Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Juillet 2006

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Montcalm et ses historiens

Chapitre neuvième

La France a-t-elle abandonné le Canada de

gaieté de coeur, en 1759 ?

 

[Ce texte a été rédigé par l'abbé Georges Robitaille. Pour la référence bibliographique précise, voir la fin du document.]

Voilà la question de première importance à laquelle nous voulons toucher avant de conclure. Nous l'avons dit, M. Chapais a enrichi la littérature sur le sujet, par la discussion qu'il en a faite au chapitre quinzième de son Montcalm. Nous trouvons à cet endroit la lettre de Berryer, le ministre de la marine, écrite à Montcalm le 3 février 1759. Entre autres choses le ministre expliquait que « (les envois) en Canada seront moindres que les demandes qui ont été faites; mais c'est tout ce que les circonstances ont permis de faire dans un moment où l'on est occupé à réunir ses forces pour tâcher de dégager toutes les parties par quelqu'opération décisive. »

 

Et M. Chapais se montre très instruit de l'opinion qui s'est formée chez nombre de nos historiens et chez nos poètes. Nos orateurs eux-mêmes ont parfois accepté la légende de l'abandon du Canada par la France. (cf. Casgrain, Montcalm et Lévis, t. 2, p. 37; Crémazie, Le Drapeau de Carillon.) On pourrait citer ici de très récents discours, dont le thème général est de la plus haute inspiration, mais qui, par endroits, ne ren­dent pas justice aux vrais sentiments de la France ni à ceux de Montcalm. « Une fois de plus, écrit notre Sénateur, nous touchons du doigt la différence entre la légende et l'histoire, entre l'opinion trop hâtivement formée, trop facilement répandue, trop docilement acceptée comme incontestable et la vérité cer­taine, l'exacte réalité des faits. »

 

La question se pose: Louis XV, Choiseul, Belle-Isle, en février 1759, songeaient-ils à aban­donner le Canada ? N'ont-ils rien fait pour le conserver ? N'espéraient-ils pas toujours dans la victoire finale qui devait au moins laisser les choses en l'état de 1756 ? Appuyé sur des documents nombreux et irrécusables, il nous faut répondre que la France de 1759 souffrait beaucoup dans son hon­neur de penser que ses colonies lui échappaient en même temps que la domination des mers. Les vrais patriotes, c'est-à-dire les trois quarts du pays, gémis­saient sous les affronts répétés que la nation recevait de l'Angleterre, et ils s'ingéniaient à trouver les moyens sûrs de se venger. La nation croyait ferme que de bonnes victoires sur le continent forceraient la fière Albion à signer une paix dictée par Louis XV et Marie-Thérèse. Afin d'y arriver plus tôt, et plus certainement, les hommes d'Etat français — Belle-Isle, Choiseul — avaient imaginé de frapper un grand coup. Organiser une forte armée sur les côtes de l'Atlantique : 65.000 hommes, et les jeter sur les Iles Britanniques : voilà le plan formé alors. Pour l'exécuter, bâtir des bateaux plats capables de recevoir les soldats, réunir les flottes qui restaient encore à la France, et risquer la traversée de la Manche. « Choiseul, écrit Henri Martin (Histoire de France, t. 15, p. 543), tout en fai­sant continuer la guerre dans l'ouest de l'Allemagne, embrassa le hardi projet de saisir l'Angleterre corps à corps et de l'attaquer chez elle, projet que M. de Machault avait conçu le premier et que prônait le maréchal de Belle-Isle. Le succès d'une descente, opé­rée avec tout ce que la France pourrait concentrer de forces, lui parut moins improbable que celui d'une guerre poursuivie au loin sur les mers avec des esca­dres presque partout inférieures de moitié à l'ennemi. Dès les premiers mois de 1759, de grands préparatifs eurent lieu dans nos ports de l'Océan et de la Manche. On construisit à Dunkerque, au Havre, à Brest, à Rochefort, une multitude de bateaux destinés au transport des troupes . . . Le dessein était beau. »

 

M. H. Vast, dans l'Histoire générale de Lavisse, au tome VII, p. 247, fait remarquer que « les Anglais avaient 156 vaisseaux de guerre de tout ordre en 1759; la France 60 seulement; que dès 1757, la Grande-Bretagne tenta elle-même de prendre pied sur le ter­ritoire français à l'embouchure de la Charente. » Mais de braves paysans faits prisonniers « ayant déclaré que tout était prêt pour la lutte, » les Anglais durent se contenter de la destruction du fort de l'île d'Aix. En 1758, ils brûlèrent quelques vaisseaux à Saint-Malo. « Du 10 au 15 août, les troupes anglaises se livrèrent au pillage méthodique de la ville de Cherbourg et de la banlieue. Ils enlevèrent des milliers de têtes de bétail, saccagèrent les Eglises et finalement remon­tèrent à bord le 16 août. » (Dussauge, Belle-Isle, p. 405.) Une tentative de débarquement dans la baie de Saint-Cast (11 septembre 1758) fut glorieusement repoussée : « la noblesse bretonne, aidée de paysans, de bourgeois, d'écoliers, sous les ordres du duc d'Aiguil­lon, courut sus à l'ennemi et jeta à la mer toute son arrière-garde d'au moins 3.000 hommes. » On avouera qu'il n'est pas indifférent, pour l'intelligence de la question, de savoir que la France avait à se défendre sur son territoire même.

