Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Octobre 2013

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

 

L'Appel de la race et la haute critique

 

Albert Levesque

 

 

Chronologie de la controverse sur l'Appel de la Race

 

[Note de l'éditeur : Ce texte, qui constitue la deuxième partie de l'article de l'auteur, a été particulièrement difficile à reproduire à cause de la pauvre qualité de l'édition originale du texte. De plus, l'auteur ouvre des guillemets sans les fermer, ou ferme des guillemets quand ils n'ont jamais été ouverts ... L'utilisation de la ponctuation laisse aussi beaucoup à désirer; nous l'avons respectée, sauf lorsque cela menait à des difficultés de lecture trop importantes.]

 

Première partie de l'article

 

Un ami me souffle à l'oreille : « Mais comment se fait-il que M. Roy ait commis semblables exagérations ? »

 

Nous l'expliquons ici même. C'est que le savant critique a construit et fait reposer toute sa thèse sur un terrain mal établi. Il a dévié dès le point de départ ; c'est ce qui l'a entraîné à des affirmations catégoriques déconcertantes.

 

C'est que, d'après M. Roy, Lantagnac « s'est acculé lui-même à une impasse ; il n'a plus, dit-il, la possibilité, l'obligation patriotique de servir par tous les moyens, même honnêtes, sa race ».

 

Nous pourrions contester fortement la justesse de ce principe, et soutenier que nous ne connaissons pas d'erreurs qui n'exigent pas de réparations, ni de fautes dont la tentative de rachat devienne illicite, même par « des moyens honnêtes. »

 

Ce principe prête  certainement à de dangereuses interprétations, et transporté dans certains domaines intimes, il peut mener droit aux déprimations, morales, [sic], à l'inaction systématique et abrutissante.

 

Mais tenons-nous en à la question de faits.

 

Or, le fait, c'est qu'Alonié de Lestres développe tout le contraire de M. Roy, dans le cours de son roman.

 

Pour Alonié, le cas est fort simple : Lantagnac n'a pu « s'acculer lui-même à une impasse », puisqu'il ne pouvait lui-même la connaître ni la soupçonner.

 

Quand il a épousé une anglaise [sic], Lantagnac, quoi que prétende M. Roy, n'a nullement « introduit dans sa vie du volontaire direct » le rendant coupable aujourd'hui de la rupture de son foyer, pour cette évidente raison que Lantagnac ignorait alors le sens, la portée, la gravité de l'acte qu'il posait. Il lui était moralement impossible de soupçonner « l'impasse » dans laquelle il allait tomber ; bon [sic - son ?] état d'âme, sa mentalité, sa « sincérité » dans l'erreur qu'il faisait, lui rendait impossible cette prévision :  [sic]

 

Pour que Lantagnac introduisit dans sa vie le « volontaire direct » dont parle M. Roy, il eut fallu que celui-ci contractât un mariage mixte, expressément pour se jeter dans l'impossibilité de rendre plus tard des services à sa race, et « redevenir lui-même ; il eut fallu qu'il se rendit compte, que par cet acte, il accomplissait une trahison nationale, une « apostasie ».

 

Or, dans le roman, rien absolument qui indique que Jules se fit un tel raisonnement ; au contraire tout démontre qu'il agit avec « sincérité », sous l'influence de la mauvaise préparation et éducation nationales qu'il a reçues.

 

N'ayant pas la notion de « l'impasse » où l'entraînait son mariage il est donc inexact d'affirmer « qu'il s'y est acculé lui-même » : car, pour vouloir une chose, directement, il faut tout au moins, la connaître, la soupçonner.

 

Jamais, donc, Lantagnac ne « s'est mis dans l'impossibilité de rendre à la cause française les services qu'il voudrait maintenant lui rendre ».

 

Il y a été entraîné, inconsciemment, involontairement. Sans doute, c'est lui-même qui a consenti à ce mariage, mais dans ce mariage, son état d'esprit ne lui permettait pas de voir une rupture avec sa race, au point d'amener l'impossibilité de la servir à l'avenir.

 

Si, plus tard, la Providence fournit à Lantagnac l'occasion de reconnaître l'erreur dont il est la victime, celui-ci, ayant suivi dans le passé, la dictée sincère de sa conscience, devra suivre également, avec la même sincérité, le nouvel ordre de sa conscience, cette fois mieux éclairée, redressée, et capable de débrouiller les nuages enchevêtrés qui ont pesé sur sa jeunesse.

