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About Claude Bélanger

Terre-Neuve-Canada

   

 

[Pour la source de ce texte, voir la fin du document.]

 

DÈS L'ANNONCE d'un prochain remaniement du statut politique de Terre-Neuve, RELATIONS mit ses lecteurs au courant de la situation scolaire et des tendances politiques chez nos voisins (voir RELATIONS, février et mars 1946). Aujourd'hui que les délégués de Terre-Neuve ont remis leurs propositions à notre gouvernement fédéral, deux problèmes, entre autres, nous intéressent plus immédiatement: le religieux et le national. Nous les rejoignons tous deux par le problème scolaire.

 

Terre-Neuve est un pays à population religieuse, dont plus du tiers est catholique. La distribution géographique de la population présente elle-même un aspect nettement confessionnel. De là un système d'écoles selon les religions. C'est, comme chez nous, le fruit d'une longue expérience, la résultante des faits plus que la conclusion d'une théorie. « Notre système scolaire est tel, disent-ils, parce qu'il nous convient, vu les circonstances dans lesquelles nous vivons. »

 

Sur le plan local, les paroisses catholiques et les congrégations protestantes (conseils scolaires locaux) organisent leurs écoles que subventionne le gouvernement. Pour assurer la distribution équitable des octrois, la surveillance et la coordination opportune de l'éducation sur le plan provincial, existent un Conseil d'Éducation et son département. Le Conseil se compose d'un commissaire de l'éducation (surintendant) et d'un secrétaire du département ainsi que de quatre officiers représentant chacun son Église. Le département n'agit que selon les directives (approbations et orientations) du conseil.

 

Ce système est donc conforme au droit naturel et même à la législation ecclésiastique: les parents chrétiens dirigent leurs écoles avec le concours de l'Église et de l'État. Or, en plus d'être juste, le système est économique. L'étude a prouvé que loin de provoquer un dédoublement des services, le régime confessionnel favorise à Terre-Neuve un groupement administratif aussi efficace qu'opportun. « A tout prendre, concluent les Terre-Neuviens, on doit dire que l'éducation que pourrait dispenser chez nous un enseignement sécularisé (neutre), le système confessionnel l'assure, et beaucoup plus économiquement. »

 

Voilà donc un patrimoine que tous les Terre-Neuviens voudront préserver en entrant dans la Confédération; il y va de leur intérêt. L'élite et la hiérarchie catholiques de Terre-Neuve, pour leur part, y auront donc vu et depuis longtemps, puisque pour les catholiques c'est de plus un devoir de conscience. De là aussi pour tous les catholiques du Canada l'obligation d'user de leur influence en faveur de leurs coreligionnaires.

 

Ce premier problème, le religieux, comporte encore un aspect juridique qui intéresse les provinces canadiennes - donc la nôtre - et tous les citoyens.

 

En effet, le droit constitutionnel anglais n'est pas seulement écrit. Il évolue toujours sous la poussée de la coutume ou des précédents. Qu'une province nouvelle s'unisse à la Confédération sans conserver toute son autonomie en éducation ou sans garantir à ses minorités tous les droits acquis, voilà une entente qui modifierait dès maintenant les pouvoirs de l'autorité fédérale, un précédent qui influencerait profondément l'évolution générale de la Confédération à l'encontre du pacte originel et malgré les vieilles provinces. C'est donc bien le pacte fédératif qui est en jeu à l'occasion de la venue de Terre-Neuve. Aussi les provinces ont-elles le droit d'être informées et à temps des tractations en cours. Elles ont le droit et le devoir d'intervenir et d'obtenir que les droits des minorités soient parfaitement garantis, que l'autonomie scolaire provinciale soit parfaitement conservée.

 

L'existence de ces droits des minorités et des provinces comporte pour les députés et ministres fédéraux un devoir correspondant. En la matière qui nous occupe, quelles que soient les étiquettes politiques, une seule attitude est canadienne et s'impose à tous: le respect des droits.

 

Il est à noter cependant qu'on peut tenter de faire brèche, comme à l'ordinaire, sur un terrain caché: celui de la finance.

 

Ébranlée dans son économie par une participation disproportionnée à la première grande guerre, Terre-Neuve n'a pu faire face aux difficultés des années de dépression. Le développement scolaire en souffrit beaucoup. Les récentes années de guerre ont déclenché, au contraire, une prospérité à tout le moins temporaire. La Commission d'administration a donc consenti en 1944 des « augmentations substantielles » au personnel enseignant, mais n'a jamais péché par excès de générosité pour le développement d'ensemble de l'organisation scolaire. Elle veilla avant tout à payer les créanciers; puis à accumuler un surplus (atteignant vingt-cinq millions en 1946), qui prêtât bonne figure au pays pour les tractations dès lors prévues avec le Canada.

 

De la part de Terre-Neuve comme du fédéral, la tentation peut donc exister, une fois certains articles généraux d'autonomie assurés, de vouloir établir une clause de subsides fédéraux en éducation. Les besoins éducationnels sont réels, mais la nécessité de subsides fédéraux n'est qu'apparente. C'est aux provinces de veiller et de s'opposer à pareil trucage; il y va aussi de la loyauté des autorités fédérales.

 

Qu'on laisse Terre-Neuve utiliser ses surplus actuels (en tout ou en partie) et son essor scolaire sera assuré; ou bien que l'autorité centrale ait la décence de lui laisser les sources de revenus (tarifs ou taxes) jugées nécessaires non seulement pour le maintien mais pour l'épanouissement de son système scolaire. Là réside la vraie solution, conforme à une saine administration et aux circonstances fédératives canadiennes.