 

Voyant ces tentatives d'invasion, « Choiseul cher­chait à donner à la guerre maritime une plus énergique impulsion. Il préparait une descente en Angleterre (pour 1759). Des troupes furent réunies à Dun­kerque par Chevert. Soubise, proclamé chef de la grande armée d'Angleterre, devait les commander; d'Aiguillon devait les commander en Bretagne. Des vaisseaux de transport furent préparés et les escadres de Toulon et de Brest s'apprêtèrent à appuyer le mou­vement. Ce fut comme une première ébauche du célè­bre Camp de Boulogne, mais qui ne devait pas avoir plus de succès. »

 

Suit la défaite de La Clue par Boscowen [sic] sur la côte portugaise, à la hauteur de Lagos les 18 et 19 août 1759. La flotte de Toulon était anéantie. La flotte de Brest s'enlisa dans les bancs de sable aux Cardinaux : l'amiral Hawke n'eut à combattre que des débris. Ce fut la journée de M. de Conflans. (20 novembre 1759.)

 

Le projet de descente en Angleterre est d'une telle évidence que les deux secrétaires d'Etat, MM. HoIderness et Pitt, en ont fait part aux deux chambres d'Angleterre. On peut lire ce fait dans l'Histoire d'An­gleterre de David Hume, traduction Campenon, t. 9, p. 484.

 

Sera-t-il nécessaire d'ajouter à de si nombreuses preuves ? Faudra-t-il amener ici Richard Waddington et son accablante documentation, et mettre à portée du lecteur canadien que, dès 1756, l'Angleterre crai­gnait une invasion chez elle, de la part des Français; qu'elle aurait été fort en péril, si la France en eût tenté l'exécution, puisque, à ce moment, « l'effectif des troupes se chiffrait seulement à 40.000, dont à peine 30.000 se trouvaient dans les Iles Britanniques.» (Le Renversement des Alliances, p. 439.)

 

En 1759, ce projet avait fait de grands progrès en France. Belle-Isle en parle dans la belle lettre qu'il écrit à Contades, généralissime en Allemagne, le 12 août 1759 : « Le projet maritime subsiste toujours. Votre armée en sera affaiblie au moins de 24 batail­lons. » Une des raisons du reste pour lesquelles Con­tades livra la malheureuse bataille de Minden (1er août 1759) fut « qu'il était au courant des préparatifs de descente en Angleterre et connaissait l'obligation dans laquelle il se trouverait de fournir des contin­gents au corps expéditionnaire. »

 

Richard Waddington donne des renseignements inédits et il indique les sources où il puise au sujet de cette expédition particulière, à la page 364 et suivante de son tome troisième de la Guerre de Sept Ans. Il nous invite à consulter sur les événements maritimes de 1758-1759, la Vie privée de Louis XV (Londres, 1781), et l'ouvrage classique de Lacour-Goyet [sic] la Marine militaire de la France sous le règne de Louis XV. (A noter que Lacour-Goyet vient de décéder à Paris, en décembre 1935.)

 

« Malgré la mauvaise impression causée par le combat de Lagos, le cabinet de Louis XV n'interrom­pit pas les préparatifs de l'entreprise qui, sous le titre mystérieux d'expédition particulière, était dirigée contre l'Angleterre. D'après la conception primitive, le départ initial devait avoir lieu des ports de la Bre­tagne; un corps expéditionnaire de 26 bataillons, 4 escadrons, avec parc d'Artillerie, d'un effectif de 20.000 hommes, aux ordres du duc d'Aiguillon, le vainqueur de Saint-Cast, devait s'embarquer sur 90 navires de 200 à 400 tonneaux et faire voile sous l'es­corte d'une division de 6 vaisseaux; le projet était de contourner l'Irlande et de prendre terre en Ecosse, dans la baie de la Clyde. Entre temps on espérait réunir à Brest, grâce à la jonction avec l'escadre de la Méditerranée une flotte de 28 vaisseaux de ligne assez forte pour en imposer aux Anglais ou tout au moins pour détourner leur attention du convoi. » Outre ce pre­mier contingent, Choiseul avait ouvert des négociations à Stockholm, et il espérait réussir à y ajouter 10.000 Suédois qui iraient rejoindre en Ecosse.

 

« Deux autres corps d'armée, commandés par Soubise et Chevert seraient expédiés, le premier des ports de la Normandie, le second de ceux de Flandre; destinés à une descente en Angleterre, ils devaient traverser la Manche dans des flottilles de bateaux plats dont la construction se poursuivait avec activité dans les chantiers de la côte. » La désastreuse journée du 20 novembre 1759 — le Trafalgar de la guerre de Sept Ans, qui porte dans I'histoire le nom de combat des
Cardinaux — mit fin à ce beau rêve, digne de la France, d'aller couper à Londres le noeud des coalitions. Ce fut la suprématie navale de l'Angleterre pour de bon.