 

Or, précisément, à l'époque où Lantagnac, reconnaît la situation néfaste, à laquelle son éducation primitive et des circonstances incontrôlables l'ont acculé, la Providence fait surgir à ses côtés un moyen de réparation, très efficace : car, c'est lui, qui, par « sa situation de premier plan au barreau d'Ottawa a tout le prestige qui convient à un chef » ; c'est lui « qui peut apporter une influence considérable », décisive, peut-être, dans la lutte scolaire, pour la survivance de la langue et de la foi (M. Roy l'a oublié) de ses compatriotes de l'Ontario, et du Québec, puisqu'une défaite sur ce terrain avancé peut avoir ses répercussions jusqu'au centre de notre petit peuple.

 

Voici, donc, pour Lantagnac, le moment propice de réparer son passé : les yeux de tous sont tournés vers lui, il incarne la race entière, il peut, en rachetant son involontaire défection, sauvegarder la survivance française et catholique des siens. Certes, c'est une occasion qui mérite de ne pas rester dans l'ombre, qui s'impose auprès de Lantagnac, et qui nécessite son concours.

 

Mais, ce concours, si Jules le donne, son épouse s'oppose et menace de briser son foyer.

 

Que doit-il faire ?

 

Écouter Maud, qui veut l'empêcher de réparer l'erreur de sa jeunesse ! qui marque des limites indues à sa conscience.

 

Et, pourquoi Maud s'oppose-t-elle ?

 

Est-ce que son mari ne respecte pas sa liberté ?

 

Est-ce qu'il l'empêche, lui, de répondre et de rester fidèle à l'appel de sa race ?

 

Est-ce que, si Lantagnac, se dévoue à la cause française, cela contraint son épouse à renoncer à la cause anglaise qui lui est chère ?

 

Si lui, Lantagnac, est forcé de s'affirmer ouvertement pour ou contre sa race, est-ce que sa femme est réduite aux mêmes devoirs rigoureux ?

 

Ne peut-elle pas au contraire continuer à vivre paisiblement au foyer de son mari, souffrir et supporter secrètement leur douleur réciproque ?

 

Elle réclame ses droits d'éducation pour ses enfants. D'abord, est-ce que Lantagnac ne respecte pas entièrement la liberté de ses enfants ? Et depuis quand l'éducation des enfants est-elle l'oeuvre exclusive de l'épouse ? Et depuis quand l'autorité du chef de famille est-elle un vain mot ? Et depuis quand la théorie du self control en éducation est-elle la seule applicable, juste et véritable ?

 

Est-ce qu'enfin, si Maud, reste au foyer de son mari redevenu français, la race anglaise, la cause anglaise est en péril.

 

Certes, il faut être aveugle pour le croire.

 

Et pourtant, c'est bien la cause catholique et française qui est en péril, si Maud réussit à retenir Lantagnac à son foyer, dans les griffes de l'anglomanie.

 

Pourquoi met-elle des bornes à sa liberté d'action ?

 

Pourquoi ? Pace que, elle et surtout les siens qui font pression sur sa conduite, « rêvent d'un accord dans l'uniformité », tandis que Jules désire « le maintien de la diversité (p. 123) ».

 

Parce qu'ils veulent « tout niveler sous le couperet de l'orgueil ethnique », cet esprit de domination, qui entraîne Maud Fletcher à imposer la communauté de foyer « par la communauté de race », la paix du foyer par le triomphe et la primauté unique de sa race, « la race supérieure », aux exigences de laquelle, les aspirations légitimes de son mari, devraient céder.

 

Si Maud Fletcher avait su comprendre et admettre, que Jules pouvait se développer, lui et les enfants qui optaient avec lui dans le sens de sa race, elle, dans le sien, sans briser nécessairement, les liens du foyer, pourvu que de part et d'autre on respectât les droits, la liberté d'action et les légitimes aspirations, il n'y aurait pas eu de rupture de foyer conjugal.

