Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Août 2013

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Esquimaux

(Inuit)

 

ESQUIMAUX (Ayaskimeow : mangeurs de chair crue), nom générique appliqué aux [autochtones] du Groenland, de Terre-Neuve, du Labrador et du pôle arctique du Canada.

Ces tribus, considérées comme les plus misérables du globe [l’auteur écrit dans les années vingt], ont été les premières vi­sitées par les explorateurs européens, ensuite par les pêcheurs de Terre-Neuve et par les commerçants de fourrures. Pendant près de 400 ans, le passage du Nord-Ouest en Chine a hanté les rêves des navigateurs anglais, es­pagnols, portugais, français, danois : l'entre­prise a été couronnée de succès, par M. Roald Amundsen en 1903-1906. Mais la plus belle découverte a été celle des Esquimaux, que l'on rencontrait à chaque voyage et sur chaque point du pays dont on explorait seu­lement le littoral.

Algonquins et Esquimaux se rencontrèrent jadis en ennemis. L'Algonquin l'emporta; il refoula le second jusqu'aux déserts glacés du Nord où la vie semblait bien impossible faute de feu. L'Esquimau se fit à cette existence inconcevable. L'Algonquin exprima son éton­nement par ce seul mot : Ayaskimeow : il mange la chair crue. Recueilli par les missionnaires jésuites — le Père de Charlevoix l'employa le premier — le mot fut générale­ment adopté. Le Barren-Land ne comprend pas seulement une langue de terre de quel­ques milles de profondeur, comme le Labra­dor et le Mackenzie, mais tout l'intérieur de Ellesmire Land, de la terre de Baffin, des régions comprises entre la baie d'Hudson et l'Océan arctique, déserts peuplés d'Esqui­maux, qui sont à l'intérieur mangeurs de caribou. Ces régions, déserts de glaces et de neige, sont sans végétation, à part certains plateaux où germent un peu de mousse, de lichen et quelques saules nains dans les vallées, d'environ quatre ou cinq pouces au-dessus de terre; mais seulement en été. L'hiver, c'est un froid boréal intense avec les poudreries ou tempêtes de neige. C'est une étendue de 3.200 milles, n'ayant qu'un ha­bitant par 100 milles de côté.

Ainsi clairsemés, les Esquimaux, petits de taille et à la tête ronde, se divisent en tri­bus, jadis de 40 à 50.000 en Alaska, dit-on, de 30 à 40.000 au Labrador, vivant en campements dont il subsiste des traces, mais non en gros villages. Il y a deux à quatre mois de nuit arctique. Leur nature s'est adaptée aux conditions climatériques : la tente en peau d'animal, les maisons ou taudis de neige ou iglu, les patins de glace ou traîneaux, la lampe en pierre alimentée du gras de ca­ribou ou du lard des mammifères de la mer, le costume spécial à l'épreuve du vent, les bottes imperméables, le kayak ou embarca­tion légère et rapide, les instruments de chasse et de pêche. Il convient de remarquer que chacun de ces objets atteint un haut de­gré de perfectionnement dans l'exécution et dans son appropriation à chaque localité. Ainsi, la peau du caribou sert d'étoffe et le nerf de l'animal de fil idéal pour la confec­tion des habits. A leur défaut, la peau d'ours épaisse et rude, celle du renard, du lapin, si mince et si fragile et aussi celle des oiseaux dont la préparation est si délicate, les nerfs du phoque ou de tout autre animal, seront mis à contribution, remplaceront l'élément idéal. Ainsi encore, la meilleure semelle des bottes imperméables est confectionnée en peau de gros phoque barbu (ground seal); mais en cas de disette la peau du morse, de la baleine blanche, du caribou est convertie en parchemin-semelle. Et cette adaptation aux circonstances n'est pas la résultante de tâtonnements; elle est en quelque sorte spon­tanée, instinctive. Puissance d'observation, facilité d'adaptation au milieu, ingéniosité et énergie dans la lutte pour la vie : voilà l'Esquimau.

Au point de vue de la vie sociale, l'Esqui­mau ne peut habiter les steppes, du moins à l'intérieur des terres, qu'à la condition de s'éparpiller en petits groupes nomades : un groupement de vingt familles est exception­nel, il se réduit souvent à deux seulement. Ceux qui vivent exclusivement des produits maritimes formeront des centres de dix à vingt familles : au printemps, la chasse au phoque et au morse est ainsi rendue plus facile. Deux lois résument toute leur écono­mie sociale : la première loi est que chaque groupe doit se suffire à lui-même, chacun ap­portant sa quote-part : c'est le communisme absolu; la seconde, qu'il ne saurait se charger d'aider les autres groupes : d'où indiffé­rence, égoïsme, défiance, soupçon, haine réciproque, duel, meurtre, vengeance héréditaire. En cas d'abondance, l'hospitalité est une loi sacrée.