« En 1756, nous avons vu La Galissonnière vainqueur de Byng et maître de la Méditerranée; en 1757, Dubois de la Motte réunit une flotte imposante à Louisbourg, et la ramène en France sans perte. » En 1758, Beaussier et Duchaffault se rendent à Louisbourg sans accident. En 1759, la situation s'aggrave : nos escadres succombent devant le nombre des vaisseaux ennemis, et devant la hardiesse et l'énergie d'un Boscawen et d'un Hawke. « Nos colonies, privées de secours, coupées de toute communication avec la métropole, sont à la merci de l'Anglais. La guerre maritime est achevée et fait place à celle du blocus. » Mais cette situation n'était pas précisément voulue par Belle-Isle et Choiseul. Ils durent s'y soumettre, voilà tout. Ils avaient fait l'impossible pour secourir le Canada.

 

*     *     *     *     *

 

Le sentiment de la France en faveur de ses pos­sessions américaines apparaît aussi et de très sérieuse façon, par les efforts de ses diplomates à maintenir le statu quo de 1756. En 1759, le 21 septembre, un mémoire fut présenté au nouveau roi d'Espagne, Don Carlos, qui venait de succéder à son frère Ferdinand. Par ce mémoire, Louis XV acceptait la médiation de S. M. Catholique dont la sympathie pour la France était connue. Et l'on trouve écrites dans ce document, les conditions qui constituaient l'ultimatum de Choiseul à l'Angleterre. Les voici telles que résumées par Waddington, t. 3, p. 434. Remise de la délimitation des territoires de l'Acadie et de l'Ohio à l'arbitrage du roi d'Espagne. Restitution de l'île de Minorque en échange du droit de rétablir les fortifications de Dun­kerque ... Démolition de Louisbourg et engagement de ne pas réédifier de forteresse dans le même endroit . . . Evacuation des villes et contrées occupées en Allemagne par les Français. Dislocation des armées confédérées et interdiction de Ies employer contre la France. Liberté pour les deux puissances d'accorder des subsides en argent à l'Impératrice-Reine et au roi de Prusse. Abandon de toute réclamation relative aux navires marchands confisqués avant la déclaration de guerre. Restitution de toutes les conquêtes faites sur la France par les Anglais en Amérique ou ailleurs. Et Waddington ajoute que « le mémoire qui contenait ces bases de pacification fut remis au roi d'Espagne le 21 septembre 1759, et six jours après, Ossun annon­çait à Choiseul que Tannucci avait écrit à Londres pour offrir formellement la médiation du Roi son maître, et il le fait dans les termes de l'amitié, mais en faisant sentir en même temps que le roi d'Espagne se flatte de ne pas éprouver un refus.»

 

Est-ce la faute des hommes d'Etat français si Pitt témoigna avec hauteur qu'il n'était pas temps de penser à la paix, « que les grands succès de l'Angleterre exigeaient du roi britannique qu'il s'occupât uniquement du soin de les conserver.» Le représentant de l'Espagne ajoutant que « S. M. Catholique ne pouvait pas voir avec indifférence les progrès considérables des Anglais en Amérique, ni souffrir tranquillement que l'équilibre des possessions établi par le traité d'Utrecht dans ce continent fût altéré ou renversé, Pitt parut frappé de cette déclaration, et il avait articulé que l'Angleterre n'entendait pas garder toutes ses conquêtes. » Le Roi George II était prêt à donner de grandes facilités pour parvenir à une conciliation avec la France.

 

Ce qui rendait l'Angleterre plus difficile c'étaient les bonnes nouvelles qu'elle recevait d'Amé­rique. En octobre seulement on avait appris la prise de Québec (18 septembre 1759) cinq jours après la victoire des Plaines d'Abraham, et on escomptait l'occupation prochaine de tout le Canada. Malgré sa morgue, le grand ministre anglais, au printemps de cette année 1759, avait été souvent mis au courant par Newcastle, le premier ministre, de l'impossibilité de continuer (la guerre) sur cette échelle pendant une autre année. »

 

Il faut lire la correspondance de Newcastle, et ses mémoires, de même que les Rapports de France de 1757 à 1761, que recevait Pitt et que l'on retrouve dans les Chatham Papers (86), au Record office, à Londres. De ces lectures une toute autre intelligence de la guerre de Sept Ans se forme dans nos esprits. Nos auteurs ne savaient évidemment pas ces choses, en tout cas ils n'ont pas su en extraire la substance et la faire passer dans l'histoire. En constatant les embarras de l'Angleterre, la France nous paraît moins à plaindre. Dites ce que vous pensez de l'avarice du septuagénaire George II, de la puissance de la favo­rite lady Yarmouth en cour anglaise, des inimitiés cruelles qui s'exercent en plein conseil des ministres anglais, de l'arrogance du sieur Pitt qui veut tout mener, et qui menace sans cesse ses collègues de sortir du Cabinet. Ajoutez les embarras financiers extrêmes dont souffre le trésor britannique. A certaines heures on craint la faillite.

