Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Juin 2005

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Horatio Walker

(1858-1938)

Quatrième partie

 

[Ce texte a été rédigé en 1938 par Paul Lavoie. Pour la référence exacte, voir la fin du document.]

Sans doute, ses toiles présentent toutes - comme le note F. Newlin Price - des qualités identiques. Elles nous disent la rude existence de l'habitant qui vit entouré de paysages grandioses; elles montrent des animaux lourds de forme, et parfois mal faits, qui sont les amis de l'homme et qui travaillent avec lui à ramasser le combustible nécessaire pour la froide saison. Si vous n'aimez pas les petites gens et les magnifiques bêtes de la création, les animaux aux membres forts, solides plutôt qu'élégants, vous ne pouvez pas goûter ces beaux tableaux. Les scènes qu'ils représentent sont tirées de l'essence même de la vie. Alors que le jour décline et que sa journée est finie, l'habitant et son cheval s'en reviennent, d'un pas fatigué, au lieu du repos: le foyer et la grange. Et le spectacle de cette vie, dure mais heureuse, vous donne une impression de lassitude à laquelle se joint une sensation de repos comme si vous aviez participé au labour de celui que vous regardez regagner sa demeure. (1)

 

Horatio Walker a vraiment "participé au labour" de ses Habitants , qu'il a immortalisés. On a rapproché son oeuvre de celle de l'Ecole de Barbizon et on l'a même surnommé le Jean-François Millet d'Amérique, allant parfois jusqu'à dire qu'il l'avait plagié. L'artiste souriait avec bonhomie lorsque des échos de ces comparaisons bien intentionnées et de ces accusations gratuites parvenaient jusqu'en sa solitude. Il avait étudié à fond, nous l'avons dit, toutes les écoles de peinture. C'est en Espagne, en Italie, en France et en Hollande qu'il s'était, jeune, livré à ses plus enthousiastes contemplations des chefs-d'oeuvre. L'Ecole de Barbizon, il l'avait analysée comme toutes les autres, mais sans s'y sentir attiré de façon particulière. Walker cependant nous confiait naguère qu'il ne fait aucun doute que les artistes subissent, souvent de façon inconsciente, l'influence des maîtres. « Rembrandt, Hobbema, les Van Dyck, Rubens, Turner et les romantiques anglais, Léonard de Vinci, Fra Angelico, Michel-Ange, Raphaël, Vélasquez, Zurbaran, Troyon, Corot, Rousseau, Millet ont exercé sur moi leur ascendant. Je ressens immensément cette action bienfaisante « (I know that I feel their power immensely) ». Des quelques maîtres qu'il se choisit et dont il s'assimila, sans en être l'esclave, la technique, il aimait le brillant du coloris, la qualité du dessin, la profondeur et la vérité du sentiment. C'est ainsi qu'il sut se créer, peu à peu, par un effort soutenu d'intelligence et de volonté, un art très personnel dont l'attrait puissant et l'insigne mérite demeurèrent, en dépit d'une certaine rudesse dans les débuts, une originalité très marquée et une très grande force d'expression. « On ne peut, en réalité, le faire entrer dans aucune école précise. Il est «lui-même» avec beaucoup de soin: c'est le meilleur éloge que puisse lui faire quiconque l'a connu dans l'intimité, notait Robert-C.-A. Douteau (2).