 

De même, ici, au Canada, si la race anglaise voulait comprendre et admettre définitivement que la race canadienne-française peut se développer dans le sens de son originalité ethnique, de ses traditions et de ses aspirations, sans heurter celles du voisin, pourvu que chacune respecte la justice, les droits et privilèges accordés par le pacte fédératif; pourvu que disparaissent à jamais les efforts systématiques de la domination d'une race sur l'autre, la politique d'assimilation, le rêve d'une prétendue « race supérieure » absorbant la « race inférieure » et les minorités pour créer « l'uniformité de race » ... il ne serait plus question de luttes, ni de rupture éventuelle, entre l'élément anglais et l'élément français.

 

Mais évitons les digressions et retournons au roman. « Il serait si simple (dit Alonié lui-même) à l'épouse de Jules de Lantagnac, non pas d'entrer dans les sentiments nouveaux de son mari , - concession trop entière qu'il n'exige point - mais de les accepter comme l'évolution naturelle d'une personnalité loyale, comme le droit d'une conscience. Comment donc le mari de Maud Fletcher pourrait-il devenir moins bon père de famille, époux moins aimant et moins fidèle en pratiquant la plus haute fidélité ? »

 

« Aurait-il dépossédé la mère en reprenant ses droits paternels ? Non, Lantagnac ne se cache point ce qu'il y a d'illégitime dans les prétentions de Maud trop principalement appuyées sur l'orgueil individuel et ethnique ».

 

Donc, si la rupture du foyer survient, c'est bel et bien, parce que Maud n'aura pas eu « assez de tact, de prudence et de charité » pour respecter « les atavismes légitimes » de son mari et « pour sauvegarder l'unité morale de leur vie ».

 

(Une [sic] chose peut aussi fort bien expliquer la facilité avec laquelle Maud Fletcher quitte son époux : c'est que protestante fraîchement convertie, elle garde sous une enveloppe de pratique catholique, une mentalité protestante. Et l'on sait que le divorce est le fruit naturel de cette mentalité.

 

Cette interprétation explique, en même temps, pourquoi Alonié nous avertit, dès le début, que Jules de Lantagnac épouse une protestante convertie : il n'y a pas un détail superflu dans ce roman, qu'on ne l'oublie pas.

 

Et Lantagnac, n'aura voulu « la séparation conjugale qu'indirectement, en posant un acte bon qui en traînait par accident, par l'accident de l'inintelligence irritée de sa femme (et enflammée par les siens) cette désastreuse conséquence ».

 

« Cette subtilité » peut fort bien « tenir », et si la critique refuse de la saisir, ce n'est certes pas la faute d'Alonié.

 

Et ce que nous reprochons à M. Roy ce n'est pas tant de soutenir que la théorie du « volontaire indirect » du père Fabien est défectueuse, mais c'est d'insinuer en termes non équivoques que seule la solution qu'il apporte au cas de conscience de Lantagnac, est juste, véridique et orthodoxe ; alors que la question est très discutable et discutée.

 

Si M. Roy avait pris soin de signaler cette distinction aux lecteurs, qui n'ont pas tous la capacité de suivre les raisonnements philosophiques et théologiques, il aurait évité de jeter les bonnes âmes et les consciences délicates dans l'inquiétude ; il aurait évité de susciter ce grand nombre de lettres et l'approbations [sic] qui sont venues d'un bout à l'autre du pays (de la France même) de la part de théologiens éminents, et qui encouragent unanimement Alonié de se tenir en paix sur l'orthodoxie et la moralité de son roman.

 

Avis est donc donné aux âmes timorées.

 

*   *   *

 

4°- D'après M. Roy, pour le plaisir de prononcer un discours au Parlement, il n'est pas permis de ruiner son foyer : « C'est la séparation, l'irréparable destruction de la vie familiale qui sera la conclusion d'un discours de plus au Parlement », écrit M. Roy.

 

Cette affirmation nous paraît gratuite, et exagérée. Si elle était vraie, Maud Fletcher deviendrait un véritable monstre de stupidité, et s'il fallait que toutes les femmes eussent la permission de briser leur foyer pour un discours de leur mari, qui ne cadre pas avec leurs idées ... Mon Dieu, quel avenir est réservé à nos familles, et quelle licence impertinente est soudainement accordée au sexe féminin !!

 

Non, il faut prêter plus d'indulgence à la faute déjà si grave de Maud Fletcher.

 

Non, ce discours de Jules de Lantagnac revêt un caractère beaucoup plus important.