 

« Aux embarras financiers vinrent bientôt s'ajouter la crainte du débarquement français et la mauvaise impression causée par la retraite persistante du prince Ferdinand » en Allemagne, devant les armées fran­çaises, au printemps de 1759. « Les préparatifs qui se faisaient dans les ports français commençaient à frapper les esprits, jusqu'alors très sceptiques sur le danger venant de ce côté. Admirablement renseigné par son service d'espionnage, Pitt lui-même, qui tout d'abord avait refusé de croire aux menaces d'inva­sion, fut bien obligé de se rendre à l'évidence. En guise de mesure défensive, il fit décider la convoca­tion des milices; mais l'appel aux autorités locales eut peu de succès; on se défiait de ces troupes impro­visées . . . L'émotion causée par la perspective d'une descente des Français et par les dépêches du Hanovre battait son plein, quand une lettre du roi de Prusse suggérant la réunion d'un congrès en vue du rétablissement de la paix vint augmenter le trouble des esprits. » (R. W., t. 3, p. 478.)

 

Songez que la France a une population de 20.000,000 comparée à 8 ou 9 millions d'Anglais; la Prusse est un tout petit pays qui compte à peine 5 millions. Qu'est-ce en face de l'Autriche-Hongrie dont la Reine disait à Stainville en juillet 1758 « qu'elle avait encore en ses Etats 15 fois plus d'hommes que le Roi de Prusse ne pouvait en avoir. » Songez enfin que la France a un revenu de 330,000.000 de francs pour 1759. Sans doute il lui faudrait un surplus de 200 autres millions. Mais l'Angleterre, avec un budget de 327 millions de francs, manque d'argent pour faire face aux dépenses nécessaires.

 

Pour quelle raison cet effort — dont la véritable initiative revient à Frédéric qui prévoyait une issue désastreuse — n'a-t-il pas abouti ? Cette tentative n'a pas amené de résultats parce que l'Angleterre deman­dait de mettre au même rang que la nation britannique le roi de Prusse. Or la France ne le pouvait pas étant donné qu'il s'agissait de la paix particulière entre George II et Louis XV. L'Autriche s'y opposait for­mellement. Dans ces conditions, Choiseul proposait d'introduire Frédéric, mais indirectement, d'une façon détournée et secrète : ce dont Frédéric ne voulait pas ni les Britanniques. « Une combinaison d'un caractère aussi épineux ne pouvait convenir ni à la morgue haineuse de Pitt, ni à la mobilité soupçonneuse de Frédéric; elle s'adaptait encore moins aux obligations d'un gouvernement parlementaire; aussi était-elle d'avance condamnée à l'insuccès. » Mais Choiseul avait déployé, dans les pourparlers de La Haye de 1760 « beaucoup de tact et d'habileté. »

 

Nous ne savons pas si Choiseul aurait proposé à l'Angleterre d'autres conditions de paix que celles inscrites dans le mémoire au roi Carlos, dont nous faisons mention plus haut. Il y a tout lieu de croire que le ministre-duc s'en serait tenu, pour les terri­toires de l'Acadie et de l'Ohio, à l'arbitrage du roi d'Espagne, ou à une solution raisonnable. Il aurait concédé la démolition de Louisbourg, mais il aurait maintenu substantiellement l'article qui demandait la « restitution de toutes les conquêtes faites par les Anglais sur la France en Amérique. » Retenons que ce mémoire avait été remis à l'Espagne le 21 septembre 1759, et que la rupture des pourparlers de La Haye eut lieu le 4 mai 1760, avec l'ultimatum anglais pré­senté par Yorke à Affry. La dernière dépêche de Choiseul est du 10 mai et fut communiquée le 14.

 

Mais ce qui rend nos prévisions solides, c'est que nous possédons le mémoire de Pitt sur la paix, après la prise de Québec. (Newcastle Papers, 32897.) A bien l'examiner, l'on comprend que Pitt lui-même avait des idées « raisonnables au sujet des conditions de paix, » à ce moment-là, selon le mot de Newcastle, (30 octobre 1759.)

 

Quelles étaient les propositions imaginées par Pitt ? « A défaut de l'annexion de tout le Canada sur laquelle on n'osait compter, l'Angleterre se croyait autorisée à réclamer tout le territoire au sud du Saint-Laurent jusqu'à Montréal, la libre navigation de ce fleuve et la démolition de Louisbourg. De Montréal, la frontière suivrait la rivière Ottawa jusqu'au 47e degré de latitude, gagnerait le lac Huron et longerait le lac Michigan et les rivières d'Illinois et Mississipi jusqu'à l'Océan. » Au surplus, déclarait Pitt, peut-être vaudrait-il mieux s'en tenir au principe de l'’uti possidetis. Ces propositions reproduisaient les idées ministérielles si l'on en croit la lettre d'un certain Kinnoul à Newcastle. (30 octobre 1759.)

