Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Juillet 2006

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Montcalm et ses historiens

Conclusion

 

[Ce texte a été écrit par l'abbé Georges Robitaille. Pour la source bibliographique précise, voir la fin du document.]

On nous dira peut-être que nous sommes loin de Montcalm et de ses Historiens. Non sans quelque apparence de vérité sans doute. Et pourtant nous avons conscience que le général français de 1756 a réfléchi longuement sur chacun des chapitres dont se compose ce livre. Dans les interminables soirées qu'il passait, l'hiver venu, à Québec ou à Montréal, le marquis de Montcalm-Saint-Véran a supputé les chances de la France dans ce conflit décisif pour la patrie. Il a senti plus qu'un autre le pays agonisant, et il s'est demandé ce que faisait le Roi qui ne venait pas au secours. Il s'en est expliqué à lui-même. On peut croire qu'à son esprit pénétrant n'a pas échappé le pourquoi de l'abandon apparent. Belle-IsIe avait toutes ses confiances et sans doute avant d'avoir été blessé à mort il avait pu comprendre que Choiseul était un grand ministre bien supérieur à Bernis.

 

Quant aux généraux français, leur pensée ne le laissait guère. Il parle souvent de son illustre ami Chevert. Il voudrait le voir maréchal de France. Il l'admire parce que seuls le courage et le talent ont contribué à sa gloire. On le surprend traçant cette phrase qui s'applique si bien à lui-même : « Quel dommage si sa santé l'arrête à la fin de sa course, dans un moment où l'Etat en aurait besoin. » Vous voyez bien qu'il songe aux généraux d'Europe, puisque c'est encore lui qui a laissé passer ce cri profond : « Ne serais-je jamais en Europe à la tête d'une armée ? »

 

L'alliance autrichienne l'a occupé vivement, et il a cherché à pénétrer les secrets de la politique de madame de Pompadour et de Louis XV. Sur tous ces sujets, il a sans doute médité plus qu'il n'a pu écrire. Mais, les rêves de famille mis à part, de ces problèmes divers, il a fait sa nourriture quotidienne. Par ces réflexions, il se formait une philosophie des choses qui le portait vers Dieu et le détachait, le puri­fiait, le préparait pour l'immolation suprême. Vau­dreuil, Bigot, Péan, c'était l'angoisse dans son esprit et dans son coeur; Lévis, Bourlamaque, Bougainville, c'étaient les joies sereines de l'amitié, de la confiance dont son âme était affamée. Quelques femmes aussi l'ont occupé, mais rarement. Le meilleur de lui-même il le gardait à Dieu et à son épouse, à sa mère et à l'ave­nir de ses six enfants.

 

Comment ne pas aimer un tel homme? « Ah Montcalm ! Montcalm ! » s'écriait le maréchal de camp Desandrouins, un soir que l'on causait guerre, en pré­sence de Lévis au camp de Carillon, peu de temps après la bataille. Et Doreil, le commissaire des guerres, assurait Belle-Isle que son général « possède la science politique comme les talents militaires; homme de cabi­net et de détails, grand travailleur, juste, désintéressé jusqu'au scrupule, clairvoyant, actif, et n'ayant en vue que le bien; homme vertueux et universel. » (Doreil à Belle-Isle, 31 juillet 1758.)

 

Tout le monde sait que Bougainville préférait son général à tout. A qui veut examiner soigneusement les documents originaux, il ne fait pas de doute que notre marquis inspira aux Canadiens un enthousiasme per­sévérant. Les Sauvages étaient conquis par cet hom­me de petite stature, mais au coup d'oeil infaillible. Ceux qui ne l'aimaient pas avaient des raisons dont ils ne pouvaient faire montre. Ils en mettaient d'autres à l'avant. A force de s'opposer à un homme vertueux, on finit par le défigurer, à lui croire un visage odieux.

