Quebec History Marianopolis College


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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Les idées religieuses de Cartier

 

[Note de l'éditeur  : On notera que Cartier écrivait son prénom sans un S, suivant ainsi la forme anglaise. Dans le texte reproduit ici, nous avons gardé la forme française que Lionel Groulx utilisait pour décrire « Sir Georges ».]

Ce texte a été écrit par Lionel Groulx en 1914. Pour la citation complète, voir la fin du texte.]

 

IL faut renoncer à appliquer au grand homme d'Etat canadien une étiquette rigoureuse. Parmi les qualificatifs de gallican, de catholique libéral, d'ultramontain, de « programmiste », etc., qu'on se décoche avec une envie généreuse vers 1870, il ne s'en trouve aucun que Cartier mérite pleinement, à l'exclusion de tout autre. Non pas qu'il se tienne prudemment en-dehors de tous les groupes et de toutes les coteries; il n'est pas sûr qu'à son insu peut-être il n'ait mis le pied un peu dans tous les camps.

 

On comprend la difficulté de définir un personnage aussi complexe, du point de vue religieux. Nous allons essayer néanmoins de dire courageusement la vérité. Il importe de se garder de la légende, en appréciant les idées et la conduite religieuses de Cartier. Laissons au catholique sa taille réelle, sans la diminuer, mais aussi sans la surélever. Les apothéoses trop flamboyantes provoquent, plus tôt et plus venge­resses qu'on ne le croit, les représailles de l'histoire.

 

Qui ne saurait gré au fils de la liberté de 1837 d'avoir passé à travers la tourmente sans y altérer sa foi ? Cartier est à ce moment un tout jeune homme, presque un clerc de la basoche. Quelle facilité de se laisser tourner la tête par la petite bourrasque d'anticléricalisme qui alors se déchaîna sur notre province ! Plusieurs de ses jeunes compagnons, qui jouèrent comme lui aux petits jacobins, s'en sauvèrent plutôt mal. Le clergé refusait de chanter la nouvelle marseillaise ils amassèrent contre lui des colères et des rancunes qui ne pardonnèrent jamais. Cartier, heureusement, avait le bon sens robuste. Esprit positif, assoiffé de clarté, il ne pouvait se gargariser longtemps avec les sonorités ronflantes de la phraséologie révolutionnaire. Les flambées de Colborne ache­vèrent de lui dessiller les yeux. Dix ans à peine passeront et, quand nos jeunes radicaux essaieront au Canada d'un 48 en miniature, Cartier, libéré de ses anciennes attaches, fera figure de rigide conservateur. A ce moment Lafontaine a remplacé Papineau dans ses admirations. Comme tous les élus de la vraie maturité intellectuelle, il a l'horreur instinctive des utopies. Et, puisque les circonstances avaient voulu que le député de Verchères entrât au Parlement presque aux jours mêmes où le petit groupe des radicaux entreprenait de deve­nir un parti politique, il fut bien vite entendu que le nouveau député se constituait le plus déterminé de leurs adversaires.

 

Jusqu'à quel point ce rôle d'oppositionniste que les circonstances lui imposèrent a-t-il influé sur le catholicisme de Cartier ? Son tempérament de combatif contribua sans doute à l'engager plus ardemment dans la défense de l'ordre social et religieux. Mais il suivit aussi les impulsions de sa foi qu'il eût sincère et profonde.

 

Il a jeté, à travers nombre de ses discours, des professions de foi simples, peu tapageuses, mais de quelle noble et solide franchise ! Il fait plaisir de se sentir loin de la religion électorale des politiciens de perron d'église. Nous comprenons que cet homme d'Etat ignore tout-à-fait le respect humain, que jamais il n'a dû rougir de sa foi. C'est en 1866, à la Chambre des Communes, où il est question du « désétablissement » de l'Eglise d'Irlande. Cartier, au milieu d'un dis­cours très hardi, jette tout-à-coup cette solennelle déclaration :

 

« Je prie la Chambre de m'excuser si je parle ainsi. Ce sont là des sujets que je n'aime pas à aborder et qu'il est désagréable de traiter sans nécessité dans une société mixte ; mais je suis catholique, et jamais cette Chambre ni aucune autre Chambre, ni aucun pouvoir sur la terre, ne me feront renoncer à ma foi. Mes convictions religieuses sont inébranlables et plusieurs me sauront gré de les avoir défendues ».

