Documents
in Quebec History
Last
revised: 23 August 2000 | Les
Québécois, le clergé catholique et l'affaire des écoles du Manitoba / Quebecers,
the Catholic Clergy and the Manitoba School Question, 1890-1916
Lettre
pastorale collective des Evêques du Québec sur la question des écoles du Manitoba
[6 mai 1896] [Note
de l'éditeur : le document qui suit fut l'objet de grandes controverses à
l'époque des élections de 1896. Ces discussions portaient sur la pertinence de
l'intervention épiscopale, sur l'interprétation qu'on devait en donner quant à
son application aux partis en présence, sur l'acceptabilité de l'ingérence épiscopale.
Ce dernier point fut soulevé par André Siegfried dans son volume sur Le Canada,
les deux races. Il avait d'abord
été question d'une Lettre pastorale collective au cours de l'hiver 1896, au moment
de la discussion de la loi réparatrice fédérale présentée par le gouvernement
conservateur. C'est Mgr Laflèche qui s'était fait le champion d'une telle intervention,
immédiatement après que Mgr. Langevin eut approuvé la loi. Selon Laflèche, « Une
lettre collective épiscopale bien explicite et immédiate, d'adhésion à cette loi,
et d'obligation de conscience pour les députés catholiques de l'appuyer
de leurs suffrages, au moins des évêques des provinces [ecclésiastiques] de Québec,
Montréal et Ottawa est désirée et même attendue avec hâte par tous les amis de
cette cause sacrée ». Cependant, Mgr. Bégin était alors opposé à une telle mesure,
jugeant que la suggestion d'en faire une obligation pour les députés allait trop
loin, et le père Lacombe, échaudé par la réaction à sa lettre de menace à Laurier,
en vint à l'opinion qu'une Lettre collective, à ce stade-ci du développement de
la question ne pourrait que «surexciter le fanatisme de nos adversaires dans l'Ontario,
sans peut-être exercer l'influence espérée sur les libéraux. » De toute manière,
on se rendait compte que l'épiscopat n'était pas encore uni sur la question, alors
que tous se rendaient compte de la nécessité de faire front commun, et il est
probable qu'une telle action cléricale aurait eu un effet désastreux parmi les
conservateurs de l'Ontario. [Voir Paul Crunican, Priests and Politicians: Manitoba
Schools and the Election of 1896, Toronto, University of Toronto Press, 1974,
369p., pp. 214-216] On avait donc abandonné, pour l'instant, ce projet d'une Lettre
pastorale collective. Cependant, si les évêques espéraient infléchir le cours
des événements, le moment fatidique allait venir au cours des élections fédérales
de 1896. Il n'avait pas été facile aux
évêques de faire l'unanimité épiscopale autour de ce document. Des rumeurs, fondées
semble-t-il, attribuaient maintes difficultés aux réticences de Mgr Emard, évêque
de Valleyfield, bien connu pour son libéralisme et désireux de ménager le Parti
libéral qui pourrait fort bien former le prochain gouvernement, ainsi qu'à Mgr
Fabre, archevêque de Montréal, qui tenait des propos modérés sur la question du
Manitoba. Alors que tous les évêques canadiens avaient signé la pétition de mai
1894, seuls les évêques des provinces de Québec, Montréal et Ottawa signèrent
la Lettre collective de 1896. Après les élections de 1896, et spécialement à la
suite du rejet par l'épiscopat du compromis Laurier-Greenway en 1897, Laurier,
encouragé par une partie du clergé du Québec, interjeta appel à Rome se plaignant,
spécifiquement, de l'intervention épiscopale dans les affaires d'État au Canada
et alléguant que l'ingérence du clergé divisait les catholiques et risquait de
précipiter des représailles de la part des protestants. Rome profita de l'occasion
pour envoyer Mgr Merry del Val examiner la situation. Le résultat final fut l'encyclique
Affari vos émise en décembre 1897. Il
est à noter que la question de l'intervention épiscopale lors des élections, particulièrement
le rejet du compromis Laurier-Greenway, et la guerre ecclésiastique contre le
gouvernement Laurier qui était à prévoir en conséquence, eut un impact défavorable
sur le gouvernement provincial de Marchand et sur son projet de création d'un
Ministère de l'Instruction publique en 1897. Les Libéraux provinciaux auraient
accepté, sous l'influence de Laurier, de renoncer à leur projet d'un Ministère
de l'éducation, que l'épiscopat du Québec rejetait, pour ne pas accroître l'animosité
qui existait entre une bonne partie de l'épiscopat et les Libéraux. Ayant ainsi
obtenu au moins une partie de ce qu'ils voulaient, les deux factions enterrèrent
la hache de guerre] NOUS, PAR
LA GRÂCE DE DIEU ET DU SIÈGE APOSTOLIQUE, ARCHEVÊQUES ET ÉVÊQUES DES PROVINCES
ECCLÉSIASTIQUES DE QUÉBEC, DE MONTRÉAL ET D'OTTAWA, Au
clergé séculier et régulier et à tous les fidèles de nos diocèses respectifs,
salut et bénédiction en Notre Seigneur. NOS
