Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Février 2011

Documents of Quebec History / Documents de l'histoire du Québec

 

Le féminisme au Québec

Feminism in Québec

 

La femme doit-elle travailler ?

Si oui, quelles doivent être ses occupations ?

[1935]

S’il arrive à un connaisseur d’avoir à juger une automobile, son idée première sera d’examiner la puissance de son moteur, sa sécurité et son confort; et c’est à ce point de vue qu’il jugera de la perfection des différentes pièces. Une automobile qui ne devrait jamais affronter les périls de la route n’en serais déjà plus une.

Se pencher avec respect sur l’intelligence, la volonté, les mains et le cœur de la femme, c’est rester étonné de la perfection de ces instruments et leur capacité de travail. Vouloir en faire une poupée de salon, un instrument égoïste de plaisir, c’est imaginer une abeille faisant la grève en face d’une ruche vide, une érable qui retient sa sève, un pommier qui refuse de fleurir. Non ! si la femme est faite pour le travail ; si elle a tout ce qu’il faut pour embaumer les tâches nécessaires, utiles ou agréables, elle y trouve aussi les éléments d’une dignité qui fait son prestige.

Quant au point de vue moral, si « la paresse engendre tous les vices », il est clair que cet adage ne s’applique pas exclusivement aux hommes.

La société ne peut pas plus se passer du travail de la femme, que la terre peut dédaigner les rayons du soleil. Son utilité est sans conteste. C’est se tromper toutefois que de vouloir, bon gré mal gré, lui faire partager des besognes incompatibles avec ses forces, sa dignité, sa mission. Nous y reviendrons. N’insistons pas davantage sur cette première partie puisque tout le monde est d’accord. À quoi bon s’essouffler à enfoncer des portes ouvertes…!

Que doit-elle faire ? – Voici la question difficile… Difficile en théorie ? Non ! Difficile en pratique…

Difficile, tant les conditions présentes ont modifié le cours de la vie;

Difficile, tant les nécessités vraies ou imaginaires de l’existence ont modifié les conceptions anciennes;

Difficile, tant la manière commune de faire a influencé le jugement;

Difficile, enfin tant l’ignorance de la physiologie la plus élémentaire s’obstine à fermer les yeux sur les différences profondes qui séparent la constitution de l’homme de celle de la femme.

Pourtant, il y a tout intérêt à mettre la vérité en lumière puisque toutes les conceptions fausses, à quelque domaine qu’elles appartiennent, finissent toujours par se muer en malaises, parfois en désastres.

Ici comme ailleurs, il faut tenir compte des exceptions, – nombreuses, hélas ! – où il faut se contenter de l’hypothèse… Il y aura toujours des hommes condamnés à laver la vaisselle; tout comme il  y aura toujours des orphelines et des veuves obligées pour vivre de faire presque « n’importe quoi »! D’un autre côté, les difficultés pratique d’application ne changent rien à la thèse… « Mille difficultés ne peuvent former un doute ».

Répondons donc courageusement à la question : Que doit faire la femme ?

Tenant compte de ses aptitudes, de son tempérament, de sa constitution tant physique que morale, de ses goûts (quand ils ne sont pas faussés) : toutes choses qui expliquent et basent sa mission, nous disons que la femme est faite pour les besognes d’intérieur. Chaque fois qu’elle le peut, elle doit apprendre ou exercer son sublime rôle de gardienne et d’animatrice du foyer.

Tout de suite on va demander : À quoi sert alors toute la formation qu’on lui donne dans les écoles, les couvents et les collèges, si son rôle doit se borner à manier le balai, à faire cuire les patates ou à débarbouiller les enfants. Un parchemin d’université doit-il aller échouer au fond d’une cuisine ?

C’est avoir la vue bien faible de voir si peu … et si mal. Au-dessus du chaudron, du balai ! Éducatrice d’aujourd’hui ou de demain que personne ne peut remplacer, compagne et force du mari, conseillère des fils et des filles, cheville ouvrière du travail de l’intérieur, providence de la maison, poésie des heures tristes … la plus longue formation ne suffit pas à mettre la femme à la hauteur de ses fonctions; il lui faut encore continuer d’étudier, d’observer, de prendre conseil… Qui n’a pas lu la vie de madame Julie Lavergne, une des grandes lettrées du commencement du siècle ? Quelle mère incomparable, grâce à son grand cœur et à sa haute culture !! Si tant de foyer se désagrègent, la raison en est pour plusieurs que la femme a fait défaut…

La solution du problème est-elle le rêve d’une grand’mère se berçant au fond d’un château du moyen-âge ? Écoutons la plus haute autorité qui soit au monde. Dans son encyclique Quadragesimo anno – 1931 – S. S. le Pape Pie XI écrivait ces lignes significatives : « C’est à la maison avant tout et dans les dépendances de la maison et parmi les occupations domestiques qu’est le travail des mères de famille. »

Léon Merklen, dans une étude sur le présent sujet, commence ainsi :

« Partout où la machine s’installe, la femme prend place dans le personnel des ateliers. Ce fait, qui coïncide avec l’origine même du développement de la grande industrie en Occident, se renouvelle partout où l’industrialisme prend position. »

« Cette constatation, que nous empruntons à M. Eugène Duthoit, président des Semaines Sociales de France, vient d’être savamment et abondamment illustrée par la thèse de doctorat en droit soutenue par Mlle Mathilde Decouvelaere ».