Au point de vue domestique, à la naissance de l'enfant la mère est séquestrée dans un local, en dehors de son habitation : elle est recluse, une lune pour un garçon, deux lunes pour une fille. Le huitième jour, le sorcier consacre le nouveau-né à un Esprit protec­teur et lui impose un nom. Le nom est sa­cré à leurs yeux : si l'enfant meurt sans lui, point de deuil : si l'on veut se défaire d'une fille, on l'étouffe dans l'intervalle, mais ayant reçu son nom, ce serait un meurtre criant vengeance. Ce nom est celui d'un parent décédé, même celui d'une grand'mère affecté à un garçon. Mais l'Esquimau ne croit point à la métempsychose. Seul le nom des mé­chants est oblitéré à jamais. Puis, viennent les fiançailles, contrat d'achat et de vente : l'on verse un acompte, et le reste se sol­dera si les fiancés atteignent l'âge nubile. Toutefois, l'infanticide des filles n'a lieu que dans les petits groupes et faute de futurs prétendants : dans certaines localités, il a conduit à la polyandrie, suivie de vengeances et de meurtres. A l'âge de puberté, la fiancée revêt le costume féminin au long capuchon et cohabite avec celui qu'elle a considéré dès l'enfance comme son époux. Dès lors elle se sent liée et défend sa pudeur contre tout libertin. Toute maladie relève du sorcier, qui s'applique souvent aux opérations de chirur­gie primitive : une peau de souris est le seul pansement. Il cherche à découvrir la faute qui a excité la colère du mauvais Esprit, ne prescrit rien au patient mais beaucoup au coupable. A la mort, l'agonisant ne doit point expirer dans son taudis, à peine d'impureté pour la famille si l'on touche le cadavre : elle exige une expiation de vingt-quatre heures. L'on constate ainsi, de la naissance au décès, un ensemble de rites en concordance avec ceux d'Israël.

Le folklore (ou les traditions) réglemente le problème de la vie. C'est d'abord le souci de réussir à la chasse : portrait du bon chasseur et du mauvais chasseur, lequel s'imprime dans l'imagination de l'enfant et de l'adoles­cent, des personnes des deux sexes. Si le premier devient tyran, on le tue; si le second se fait sorcier, il passe pour un héros et devient l'idole du sexe. La religion n'est pas une fantaisie opportune. L'Esquimau croit fermement à l'immortalité de l'âme et à la sanction morale d'outre-tombe : son paradis est sans doute matériel, puisque le gibier y abonde et se chasse sans labeur; son enfer est un pays de famine, de désolation, sans vivres, ni habits, ni lampe, ni agrément de chasse. C'est l'existence d'une éthique naturelle. Ré­compense ou châtiment sont en relation ou en fonction du succès ou de l'échec pendant la vie. En général, l'Esquimau est intelligent, d'une étonnante force de volonté, qui le place bien au-dessus de toute autre peuplade du Nord-Ouest. On ignore le total exact de la tribu au Canada, mais on la porte à un chif­fre, approximatif de 8.000.

La langue esquimaude ne se rattache à au­cun idiome connu; elle est synthétique, poly­synthétique même par déclinaisons et par agglutinations dans le même mot, non de plusieurs idées substantives, mais de plusieurs et de toutes nuances et relations immatérielles de la pensée; elle est hautement philoso­phique et fait penser à la création du langage : ce qui n'a aucun rapport au pays du peuple qui la parle. Mais la merveilleuse con­servation de cet idiome atteste bien que l'Es­quimau est resté isolé des autres congénères, depuis plusieurs siècles. Il y a quelques an­nées, l'on découvrait à l'île Southampton, dans la baie d'Hudson, une tribu inconnue : ses légendes ne portaient aucune trace de migration, mais mentionnaient seulement la création. Or, après quelques instants de sur­prise, ils conversaient couramment avec les Indiens du continent, sans divergences nota­bles de grammaire, de vocabulaire, d'accent même. Ainsi il est révélateur que les Esqui­maux n'ont jamais eu que des rapports de surface avec les populations du Sud. Au­jourd'hui, ce peuple se trouve en contact passager avec les traitants de fourrures qui sont les plus belles du monde, avec les com­mis des Compagnies Hudson et Révillon.

 

Le Labrador, où en 1918 la grippe espa­gnole a exercé les plus désastreux ravages, ne compte guère plus de 700 indigènes; l'Ungava environ 1.300; la Terre de Baffin, 1.500; la région occidentale de la baie d'Hudson, 1.500 jusqu'au fleuve Mackenzie; le Macken­zie, 2.300 : c'est un total de 7.300 âmes.

Les Missionnaires Oblats de Marie Immacu­lée ont entrepris récemment de travailler à la conversion et à la civilisation des peuplades de ces régions abandonnées et quasi inaccessibles. En 1912, le Père Ar­sène Turquetil, originaire de Normandie, fondait avec un confrère Breton, à côté d'un poste de commerce de pelleteries de la Com­pagnie Hudson, une modeste résidence qu'il nomma la mission de Notre-Dame de la Déli­vrande à Chesterfield Inlet. En 1924, nou­velle fondation au Cap-Esquimau, situé plus au sud, mise sous le vocable de Sainte-Thérèse de l'Enfant-Jésus. En 1926, troisième mis­sion, dédiée à Saint-Joseph, dans l'île Sou­thampton. En 1927, quatrième mission à Saint-Paul de Baker Lake. Le service de ces régions ne se peut effectuer qu'une fois l'an par le bateau de la Compagnie qui part en juillet de Montréal (V. Turquetil). Mais la voie ferrée de Churchill abrège aujourd'hui ce trajet.

