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Les offres du Canada à Terre-Neuve et la protestation

  de M. Duplessis

 

Québec aurait dû faire entendre sa voix sans attendre qu'on le consultât - Le cas du Labrador et celui de la ville de Hull

 

[Pour la source de ce texte, voir la fin du document.]

Le gouvernement canadien a fait connaître à la fin de la semaine dernière les offres qu'il avait adressées à Terre-Neuve en l'invitant à entrer dans la Confédération. Ces offres, qui sont généreuses comme on pouvait le prévoir, mais qui ne paraissent pas déraisonnables dans l'ensemble, comportent la reconnaissance du jugement du Conseil privé qui a dépouillé la province de Québec du territoire du Labrador pour l'annexer à Terre-Neuve. Pour autant qu'il en dépend de notre gouvernement fédéral, la vieille colonie du golfe Saint-Laurent est admise comme dixième province de la Confédération et l'affaire du Labrador est définitivement réglée au détriment du Québec.

 

La décision appartient maintenant aux gens de Terre-Neuve. Il ne faudrait pas croire à l'entrée imminente de Terre-Neuve dans la Confédération. Les partisans d'un gouvernement autonome paraissent au moins aussi nombreux et aussi résolus que ceux de l'union au Canada. Ils peuvent exploiter le vieux sentiment insulaire et autonomiste qui l'a emporté depuis 1867. Aux partisans de l'union qui invoqueront les bénéfices que la population devrait retirer de nos lois sociales comme les pensions de vieillesse et les allocations familiales, les partisans du gouvernement autonome pourront répondre en soulignant le fait que les taxes sont beaucoup plus élevées au Canada que dans l'île.

 

Nous croyons que Terre-Neuve finira éventuellement par s'unir au Canada parce que c'est là une solution que paraît désirer la Grande-Bretagne qui saura bien prendre les moyens de la faire prévaloir. La Grande Bretagne ne tient apparemment plus à conserver une colonie qui représente normalement un fardeau au point de vue économique, mais elle ne saurait accepter le risque que Terre-Neuve en soit un jour réduite par suite de difficultés financières à sortir du Commonwealth pour se jeter dans les bras des États-Unis. On aura d'ailleurs remarqué en parcourant les offres du gouvernement canadien qu'il est prêt à se charger de la partie de la dette de Terre-Neuve qui est garantie par le gouvernement du Royaume-Uni : c'est là un détail significatif.

 

Il se pourrait bien cependant que l'union de Terre-Neuve au Canada soit précédée d'une période plus ou moins longue de gouvernement autonome qui servirait en quelque sorte de transition. Certains chefs de l'opinion terre-neuvienne envisagent le rétablissement du gouvernement responsable comme un moyen de négocier sur un pied d'égalité avec le Canada et d'obtenir ainsi des conditions encore plus avantageuses.

 

Si Terre-Neuve rejetait pour le moment l'offre du gouvernement canadien, le Québec pourrait tenter un ultime effort afin de recouvrer le Labrador. Il ne pourrait le faire que par voie d'acquisition avec l'appui moral et financier du gouvernement fédéral. On peut maintenant prendre pour acquis qu'Ottawa n'endossera jamais nos réclamations sur le Labrador, pas plus sur le terrain politique que sur le terrain juridique, de peur de s'aliéner l'opinion de Terre-Neuve et de la détourner définitivement de l'union au Canada. Il ne serait même pas facile de convaincre le gouvernement fédéral de l'intérêt qu'il aurait alors d'acquérir un territoire qui resterait pour le moment en dehors de la frontière canadienne mais qui constituerait une dépendance d'une dixième province éventuelle.

 

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Le premier ministre de la province de Québec, M. Maurice Duplessis, a protesté contre l'acte posé par le gouvernement fédéral en invitant Terre-Neuve à entrer dans la Confédération sans consulter les neuf provinces existantes. Il a parfaitement raison de soutenir que notre province était particulièrement intéressée dans cette affaire. Sa protestation n'en apparaît pas moins aussi platonique que tardive. Elle lui fournira un grief de plus à exploiter contre le gouvernement libéral d'Ottawa, mais elle ne nous rendra pas le Labrador ni aucune parcelle de ce vaste territoire.

 

La prudence la plus élémentaire commandait au premier ministre de notre province de faire entendre la voix du Québec sans attendre qu'on vienne le consulter. Le risque que l'on décide de procéder sans le consulter était trop grand. Il y a des années que l'on adjure M. Duplessis - et le Devoir est revenu plusieurs fois à la charge - de faire valoir les réclamations du Québec sur le Labrador et de les invoquer dans les négociations fédérales-provinciales. Il y a près d'un an que le problème est devenu urgent puisque la Convention nationale de Terre-Neuve siégeait pour décider du sort de l'île, il y a plusieurs mois que cette urgence s'imposait à l'attention de tous puisque les négociations étaient en cours entre les délégués de cette Convention et les représentants du gouvernement fédéral. D'après la déclaration de M. Saint-Laurent - qui n'a pas encore été contredite - la seule communication de M. Duplessis au gouvernement fédéral portait simplement sur la délimitation de la frontière entre le Labrador terre-neuvien et le Québec.

 

Si M. Duplessis avait été consulté par le gouvernement fédéral, qu'est-ce qu'il aurait répondu? Voilà ce que l'opinion québécoise serait bien aise de connaître. Depuis trois ans qu'il est au pouvoir, M. Duplessis ne s'est pas plus intéressé à la question du Labrador que M. Godbout avant lui. Sa politique - si tant est qu'il en ait une - paraît se limiter à tenter, lors de l'arpentage et de la délimitation de la frontière, d'obtenir une tranche supplémentaire du bassin minier qu'il a concédé à Hollinger.

 

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Il est beau de poser au champion de l'autonomie provinciale et des intérêts du Québec. Il est beau de faire de grands discours pour dénoncer les empiètements du gouvernement fédéral, mais il est plus méritoire et plus efficace d'agir pour prévenir ces empiètements. Il n'est pas très pratique de tourner le dos et d'attendre que le coffre-fort soit vidé pour crier au voleur.

 

Le gouvernement fédéral a négocié avec les représentants de Terre-Neuve sans se soucier des intérêts du Québec. Quelles mesures le gouvernement de Québec a-t-il prises pour se tenir au courant de ce qui se passait et pour défendre ces intérêts?

 

Le gouvernement fédéral a décidé d'englober la ville de Hull et toute la région environnante dans un vaste plan d'embellissement de la capitale fédérale. Ce plan reste encore mystérieux, mais on a déjà procédé à d'importantes expropriations en territoire québécois. Quelles mesures le gouvernement de Québec a-t-il prises pour se renseigner sur les projets du gouvernement fédéral et pour sauvegarder les intérêts provinciaux et municipaux dont il a la garde?

 

Nous avons perdu le vaste et riche territoire inhabité du Labrador. Perdrons-nous également l'un de ces quatre matins le territoire restreint mais densément peuplé de Hull qui aura été lentement englobé, en fait sinon en droit, dans une sorte de district fédéral?

 

Source : Pierre VIGEANT, « Les offres du Canada à T.-Neuve et la protestation de M. Duplessis », Le Devoir , 11 novembre 1947, p. 1.

 

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© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College