Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Novembre 2013

Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents

 

 

M. Louvigny de Montigny et l'Appel de la Race

 

 

Ferdinand Bélanger

 

 

Chronologie de la controverse sur l'Appel de la Race

 

M. Louvigny de Montigny relativement jeune par sa manière d'écrire, est l'un de ses écrivains considérables dont nos manuels d'histoire de la littérature canadienne ne parleront pas, parce que tous les manuels sont arbitraires, injustes et mal bâtis. M. de Montigny n'en a pas moins commis, en 1916, un volume important sur une matière considérable – La Langue Française au Canada – et depuis plusieurs préfaces d'énorme intérêt.

 

Il a ensuite, et c'est son moindre mérite, découvert, comme beaucoup de gens depuis, mais avant eux, le Maria Chapdelaine de Louis Hémon. Les pages qu'il écrivit alors pour formuler en préface, sur le désir de la famille Hémon, les raisons qui lui avaient fait solliciter l'autorisation d'éditer Maria Chapdelaine au Canada ne le cèdent qu'à l'Avant-Propos qu'il plaçait en tête de La Langue Française au Canada. Disons ici que ce dernier volume n'a pas eu tout le succès qu'il méritait et que l'indifférence de notre public pour des oeuvres de cette profondeur philosophique [nous peinent ?] profondément.

 

M. de Montigny est un écrivain de haute volée, d'une allure impeccablement classique, d'un style alerte et nu, volontairement concis et serré. Sa prose se pare de la plus grande simplicité; pas un mot rare ou recherché; les expressions que tout le monde emploie mais agencées par un maître; et toujours une harmonie suave, musique capable de dérider les plus moroses. Cette prose ne revêt jamais, d'ailleurs, que des idées pondérées, pacifiques, gracieuses; et l'auteur est bien le dernier dévot dans l'âme duquel pourrait pénétrer quelque fiel. D'autant qu'on reconnaît dans ses oeuvres « cette exacte modestie, une connaissance de ses propres limites, que le vulgaire attribue à la médiocrité, et qui dépendent, au contraire, d'un génie subtil et délié ». Enfin le petit nombre des connaisseurs qui n'ignorent pas le peu d'autorité d'un Alonié de Lestres ou d'un abbé Groulx, se délectent, paraît-il, dans les pages de cet écrivain qui promet. Nous regrettons vraiment de n'avoir pas la compétence nécessaire pour le goûter à plein, mais nous nous efforçons de lui rendre justice. Voici d'ailleurs un exemple qui marque bien cette simplicité d'expressions et de cette modération d'idées de notre auteur; « Une critique, écrit-il – Avant-Propos de La Langue Française au Canada – vigoureuse, acerbe, acidulée, déchirante, à la saumure, à la cantharide, au vitriol, au picrate, à la mélinite, voire au tomahawk, n'est pas pour me désobliger. Hélas ! il y a déjà jolie lurrette [sic] que j'ai passé l'âge à qui les coupeurs d'oreilles sont un épouvantement! Le volètement des chauves-souris de sacristie n'effarouchera pas davantage ma conscience, ni ne la dévoiera; pas davantage ne m'épeureront les clappements de bec des hiboux que la lumière fait boubouler et dont le chuintement sinistre d'oiseaux ténébreux clangore en cris de Pierre l'Ermite, à ce qu'ils s'imaginent, mais plus réellement en criailleries zigzaguantes de jars capitolins flairant à temps perdu, quelque nouveau Capitole à sauver ».

 

L'appel de la race

 

M. de Montigny vient de publier dans un magazine de Montréal une étude approfondie du malheureux roman l'Appel de la race. Après avoir hésité un moment, crainte à contribuer à répandre un mauvais livre qui sans lui courait le risque d'avoir le sort de La Langue française au Canada, M. de Montigny est passé outre avec l'intention droite et très pure d'éclairer et de diriger l'opinion des lecteurs de bons livres, de préfaces aimables et d'avant-propos paisibles. C'était vraiment à son tour, et on ne lui reprochera pas « d'avoir lancé – comme il écrit placidement avec une simplicité attique – une fusée ravageuse dans l'aérostat, gonflé par l'unanime béotisme québécois, qui allait élever Alonié de Lestres jusqu'à la lune, voire jusqu'au grand prix David et lui décrocher la consécration officielle de romancier national ». M. de Montigny ne recule pas devant un devoir et si jamais le jury du prix David s'égare jusqu'à couronner des oeuvres de nulle importance, il ne sera pour rien dans le couronnement ou dans ces oeuvres.