Walker aimait à commenter, dans l'intimité de ses conversations sur l'art, cette parole de Jean-François Millet avec qui il ne se reniait pas un lien de parenté spirituelle: «Les gens de génie sont comme doués de la baguette divinatoire. Ils découvrent dans le trésor de la nature selon le tempérament de leur flair... Il faut seulement une intelligence de bonne volonté pour en emporter selon sa force» (3). Cela n'est pas de mon invention, et il y a longtemps que cette expression «le cri de la terre» est trouvé... Comme je n'ai jamais vu de ma vie autre chose que les champs, je tâche de dire comme je peux ce que j'ai vu et éprouvé quand j'y travaillais. Ceux qui voudront faire mieux ont certes la partie belle» (4). Le maître de «l'Ecole de Sainte-Pétronille-de- Beaulieu» a écrit, de son côté: «La vie pastorale du peuple de nos campagnes, le noble travail de l'Habitant, les panoramas grandioses qui l'environnent, les aspects divers de nos saisons, le calme de nos matins et la sérénité de nos soirs, le mouvement de flux et de reflux de nos marées que j'ai observé sur le rivage de mon île qui, vraiment, est le temple sacré des muses et un don des dieux aux hommes; tels sont les sujets préférés de mes tableaux. J'ai passé la plus grande partie de ma vie à essayer de peindre la poésie, les joies faciles, le rude labeur du quotidien de la vie rurale, la beauté du cadre où s'écoule l'existence paisible de l'habitant, le geste du bûcheron et du laboureur, les feux de l'aurore et du crépuscule, le chant du coq, le train-train de la basse-cour, toute l'activité qui se déploie, du matin au soir, dans les alentours de la grange" (5). Ces phrases très simples résument, mieux que tout, la carrière respective de ceux qui les ont pensées. Comme Millet, Walker, en effet, incorpore, tel qu'il le voit, l'homme à la nature, il place l'habitant dans son cadre, l'associe intimement au milieu ou il accomplit sa tâche de tous les jours. Comme Millet, Walker «tâche de faire que les choses n'aient pas l'air amalgamées au hasard et pour l'occasion, mais qu'elles aient entre elles une liaison indispensable et forcée.» Ces deux peintres de la vie rurale recherchent avant tout «le type qui est la plus puissante vérité». Ils concentrent et synthétisent. Ils amplifient leur manière pour donner un aspect d'éternité aux formes transitoires de leurs personnages en qui ils veulent résumer la race et symboliser l'humanité. Ils évitent les accessoires inutiles, ils simplifient leur facture, recherchent le minimum de moyens. Comme Millet, Walker demande à la main d'être «l'humble servante de sa pensée». Et c'est ainsi que, au cours de la vie des deux maîtres, «naît page par page», «ce poème rural à l'accent grave et profond, épopée le plus souvent, rarement idylle, consacrée uniquement à la gloire du paysan français» et de l'habitant canadien que Millet et Walker suivent «d'un coeur fraternel dans sa vie rythmée par les saisons» (6).              

 

S'il y a lieu de souligner certaines tendances et des sympathies communes chez ces deux grands artistes, leur ressemblance se limite, cependant, aux sujets de leurs tableaux. «L'art, disait Walker, c'est la vie regardée à travers un tempérament (Art is Iife seen through a temperament)». C'est vrai. Et le tempérament du maître canadien diffère en bien des points du tempérament du maître français. Ce que Millet exprime, c'est l'angoisse et, parfois, le désespoir du paysan: «Dans l'art, disait-il, il faut mettre sa peau.... Ce n'est pas une partie de plaisir, c'est un combat, c'est un engrenage qui

broie.... La douleur est peut-être ce qui fait le plus fortement exprimer les artistes». (7) Très différente est la personnalité d'Horatio Walker. Canadien de naissance, mais Anglais d'origine et à idiosyncrasie normande, fils de famille à l'aise, ayant, au surplus, toujours vécu dans un pays jeune et, aussi, beaucoup voyagé, le chantre de nos habitants a participé intimement - nous l'avons dit - à l'existence, certes très heureuse, des gens de nos campagnes. Comme eux, il est optimiste, plutôt que résigné; et à fixer sur la toile leurs simples mais nobles gestes, l'artiste apporte la même bonne humeur, le même contentement dont témoignent nos agriculteurs de race dans l'accomplissement de leurs travaux de cha­que jour. Comme ceux dont il a fait, redisons-le, les compagnons de sa vie et les collaborateurs de son oeuvre, Walker a l'âme ensoleillée. Les paysans de Millet sont accablés sous le poids de leur dur labeur; ceux de Walker nous apparaissent ce qu'ils sont: des travailleurs certes obstinés mais des ouvriers qui jouissent du fruit de leur activité, qui sont maîtres chez eux, qui sont propriétaires de leur «bien» et qui savourent le bonheur que procure à des coeurs loyaux le devoir accompli. Il n'est aucun des tableaux d'Horatio Walker qui ne provoque le plaisir des yeux et ne suscite la joie de l'esprit. Les thèmes épiques et la qualité du dessin de l'artiste mis à part, la richesse, la chaleur du coloris invitent, à elles seules, à l'optimisme. «S'il y a un nuage au ciel, note M.-O. Hammond avec à-propos, il y aura un éclat de vermeil, comme dans le tableau du Labour, où le premier rayon de l'aurore éclaire le sillon fraîchement ouvert, comme dans celui des Chevaux à l'auge ou, encore, des Boeufs qui boivent à l'abreuvoir à l'heure où le soleil dispa­raît à l'horizon dans un grandiose flamboiement de couleurs. (8) Si l'artiste nous représente un bûcheron dans la forêt, aux teintes grises des arbres dénudés il ajoutera le rouge vif de la chemise ou du pantalon de l'homme de chantier. Toujours les tableaux du maître sont éclairés par une lumière dont l'éclat, magnifique et puissant, ou la transparence, limpide et discrète, parlent à l'oeil et, surtout, à l'âme du spectateur. «Que l'on regarde dans l'harmonie de leurs grandes lignes ou que l'on étudie dans le fini de leurs détails les oeuvres de Walker, on ne peut se défendre d'éprouver une sympathie vivante et une admiration sincère pour les fils de notre sol, dont le labeur quotidien nous apparaît d'autant plus digne qu'ils l'accomplissent avec simplicité de manières et générosité de coeur.» Les paysans de Walker sont tellement absorbés par leurs travaux qu'ils semblent ne pas avoir conscience de leur personnalité propre. Ils se meuvent avec aisance dans leur milieu, et le sol qu'ils labourent, qu'ils ensemencent, forme une part intégrale de l'actif national. Vivant au sein de la nature, nourris qu'ils sont par une terre féconde, ils occupent une place au soleil du monde et la prospérité matérielle dont ils jouissent est le corollaire de leur fortune morale qui, vraiment, est belle, grande et bonne» (9). Tous ses tableaux, Walker les a peints sous l'empire de la même inspiration heureuse qui ne se dément pas. Ils sont autant d'oeuvres qui révèlent le talent du maître qui en a croqué sur le vif les scènes diverses en faisant, selon Millet, «servir le trivial à l'expression du sublime» (10).

