Quebec History Marianopolis College


Date Published:
October 2005

Documents of Québec History / Documents de l'histoire du Québec

 

Women's Right to Vote in Quebec

Le droit de vote des femmes du Québec

 

[Série de cinq articles publiés dans le Devoir en 1921par l'abbé Arthur Curotte. Pour la source exacte, voir la fin du document.]

 

I. Le Contrat social. Nous avions distingué, même séparé loyalement, la cause des défenseurs catholiques du vote féminin de celle de Rousseau et de son école; ceux­ci ont voulu mystifier les naïfs en leur racontant l'origine de la Société et de l'autorité civile; mais, ce qui est plus que grave, le pseudo-contrat social qu'ils ont imaginé, est une tentative sacrilège à peine déguisée de ravir à Dieu ses droits imprescriptibles. Pour un chrétien donc, pour un prêtre surtout "causa finita est".

 

Mais alors, comment n'être pas étonné quand on lit ce passage significatif:

 

"J'ai enseigné, parce que je crois que c'est la vérité, que dans le système de démocratie actuelle, basée sur le suffrage, la femme comme l'homme a droit au suffrage... ; qu'en l'excluant des comices électorales, il n'est pas vrai de dire, selon l'axiome démocratique, que la loi qu'elle ne fait pas est l'expression de la volonté générale, et que le gouvernement qu'elle ne consent pas est la représentation légitime des gouvernés" (3).

 

Il y a là tout d'abord un aveu très franc, qui vient confirmer ce que nous disions: le suffrage féminin se rattache à l'axiome démocratique, comme une conclusion à son principe. Or, quel est-il cet axiome démocratique? C'est une des clauses principales du Contrat social, un article fondamental du Credo de Rousseau: "La loi est l'expression de la volonté générale, le gouvernement doit représenter le consentement des gouvernés." Lisons plutôt:

 

"Sur cette idée on voit à l'instant qu'il ne faut plus demander à qui il appartient de faire des lois puisqu'elles sont des actes de la volonté générale; ni si la loi peut être injuste, puisque nul n'est injuste envers lui-même; ni comment on est libre et soumis aux lois, puisqu'elles ne sont que des “régistres” de nos volontés…. On voit que la loi réunissant l’universalité de la volonté et celle de l’objet l’intérêt commun ce qu’un homme quel qu’il puisse être, ordonne de son chef, n'est point une loi." (Contrat social, Liv II de la loi, Ch. VI).

 

Il faudrait lire tout le livre III pour saisir la pensée du phi­losophe genevois sur le gouverne­ment du peuple par le peuple. No­tre savant confrère "confesse donc jugement": C'est dans le Contrat social que la femme trouve les titres qui lui confèrent le droit de vote. Nous nous croirions coupables d'une grave injustice envers l'auteur de l'article en question en supposant qu'il prend à son compte les deux propositions contenues dans l'axiome démocratique; nous préférons voir là une sorte d'argument ad hominem dont on pourrait se servir contre un anti-féministe, qui réclamerait le droit de vote exclusif de tous les hommes, en s'appuyant sur le Contrat social; ou encore, l'auteur pourrait à bon droit invoquer la fameuse distinction entre la thèse et l'hypothèse: "La thèse de Rousseau est fausse, c'est vrai; mais étant donné l'hypothèse, pourquoi la femme ne bénéficierait-elle pas, comme l'homme, des avantages qui en découlent?"

 

Quoi qu'il en soit, nous nous croyons justifiables de redouter une infiltration du Contrat social dans la thèse du suffragisme féminin:

 

"On dira peut-être, écrit le P. Fontaine, que le mari, le père de famille, est autorisé à représenter sa femme et ses filles, avec le vote plural, comme en Belgique. C'est contraire à l'esprit du Contrat qui n'admet pas la représentation en pareille matière; les disciples de Rousseau vous répondront que la souveraineté ne se délègue pas; dès lors que la femme est majeure, son concours personnel est nécessaire à la confection de la loi". (op. cit).

 

 

II Le suffrage universel. Un des enfants issus du mariage mal assorti de Jean-Jacques Rousseau avec la philosophie sociale est sûrement le suffrage universel. Nous connaissons le père: que penser du fils? Le programme d'examen pour le baccalauréat à l'Université Laval contient la thèse suivante: "Suffragium universale nequit, tanquam jus naturate omnibus debitum, requiri, nec haberi ut regimen opportunum, quia vitia gravissime  tuetur. " 

 

Nous ajouterons que nous n'avons pas trouvé un seul auteur de philosophie catholique qui ait osé défendre ce prétendu droit de tous les membres de la communauté civile d'influer par son vote sur son gouvernement; sans vouloir poser en prophète, nous doutons fort que la thèse du suffrage universel réussisse jamais à s'acclimater dans les classes de philosophie à l'Université de Montréal. Nous avouons cependant que le principe est à la base de toutes les constitutions démocratiques et que si on peut rejeter la théorie, on est bien forcé de l'admettre en pratique: le fait est là: Rousseau a une postérité plus nombreuse et aussi vivace que celle d'Abraham, le monde entier est organisé et vit par l'âme qu'il lui a infusée! C'est renversant, mais c'est la vérité historique, mise en plus abondante lumière depuis 1914. Nous allons maintenant juger le système à son mérite intrinsèque, et nous constaterons, après les avoir entendus, que les arguments invoqués d'une façon tapageuse, par les suffragistes universels, ou bien pèchent contre la deuxième règle du syllogisme, "lalius hos, quam praemissae conclusio non vult", ou bien sont des variations du sophisme appelé "pétition de principe".