 

Ce zèle nous plaît, et nous prions nos lecteurs de le remarquer. Qu'ils admirent M. de Montigny pour sa bonne action. S'ils lisent jamais la critique littéraire d'une si sobre élégance, de ton si détaché, que ce dernier consacre à L'Appel de la Race, et au mécréant Alonié de Lestres, ils sentiront, comme nous-mêmes, nous voulons l'espérer, combien l'auteur a du se faire effort pour écrire sur l'abbé Groulx, – il le suppose du moins – son confrère à la Société Royale – saura-t-on jamais par quelle erreur – des remarques, du reste, les plus débonnaires du monde.

 

Le Lantagnac d'Alonié de Lestres, en effet, a oublié sa langue maternelle. Cela peine M. de Montigny. Il écrit : « Il se peut qu'en surchargeant de ce reniement le caractère de son héros, le romancier n'ait eu d'autre dessein que d'amplifier la puissance de l'appel auquel répondra Lantagnac. Personne ne contestera que comme pavé d'ours, ce soit réussi. L'ours, cependant, ne saurait être accusé que de lourdeur de patte. Moins excusable est l'écrivain qui se donne la posture d'écouter à la porte d'un foyer et de s'accaparer des chicanes domestiques pour en agrémenter, son affabulation. Voilà bien ce qu'a fait Alonié de Lestres, et cela s'appelle, proprement, une malpropreté ? »

 

Ne goûtez-vous pas ce ton académique poli et si courtois ? C'est un régal.

 

 

Un bon tour

 

Mais il faut vous révéler un joli tour que M. de Montigny se permet de jouer au romancier de L'Appel de la Race. Il dit, dans sa critique : « On sait communément que l'auteur de L'Appel de la Race est un prêtre, que ce prêtre est professeur d'histoire à l'Université de Montréal, que ce professeur d'histoire se fait remarquer par le parti-pris nationaliste dont il imprègne son enseignement. »

 

«Il est de convention de ne pas désigner, publiquement du moins, l'auteur d'un livre par un autre nom que celui dont ce livre est signé. Dans ce cas-ci, le nom véritable de l'auteur est tellement familier qu'on le cite naturellement et de préférence au pseudonyme. C'est ainsi que, dans la récente analyse qu'elles en ont publiée, les Annales de l'Institut Canadien-français d'Ottawa ont sans malice attribué ce roman à l'abbé Lionel Groulx. Ni l'abbé Groulx, ni M. de Lestres n'ont protesté. Tant et si bien qu'il serait comique d'en [sic] ignorer plus longtemps. »

 

Or pour saisir toute la saveur de cette indiscrétion, il faut savoir que M. de Montigny est grand manitou aux Annales, ce qui explique que ces dernières soient sans malice pour l'abbé Groulx ou de Lestres.

 

 

Les orangistes

 

Enfin M. de Montigny craint beaucoup que les orangistes n'appuient leur campagne anti-française et anti-catholique sur les portraits tracés dans L'Appel de la Race du Père Fabien et de Lantagnac.

 

« Car cette étude de moeurs, de par la personnalité de son auteur, justifiera à loisir les accusations que l'on adresse volontiers à nos représentants politiques de se laisser conduire aveuglément par leurs prêtres, de suivre un programme de vie publique dicté par eux, de subordonner les intérêts de l'Etat aux exigences de leur église, de subir l'influence cléricale jusque dans la destruction de la famille. »

 

Mais ici, le caractère très pacifique de notre critique à l'égard des ennemis de notre langue et de notre foi le porte peut être très innocemment plus que de raison. Au vrai, M. de Montigny, à Ottawa, montre une crainte que MM. Taschereau et David ne laissèrent pas apercevoir à Toronto même; affaire de tempérament.

 

 

Conclusion

 

A la fin l'auteur de La Langue française au Canada et de plusieurs préfaces d'un énorme intérêt, malgré ses idées très larges et bien connues, et sa modération jamais assez prônée, place carrément L'Appel de la Race « à l'index des ouvrages qui dégradent une littérature ». Au Panthéon littéraire, Alonié de Lestres se tiendra sur le seuil avec Georges Ohnet et Ponson du Terrail si la postérité entend mieux la critique de M. de Montigny que ses contemporains n'ont goûté La Langue française au Canada.

 

Félicitons de son courage ce psycho-pompe si retenu de ton, si ferme et si juste dans les idées et formons le voeu discret qu'un jury intelligent lui décerne un jour pour ses préfaces et avant-propos considérables le prix David.

 

Il ne l'aura pas volé.

 

Source : Ferdinand BÉLANGER, « M. Louvigny de Montigny », dans l'Action catholique, 23 janvier 1923, p. 3

 

Retour à la page de la controverse sur l'Appel de la Race

 

 
© 2013 Claude Bélanger, Marianopolis College