Le mérite esthétique, le caractère social, la portée nationale et la valeur morale de l'oeuvre d'Horatio Walker forment un tout indivisible. Le moindre de ses croquis est un document historique auquel s'ajoute, en effet, pour le sublimer, la transcendance de son art. Toute sa vie, comme il se plaisait à le redire à ses amis intimes, fut une oeuvre d'amour («a Work of Love »). Grand témoin de la vie de nos pères, il a voulu être l'interprète autorisé de leur pensée, le chantre héroïque de leurs âmes magnanimes, le peintre délicat et fort de la noblesse de leur attitude en face des humbles devoirs de la vie quotidienne. Son oeuvre est un poème dédié à la gloire des fils de notre sol: c'est le peuple canadien-français, c'est la hauteur de son idéal, c'est la solidité de sa foi, le trésor intégral de ses traditions qui revivent avec splendeur dans ses tableaux. A la réalisation de ce grand oeuvre, Horatio Walker a apporté une sincérité de sentiments, un sens des réalités, un dynamisme d'expression que seul un puissant amour de sa patrie pouvait lui conférer. Son art est inspirateur d'amour national, parce que c'est dans l'amour de notre pays et de notre province que cet artiste hors pair a trouvé sa complète félicité. Aussi, le plus bel hommage qui lui fut rendu, au moment de ses funérailles, le 30 septembre, put-il tomber des lèvres de son vieil ami, fils de l'un des plus anciens insulaires dont l'artiste devint le confident dès son installation à Sainte-Pétronille. Conduisant le deuil avec l'exécuteur testamentaire qui avait eu la délicatesse de l'y inviter et symbolisant ainsi le deuil profond et l'attachement des «gens de l'Ile» envers le maître disparu, le vénérable Napoléon Ferland disait à monsieur Louis-Arthur Richard: «Les ossements de monsieur Walker ne doivent pas quitter notre île. Monsieur Walker doit demeurer avec nous dans la mort comme pendant sa vie: il nous appartient». L'honorable sir Thomas Chapais, premier ministre intérimaire de la province de Québec, n'avait-il pas, en des termes semblables, exprimé le même désir, après la mort du grand artiste, qu'avait visité antérieurement l'honorable Onésime Gagnon?

On ne saurait rendre de plus bel hommage au peintre de nos Habitants, de ses «dear islanders» qui - comprenons le sens métaphorique de la somptueuse périphrase - furent et demeurent «the most wonderful men in the world». Exemple splendide du patriote aux idées saines et nuancées, aux sentiments éclairés et profonds, Horatio Walker, docteur des universités Laval, McGill et de Toronto (11) est pour le peuple canadien un modèle qui «excite à toute la noblesse de l'action» et qui lui «apporte, tour à tour une consolation, une espérance, une énergie, une volonté» (Edouard Montpetit (12). Regardons son oeuvre, qui est belle, qui est sérieuse et qui, si nous le voulons, nous restera. Apprenons, en la contemplant, à mieux comprendre et à mieux aimer notre pays et il nous aura valu beaucoup qu'Horatio Walker ait vécu et soit mort parmi nous. Inclinons-nous avec douleur devant son tombeau, que nous devons sceller plus encore de notre affection et de notre gratitude que du ciment qui le conservera pour les générations à venir. Canadiens de toutes langues, de toutes croyances et de toutes races, rendons un hommage ému à la force de son talent et à la fidélité de son « Work of Love ». Visitons, dans les sentiments d'un patriotisme sincère ses restes vénérés, qui reposent sous la chapelle St. Mary's, à Sainte-Pétronille, bijou rustique qui leur est un lieu de paix, comme l'Ile tout entière, son «île sacrée», leur sert de mausolée national. Peintre véridique des réalités quotidiennes qui ont fait de nous la nation que nous sommes, chantre épique de la paysannerie de la Nouvelle-France, Horatio Walker survivra dans ses oeuvres, qui rappelleront toujours au peuple canadien dont il fut le fils très noble la grandeur de ses origines, la largeur de ses horizons, la hauteur de son destin, l'étendue de ses responsabilités, le mérite de sa gloire et la beauté de toute sa vie.

