Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Novembre 2013

Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents

 

 

Les injures n'ont jamais rien prouvé ...

 

 

Madeleine

(Madame Wilfrid Huguenin)

 

 

 

Chronologie de la controverse sur l'Appel de la Race

 

Lorsque la REVUE MODERNE publia une critique de M. René du Roure, sur L'APPEL DE LA RACE, elle savait pertinemment que cet article ferait autorité. Elle n'imaginait cependant pas encore jusqu'à quel point il soulèverait l'ire de M. Antonio Perrault, car entre toutes les réponses que l'on a faites à une saine et juste critique, celle-là seule, vaut qu'on la relève, justement à cause de sa pauvreté.

 

M. Perrault a du talent, tout le monde le sait, aussi nous serions-nous attendus à lire de lui, une appréciation de L'APPEL DE LA RACE qui aurait établi nettement et clairement que la critique publiée dans LA REVUE MODERNE était fausse, que le livre était une oeuvre de haute valeur littéraire, et résolvait de la meilleure façon de redoutables problèmes. Au lieu de cela, M. Perrault s'oublie à injurier M. du Roure, et dans des termes tels qu'ils diminuent celui qui use de pareils procédés.

 

Nous aurions compris un tel article signé d'un tout jeune homme, mais d'un monsieur de la Société Royale, professeur de droit à l'Université de Montréal, le procédé fait plus qu'étonner, il déconcerte.

 

Un mot surtout retient l'attention. M. Perrault dit que M. du Roure a été IMPORTÉ par l'Université Laval. IMPORTÉ ! C'est magnifique de mesquinerie et d'impertinence.

 

IMPORTÉ ! Mais ne le sommes-nous pas tous, IMPORTÉS, à des années près de différence ? Et ne revendiquons-nous pas cette IMPORTATION comme notre meilleur titre de gloire ? D'ailleurs, si l'on va chercher là-bas des professeurs de littérature française, c'est que l'on a besoin d'eux, et c'est encore un honneur d'être IMPORTÉ dans de pareilles conditions.

 

Et puis, que seriez-vous, M. Perrault, que serions-nous tous, si nous n'avions pas l'IMPORTATION intellectuelle française, dont nous vivons généreusement, et sans laquelle nous tomberions vite dans le marasme ? A qui devez-vous votre propre culture ? Quels sont les auteurs qui vous ont formé ? Quels sont les maîtres qui ont façonné notre pensée, orienté nos aspirations et dominé toute notre intellectualité ?

 

Et quand on vit de l'esprit et de la culture française, quand l'on importe absolument toute sa substance intellectuelle, n'est-ce pas un acte de grossière ingratitude que de jeter le verbe IMPORTÉ à la tête d'un Français qui n'est venu ici que sur nos instances, et a fait tant et si bien que tous ceux qui se réclament de son amitié s'en trouvent honorés ?

 

M. Perrault termine son article par des invectives à M. de Montigny qui n'en aura cure, nous le savons, mais l'on sent qu'à manier le gourdin, M. le Professeur de Droit commercial à l'Université de Montréal éprouve quelque fatigue, il frappe moins fort et à côté. Il parle de tout, excepté de la beauté du roman d'Alonie de Lestres, quand il semble si facile de détruire la critique élevée contre l'APPEL DE LA RACE. Il pourrait si bien attester de ses qualités littéraires, comme de son patriotisme claironnant. Comment se fait-il qu'il abandonne carrément cette tâche tout indiquée pour insulter MM. du Roure et de Montigny qui sont tout au plus coupables d'avoir été des critiques sincères et loyaux, et de n'avoir jamais perdu de vue la dignité de leur rôle et l'importance de leur tâche.