TRÈS CHERS FRÈRES, Appelés de par la
volonté même de notre divin Sauveur au gouvernement spirituel des Églises particulières
confiées à leurs soins, les Évêques, successeurs des Apôtres, n'ont pas seulement
la mission d'enseigner en tout temps la vérité catholique et d'en inculquer les
principes salutaires dans les âmes, ils ont encore, en certaines circonstances
critiques et périlleuses, le droit et le devoir d'élever la voix, soit pour prémunir
les fidèles contre les dangers qui menacent leur foi, soit pour les diriger, les
stimuler ou les soutenir dans la juste revendication de droits imprescriptibles
manifestement méconnus et violés. Vous
connaissez tous, Nos Très Chers Frères, la position très pénible faite à nos coreligionnaires
du Manitoba par les lois injustes qui les privèrent, il y a déjà six ans, du système
d'écoles séparées dont ils avaient joui jusque-là en vertu même de la Constitution
du pays, système d'écoles si important, si nécessaire, dans une contrée mixte,
à la saine éducation et à la formation des enfants d'après les principes de cette
foi catholique qui est ici-bas notre plus grand bien et notre plus précieux héritage. Nous
n'avions, certes, pas besoin, Nos Très Chers Frères, des décisions des tribunaux
civils pour connaître toute l'iniquité de ces lois Manitobaines, attentatoires
à la liberté et à la justice, mais il a plu à la Divine Providence, en sa sagesse
et en sa bonté, de ménager aux catholiques l'appui légal d'une autorité souveraine
et irrécusable, en faisant reconnaître par le plus haut tribunal de l'Empire la
légitimité de leurs griefs et la légalité d'une mesure fédérale réparatrice. En
présence de ces faits, l'Épiscopat canadien, soucieux, avant toutes choses, des
intérêts de la religion et du bien des âmes, ne pouvait se dissimuler la gravité
du devoir qui s'imposait à sa sollicitude pastorale et qui l'obligeait à réclamer
justice, comme il l'a fait. Car, si les
Évêques, dont l'autorité relève de Dieu lui-même, sont les juges naturels des
questions qui intéressent la foi chrétienne, la religion et la morale, s'ils sont
les chefs reconnus d'une société parfaite, souveraine, supérieure, par sa nature
et par sa fin, à la société civile, il leur appartient, lorsque les circonstances
l'exigent, non pas seulement d'exprimer vaguement leurs vues et leurs désirs en
toute matière religieuse, mais encore de désigner aux fidèles ou d'approuver les
moyens convenables pour arriver à la fin spirituelle qu'ils se proposent d'atteindre.
Cette doctrine est bien celle du grand Pape Léon XIII dans son encyclique
Immortale Dei : « Tout ce qui, dans les choses humaines, est sacré à un
titre quelconque, tout ce qui touche au salut des âmes et au culte de Dieu, soit
par sa nature, soit par rapport à son but, tout cela est du ressort de l'autorité
de l'Église. » Nous tenions, Nos Très
Chers Frères, à rappeler brièvement ces principes inhérents à la constitution
même de l'Église, ces droits essentiels de l'autorité religieuse, pour justifier
l'attitude prise par les membres de la hiérarchie catholique dans la présente
question scolaire, et pour mieux faire comprendre l'obligation où sont les fidèles
de suivre les directions épiscopales. S'il
y a, en effet, des circonstances où les catholiques doivent manifester ouvertement
envers l'Église tout le respect et tout le dévouement auxquels elle a droit, c'est
bien lorsque, comme dans la crise actuelle, les plus hauts intérêts de la foi
et de la justice sont en cause et réclament de tous les hommes de bien, sous la
direction de leurs chefs, un concours efficace. Nous
avions espéré, Nos Très Chers Frères, que la dernière session du Parlement Fédéral
mettrait un terme aux difficultés scolaires qui divisent si profondément les esprits
: nous avons été trompés dans ces espérances. L'histoire jugera elle-même des
causes qui ont retardé la solution attendue depuis si longtemps. Quant
à nous, qui n'avons en vue que le triomphe des éternels principes de religion
et de justice confiés à notre garde, nous qu'aucun échec ne pourra jamais désespérer
ni détourner de l'accomplissement de cette mission divine qui fut celle des Apôtres
eux-mêmes, nous sentons, en présence de la lutte électorale qui s'engage, qu'un
impérieux devoir nous incombe : ce devoir, c'est d'indiquer à tous les fidèles
soumis à notre juridiction et dont nous avons à diriger les consciences, la seule
ligne de conduite à suivre dans les présentes élections. Devrons-nous
tout d'abord vous rappeler, Nos Très Chers Frères, combien le droit que vous accorde
la constitution de désigner par vos suffrages les dépositaires du pouvoir public
est noble et important ? Tout citoyen digne de ce nom, tout canadien qui aime
sa patrie, qui la veut grande, paisible, prospère, doit s'intéresser à son gouvernement.