 

Le 25 octobre 1760, entre 7 et 8 heures du matin, décédait subitement George II, âgé de 77 ans, après 34 années de règne. Le petit-fils du roi défunt fut proclamé roi de la Grande-Bretagne sous le nom de George III. A nouveau, en Angleterre même, et en Prusse, on réfléchissait sur la paix. Les résultats obtenus à date par Pitt étaient superbes. Encore fallait-il consolider les conquêtes. Et les finances étaient dans un état dont tout le monde souffrait. Et l'opinion un jour ou l'autre pouvait se fatiguer de ces interminables campagnes d'Allemagne qui ne menaient à rien. « La confiance dans le prince Ferdi­nand avait baissé considérablement depuis la prise de Cassel (Hesse) et l'échec de Closter-camp (16 octobre 1760). Castries, le jeune général de 33 ans, avait infligé une sérieuse défaite au prince héréditaire à la tête de 12,000 Anglais; quant au roi Frédéric, dont la popularité aussi avait décliné, on se demandait si la limite des sacrifices en sa faveur rie serait pas bientôt atteinte. »

 

Rien ne nous fait mieux voir la situation sous son vrai jour comme la lettre de Frédéric à Pitt, datée de Meissen, 7 novembre 1760. Notons les constatations d'importance qu'y fait le roi de Prusse. Il n'y avait pourtant que quatre jours qu'il avait triomphé à Torgau sur Daun et ses Autrichiens.

 

« Nous avons eu des succès d'un côté, mais à parler franchement, ils ont été contrebalancés par des événements favorables à nos ennemis. Leur nombre nous est trop supérieur pour que nous puissions nous flatter de pouvoir remporter sur eux des avantages décisifs. Vous êtes peut-être le seul homme en Europe qui, par vos sages mesures, pourrez trouver un tem­pérament propre à finir d'une manière glorieuse une guerre ruineuse et funeste à toutes les parties belligé­rantes également. Je le répète, je mets toute ma confiance en vous. »

 

C'est près d'un mois plus tard que Newcastle écrit à Hardwicke (3 décembre 1760) : « M. Pitt a abordé avec plus de précision que jamais l'examen des con­ditions de paix avec la France. Il a posé pour point de départ que nous devions faire des concessions importantes, tout en gardant beaucoup pour nous. Il a formulé ses propositions comme suit : conserver le Canada, le Cap Breton, exclure les Français de la pêche de Terre-Neuve et leur rendre la Guadeloupe et Gorée, ou garder ces deux Colonies et rendre une partie du Canada et nous contenter des limites des lacs

 

Quelle serait l'issue de ces tentatives qui s'annon­çaient pour 1761 ? Ces négociations intéressent parce qu'elles « mettent en scène deux hommes d'état de premier ordre, Pitt et Choiseul. L'un et l'autre étaient doués, mais de qualités très différentes; tenaces et résolus tous les deux : mais celui-ci aussi souple que celui-là l'était peu; chez le premier plus de persévé­rance et de précision; chez le second, plus d'imagina­tion et de facilité, chacun incarnant l'esprit de sa race et la méthode de son milieu social, mais au point de vue de l'acquis et des moyens, dignes de se mesurer l'un avec l'autre. » Mais la lutte était inégale, conclut Waddington auquel nous empruntons ce précieux parallèle. « Pitt représentait la partie victorieuse; soutenu par l'opinion, il n'eut qu'à compter qu'avec ses collègues du cabinet, qui avaient trop peur de lui pour ne pas s'incliner devant sa volonté. Sans doute, il ne pouvait négliger les exigences du roi de Prusse, mais l'attitude de ce prince contraste avec la surveillance tracassière qu'exercèrent Kaunitz et Stahremberg sur les agissements de Choiseul. »

 

Le 31 mars 1761, le prince Galitzin remit aux deux secrétaires des Affaires Etrangères, Bute (1) et Pitt, les pièces diplomatiques dont la rédaction avait donné lieu à de longues discussions chez les alliés de la France. La première de ces pièces « offrait à l'Angleterre et à la Prusse de renouer les négociations pour la tranquillité générale de l'Europe et suggérait la réunion d'un congrès à Augsbourg. »

 

En même temps il y avait une lettre de Choiseul pour Pitt et un mémoire portant également la date du 26 mars 1761. Ce mémoire posait le principe de l'’uti possedetis. « Le Roi très chrétien propose à S. M. Britannique de convenir que relativement à la guerre particulière de la France et de l'Angleterre, les deux couronnes resteront en possession de ce qu'elles ont conquis l'une sur l'autre. » Puis Choiseul proposait des époques précises pour l'application de l’'uti possi­detis. « Ce qui veut dire, ajoutait le mémoire, que le roi très chrétien fera le sacrifice des restitutions qu'il a lieu de prétendre, en même temps qu'il conservera ce qu'il a acquis sur l'Angleterre pendant le cours de cette guerre. Cependant si S. M. Britannique croyait devoir faire des compensations de la totalité ou de partie des conquêtes réciproques des deux couronnes, le Roi très Chrétien entrera volontiers en négociations avec S. M. Britannique sur cet objet ou sur la déter­mination d'autres époques pour l'application de l'uti possidetis.»