(1) Horatio Walker, LLD. S.A.A. N.A.R.I. R.C.A . by P. Newlin PRICE - New- York & Montreal , Ls Carrier & Co. , 1926.

(2) Op. cit. , p. 21.

(3) MILLET (Collection «l'Art de notre temps»,) par Jules CAIN, agrégé de l'Université. Précédé d'une étude historique et critique par Paul LEPRIEUR. conservateur des peintures au Musée du Louvre. Paris, librairie centrale des Beaux-Arts. p. 6.

(4) Etienne MOREAU-NELATON: MILLET raconté par lui-même, tome II, p . 129.

(5) Notes intimes d'Horatio Walker.

(6) CAIN et LEPRIEUR. Op. cit ., pp. 11-12.

(7) Ibid., p. 7.

(8) Au Musée de Québec et à la Galerie Nationale d'Ottawa.

(9) M.O. HAMMOND, «Horatio Walker. Painter of the Habitant». The Canadian     Magazine. May 1919, p . 26..

(10) CAIN et LEPRIEUR, Op. cit., p. 7.

 

(11) Horatio Walker était docteur en philosophie de l'université de Toronto, docteur en droit honoris causa de l'Université de Toronto et de l'université McGill. Le 31 mai 1938, l'université Laval couronnait sa carrière en lui décernant le premier doctorat honoris causa de sa Faculté des Arts, récemment réorganisée et distinguée de ses nouvelles facultés des Lettres et des Sciences. De l'élégante allocution que prononça Mgr Camille ROY, à cette occasion, nous sommes heureux de citer ce passage qui résume toute la vie du «vénérable artiste» qui a «le mieux fait connaître à l'étranger les moeurs et les traditions de Québec»:

«M. Walker, à 80 ans, travaille comme à vingt-cinq. Je pourrais ajouter qu'il peint à 80 ans comme à 50 ans et marquer par là que si la plupart des artistes don­nent à cinquante ans leur pleine mesure. M. Waker n'a encore vu depuis ses 50 ans et même à 80, ni s'éteindre sa palette, ni s'affaiblir ses dons exceptionnels. Vous le pourriez constater s'il vous était permis de pénétrer, comme peuvent le faire des privilégiés, dans son studio de l'île d'Orléans. Vous y verriez des ébauches des travaux commencés, des toiles qui s'illuminent que marque déjà la touche du maître, et que le maître se promet de finir demain... Les tableaux de M. Walker sont des documents d'histoire paysanne», ils sont imprégnés «de cette vie rurale, simple, colorée, chaude, saine, vigoureuse, qui s'est projetée sur les toiles de l'artiste».

 

Le vénérable récipiendaire, qui paraissait ce soir-là en public pour la dernière fois remercia avec effusion l'université Laval de son attention délicate à son égard. Nous citons au texte la seconde partie de sa réponse à Mgr le Recteur, car elle souligne le sens de sa carrière alors à son crépuscule:

 

«It is one of the most touching incidents in my career. There is more to it than it appears on the surface, as at least, it is a tacit recognition of the fine arts by the institution, and places the neglected flower of civilisation where it belongs.

 

«We have here, right in our country and at our doors, one of the most beautiful spots in the world for the growth of fine arts, surrounded with a landscape of heroic grandeur, wonderful seasons, and a pastoral beauty quite unknown in the rest of North America.

 

«For myself, it was my good fortune to discover it early in life, where I decided to remain on l'Ile d'Orléans, the pearl of the St. Lawrence, and a gift of the muses.»

 

(12) Edouard MONTPETIT: "L'Art producteur", Revue Trimestrielle Canadienne, Novembre 1919, p. 280.

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Source: Paul LAVOIE, "Horatio Walker, 1858-1938. Quatrième partie", dans Le Devoir, le 12 novembre 1938, p. 2.

 

 

 

 
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