Or, le gouvernement de notre pays, de ce peuple jeune encore, mais capable d'occuper
une place distinguée parmi les autres nations, sera ce que vous l'aurez fait vous-mêmes
par votre choix et votre vote. C'est
dire, Nos Très Chers Frères, qu'en règle générale et sauf de rares exceptions,
c'est un devoir de conscience pour tout citoyen de voter : devoir d'autant plus
grave et d'autant plus pressant que les questions débattues sont plus importantes
et peuvent avoir sur vos destinées une influence plus décisive. C'est
dire encore que votre vote doit être sage, éclairé, honnête, digne d'hommes intelligents
et de chrétiens. Évitez donc, Nos Très Chers Frères, les excès si déplorables
contre lesquels, bien des fois déjà, nous avons dû vous mettre en garde, le parjure,
l'intempérance, le mensonge, la calomnie, la violence, cet esprit de parti qui
fausse le jugement et produit dans l'intelligence une sorte d'aveuglement volontaire
et obstiné. N'échangez pas votre vote pour quelques pièces d'une vile monnaie
: ce vote est un devoir et le devoir ne se vend pas. Accordez votre suffrage non
au premier venu, mais à celui qu'en conscience et sous le regard de Dieu vous
jugerez le plus apte par les qualités de son esprit, la fermeté de son caractère,
l'excellence de ses principes et de sa conduite, à remplir le noble ministère
de législateur. Et pour que ce jugement soit plus éclairé et plus sûr, ne craignez
pas de sortir du cadre restreint où les dires d'un journal et les opinions d'un
ami enchaînent votre esprit; consultez, quand il le faudra, avant de voter, les
personnes que leur instruction, leur rang, leurs rapports sociaux mettent en état
de mieux connaître les questions qui s'agitent et de mieux apprécier la valeur
relative des candidats qui briguent vos suffrages. Ce
sont là, Nos Très Chers Frères, des principes généraux de sagesse et de prudence
chrétienne qui s'appliquent à tous les temps et à toutes les élections auxquelles
les lois du pays vous permettent de prendre part. Mais
dans les circonstances où nous nous trouvons à l'heure actuelle, le devoir des
électeurs du Canada, notamment des électeurs catholiques, revêt un caractère spécial
d'importance et de gravité sur lequel nous sommes désireux d'appeler plus particulièrement
votre attention. Une injustice grave a été commise envers la minorité catholique
au Manitoba; on lui a enlevé ses écoles catholiques, ses écoles séparées, et l'on
veut que les parents envoient leurs enfants à des écoles que leur conscience réprouve.
Le Conseil Privé d'Angleterre a reconnu le bien-fondé des réclamations des catholiques,
la légitimité de leurs griefs et le droit d'intervention des autorités fédérales
pour que justice soit rendue aux opprimés. II s'agit donc présentement pour les
catholiques, de concert en cela avec les protestants bien-pensants de notre pays,
d'unir leurs forces et leurs suffrages de façon à assurer la victoire définitive
de la liberté religieuse et le triomphe de droits qui sont garantis par la constitution.