 

Les meilleurs historiens n'ont pas hésité à hisser Montcalm sur le pavois. Richard Waddington, dont nous faisons tant de cas, a écrit (t. 3, p. 343) : « Dans une période de platitude et de défaillances, la figure loyale et chevaleresque de Montcalm ressort avec éclat; aussi presque tous les historiens, à quelque natio­nalité qu'ils appartinssent, lui ont-ils conservé la sym­pathie qu'il avait inspirée à ses frères d'armes de France et du Canada. » Et ce grand historien n'hésite pas à prononcer que « s'il y eut erreur de jugement de la part de Montcalm dans l'affaire des Plaines d'Abraham, elle fut partagée par ses meilleurs offi­ciers; elle s'explique par la situation critique de la colonie et par l'excès de confiance au souvenir des succès antérieurs. A la guerre l'obligation de prendre une décision immédiate entraîne parfois des échecs dont il serait injuste de charger la mémoire de leurs auteurs, surtout quand ils sont expiés par une mort héroïque et rachetés par un passé illustre. »

 

Si, comme avait fait Broglie à Sanderhausen, près de Cassel, dans la Hesse, le 23 juillet 1758, Vaudreuil, le 13 septembre 1759, au lieu de rester dans l'expecta­tive, tout tremblant, avait chargé lui-même avec ses troupes, la baïonnette au bout du fusil, c'était Wolfe battu, culbuté, jeté à la mer par la descente du Foulon ou s'offrant tout décontenancé à l'armée de Bougain­ville pour recevoir le coup de grâce.

 

Si, comme Chevert au marquis de Voyer, à la journée de Lutterberg, le 10 octobre 1758, tout près du Sandershausen du mois de juillet précédent, le même Vaudreuil, au lieu d'arrêter les combattants au pont de la Petite-Rivière, par crainte d'un désastre, eût crié à Montcalm : « Je vous enverrai jusqu'au dernier homme de ma division. Ne craignez pas que j'arrive, » (1) c'était la victoire, c'était sans doute la paix générale au printemps de 1760 et le Canada à la France pour toujours.

 

Ce soldat, dont l'amour pour mon pays a été si profond, si soutenu, si courageux, dont le coeur a battu pour nous depuis 1756 jusqu'au jour où il s'est arrêté le 14 septembre 1759, qui n'a jamais désespéré du salut de la patrie, dont la fière épée était toujours levée pour courir sus à l'ennemi et qui nous a couverts de gloire à Chouaguen, à William Henry, à Carillon, à Montmorency, j'aime le voir dans l'attitude qu'il a prise à Québec sous le ciseau de Léopold Morice, ou à Can­diac en France sous l'inspiration de l'artiste Paul Cha­bert. Il me plaît le contempler au moment où son corps va choir, où ses yeux vont se fermer, mais alors qu'il aperçoit des yeux de l'âme la couronne immor­telle que le délégué céleste lui apporte.

 

Au vrai chrétien que fut Montcalm, au glorieux capitaine, rien ne pouvait mieux convenir. Son souvenir et sa gloire et son deuil ne périront qu'avec la nation qui nous l'avait donné, avec le peuple qu'il a enveloppé de ses triomphes.

 

Arrivé au terme de cette étude, tout effrayé de mon audace et bien convaincu de mon indignité, je me surprends à genoux, tout à côté du héros mourant, dans la maison du chirurgien Arnoux, à Québec, le 14 septembre 1759, à l'aube. Le désir de conserver quelque chose de cet homme que l'éternité, dans un instant, va tenir, la vive sympathie que j'ai pour lui, me poussent à tracer sur la page blanche « le profil plein et fin, l'arête nette et forte du menton », le regard pénétrant, tous les traits de ce visage où l'expérience, le travail, la noblesse de la vie, les grandes pensées ont modelé les muscles. Puis, me reprenant, et à tra­vers le papier rebelle, avec ferveur, je dessine la ligne puissante de cette bouche qui, aux pires moments, disait (2 : « Le bon Dieu a combattu pour moi à Ca­rillon. J'espère en Lui. Nulle inquiétude. Dieu surtout et l'honneur, toujours, en tout événement. »

 

(1) « Toute la conduite de M. de Chevert avec ceux qui fai­saient la guerre sous ses ordres était remplie de ces traits de bonté, de loyauté, de franchise qui, indépendamment de ses talents, auraient suffi pour lui concilier l'estime générale. » (Mémoires de Voyer, oct. 1758, Fonds de Suède, vol. 42.) Ce texte est cité par Dussauge, Belle-Isle, p. 356. Ne croirait-on pas lire l'éloge de Montcalm par Bougainville ou Doreil?

 

 

(2) Fay, Franklin, 2, 288 (1931).

 

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Source : abbé Georges ROBITAILLE, « Conclusion », dans Montcalm et ses historiens, Montréal, Granger Frères, 1936, pp. 231-237.

 
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