 

En 1860, à l'Université Laval de Québec, Cartier parlera comme un ultramontain en faveur du pouvoir temporel du pape :

 

« Pour le catholique, le pape n'est pas seulement une individualité sacerdotale, un simple ministre de la religion; il représente, il personnifie la grande famille catholique du monde entier; il relie les catholiques sur la terre au Rédempteur dans le ciel... Il est impossible que Sa Sainteté joue le rôle qu'on lui destine : celui de pensionnaire dans la ville sainte, aux frais de telle et telle province qui lui paiera tribut. Non, le pape ne peut être mis à la portion congrue. Ce rôle ne convient pas à la dignité du chef de l'Eglise ».

 

On recueille dans ce même discours un aveu de grand prix, et qui donne une ouverture sur la vie religieuse intime de Cartier. Cet homme politique allait jusqu'à la prière et ne s'en cachait point :

 

« Catholiques, nous savons que rien ne peut prévaloir contre l'Eglise, mais nous savons aussi combien la prière est une arme puissante ! Vous priez, Monseigneur, de toute votre âme d'apôtre pour le Souverain-Pontife; nous prions nous aussi. Dieu veuille que la prière soit triom­phante ! »

 

Ajouterons-nous que le catholicisme de Cartier s'alliait à un sens très généreux de la liberté religieuse ?

 

« Vous savez que je suis catholique, disait-il un jour à un banquet à Montréal ; j'aime ma religion, la croyant la meilleure; mais, tout en me disant hautement catholique, je crois de mon devoir, comme homme public, de respecter la sincérité et les convictions religieuses des autres ».

 

Enfin, nous savons, par les aveux d'un homme qui a pu l'observer de très près, que Cartier ne resta jamais en deça [sic] de la pratique religieuse :

 

« Entraîné sans relâche dans le tourbillon de la politique, il n'a peut-être pas toujours suivi à la lettre la pratique de tous ses devoirs religieux. Mais nous sommes certain qu'il a toujours été de coeur avec l'Eglise. Il n'a pas attendu, comme tant d'autres, la dernière heure pour mettre en ordre les affaires de sa conscience ; il a voulu y voir longtemps avant de se sentir atteint par le coup fatal. Nous aimons à constater cela, parce que des rumeurs mal fondées, sinon malveillantes, se sont répandues à ce sujet... La foi de G.-E. Cartier était pleine, vivace et entière. Celui qui écrit ces lignes le sait d'autorité » ( 1 ).

 

Au besoin, les oeuvres de l'homme d'Etat rendraient témoignage à l'active sincérité de sa foi. Les catholiques ca­nadiens ne pourraient sans ingratitude méconnaître les services signalés qu'au cours de sa longue carrière parlementaire Cartier rendit à l'Eglise « que nous chérissons tous, au triomphe de laquelle, s'écriait-il un jour, nous travaillons chacun dans la mesure de nos forces ». Ces services, il crut même un jour devoir les étaler avec quelque complaisance. Il défendait alors devant Mgr Bourget son catholicisme que l'on tenait pour suspect.

 

« Monseigneur, disait-il, connaît toutes les lois que M. Cartier a fait passer, soit pour permet­tre à l'évêque lui-même de tenir régistres [sic], soit pour régulariser les paroisses et les régistres [sic] qui n'étaient pas conformes à la loi. Mgr l'évêque ne saurait nier les efforts de M. Cartier pour arrêter des projets de loi destinés à abolir la dîme, et que c'est à son influence qu'est due l'adoption d'un statut qui, étendant aux townships l'opération des lois françaises, a permis d'y établir (les paroisses canoniquement et civilement comme dans le reste du pays, et, comme conséquence, de prélever la dîme en faveur du clergé catholique. Il sait que, depuis dix ans qu'il est en position d'aviser le gouvernement du Canada, on ne saurait citer un seul cas où il a été en défaut. Il est inutile d'énumérer les nombreuses lois passées par son influence, depuis plus de quinze ans, pour incorporer des communautés religieuses, des collèges, des maisons d'éducation et des institutions de charité, ou pour protéger les droits (les corporations religieuses dans la commutation des droits seigneuriaux, toutes mesures dont l'évêque de Montréal a eu parfaitement connaissance ».