 

A qui examine le mémoire présenté par Choiseul, il appert que la façon de s'exprimer du tout-puissant ministre était d'une grande habileté. Pitt aperçut, dès le début, que « la proposition de Choiseul devait com­prendre, au titre de conquêtes, les pays occupés en Allemagne (par la France), tels que la Hesse et le Canton de Gottingen qui dépendait de l'électorat du Hanovre. » Et le Comte de Choiseul, le propre cousin du Duc et son successeur à Vienne, écrivit au ministre français (5 avril 1761) : « J'ai ajouté (devant Kaunitz) que votre intention, en faisant aux Anglais cette proposition qu'ils ne sauraient admettre, était d'en tirer contre eux une conséquence avantageuse pour nous, savoir : que mal à propos, ils se glorifiaient de leurs succès et de leurs conquêtes, et que leur situation n'était pas si brillante qu'ils affectaient de le croire, puisqu'ils ne pouvaient accepter la proposition de demeurer dans l'état où nous nous trouvons respectivement. M. de Kaunitz a adopté cette explication et a trouvé cette tournure fort ingénieuse et fort adroite. »

 

A ce moment précis du 10 avril 1761, nous avons par écrit le sentiment de Pitt sur les conditions de la paix. Ses ambitions avaient grandi. Il les résume avec sa netteté et sa brutalité habituelles : « Ne pas tenir compte de la position du Hanovre dans le calcul des compensations; exiger la cession du Canada et refuser le renouvellement du droit de pêche sur la côte de Terre-Neuve. » Et Frédéric n'était pas moins volon­taire : « Je ne me prêterai de ma vie à céder même un village. » (11 avril 1761.)

 

Parce que la France ne savait pas les exigences de l'Angleterre et de la Prusse, elle décida l'envoi de Bussy à Londres alors que Pitt chargea Stanley de se rendre à Versailles pour négocier. Les plénipotentiaires devaient se rencontrer à Calais le 25 mai 1761.

Au fond, il s'agissait de savoir si on permettait à la France d'utiliser les conquêtes françaises en Allemagne comme monnaie d'échange pour obtenir la restitution des colonies perdues. Dans les instructions données à Bussy, on voit que Choiseul ne désespérait pas absolument de se faire rendre le Canada et l'île Royale et nommément Louisbourg en compensation « de la restitution que le Roi effectuera de ce que ses armées ont conquis sur l'Electeur d'Hanovre et sur les alliés (de l'Angleterre) en Allemagne. » L'Angleterre n'avait plus d'objection ni la Prusse, à ce qu'il y eût une paix particulière entre les deux couronnes qui étaient d'abord entrées en guerre. Le cabinet anglais admit (d'après la lettre de Newcastle du 14 mai 1761) « que les pertes des alliés de l'Angleterre en Allemagne seraient prises en considération à la paix et au moment de la fixation définitive de nos conquêtes. »

 

Tout le monde voulait la paix, sauf l'Autriche et la Russie. Et les hommes d'Etat de Londres dressaient des mémoires sur les conditions possibles et probables. Signalons la thèse du duc de Bedford — le plénipotentiaire anglais de 1762 et 1763. — Elle serait digne de Maistre. « Je ne crois pas qu'il soit pour l'avantage de l'Angleterre d'être si chargée de posses­sions étrangères, (comme ce serait le cas) si on nous cédait tout le Canada et Guadeloupe. A vrai dire je ne sais pas si le voisinage des Français à nos colonies de l'Amérique du Nord n'était pas la meilleure garantie de leur dépendance sur la mère patrie, dont elles se soucieront peu quand elles seront débarrassées de leurs craintes du côté des Français. » Un peu plus loin, Bedford conclut dans cette même lettre à Newcastle (9 mai 1761) : « Si nous nous rendons justice à nous-mêmes, soyons justes envers les autres et n'essayons pas d'imposer à la France des conditions qu'elle ne subira pas longtemps, et contre lesquelles elle se soulèvera, aussitôt qu'elle aura recouvré la respiration. » C'était parler en véritable homme d'Etat, alors que Pitt semblait n'avoir d'autre but que d'humilier la France « au plus bas degré de l'humiliation et d'élever sa nation au plus haut point de gloire, » selon le mot de Bussy. (2)

 

Quoi qu'il en soit, le 17 juin 1761, Choiseul fit à Stanley des concessions qui nous paraissent regrettables. « La nécessité de la paix avait fait l'impression la plus profonde sur le Roi son maître, disait Choiseul à Stanley, en cette fameuse journée du 17 juin, M. le duc de Choiseul propose à M. Stanley la cession entière du Canada à l'exception de l'île Royale, où il ne sera point établi de fortifications, et pour cette cession, la France demande la conservation de la pêche à la morue, telle qu'établie dans le traité d'Utrecht; et une fixation des limites du Canada dans la partie de l'Ohio déterminée par les eaux pendantes. La France rendra ce que ses armées ont conquis en Allemagne sur les alliés britanniques. Elle demande la restitu­tion de la Guadeloupe et de Marie-Galante, ainsi que celle de Gorée pour l'île de Minorque. »

 

Même ces concessions extrêmes ne furent pas acceptées par Pitt, malgré l'impression favorable à Londres. Pitt se prononça au conseil en faveur de l'ad­mission des conquêtes françaises d'Allemagne au compte des compensations. Mais il amena le conseil à exiger la cession du Canada sans fixation de limites, ainsi que la cession de l'île du Cap Breton, cette fixa­tion de limites n'avait d'autre but, disait Pitt, que d'aug­menter la Louisiane aux dépens de la province cédée.

