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Le plébiscite de Terre-Neuve

 

Un résultat qui pose plusieurs problèmes - Que valent les offres d'Ottawa? - Les électeurs du Québec peuvent contribuer demain à dissiper tout malentendu

 

[Pour la source de ce texte, voir la fin du document.]

Les électeurs de Terre-Neuve se sont prononcés en principe pour l'entrée dans la Confédération canadienne, mais par une très faible majorité. Des résultats à peu près complets donnent 51.9% en faveur du rattachement au Canada, et donc un peu plus de 48% contre. Ce quasi-équilibre reflète d»'autant mieux l'opinion que le vote a été fort élevé, environ 85% des 176,000 électeurs ayant voté. L'on ne peut donc pas affirmer que la population est franchement favorable à l'annexion à notre pays.

 

Quoi qu'il en soit, les partisans de la Confédération voient dans ce résultat une victoire et comptent bien mener à bonne fin les négociations avec Ottawa. Les offres déjà faites par notre gouvernement fédéral indiquent que les dirigeants canadiens souhaitent cette annexion qui du point de vue géographique serait un complément normal à notre territoire. D'autant plus que l'alternative pourrait être le rattachement d'une façon ou d'une autre aux États-Unis, ce qui serait de nature à augmenter l'influence de la grande puissance sur notre pays.

 

Mais l'invitation canadienne n'a pas soulevé beaucoup d'enthousiasme et l'on peut dire que le vote de jeudi rendra les négociations très difficiles et délicates. Les partisans de la Confédérations ont d'ailleurs obtenu ce mince succès en promettant de ne pas accepter telles quelles les conditions d'Ottawa mais de s'en servir pour obtenir davantage. D'autre part on peut se demander ce que le gouvernement canadien pourrait bien offrir de plus.

 

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La faiblesse de la majorité en faveur de l'annexion complique un problème politique que les adversaires du projet se sont empressés de souligner. La Ligue pour le Gouvernement responsable, qui groupait les partisans de l'indépendance, affirme que des négociations avec le Canada ne pourraient être conduites validement que par un gouvernement régulièrement élu à cette fin.

 

La Commission qui administre Terre-Neuve, dit la Ligue, a subi un échec au premier plébiscite, et elle a cessé d'être un arbitre impartial depuis que certains de ses membres ont fait campagne pour l'annexion; seule une majorité parlementaire ayant un mandat populaire de négocier avec le gouvernement canadien pourrait traiter avec Ottawa sans risquer des difficultés pour l'avenir.

 

C'est là sans doute un problème politique qui concerne les gens de Terre-Neuve, mais qui nous intéresse aussi car une association dont la procédure serait contestée par les représentants de 48% des électeurs ne serait guère propice à une future « unité nationale ». Les partisans de l'annexion dirait peut-être que ce serait recommencer le plébiscite, mais la faiblesse de la majorité, l'argument qu'aucun projet considéré comme définitif n'a été soumis aux électeurs, et d'autres objections provoquées par la campagne du plébiscite doivent nous rendre prudents sur la valeur du mandat qu'ont obtenu jeudi les autorités actuelles de Terre-Neuve.

 

Car, ainsi que la Ligue du Gouvernement responsable le fait remarquer, l'entrée dans la Confédération modifierait irrévocablement le statut politique du petit État, de sorte qu'avant de faire le pas décisif il convient que l'opinion du pays soit bien clairement exprimée en faveur d'un projet précis.

 

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Cela nous amène à un autre problème de juridiction qui se pose du côté canadien. Tous les observateurs sont d'accord pour affirmer que la faible majorité de jeudi n'a été obtenue que par l'attrait des avantages financiers. Dans ce domaine les promesses d'Ottawa sont de deux ordres. D'abord des gains personnels immédiats comme les pensions de vieillesse et les allocations familiales, et pour l'ensemble du petit pays les subsides fédéraux offerts en échange de droits provinciaux cédés à Ottawa.

 

Lors de la Confédération les provinces ont cédé au pouvoir fédéral certains droits, notamment les douanes, ce que ferait Terre-Neuve. Mais ce sont surtout les subsides nouveaux qui intéressent le trésor terreneuvien, ceux qui correspondent à la cession des pouvoirs de taxation que possèdent les provinces canadiennes dans le cadre de la Constitution de 1867.

 

Tout ce qu'Ottawa peut validement offrir à Terre-Neuve c'est la Constitution de 1867 avec les amendements déjà adoptés. Or cela Terre-Neuve n'en voudrait pas plus aujourd'hui qu'autrefois. Les accords négociés entre le gouvernement fédéral et sept des provinces sont de caractère provisoire; les deux principales provinces canadiennes, qui comportent les deux tiers de l'électorat du pays, sont hostiles à ces accords, et les ont dénoncés jusqu'ici comme des abus de pouvoir, des atteintes illégales à l'autonomie provinciale. Bien plus, les gouvernements de trois des sept provinces signataires ont accepté ces accords parce qu'ils y étaient contraints et en dénonçant les manouvres centralisatrices fédérales, et le premier ministre de la Colombie canadienne a dit carrément qu'il regrette d'avoir signé.

 

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Que peut valoir pour Terre-Neuve un accord négocié dans ces conditions? À l'expiration des ententes provisoires, elles pourraient être remplacées par d'autres, elles pourront faire place à une nouvelle redistribution des pouvoirs de taxation, à un aménagement tout autre des relations fédérales-provinciales. Terre-Neuve n'aurait alors en mains qu'un contrat sans valeur; ayant cessé d'être une puissance complètement souveraine, elle ne pourrait choisir qu'entre le vieux statut constitutionnel dont elle n'a jamais voulu, et le nouveau qui ne ferait peut-être pas son affaire.

 

Pour entrer dans la Confédération à ses propres conditions Terre-Neuve devra négocier non seulement avec Ottawa qui ne peut lui livrer ce qu'il lui fait entrevoir, mais provoquer en quelque sorte un nouvel accord entre Ottawa et toutes les provinces. Ce n'est que dans le cadre d'une entente générale et acceptée par toutes les parties que Terre-Neuve serait assurée de recevoir vraiment ce que le gouvernement canadien lui « offre ».

 

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L'on peut voir par là que l'élection de demain dans notre province pourra avoir un effet notable sur les démarches en vue de l'annexion de Terre-Neuve. Si notre province, après l'Ontario, réaffirme sa détermination de ne pas laisser le gouvernement fédéral supprimer son autonomie fiscale, les promesses du gouvernement canadien aux chefs politiques de Terre-Neuve auront d'autant moins de chance de les induire en erreur.

 

Ce serait là non seulement contribuer à une meilleure harmonie au Canada en empêchant qu'une dixième province y soit attirée sous de fausses représentations, mais ce serait aussi empêcher que le gouvernement d'Ottawa puisse se servir d'un contrat illégal avec Terre-Neuve pour mieux forcer la main aux provinces, et comme d'une arme de plus dans son offensive centralisatrice.

 

Source  : Paul SAURIOL, « Le plébiscite de Terre-Neuve », dans Le Devoir, 27 juillet 1948, p. 1.

 

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© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College