Bibl. — Mgr A. Turquetil, L'Esquimau, Edit. du Devoir, Montréal, 1927; L. Jaray et L. Hourticq, De Québec à Vancouver, Paris, 1925; Knud Rasmussen, Across Arctic Amer., Londres, 1927; P.-P. Duchaus­sois, Aux Glaces Polaires, Lyon, 1921 et Paris, 1922.

[L’article du Père Le Jeune mérite bien des commentaires et nuances, à commencer par le nom attribué au groupe qui n’est plus utilisé aujourd’hui. On parle maintenant des Inuits – ce qui signifie ‘humains ou personnes’ – dont la langue parlée est l’Inuktitut. Nonobstant l’utilisation de stéréotypes, l’auteur reconnaît à ces autochtones de grandes qualités. Malgré tout, son article contient peu d’éléments historiques sur les Inuits. On pourra consulter – pour des considérations plus modernes et une vision plus élaborée de leur histoire – l’excellent article sur les Inuits trouvé à l’Encyclopédie Wikipédia. L’article en français contient des renseignements importants reliant l’histoire et la géographie des Inuits au Québec; l’article en anglais contient des cartes intéressantes et est d’application plus générale. En fait, les deux articles se complètent très bien.

Sur l’histoire et la culture des Inuits, on pourra consulter en outre :

ALLARD, Nicole, « La portée universelle de l’art Inuit : le Musée d’art Inuit Brousseau », dans Vie des Arts, Vol. 46, No 185, 2001-2002, pp. 35-38.

CARRIÈRE, Gaston, « Contribution des Oblats de Marie Immaculée de langue française aux études de linguistique et d'ethnologie au nord canadien », dans Culture, vol. 12, no 2, juin 1951, pp. 213-226.

GROULX, Lionel, « La conquête missionnaire de l’Arctique », dans Rapport Société canadienne de l’histoire de l’Église catholique, Vol. 28, 1961, pp. 27-35.

HARPER, Kenn, « The Early Development of Inuktitut Syllabic Orthography », dans Inuit Studies, Vol. 9, No 1, 1985, pp. 141-162.

HARVEY, Fernand, « L’historiographie du Nord du Québec », dans Recherches sociographiques, Vol. 35, No 3, 1994, pp, 373-420.

LAUGRAND, Frédéric, « ‘Ni vainqueurs ni vaincus’ : les premières rencontres entre les chamanes inuit et les missionnaires dans trois régions de l’Arctique canadien », dans Anthropologie et Sociétés, Vol. 21, No 2-3, 1997, pp. 99-123.

LAUGRAND, Frédéric, « Premiers catéchismes et méthodes catéchistiques des missionnaires anglicans et oblats chez les Inuit de l’Arctique de l’Est (1852-1937) », dans Études d’histoire religieuse, Vol 64, 1998, pp. 9-29.

LAUGRAND, Frédéric, « Les missions oblates auprès des Amérindiens et des Inuit du Nord canadien : Un chantier pour l’anthropologie historique », dans Études d’histoire religieuse, Vol 67, 2001, pp. 117-130.

LAUGRAND, Frédéric et Jarich OOSTEN, « Éducation et transmission des savoirs Inuit au Canada », dans Études Inuit, Vol. 33, No 1-2, 2009, pp. 7-34.

McGrath, Robin, « Samuel Hearne and the Inuit Oral Tradition », dans Studies in Canadian Literature, Vol 18, No 2, 1993, pp. 94-109.

PIROTTE, Jean, « Les stratégies missionnaires du XIXe siècle au début du XXe siècle. Une mise en perspective générale de l'intérêt pour les missions du grand nord canadien », dans Etudes d’histoire religieuse, Vol. 62, 1996, pp. 9-41.

TRUDEL, François, « Les Inuits du Labrador méridional face à l'exploitation canadienne et française des pêcheries (1700-1760) », dans Revue d’histoire de l’Amérique française, Vol. 31, No 4, 1978, pp. 481-499.

TRUDEL, François, « ‘Mais ils ont si peu de besoins’ : Les Inuit de la Baie d’Ungava et la traite de Fort Chimo, 1830-1843 », dans Anthropologie et sociétés, Vol. 15, No 1, 1991, pp. 89-124.

Il existe toujours un vaste champ de recherches historiques à explorer : celui de la rencontre entre les premiers explorateurs du Nord et les Inuit.]

Source: Louis LEJEUNE, Dictionnaire général de biographie, histoire, littérature, agriculture, commerce, industrie et des arts, sciences, mœurs, coutumes, institutions politiques et religieuses du Canada, Vol. I, Ottawa, Université d’Ottawa, 1931, 862p., pp. 602-604. 

Le lecteur est invité à lire le texte d’introduction et la mise-en-garde de l’éditeur de l’encyclopédie de l’histoire du Québec.

 

 
© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College