 

Après fortes discussions, le conseil déclara que « les droits de pêche ne seraient maintenus que si on obtenait sur un antre point quelque concession sérieuse. »

 

Le 13 juillet, nouvelles propositions de Choiseul, où il ne demande plus l’Île Royale. La petite île de Canseau suffirait. Mais le ministre s'excusait d'avoir offert la restitution des conquêtes faites en Allemagne sur les alliés britanniques,  « Ce qui comprenait Wesel et les possessions du roi de Prusse sur les deux rives du Rhin. » Il avait oublié ce point capital que, sur ces territoires, il ne pouvait rien conclure sans l'assentiment exprès de l'Impératrice-Reine.

 

A partir du 20 juillet, s'évanouit tout espoir de paix. C'est le 23 que fut présenté à Pitt par Bussy et par Fuentes, séparément, le mémoire français soutenant les griefs espagnols. Fureur de Pitt. Toute intervention de la France dans les litiges espagnols serait considérée comme attentatoire à la dignité de l'Angleterre. La dépêche de Pitt à Stanley, datée du 25 juillet, était catégorique et « conçue dans ce langage rogue et plein de morgue qui lui était propre. »

 

« Je n'ai jamais vu rien de si insultant, confiait Choiseul à Stahrenberg. Je dissimulerai vis-à-vis du ministre anglais jusqu'à ce que je sois parfaitement instruit des intentions de l'Espagne. » (29 juillet 1761.)

 

Et le 15 août, est signé le pacte de famille entre Louis XV et Charles III qui amènerait sous peu la démission de Pitt, et un ennemi de plus contre l'An­gleterre. Le dernier ultimatum anglais est du 10 août 1761. Il concédait l'île Saint-Pierre, mais à des con­ditions humiliantes, et du reste Pitt s'était opposé à cette concession.

 

A noter qu'aux derniers conseils de France, au début de septembre, et selon Stanley — madame de Pompadour (qui sans doute en cela comme en tout le reste suivait le Roi) appuyait l'Autriche et l'Espagne qui ne voulaient pas que la France conclue la paix telle que proposée par Pitt, alors que Choiseul aurait de préférence incliné vers la cessation des hostilités.

Et le 15 septembre, rappel de Stanley par Pitt. Et c'est bien à Pitt qu'incombe la responsabilité de l'échec de 1761. « Comme conditions de paix, il était bien déterminé à n'accorder que celles qui imposent au vaincu la loi du vainqueur. Humilier la France, ruiner son commerce, lui enlever ses colonies, et détruire sa marine, il n'eut pas d'autre but et ne le cacha pas. »

Mais Pitt avait dépassé le but. Il avait, par son intransigeance, exaspéré ses collègues du Cabinet anglais. Aussi, lorsqu'il voulut continuer sur le même ton au sujet de l'Espagne, contre laquelle il exigeait une déclaration de guerre immédiate, le puissant ministre rencontra une telle opposition qu'il dut offrir sa démission. Et George III, et Bute, et Newcastle, et la majorité du ministère rendirent, en l'acceptant, cette démission valide. On en était au 5 octobre 1761. D'autres personnages du ministère anglais devaient préparer, en 1762, les voies aux nouveaux traités, et les signer au début de l'année 1763. Le tout-puissant Pitt ne devait pas recueillir le fruit de ses labeurs. Lui-même devait prononcer dans un discours célèbre les paroles de Scipion: Utere sine me consilio meo, patria.

 

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Dans ces conditions ne devons-nous pas être fiers du refus que présenta la France aux ultimatums anglais ? Les efforts de Choiseul, de madame de Pom­padour et, soyons-en sûrs, de Louis XV, pour une paix raisonnable se retrouvent dans l'histoire diplomatique du temps comme dans l'histoire militaire. Ceux qui auront eu le courage de pousser jusqu'au bout dans ce long chapitre n'hésiteront sans doute pas à admettre que l'abandon supposé du Canada par la mère patrie est un mythe. Ce n'est pas de l'histoire. Et cette constatation ne nous empêche aucunement d'apercevoir toutes les déficiences du régime qui florissait en France à cette époque, comme au Canada d'ailleurs. On s'est trompé à Paris. Après coup, il est clair qu'il aurait mieux valu faire accompagner Montcalm dès 1756, de 10.000 hommes d'excellentes troupes de ligne, au lieu de le laisser se débrouiller avec 4,000 réguliers. Même au printemps de 1759, un contingent de 2.000 hommes eût sauvé la colonie, eût permis à Montcalm de tenir jusqu'à la paix selon l'ordre formel de Belle-Isle. Mais dans l'état des affaires militaires en Europe, Belle-Isle lui-même, auquel on peut faire confiance, jugea qu'il valait mieux tenter une diversion dans les Iles Britanniques et vaincre en Allemagne.