 

Les provinces canadiennes ont le droit et le devoir d'intervenir sur ce point, on l'a vu. Par ailleurs, puisqu'en matière de subsides fédéraux ce serait les citoyens des vieilles provinces qui feraient les frais, ils ont un nouveau motif d'être écoutés. Aussi, dans le cas où Terre-Neuve ne pourrait à la fois éduquer ses enfants et vivre sans subsides, mieux vaudrait, pour dégrever son budget (et c'est aussi facile), payer pour ses édifices publics ou ses aqueducs ou ses ports ou ses routes, même en aboutissant à leur contrôle, que de financer l'éducation et d'en venir à s'ingérer indûment dans l'éducation de ses enfants.

 

Le second problème, le national, provient de la présence à Terre-Neuve de nombreux milliers de citoyens d'origine française, très souvent groupés.

 

Ces citoyens d'origine française entreront par la Confédération dans un pays bilingue où leur langue d'origine a déjà droit de cité. La majorité d'entre eux, d'origine acadienne, respirera à nouveau l'atmosphère française du pays d'Évangéline. Il est normal et à prévoir que, une fois réalisée l'union confédérative, les contacts avec la population française des Maritimes et du Québec vont se multiplier, que cette population d'origine française va augmenter par elle-même et par apports, qu'elle voudra vivre sa vie française dans tout son épanouissement.

 

Le problème national aujourd'hui existant, quoique voilé, se posera donc un jour ou l'autre de façon aiguë. D'autant plus que la constitution fédérale qui garantit à tous les citoyens canadiens l'usage de la langue française pour les tribunaux et les lois, garantit en même temps l'étude de cette langue, condition de jouissance et de conservation de ce droit.

 

Près de cinquante ans se sont écoulés depuis la dernière entrée d'une province dans la Confédération. Tous les Canadiens ont vécu pendant ce temps de douloureuses expériences provoquées par l'opposition de poignées de fanatiques, à l'épanouissement de notre culture au pays. Des clauses trop sommaires, des garanties insuffisantes, entre autres causes, rendaient possible le jeu de l'oppression. Mais tous les Canadiens, depuis, ont mieux compris et s'efforcent, d'un océan à l'autre, de remédier chaque jour davantage aux incompréhensions passées. Tous, Anglais et Français, veulent désor­mais un Canada à la fois plus riche par sa diversité de culture et par là plus uni.

 

L'occasion n'est-elle pas toute trouvée de consacrer ces attitudes générales véritablement canadiennes dans des textes et de régler parfaitement, à l'avance, cette fois, une si importante question ? D'ailleurs le système de Terre-Neuve s'y prête admirablement: la population d'origine française organiserait par elle-même ses écoles et celles-ci recevraient alors les octrois ordinaires du gouvernement.

 

Cette question intéresse les Acadiens des Maritimes et les Canadiens français de tout le pays. Nos députés et ministres provinciaux et fédéraux devraient ne faire qu'un seul corps sur ce sujet. Les partis n'existent plus lorsque l'éducation est en jeu. D'autant plus que Terre-Neuve et la majorité anglaise du Canada inclinent aujourd'hui en ce sens. C'est le temps pour les citoyens et leurs représentants de prévoir et d'agir.

 

Dès 1946, une Terre-Neuvienne de marque, elle­même d'origine française, résumait pour sa patrie la situation.

« Terre-Neuve n'est pas seulement une bande de territoire à marchander. Ce n'est pas seulement une poignée d'hommes, de femmes et d'enfants disséminés sur une âpre côte et qui arrachent leur subsistance à une terre têtue, à une mer furieuse. C'est un être vivant, un peuple qui a sa tradition, une patrie bâtie dans l'adversité, à laquelle on s'est cramponné, pour laquelle on s'est battu, une patrie bien-aimée. Et ce n'est qu'en restant nous-mêmes que nous édifierons un avenir dont nous serons fiers. Nous devons apprendre à tirer le maximum de nos ressources naturelles et hu­maines, à conserver nos traditions, à élaborer une pensée plus constructive et à consacrer à la grandeur de notre patrie chaque once d'énergie que nous possédons. La question de l'union confédérative (si elle atteint l'étape des négociations) ne sera pas une affaire de charité, mais un marché conclu entre peuples libres; et le résultat dépendra en grande partie des conditions qu'on y posera. Il se peut que l'Acte de l'Amérique du Nord britannique contienne des dispositions plus souples que certains ne sont enclins à le croire. Si nous choisissons d'entrer dans la Confédération et si le Canada trouve bon de nous y admettre, nous n'entrerons pas comme des mendiants, le chapeau à la main, mais comme un peuple déterminé à partager les bénéfices d'une plus grande patrie; dis­posé aussi, parce que capable et désireux de le faire, à contribuer par ses ressources et par sa qualité humaine à la vie nationale, à l'édification d'un Canada plus vaste et plus fort. »

 

Assurer d'une part l'autonomie parfaite de Terre­Neuve en éducation et garantir les droits des minorités religieuses, obtenir d'autre part pour la minorité française la liberté scolaire auquel elle aura droit, voilà deux objectifs non seulement catholiques ou français mais canadiens. Nous jugerons nos députés provinciaux et fédéraux à l'efficacité de leur action en ce sens, en dehors de toute agitation politique partisane. La Providence qui, par delà les menées humaines, a ses vues, aura confié la plus haute responsabilité de l'ouvre à un Canadien français, premier ministre actif de son pays. La tâche est pour le moins à la taille de l'avocat, de l'administrateur et du diplomate.

 

Source  : Paul-Émile BEAUDOIN, s.j., « Terre-Neuve-Canada », dans Relations , Vol. 8, No 95 (novembre 1948) : 315-317.

 

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© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College