Le moyen d'atteindre ce but, c'est de n'élire à la charge de représentants du
peuple que des hommes sincèrement résolus à favoriser de toute leur influence
et à appuyer en Chambre une mesure pouvant porter un remède efficace aux maux
dont soufre la minorité manitobaine. En
vous parlant ainsi, Nos Très Chers Frères, notre intention n'est pas de nous inféoder
à aucun des partis qui se combattent dans l'arène politique; au contraire, nous
tenons à réserver notre liberté. Mais la question des écoles du Manitoba étant
avant tout une question religieuse, intimement liée aux plus chers intérêts de
la foi catholique en ce pays, aux droits naturels des parents, comme aussi au
respect dû à la Constitution du pays et à la Couronne Britannique, nous croirions
trahir la cause sacrée dont nous sommes et devons être les défenseurs, si nous
n'usions de notre autorité pour en assurer le succès. Remarquez
bien, Nos Très Chers Frères, qu'il n'est pas permis à un catholique, quel qu'il
soit, journaliste, électeur, candidat, député, d'avoir deux lignes de conduite
au point de vue religieux : l'une pour la vie privée, l'autre pour la vie publique
et de fouler aux pieds, dans l'exercice de ses devoirs sociaux, les obligations
que lui impose son titre de fils soumis de l'Église. C'est pour cela que Notre
Très Saint-Père le Pape Léon XIII, dans son Encyclique Libertas praestantissimum
condamne ceux qui « estiment que dans tout ce qui concerne le gouvernement
de la société humaine, dans les institutions, les moeurs, les lois, les fonctions
publiques, l'instruction de la jeunesse, on ne doit pas plus faire attention à
l'Église que si elle n'existait pas ». Pour la même raison, il dit ailleurs (Encyclique
Immortale Dei) : « Avant tout, il est nécessaire que tous
les catholiques dignes de ce nom se déterminent à être et à se montrer les fils
très dévoués de l'Église; qu'ils repoussent sans hésiter tout ce qui serait incompatible
avec cette profession; qu'ils se servent des institutions publiques, autant qu'ils
le pourront faire en conscience, au profit de la vérité et de la justice. » C'est
pourquoi, Nos Très Chers Frères, tous les catholiques ne devront accorder leur
suffrage qu'aux candidats qui s'engageront formellement et solennellement à voter,
au Parlement, en faveur d'une législation rendant à la minorité catholique du
Manitoba les droits scolaires qui lui sont reconnus par l'Honorable Conseil Privé
d'Angleterre. Ce grave devoir s'impose à tout bon catholique, et vous ne seriez
justifiables ni devant vos guides spirituels ni devant Dieu lui-même de forfaire
à cette obligation. Nous avons pu, jusqu'à
présent, nous féliciter de l'appui sympathique d'un grand nombre de nos frères
séparés; ils ont compris que, dans un pays de races et de religions différentes
comme le nôtre, il est nécessaire, pour le bien général, d'user de cette largeur
de vues qui sait respecter la liberté de conscience et tous les droits acquis.
Nous osons faire un nouvel appel à leur esprit de justice et à leur patriotisme
pour que, joignant leur influence à celle des catholiques, ils aident de tout
leur pouvoir à obtenir enfin le redressement des griefs dont se plaint à si juste
titre une partie de nos coreligionnaires. Ce
que nous voulons, c'est le triomphe du droit et de la justice c'est le rétablissement
des droits et privilèges de la minorité catholique romaine en matière d'éducation,
à nos frères du Manitoba; de manière à mettre les catholiques de cette province
à l'abri de toute attaque et de toute législation injuste ou arbitraire. Nous
comptons pour cela, Nos Très Chers Frères, sur votre esprit de foi, sur votre
obéissance. Nous avons la ferme confiance que, soumis d'esprit et de coeur aux
enseignements de vos premiers pasteurs, vous saurez, s'il le faut, placer au-dessus
de vos préférences et de vos opinions personnelles les intérêts d'une cause qui
prime toutes les autres, de la cause de la justice, de l'ordre, de l'harmonie
dans les différentes classes qui composent la grande famille canadienne. Sera
la présente Lettre Pastorale lue et publiée au prône de toutes les églises paroissiales
et autres où se fait l'office public, le premier dimanche après sa réception et
le dimanche qui précédera la votation. Fait
et signé, à Montréal, le six mai mil huit cent quatre-vingt-seize.
ÉDOUARD-CHARLES, Archevêque de Montréal.
J.THOMAS, Archevêque d'Ottawa.
L.N., Archevêque de Cyrène, administrateur de Québec.
L.F., Évêque des Trois-Rivières.
L.N., Évêque de Saint-Hyacinthe.
N. ZÉPHIRIN, Évêque de Cythère, Vicaire Apostolique de Pontiac.
ELPHÈGE, Évêque de Nicolet. ANDRÉ-ALBERT,
Évêque de Saint-Germain de Rimouski.
MICHEL-THOMAS, Évêque de Chicoutimi.
JOSEPH-MÉDARD, Évêque de Valleyfield.
PAUL, Évêque de Sherbrooke. MAX.,
Évêque de Druzipara, coadjuteur de l'Évêque de Saint-Hyacinthe. Par
ordre de Nos Seigneurs, ALFRED ARCHAMBEAULT,
Chanoine, Chancelier Source:
Ce Mandement a été publié dans plusieurs endroits. On le trouvera reproduit
dans la collection des Mandements de la plupart des évêchés de la province de
Québec. Il fut aussi reproduit dans plusieurs journaux de l'époque. Le texte donné
ici a été établi à partir du livre d' Arthur Savaète, Voix canadiennes. Vers
l'abîme, Tome VII, Les écoles du Nord-Ouest canadien, Paris, Arthur
Savaète éditeur, [s.d.], 516p., pp. 343-349. ©
2000 Claude Bélanger, Marianopolis College |