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revised: 23 August 2000 | Les
Québécois, le clergé catholique et l'affaire des écoles du Manitoba / Quebecers,
the Catholic Clergy and the Manitoba School Question, 1890-1916
Le
père Lacombe menace Laurier et le Parti libéral [20
janvier 1896] [Note de l'éditeur
: Bien connu des étudiants de l'histoire de l'Ouest canadien, le père Albert
Lacombe [1827-1916] fut parmi les premiers missionnaires oblats à évangéliser
les Indiens et les Métis de cette région. À cette tâche, il acquit une réputation
enviable, qui ne fit que s'accroître au fil des années. Son intervention, auprès
des Pieds-Noirs, rendit la fin du Chemin de fer transcontinental possible. Il
fut très actif à promouvoir la préservation des langues indiennes, spécialement
la langue Cri, en publiant un manuel, un dictionnaire et une grammaire. En
1895, Lacombe fut nommé par Mgr. Langevin pour le représenter, ainsi que l'épiscopat
en général, auprès du gouvernement fédéral alors qu'il s'apprêtait à intervenir
dans l'affaire des écoles du Manitoba par le biais d'une loi remédiatrice et que
la question allait être plus politisée, donc controversée, que jamais auparavant.
Comme il apparut rapidement que le Parti libéral de Laurier allait s'opposer à
une telle loi, Lacombe écrivit au chef libéral l'importante lettre qui est reproduite
ci-dessous. En moins d'un mois, la lettre fut publiée dans le journal libéral
L'Électeur. De toute évidence, Lacombe était allé trop loin et ne parlait
pas pour l'épiscopat sur ce point. Néanmoins les Libéraux, et particulièrement
Laurier, s'en servirent à travers le pays pour démontrer à la majorité protestante
que Laurier pouvait résister au chantage de l'épiscopat, et, donc, qu'il était
digne de leur vote. La Minerve, journal conservateur, commenta dans ses
pages : «Le but de cette indiscrétion est évident. Il s'agissait de soulever les
ultra protestants contre la loi réparatrice et l'on a bien réussi. » (Voir Paul
Crunican, Priests and Politicians: Manitoba Schools and the Election of 1896,
Toronto, UTP, 1974, p. 192) Quant à elle, La Presse écrivit : « Ce n'est
pas avec des menaces d'opposition qu'on peut espérer faire quelqu'impression sur
un esprit aussi indépendant et aussi désintéressé que celui du chef de l'opposition;
c'est avec un engagement d'honneur qu'il fallait le lier. Le langage du père Lacombe
peut se résumer à ceci : 'Apprends bien tes devoirs et tu auras du sucre; sinon,
tu auras un bon fouet.' Cela peut être de mise avec les petits sauvages des écoles
du Nord-Ouest que le R. P. dirige avec tant de zèle et dévouement, mais ne peut
que produire des résultats malheureux à Ottawa. » (Voir Crunican, op. cit.,
p. 191) Laurier avait donc réussi à accroître son prestige à l'extérieur du Québec,
sans toutefois aliéner sa province natale. Dans les circonstances, c'était marquer
un bon point! Mgr. Émard, qui doutait
du bien-fondé de la loi remédiatrice, en plus d'avoir des sympathies libérales,
fut particulièrement mortifié par la lettre du père Lacombe et écrivit à Mgr Fabre
pour signifier que « s'il y a eu autorisation donnée et engagements pris au nom
de l'Épiscopat, j'ai été personellement tout à fait ignoré (Voir Crunican, op.
cit., p.193)] Bien cher monsieur, Dans
ce temps si critique pour la question des écoles du Manitoba, permettez à un vieux
missionnaire, aujourd'hui le représentant des évêques de notre pays dans cette
cause qui nous préoccupe tous, permettez-moi, dis-je, de faire appel à votre foi,
à votre patriotisme et à votre esprit de justice pour vous supplier de vous rendre
à notre demande. C'est au nom de nos évêques, de la hiérarchie et des Canadiens
catholiques que nous demandons à votre parti, dont vous êtes le si digne chef,
de nous aider à régler cette fameuse question, et cela en votant avec nous la
loi rémédiatrice de concert avec le gouvernement. Nous
ne vous demandons pas de voter pour le gouvernement, mais pour le bill qui doit
nous rendre nos droits, ainsi que cela va être présenté dans quelques jours à
la Chambre. Je considère, ou plutôt tous
nous considérons que cet acte de courage, de bonne volonté et de sincérité de
votre part et de ceux qui suivent votre politique, sera grandement dans l'intérêt
de votre parti, surtout au temps des élections générales. Je
dois ajouter A) Que nous ne pouvons pas accepter votre proposition d'enquête,
pour aucune raison, et nous ferons l'impossible pour la combattre. B)
Si, ce qu'à Dieu ne plaise, vous ne croyez pas devoir vous rendre à notre juste
demande, et que le gouvernement qui veut nous donner la loi promise soit battu
et renversé tout en tenant bon jusqu'à la fin de la lutte, je vous informe avec
regret que tout l'épiscopat comme un seul homme, uni au clergé, se lèvera pour
soutenir ceux qui auront succombé en nous défendant. Veuillez
me pardonner ma franchise, qui me fait vous parler ainsi. Quoique je ne sois pas
votre ami intime, cependant je puis dire que nous avons été en bons termes. Toujours
je vous ai regardé comme un gentilhomme, un citoyen respectable, et un homme habile
pour être à la tête d'un parti politique. Je
fais des vceux pour que la divine Providence conserve votre courage et votre énergie,
pour le bien de notre commune patrie. Source
: Robert Rumilly, Histoire de la province de Québec, Vol. 8, Wilfrid
Laurier, Montréal, Fides, 1977, 233p., pp. 25-26. Nous avons utilisé la version
de Rumilly; cependant, une version différent légèrement sur plusieurs points a
été publiée dans: Un apôtre du Nord-Ouest Canadien. Le Père Lacombe « L'Homme
au bon cur » d'après ses Mémoires et Souvenirs. Recueillis par une sur
de la Providence, Montréal, Le Devoir, 1916, 547p., p. 442. ©
2000 Claude Bélanger, Marianopolis College |