 

A l'observateur pénétrant du XXe siècle, il ne peut échapper que le plan de Belle-Isle avait toute chance de réussir. Il a failli réussir. Frédéric, Marie-Thérèse, madame de Pompadour, Choiseul lui-même ont cru apercevoir le triomphe définitif de la France. Si la cause française n'a pas triomphé, c'est parce que la Russie a lâché la coalition contre Frédéric en janvier 1762, à la mort d'Elisabeth, par l'arrivée au pouvoir de Pierre III qui se jetait dans les bras du roi de Prusse. Disons en chrétiens que la France a perdu le Canada parce que Dieu l'a voulu. Est-il juste pour Ies Canadiens français de charger la France de cet irréel abandon, que Montcalm avait prévu dans la célèbre lettre à Belle-Isle (28 juillet 1758). « Je ne crains que trop (vu la supériorité de la marine anglaise) qu'il ne soit pas possible à la France d'envoyer ce secours (1.500 hommes de recrues pour compléter les 8 bataillons de la bonne espèce déjà au Canada et six bataillons nouveaux à forts effectifs) soit 3.000 hommes avec des vivres pour un an pour nourrir ces troupes. »

 

Les lignes qui suivent, et qui sont écrites par Choiseul à Kaunitz le 11 janvier 1759, sont de l'histoire dont il faut tenir compte.

 

« Il y a trois mois, on croyait (en France) que tout était perdu (comprenons que Bernis et ses amis croyaient la partie perdue.) Il n'y avait rien de perdu que les têtes; avec de l'économie, de la fermeté et de la patience tout reviendra, et nous nous flattons que la cour de Vienne qui a vu notre faiblesse, rendra justice à la vigueur et à la suite de nos opérations, et surtout à notre fidélité à l'alliance » ... Quant à la paix avec l'Angleterre, le Roi pense que c'est en poursuivant la guerre contre cette puissance « que nous affai­blirons le roi de Prusse. Nous mettrons à l'appui de cette opinion le risque de perdre nos colonies, mais ce danger nous afflige sans nous effrayer, et nous espérons qu'en 1760 les ressources de l'Angleterre, malgré ses succès, seront usées, et que nous serons en état alors de faire des efforts qui la rendront raisonnable. »

 

Ces paroles du tout-puissant ministre des Affaires Etrangères de France depuis décembre 1758, convain­cront-elles les historiens canadiens, au XXe siècle, du bon vouloir de la France à l'endroit du Canada en 1759 ? Ce qui est sûr c'est que Montcalm, s'il eût connu ce texte, aurait sauté au cou de Choiseul, il aurait pleuré à chaudes larmes; il eût cru plus fermement au triomphe définitif, et il eût admiré une fois de plus la France, à laquelle le bon Dieu accordait de si courageux hommes d'Etat. Faisons de même.

 

(1) Lord Bute, l'homme de confiance de George III, était devenu, le 13 mars 1761, sous-secrétaire du département nord des Affaires Etrangères. Il y avait remplacé Holdernesse, démissionnaire.

 

(2) Je ne résiste pas au sain réalisme de la scène dont Bussy et Pitt furent les acteurs et que narre Bussy lui-même dans une de ses lettres à Choiseul de la fin d'août 1761.  « On com­mença par les réclamations espagnoles : Pitt reconnut que « nous nous étions écrit des choses qui n'étaient pas fort douces, qu'à la vérité, vous ( Choiseul) aviez menacé l'Angleterre très habilement et très honnêtement de continuer la guerre si la cour britannique ne satisfaisait pas celle de Madrid sur ses demandes : qu'il n'y avait que MM. les Français capables de blesser poliment; que cependant, s'il lui avait été permis de s'expliquer en anglais, il aurait tâché d'imiter votre style; mais qu'il ne savait pas assez bien le français pour y mettre des tours élégants. » Bussy de répondre : « que ma propre expérience m'empêchait d'être de son sentiment; que je pouvais assurer qu'il parlait très bien français; que les termes choisis venaient se placer sur sa langue à son commandement, et qu'il avait tellement accoutumé ses expressions à respecter sa pensée que, dans les affaires les plus désagréables à traiter, il ne lui échappait, quand il le voulait, aucun terme qui pût blesser la délicatesse de personne. » Pitt reprit qu'il serait fort heureux de mériter pareil éloge; « que pour revenir à son discours, jamais l'Angleterre n'admettrait l'intervention de son ennemi dans ses affaires personnelles avec la cour d'Espagne. » A ce moment, on plaisanta sur l'expression ultimatum qui revenait si souvent dans le débat : « Ah! M. de Bussy, s'écria Pitt en riant, ne nous servons plus de ce terme-là, je vous en prie; je l'ai rayé de mon dictionnaire puisqu'il est sujet à tant de variations, il faut en employer d'autres. — C'est le sort de tous les ultimatums du monde, répliquai-je — On m'a assuré, dit Pitt, qu'il y a en Allemagne des ultimatissimum. — Cela est vrai, repris-je, et même qui ne se terminent pas là, parce qu'on les termine par la formule protestando et ulterior reservando; et jusqu'à ce que l'on ait signé des préliminaires ou autres actes, il est toujours permis de changer. — Je me confirme donc, répliqua-t-il, dans le dessein de ne plus me servir du mot ultimatum, et ce sera sous le titre de réponse que nous ferons savoir nos dernières intentions à votre cour. »

 

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Source : abbé Georges ROBITAILLE, « La France a-t-elle abandonné le Canada de gaieté de cœur, en 1759 ? », dans Montcalm et ses historiens. Étude critique, Montréal, Granger Frères, 1936, 241p., pp. 199-230.

 

 
© 2006 Claude Bélanger, Marianopolis College