 

La REVUE MODERNE serait heureuse d'imprimer l'article qui démontrerait, avec preuves à l'appui, que l'APPEL DE LA RACE est un livre d'une haute facture littéraire, défendant une thèse admirable avec des arguments irréfutables. Il est étrange que personne n'ait encore osé cet article qui devrait être facile. Combien plus facile semble l'injure versée à pleines colonnes ! Seulement, l'injure a toujours attesté de la faiblesse d'une cause, et rien de plus. Et vraiment Alonie de Lestres n'a pas à féliciter ceux qui rompent des lances en son honneur. Tous semblent éviter de parler de son oeuvre et préfèrent le moyen aussi vulgaire que facile d'injurier les auteurs de critiques bien pensées, justement raisonnées, et exprimées avec la plus grande courtoisie.

 

M. Perrault se trompe étrangement lorsqu'il croit détruire une argumentation précise et bien conduite sous le flot de son indignation. Ceux qui lisent apprennent à raisonner. Ils n'acceptent que des preuves et ne se paient pas de mots creux. Le seul moyen de confondre MM. du Roure et de Montigny est, répétons-le, de réfuter leur critique, et cela devrait être facile à un écrivain de la force de M. Antonio Perrault, et qui serait pénétré de la qualité littéraire de l'APPEL DE LA RACE.

 

L'on a beaucoup parlé de ce livre qui nous étonne encore par le pseudonyme qu'il affiche. Il faut que ce soit un pseudonyme, puisque l'Histoire nous apprend que Alonie de Lestres est tombé aux côtés de Dollard, au Fort Carillon, en mai 1660. Nous ne savons pas qu'il ait laissé des héritiers. De quel droit prend-on son nom à un mort aussi célèbre que celui-là ? Il y a des sépultures que nul n'a le droit de violer.

 

Laissons dormir ce mort là où il a voulu mourir en héros !

 

Et puis si ce roman tentait de reconstituer toute une époque de notre vie nationale, puisqu'on y a mentionné, dans le respect ou la réprobation [a ?] plus ou moins bien justifiés, les noms de nos célébrités politiques du temps, comment se fait-il que l'on n'y trouve pas une seule fois le nom de M. Henri Bourassa, non plus que celui de M. Olivar Asselin ?

 

Nous pouvons approuver ou répudier l'attitude politique du premier. Mais ce qu'aucun Canadien ne peut ignorer, c'est la ferveur que cet homme a mise à servir la cause de l'Ontario et à la servir au mépris de ses plus chers intérêts. Nul n'a le droit d'oublier qu'il fut toujours à la défense des droits sacrés de cette cause. Nous pouvons contester à M. Bourassa l'habileté de ses moyens. Il aurait peut-être été plus habile s'il avait été moins sincère. Mais ce que personne ne saurait oublier, c'est la persistance de ses revendications et la splendeur de son éloquence.

 

Quant au second, il détermina par sa propagande enflammée envers les Écoles françaises de l'Ontario, un courant de sympathie qui s'exprima par le « Sou de la pensée française » et, il fut le premier à prélever dans Québec un secours matériel sérieux pour aider l'Association de l'Education à poursuivre sa défense des droits du français. Bien des pages auraient gagné à être consacrées à ces faits historiques.

 

La critique de M. du Roure et de M. de Montigny portait absolument sur le livre et le procédé de répondre par des personnalités grossières, et par des insinuations de mauvais goût aux écrivains qui expriment leur opinion avec droiture et sincérité, est indigne de gens sérieux et de bonne éducation, et il est regrettable qu'un professeur d'université se soit permis un tel débordement de mots injurieux. Le moment est plus que jamais venu, pour ceux-là qui ont jusqu'ici pontifié au sein de leur petite chapelle, d'apprendre que la liberté de parler et d'écrire existe au Canada et que le droit de discussion n'y a pas encore été aboli.

Source : MADELEINE (pseudonyme de Madame Wilfrid Huguenin, née Anne-Marie Gleason), « Les injures n'ont jamais rien prouvé ... », dans la Revue moderne, février 1923, p. 7. La photo de Madeleine est tirée de son ouvrage intitulé Portraits de femmes, La Patrie, 1938, p. 106.

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