 

L'oeuvre assurément est considérable. Elle explique, oserons-nous le dire, le grand prestige dont jouit Cartier au­près de ses compatriotes. « Le chef des Canadiens français ne pouvait être un indifférent, encore moins un incrédule », écrivait M. Sulte au lendemain de la mort du grand homme d'Etat. Mot vrai et profond dans son apparente banalité. Devons-nous à notre sens catholique d'avoir gardé une idée encore assez juste de la vraie taille humaine ? Nul chez nous n'a mérité longtemps la confiance des foules et n'a remué profondément l'âme de la race, qui n'ajoutait au talent et à la noblesse du caractère la grandeur plus haute que lui conféraient les croyances de ses compatriotes. Notre peuple a pu avoir ses heures d'égarement et d'idolâtrie; il n'a pas tardé à briser ses idoles le jour où, ayant pu les atteindre sur leur piédestal olympien, il a découvert que la poitrine comme les pieds rendaient le son de l'argile.

 

Qu'a-t-il donc manqué à Cartier que nous devions mettre des réserves à notre admiration ? Peu de chose et beaucoup. Il manque toujours beaucoup au catholique qui ne l'est pas intégralement. C'est sur la fin de sa carrière que Cartier devint suspect dans ses principes religieux. L'abominable politique avait-elle accompli une fois de plus son oeuvre né­faste ? Nous le croyons franchement. Il se trouva en outre que le vent tournait alors aux discussions religieuses - nous étions à l'époque du Syllabus et de l'encyclique Quanta cura - et Cartier, il faut bien l'avouer, savait plutôt mal son catéchisme.

 

La division de la paroisse de Notre-Dame de Montréal lui fit rencontrer sa première pierre d'achoppement. Un de nos historiens n'a voulu voir au fond de ce différend qu'une question de procédure. N'est-ce pas plus que de raison rapetisser un débat ? L'intervention fâcheuse de Cartier aiguilla le procès sur une voie funeste, et il y alla bientôt de la liberté même de l'évêque dans l'érection des paroisses. Si, au jugement de Cartier, Mgr Bourget se donna le tort de négliger l'aspect légal de la question, Cartier, lui, en ignora lamentablement l'aspect religieux. Une fois engagé dans le débat acrimonieux, il ne pouvait que s'y entêter jusqu'à la passion, et l'impérieux avocat, hélas ! se fit peut-être avocassier. Ne le vit-on pas, pour faire échec à son Ordinaire, soutenir les opinions les plus destructives de la liberté de l'Eglise et les plus opposées, à ce qu'il semble bien, à notre vieille jurisprudence française ? Il en vint à prétendre, par exemple, que le droit de tenir les régistres [sic] ne découle pas de celui d'administrer les sacrements et d'enterrer les morts, mais que le droit d'accomplir légalement ces derniers actes découle de celui de tenir les régistres [sic].

 

« C'est-à-dire, commente M. S. Pagnuelo, que le curé ne tient pas le droit d'administrer les sacrements de l'évêque et des lois ecclésiastiques, mais de la loi civile. Quand même l'évêque ne lui donnerait pas juridiction pour célébrer les baptêmes, mariages ou sépultures dans la paroisse canonique, il aurait, d'après Sir Georges, de par la loi civile, pouvoir et obligation de les administrer. L'évêque nommerait le curé, la loi civile définirait ses pouvoirs et fixerait l'étendue de sa juridiction, même quant à l'administration des sa­crements » ( 2 ).

 

Après cela, Sir Georges gardait-il encore le droit de s'indigner si on lui jetait à la tête l'épithète de gallican ? Ni ses adversaires, ni même ses amis ne se gênèrent, et ce fut une affaire malheureuse que cette intrusion du chef conservateur dans un procès canonique. Cartier commit à tout le moins une lourde faute politique : il organisa alors de ses propres mains sa retentissante défaite de Montréal-Est en 1872.

 

Pourquoi aussi se chargea-t-il d'accroître les méfiances avec cette autre plus malheureuse affaire du Programme catholique ? Que trouvons-nous en définitive au fond de ce programme qui souleva en notre province la plus violente des campagnes de presse ? Rien de plus simple :

 

« L'adhésion pleine et entière aux doctrines catholiques romaines, en religion, en politique et en économie sociale, doit être la première et la principale qualification que les électeurs catholiques devront exiger du candidat catholique. C'est le criterium le plus sûr qui devra leur servir à juger les hommes et les choses ».

