucien Pacaud, Sir Wilfrid Laurier. Lettres à mon père et à ma mère. 1867-1919,
s.l., s.d., 349p., pp. 219-223. ©
2000 Claude Bélanger, Marianopolis College |