Puis, suivent ces phrases attristées :

« La femme semblait destinée à ne pas quitter le foyer. Même mariée, elle s’évade de plus en plus du cercle de la famille et développe son activité au dehors. Dans la classe ouvrière, la mêre qui garde le foyer devient l’exception… »

Rien de surprenant donc que des réactions sérieuses se produisent un peu partout, v. g. en Italie, en France, en Allemagne, aux États-Unis. Le cri de détresse de Pierre l’Ermite en face de la désertion des campagnes Restez chez vous ! est resté le même en présence d’une désertion autrement grave : la femme au foyer. C’est partout le travail du « Retour au foyer ». La Croix de Paris écrivait dernièrement :

« Tout spécialement pour ‘le retour de la femme au foyer’, l’Union féminine et sociale a tenu en juin, à Paris, un Congrès international avec les représentants de 22 pays (européens, américains et asiatiques), du Conseil national des femmes catholiques des États-Unis et de l’Union internationale des Ligues féminines catholiques. Avec une éducation méthodique de l’esprit familial, le Congrès recommande des mesures d’ordre économique : salaire familial tenant compte des besoins nouveaux de la famille, tout au moins allocations familiales favorisant le maintien de la mère au foyer, travail à demi-temps… »

Et, pour le dire en passant, dans la crise actuelle de chômage, si toutes les femmes qui ont de l’ouvrage au foyer y restaient … comme le triste spectacle d’hommes sans travail s’améliorerait ! Qu’il est démoralisant de voir des jeunes filles appartenant à des parents à l’aise; des femmes dont les maris ont de bonnes positions, occuper des emplois qui privent des jeunes gens et des pères de famille d’un travail aussi nécessaire à leur moralité qu’à leur subsistance corporelle…!

Nous venons d’esquisser ce qui, normalement, devrait se faire. Quant aux femmes obligées de se trouver des moyens de vie, que leur conseillerait-on ? – Ce qui est le plus en harmonie avec les conditions énumérées plus haut. Le grave problème des « travaux faits au foyer et ensuite devenant des objets de commerce » se pose de plus en plus dans tous les pays : travaux utiles (tricots, couture, etc.), travaux artistiques (broderies, dentelles, peintures, etc.). Dans l’état présent, si la femme est obligée de chercher au dehors des moyens de subsistance, naturellement, elle doit aux œuvres d’enseignement, de soins des malades, de travaux manuels, dans les milieux où elle trouvera le plus possible l’atmosphère du foyer.

Il n’entre pas dans le sujet de traiter du travail des Religieuses. Mais il est à remarquer que toutes les communautés commencent toujours par créer un foyer à leurs sujets, puis à lui donner des occupations conformes à la solution donnée plus haut – éducation, soin des malades, des pauvres, des vieillards, etc.

Les autres occupations ne devront être abordées qu’exceptionnellement et avec regret, en prenant toutes les précautions voulues pour sauvegarder sa santé tant physique que morale. Parlant du travail industriel (du travail de l’usine), le même Léon Merklen fait cette observation que chacun de nous peut vérifier :

« Il est évident que le travail, parce qu’il entraîne une dépense  d’activité, occasionne une usure, mais nulle part il n’entraîne un bouleversement physique comme dans la constitution féminine. »

N’empiétons pas sur les travaux qui vont suivre. Finissons par deux citations sur le travail en général. La première est d’un économiste :

« …… À ceux dont la mission est d’enseigner de démontrer que le travail est la loi de l’homme, que l’homme n’est vraiment heureux que s’il travaille; que le plaisir n’est tel qu’à la condition d’être une récréation et non une occupation; que le plaisir lasse, fatigue et tue cent fois plus que le travail; que l’économie est moins pénible que les remords de ne l’avoir point pratiquée; qu’il est moins dur de se priver, chaque jour, d’un peu d’inutile que de se voir, un jour, privé de tout le nécessaire; qu’il est plus honnête et plus noble de travailler et d’économiser, que de mendier ou voler; que le travail et l’économie ont fait la grandeur et la richesse des peuples qui les ont pratiqués. »

L’autre citation prend la forme poétique d’un sonnet de Sully Prudhomme, sonnet intitulé Le temps perdu.

Si peu d’œuvres par tant de fatigues et d’ennui !

De stériles soucis notre journée est pleine,

Leur meute, sans pitié, nous chasse à perdre haleine,

Nous pousse, nous dévore, et l’heure utile a fui !...

« Demain ! j’irai demain voir ce pauvre chez lui,

Demain je reprendrai ce livre ouvert à peine,

Demain je te dirai, mon âme, où je te mène,

Demain je serai juste et fort … Pas aujourd’hui. »

Aujourd’hui, que de soins, de pas, de visites !

Oh ! l’implacable essaim des devoirs parasites

Qui pullulent autour de nos tasses de thé !

Ainsi chôme le cœur, la pensée et le livre,

Et, pendant qu’on se tue à différer de vivre,

Le vrai devoir dans l’ombre attend la volonté

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Source : Émile DUSSAULT (ptre), « Causerie de la semaine : La femme doit-elle travailler ? Si oui, quelles doivent être ses occupations ? », dans Semaine religieuse de Québec, Vol. 47, 16 mai, No 37, (1934-35) : 580-585.

 
© 2011 Claude Bélanger, Marianopolis College