 

Voilà la pensée de fond des Programmistes; le reste n'est que commentaires et applications pratiques. On peut discuter assurément sur l'opportunité d'une pareille profes­sion de foi politique. Mais qui osera prétendre que les malaises de l'époque ne justifiaient point, dans une certaine mesure, ce surcroît de précautions ? Pouvons-nous demander moins à des catholiques, fussent-ils députés, que de soumettre tous leurs actes aux principes de la doctrine catholique ? Et voudra-t-on soutenir en bonne logique que l'adhésion d'un groupe d'hommes à un tel programme entraînait fatalement l'orga­nisation d'un nouveau parti sur lé terrain religieux ? Un catholique plus entier que Sir Georges ne se fût point effrayé de ces formules qu'on lui demandait de souscrire. Il eut compris qu'une plus intégrale application de ces principes ne pouvait que relever la morale des parlements, empêcher peut-être ces déplorables dédoublements de conscience qui font la honte et le péril de notre vie publique. Mais surtout, Sir Georges eut bien fait de prendre note que les Programmistes se prévalaient de l'adhésion d'évêques qui méritaient quelque respect; que leurs journaux, journaux catholiques, ne relevaient en pareille matière que du tribunal de leur Ordinaire, et que la lettre de l'archevêque de Québec ne pouvait rien changer à la discipline de l'Église. Le chef conservateur pouvait-il craindre qu'on lui reprochât, devant les protestants, des déclarations d'un catholicisme trop absolu ? Mais d'abord, les Programmistes avaient pourvu à la difficulté en déclarant qu'il ne pouvait être question en tout cela des protestants, « auxquels, disaient-ils, nous laissons la même liberté qu'ils réclament pour eux-mêmes ». Puis, comme il eut été facile à la brusque franchise de Cartier de riposter que la vérité catholique n'est gênante nulle part; qu'elle n'empêche d'être ni bon patriote, ni même bon conservateur; qu'elle n'enlève ni la liberté de l'esprit, ni l'esprit de la liberté. Au lieu de cela, le catholique s'effaça devant le politicien et le chef conservateur apparemment donna l'ordre aux artilleurs ministériels de La Minerve de mitrailler les mécréants du Nouveau-Monde et du Journal des Trois-Rivières.

 

En réalité, Sir Georges vivait à une époque - qui dure encore - où les politiciens et quelques autres n'admettent guère le journal catholique. Il redouta cette influence nou­velle qui menaçait de substituer la conscience chrétienne au mot d'ordre des chefs politiques. La question des Ecoles du Nouveau-Brunswick s'annonçait menaçante et les chefs se refusaient à détendre la discipline du parti.

 

Voici bien une autre page regrettable dans la vie de Cartier. Concédons qu'à s'en tenir à la lettre brutale des statuts, les catholiques du Nouveau-Brunswick ne possédaient point avant 1867 de loi organique établissant dans leur province un système d'écoles séparées. Mais depuis quand la lettre de la loi est-elle tout en jurisprudence ? Si les catholiques du Nouveau-Brunswick n'exigèrent point de garanties plus explicites avant la signature du pacte fédéral, si l'évêque de la province approuva par un mandement la constitution de 1867, ne pouvons-nous point présumer qu'ils croyaient à la plus grande justice de ce contrat politique ? L'un des principes fondamentaux du pacte, n'est-ce point le respect des minorités dans toutes les provinces ? Oui, vraiment, nous croyons qu'en cette occurrence, Cartier manqua un peu de son habituel courage. Ses discours sur la question sont d'un laconisme qui fait honneur au debater au détriment du catholique. Nous aimerions un peu moins de réserve, moins de cette timidité, sinon de cette hâte fiévreuse, qui fait expédier une affaire gênante. Dirons-nous toute notre pensée ? Il nous déplaît, dans une affaire aussi grave, de voir l'homme d'Etat canadien se rabaisser presque à un rôle de politicien quand il appartenait à sa gloire, à la noblesse hautaine de son caractère, qu'il se drapât dans une attitude cornélienne. Nous aimerions le voir avec la majorité de ses compatriotes qui se prononçaient ; pour le désaveu. Il lui appartenait à lui, l'homme qui avait fait triompher à la Conférence de Québec les droits des minorités, il lui appartenait, en une occasion aussi solennelle, de rappeler au parlement l'esprit libéral dont s'étaient inspirés ses collègues de 1864. Que vaut en réalité le subterfuge derrière lequel il se retrancha ? Il prétendit que l'intervention du gouvernement fédéral ruinerait du coup l'autonomie scolaire des provinces, et que les députés catholiques du Québec devraient être les derniers à solliciter dans leur système d'écoles une aussi périlleuse ingérence. Mais voilà une doctrine, il nous semble, qui tend à déformer étrangement l'article 93 de la constitution, en représentant comme absolue l'autonomie des provinces en matière scolaire ! Mais si cette autonomie n'est que relative -- ce qui est la vérité - en quoi une intervention du fédéral, dans les seules limites autorisées par la constitution, peut-elle mettre en péril cette même autonomie ? Faut-il décréter que toute intervention du fédéral est inopportune ou dangereuse ? Mais alors, c'est saper délibérément les bases mêmes de la Confédération ! Et mieux eût valu assurément avertir les minorités dès 1872 qu'on venait de les pousser dans un traquenard et qu'il n'y aurait désormais de justice au Canada que pour les forts qui se feraient persécuteurs !

