Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Octobre 2005

Documents of Quebec History / Documents de l'histoire du Québec

 

Women's Right to Vote in Québec

Le droit de vote des femmes du Québec

 

[Série de cinq articles publiés dans le Devoir en 1921 par l'abbé Arthur Curotte. Pour la source exacte, voir la fin du document.]

 

III Le vote de la femme. Nous abordons enfin la question troublante du droit que revendique la femme de déposer son vote dans l'urne électorale; notre démonstration indirecte est faite: si le Contrat social est une fausseté historique et une erreur philosophique, si le suffrage universel est une prétention exorbitante, il s'ensuit que le féminisme politique ne repose sur aucune base juridique. Nous allons essayer de le prouver directement; pour plus de clarté dans l'exposition et de solidité dans la preuve, nous procéderons par pro­positions.

 

1) La première société, dans l'ordre du temps et l'ordre de la nature est la société domestique ou la famille; et dans cette société l'autorité appartient de droit imprescriptible et inaliénable à l'époux et au père.

 

"Tu seras sous la puissance de ton mari, et il dominera sur toi", dit Dieu à la première femme. "Que les femmes soient soumises à leurs maris, comme au Seigneur; car le mari est le chef de la femme comme le Christ est le chef de l'Eglise. Or, de même que l'Eglise est soumise au Christ, ainsi les femmes doivent être soumises à leurs maris en toutes choses. Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Eglise... Vous enfants, obéissez en toutes choses à vos parents". (S. Paul aux Ephésiens).

 

Le Père Taparelli fait remarquer judicieusement que l'Apôtre recommande au maître de la maison de tempérer l'exercice de son autorité par la bienveillance et l'amour délicat.

 

Cette autorité maritale et paternelle est une sorte de monarchie absolue de droit divin, et n'est en rien soumise à l'élection ou à la ratification de la volonté des sujets; elle est un pouvoir moral naturel et nécessaire aux mains de celui "qui curam habet communitatis."

 

2) Saint Thomas et ses commen­tateurs supposent maintenant un état de société primitive qu'ils appellent patriarcale, et qui consiste dans une association de familles issues de la même souche, et conséquemment liées par le sang; dans cette hypothèse, disent-ils, l'autorité revient au père de famille le plus ancien dans la ligue ascendante.

 

"Omnis domus, écrit le saint Docteur, regitur ab aliquo antiquissimo, sicut a patrefamilias reguntur filii. Et exinde contingit quod etiam tota vicinia, quae erat instituta ex consanguineis, regebatur propter cognationem ab aliquo qui erat principalis in cognatione, sicut civitas regitur a rege. Unde Homerus dixit quod unusquisque uxori  et pueris suis instituit leges, sicut rex in civitate."

 

Remarquons ici encore que c'est la nature elle-même, et non l'élection par les sujets, qui détermine le dépositaire de cette autorité mi-paternelle et mi-politique; c'est de nouveau le père de famille "qui curam habet communitatis".

 

3) Enfin, la multiplication croissante des familles et leur dispersion sur des territoires distincts ont donné naissance à la société civile, et celle-ci a passé par les phases successives du Municipe ou Commune ou Cité, de la Province et de l’Etat.

 

De cette société civile les parties intégrantes sont, non les individus, mais les familles. (Les patrons du suffrage universel et du suffrage féminin l'ont-il oublié?) En tout cas, nous ne cesserons de réprouver toute théorie qui aboutirait à l'absorption de la famille par l'Etat.

 

Cette société civile a reçu elle aussi de son Auteur son principe d'unité, de vie, de mouvement, son âme en un mot, qui est l'autorité, se manifestant et s'exerçant par le triple pouvoir législatif, judiciaire et exécutif, nécessaire au fonctionnement de l'organisme social.

 

Cette autorité, l'a-t-on bien des fois répété, n'est pas la représentation des volontés individuelles renonçant spontanément à leur liber­té et mettant en commun leur vouloir en vue du bien public; non, pour nous l'autorité c'est le droit de Dieu de gouverner les sociétés comme les individus, et les dépositaires de l'autorité ne sont que les représentants de Dieu; que le maître Rousseau et ses élèves en prennent leur parti.

 

Mais qui sera ce dépositaire de l'autorité civile, représentant de Dieu dans le gouvernement de l'Etat? Ici commence la partie épineuse de notre travail, et nous avons plus que jamais besoin de distinguer et de préciser.

 

Tout d'abord nous n'admettons pas que l'autorité du chef de l'Etat n'est que l'autorité transformée du chef de la famille, c'est-à-dire que par l'évolution normale l'autorité paternelle deviendrait l'autorité politique. Néanmoins, saint Thomas ne veut pas de solution de continuité entre l'autorité domestique et l'autorité civile: "Sic ergo patet quod regimen regis super civitatem vel gentem processit a regimine antiquioris in domo vel vico," et le cardinal Zigliara ajoute: "En praevalentia seu melius transitus juris domestici in civile".

 

Tâchons de saisir la pensée du Docteur Angélique et l'interprétation de son savant commentateur. Nous croyons sincèrement pouvoir arriver à la conclusion que seuls les chefs de famille ont le droit inné de choisir ceux qui exerceront l'autorité dans le gouvernement de l'Etat, parce qu'ici encore "curam communitatis habent," au sens juridique des termes.