 

1° - Rappelons-nous d'abord que Lantagnac, au Parlement, à cette séance du 11 mai, incarne toute la race canadienne-française, dans la question la plus importante de notre survivance catholique et française ! Son silence, à cette heure solennelle, devient le silence de la race ; et Lantagnac lâcheur, c'est le synonyme d'une défection de la race entière dans la réclamation légitime de ses droits les plus sacrés.

 

C'est déjà une légère nuance.

 

2° - De plus, ce discours est l'affirmation publique ouverte, indéniable, que, à partir de ce moment, Jules de Lantagnac se donne totalement à la défense de sa race. S'il avait gardé le silence, en pleine connaissance de cause, consciemment, volontairement, cette fois, il tournait le dos à la cause des siens, accomplissait une trahison nationale, trompait ses électeurs envers lesquels il s'était engagé, et qui avait [sic] mis en lui leur confiance.

 

Et c'est là, une deuxième nuance, que Maud Fletcher elle-même, si on lui prête un peu d'intelligence, a dû saisir et mesurer.

 

3° - Enfin, autour de ce discours improvisé, qui annonce désormais la conduite politique de Lantagnac et qui marque la plénitude de toute une vie nouvelle, viennent se grouper tous les actes et les hauts faits futurs, tout l'avenir brillant d'un homme dans la force de l'âge, dont les talents dominent, dont l'influence est très grande, dont le zèle est à toute épreuve, et dont le nom est rehaussé de tout l'éclat du geste héroïque qu'il vient d'accomplir.

 

Et si l'histoire réelle a démontré que la lutte parlementaire, aussi bien que toute la lutte scolaire de l'Ontario, n'a pas été couronnée de succès, rien n'indique, dans le roman, l'issue infructueuse de ces luttes, rien n'indique que Lantagnac, grâce à son discours et à son zèle, ne contribuera pas à gagner la cause de ses compatriotes ; et pour quelqu'un qui analyse le roman, c'est un détail qu'il n'est pas permis d'oublier.

 

Il nous reste à signaler, au lecteur, un autre procédé qui nous a, aussi, étonné.

 

M. Roy commence par dire que l'Appel de la Race « est un ouvrage de haute valeur » et finit, en affirmant que « c'est un très bon livre », un « très beau livre » et « qu'il doit être lu et pour tant d'idées nobles, généreuses, dont il est pénétré et pour cette langue abondante forte et douce dont il est écrit ».

 

Mais entre ce début et cette finale, il trouve moyen de réduire à poussière la « haute valeur » du « très bon et très beau livre ».

 

Il accuse d'abord, l'auteur, d'avoir mal résolu le cas de conscience autour duquel pivote toute la fable du roman : donc oeuvre manquée ... sinon dangereuse ou immorale.

 

Les personnages aussi sont manqués :

 

Lantagnac, qui « doit-être le personnage sympathique » ne l'est plus assez ».

 

« Maud Fletcher est d'une insignifiance rare. C'est à vrai dire un personnage manqué. »

 

William Duffin, « c'est un goujat .

 

Davis Fletcher : « c'est un rond de cuir ignoble ».

 

« L'organisation du livre est défectueuse » ; les chapitres se confondent, « les scènes à faire y manquent de relief. Il arrive même que les scènes à faire, ne sont pas faites du tout » ... Qu'en reste-t-il de bon ? - Écoutons.

 

« Il reste que nous avons sincèrement admiré : l'inspiration très haute qui l'a dicté ; » mais quelle est cette inspiration ? Celle d'une thèse immorale ? Nationaliste ? M. Roy ne le dit pas et continue : « l'analyse très fine et très juste des appels de la race » ... mais cette analyse n'est plus « si fine et si juste » si elle conduit « à une conclusion morale qui gâte le roman ».

 

Enfin, M. Roy admire « l'exposé si dramatique de la situation scolaire », mais comme ce récit entre plutôt dans le domaine de l'histoire, il reste qu'Alonié de Lestres est un piètre romancier . Et pourtant, appuyé sur la critique de M. Roy, nous sommes en droit de lui demander comment et pourquoi le roman : l'Appel de la Race est-il un ouvrage de « haute valeur », un « très bon », un « très beau » livre ?

 

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Source : Albert LEVESQUE, « L'Appel de la race et la haute critique », dans Le Quartier latin, 8 février 1923, pp. 6-7. Les erreurs typographiques évidentes ont été corrigées.

 

 

 
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