 

Quels puissants motifs auraient donc entraîné Sir Geor­ges-Etienne Cartier à soutenir une opinion si opposée à ses principes très connus, si contraire à la fierté impérieuse de son caractère ? Il se peut que l'âge ou la maladie eussent entamé déjà sa vigueur combative. En toute justice, il faut aussi reconnaître à son attitude beaucoup de bonne foi, mais peut-être aussi eut-il peur de donner un démenti à la grande oeuvre de sa vie, d'en faire apercevoir si tôt l'extrême fragilité. Cinq ans à peine s'étaient écoulés depuis la proclamation de l'Acte de l'Amérique britannique du Nord. Or, se souvient-on de l'exclamation presque ingénue de Cartier le jour où je ne sais plus lequel de ses adversaires osa émettre des doutes sur l'efficacité des garanties promises aux minorités ?

 

« Est-il possible, disait Cartier à la Chambre d'Assemblée (7 février 1865), est-il possible de croire que le gouvernement général ou les gouvernements locaux pourraient se rendre coupables d'actes arbitraires à l'égard des minorités ?... Des mesures de ce genre seraient à coup sûr répudiées par la masse du peuple ».

 

Certes, de telles déclarations font honneur au caractère chevaleresque de l'orateur. Mais la désillusion vint à Cartier si rapide et si complète ! Il devait la ressentir cruellement. Il avait trop cru à la générosité des forts. L'édifice venait à peine de s'élever que déjà des lézardes en faisaient trembler les murs. Sir Georges sans doute n'en voulut pas voir davantage. Et, dans cette affaire des écoles du Nouveau-Brunswick, il choisit de nier le droit au désaveu pour épargner à son oeuvre une secousse qui, dans sa pensée, l'eût fait crouler.

 

*      *      *

 

Voilà donc, aussi impartialement que nous avons pu les définir, les idées et la conduite religieuses de Cartier. Il fut un bon catholique; il ne fut pas un grand catholique. Il aima l'Église, il n'a jamais nourri contre elle, nous le croyons franchement, aucune pensée d'hostilité, ni même de méfiance. Il s'en montra volontiers le serviteur et le défenseur; mais peut­être ne serait-il pas allé jusqu'au martyre. Il manqua au catholique une foi plus éclairée, un sens plus profond de l'orthodoxie qui l'eût gardé de certaines aventures. Comme tous ceux qui vont se coucher sur ce lit de Procuste, il a subi, nous en avons bien peur, les amoindrissements de la politique. En dépit de ces faiblesses, le catholique chez Cartier demeure encore d'une belle grandeur. Rien n'empêche les Canadiens français de souhaiter à leur race une incarnation plus complète; en attendant, ils peuvent, sans forfaire, s'incliner devant ce solide croyant.

 

(1) Voir Revue Canadienne, vol. X, p. 432, article de Benjamin Sulte.

 

(2) Ceux qui désireraient de plus longs éclaircissements, sur un sujet, que nous ne pouvions qu'effleurer dans l'étroit espace que nous assignait la Revue, pourront consulter avec profit un volume aussi peu lu que généralement admiré - et nous le disons sans ironie : Etudes historiques et légales sur la liberté religieuse en Canada, par S. Pagnuelo, avocat de Montréal, 1872.

 

Source : GROULX, Lionel, « Les idées religieuses de Cartier », dans Revue canadienne , Vol. 15, No 3 (67), (septembre 1914): 225-235. Article transcrit par Christophe Huynh. Des erreurs typographiques mineures ont été corrigées dans le texte. Le formatage du texte a également été modifié. Quatre erreurs grammaticales ont été corrigées. Révision par Claude Bélanger.

 

 

 

 

 
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