 

Le dépositaire de l'autorité divine dans la société civile n'est pas, comme dans la société domestique et la société patriarcale, désigné par la nature elle-même, ni par Dieu, règle générale: C'est donc la société elle-même qui le choisira, et Dieu qui l'investira de son autorité. "Haec duo, populus eligens et Deus auctoritatem conferens quaestionem absolvunt",  dit un axiome de droit social. Mais, qui est ce "populus eligens"?

 

Le cardinal Zigliara, voulant concilier deux opinions apparemment dissidentes, répond:

"Dans l'hypothèse où plusieurs familles se réunissent pour former une nouvelle société, comme les pères de famille ont et conservent un égal droit de gouverner chacun sa propre famille, laquelle est l'élément immédiat de cette nouvelle société, c'est dans les pères de famille pris collectivement que réside le droit de déterminer le sujet du pouvoir public. Donc, personne ne peut, sans leur consentement explicite ou tacite, s'arroger le droit d'administrer la chose publique."

 

C'est le langage de la froide raison, et son Eminence n'a pas l'air du tout préoccupé des clameurs qui s'élèvent du camp des suffragettes dans les deux hémisphères; il ne fait que commenter le texte de son illustre maître et frère en religion:  "Regimen regis super civitatem vel gentem processit a regimine antiquioris in domo vel in vico."

 

Le Père Liberatore ne parle pas autrement:

 

"La cause qui détermine régulièrement le sujet du pouvoir politique, est le droit préexistant et prépondérant, originairement l'autorité domestique et patriarcale; le consentement ne peut devenir cause que fortuitement, extraordinairement et par accident."

 

 Et Grandclaude dans son ouvrage, Principes du Droit public, ajoute:

 

"D’après le P. Liberatore l’origine primitive et naturelle du pouvoir civil concret est simplement dans l'extension graduelle, régulière, dans l'épanouissement du pouvoir paternel ou patriarcal. Tout chef de famille indépendant est un roi a l'état aptitudinal, si l'on peut s'exprimer de la sorte. Ainsi, de même que l'origine effective de la société civile doit nécessairement être attribuée à la famille, de même l'origine concrète du pouvoir civil ou de l'élément formel de la société, est dans le pouvoir paternel, qui est comme l’élément formel de la famille."

 

Le Père Taparelli, avec la puissante logique qui fait de son ouvra­ge un édifice majestueux et indestructible, raisonne de la même manière. Nous résumons, aussi fidèlement que possible, trois pages qu'il a consacrées au gouvernement représentatif. Le docte auteur commence par dire que rigoureusement parlant tous les pères de famille ont le droit de faire partie du gouvernement politique, puisque chefs des sociétés domestiques dont la réunion forme la société civile ou l’Etat: cela est vrai in abstracto; mais, in concreto, cette forme de gouvernement est impossible; alors, les pères de famille, pour sauver le plus qu'ils peuvent de leur autorité domestique, s'entendent pour choisir ceux qui les représenteront dans la conduite de la communauté civile; et c'est ainsi que le droit d'élection appartient de droit naturel aux pères de famille, aux chefs de maison "i capi di famiglia" ou "capi di casa." Peut-il en être autrement, nous le demandons à tout homme impartial? Le père de famille ou chef de maison gouverne la    société domestique. "Curam habet communitatis," et nous admettons que le bien commun de la société civile c'est le bien de toutes les familles qui la composent. Mais voilà que sa femme, son fils et sa fille franchissent les limites du foyer, et dans le gouvernement de la collectivité des familles, ils ont un droit égal, que dis-je, un droit prépondérant, un droit qui annihile celui de leur chef! Prenez un exemple qui n'a rien de légendaire. Surgit une élection de députés ou de sénateurs. Monsieur qui a non seulement la responsabilité de sa famille, mais aussi celle de l'État, juge qu'un tel est compétent pour collaborer au pilotage de la barque gouvernementale; mais Madame et Mesdemoiselles ne pensent pas de même; et vous allez dire à Madame et à Mesdemoiselles: au point de vue politique vous êtes les égales de votre époux et de votre père, votez comme vous l'entendrez !  Et Madame et Mesdemoiselles annuleront par leur vote celui de Monsieur... Et vous croyez que l'autorité maritale et paternelle est encore sauvegardée, et que la société civile est formée des sociétés domestiques comme de parties intégrantes? Vous me direz que tout cela est de la fiction, et, qu'en réalité, femme et filles voteront toujours comme l'époux et le père: mais alors pourquoi les amener aux "Comices électoraux?" Est-ce pour le plaisir de multiplier les votes? Est-ce par pure galanterie? Est-ce pour protester contre "la sauvagerie et la dureté des mœurs" de ceux qui veulent maintenir la royauté de l'épouse et de la mère au foyer? Alors, qu'on le dise, et qu'au lieu d'un droit naturel, on sollicite une faveur pour la femme vivant dans "nos temps modernes et les pays civilisés." Nous verrons si cette fois encore le cœur ne fera pas mal à la tête.

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Source : Abbé Arthur Curotte, "Le vote de la femme. Étude de droit social. Troisième partie", dans Le Devoir, le 22 décembre, 1921, p. 1. Article transcrit par Louise-Hélène Gagnon. Révision par Claude Bélanger. Une erreur typographique a été corrigée.

 

 


 

 

 





 

 
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