 

On a dit:

 

"S'il faut en croire Suarez et Bellarmin, le peuple est le sujet de l'autorité; par conséquent, en monarchie constitutionnelle ou en démocratie, c'est le peuple qui se gouverne lui-même par ses mandataires. Or, le peuple est composé d'hommes, de femmes et d'enfants. Tous donc, hommes femmes et enfants ont le droit d'in­tervenir dans l'élection de ces mandataires."

 

Le père Taparelli répond:

 

"Nous admettons que l'autorité est dans la multitude, car sans la multitude, il ne peut y avoir d'autorité; qu'elle est pour la multitude, c'est-à-dire, pour lui donner l'unité nécessaire; mais nous nions qu'elle existe de par la multitude, qui ne peut ni la créer ni la détruire; nous nions qu'elle appartienne à la multitude, qui n'est pas faite pour gouverner, mais pour être gouvernée. Nous admettons encore que la multitude pourra, dans certains cas, conférer le pouvoir, non parce qu'elle est multitude mais parce qu'elle a quelquefois acquis ce droit en vertu de certains faits antérieurs."

 

En d'autres termes, ce serait une pétition de principe que de raisonner ainsi: les députés sont les mandataires du peuple; donc tous et chacun ont le droit naturel de les choisir par le vote; nous verrons dans la troisième partie de notre travail, que même en démocratie,  ce droit de vote devrait être limité aux chefs de famille. Du reste, cet argument poussé à ses extrêmes limites aurait pour conséquence qu’il n'y a qu'une forme légitime de gouvernement: le régime démocratique, ce  qu'aucun homme sérieux n'a jamais osé ni n'osera jamais soutenir.

 

On a dit: "La nature est la même chez tous les hommes, avec égalité de droits et d'obligations.         Or, parmi ces droits il y a ceux que nous appelons politiques, dont Ie droit de vote. Donc le droit est naturel et universel, et nul n'a le droit de le restreindre. "

 

L'auteur de l'article soumis à la critique met, lui aussi, sur le même pied le droit de vote et celui de pratiquer la vertu et la religion:

 

"J'ai enseigné parce que je crois que c'est la vérité, que dans le système de démocratie actuelle, basée sur le suffrage, la femme comme l'homme a droit au suffrage …… que la femme est une personne, et que comme telle elle jouit de l’inviolabilité, en ce qui concerne la pensée politique, aussi bien que lorsqu'il s'agit de morale et de religion." (4)

 

Si nous ne craignions pas d'être impertinent, nous demanderions à l'auteur si, même dans le système de démocratie actuelle, les plus enragés féministes prétendent que le droit d'exprimer sa pensée politi­que par le vote est aussi inviolable que celui de faire le bien et d'accomplir ses devoirs religieux? Bien qu'avocats défendant une mauvaise cause ils ont, tout de même, droit à ce qu'on n'exagère pas leur pensée, à ce qu'on ne leur prête pas des prétentions aussi exorbitantes.

 

En tout cas, nous retrouvons la même pétition de principe dans ce deuxième argument: affirmer que le droit de vote est inhérent à la nature ou à la personnalité humaine, c'est supposer prouvé ce qui est à prouver. Un initié distinguerait: la nature humaine et ses droits sont les mêmes chez tous les hommes, in abstracto, concedo; in concreto, nego. Dans la société humaine il y aura toujours ceux qui sont aptes à gouverner, et ceux qui ne le sont pas; ceux qui sont naturellement désignés pour être électeurs et ceux qui ne le sont pas,  et, conséquemment, ceux qui ont le droit naturel de voter et ceux qui ne l'ont pas. Qu'on nous permette ici l'emploi de l'argument d'analogie, dont cependant nous ne voudrions pas abuser. La Philosophie Scolastique enseigne que l'âme humaine est tout entière dans tout le corps et tout entière dans chacune de ses parties: "tota in toto et tota in qualibet parte." Pourrions-nous de là tirer cette conclusion que puisque l'âme est tout entière dans les pieds comme dans la tête, ceux-là ont les mêmes droits que celle-ci en particulier, dans le gouvernement de la personnalité humaine. On nous dira peut-être que nous avons recours, pour attaquer, à l'arme douteuse du sarcasme et de l'ironie; nous n'y avons pas songé un seul instant; nous voulons simplement démontrer que les prétentions démocratiques de nos jours nous conduisent à un abîme qui s'appelle l'absurdité.

 

On a dit: "Tous ont un égal droit aux biens qui résultent du bon fonctionnement de l'organisme social. Or, l'âme de cet organisme c'est l'autorité. Donc, tous, sans exception, ont un égal droit d'intervenir dans le choix du dépositaire de l'autorité."

 

Notre savant confrère dit équivalemment: "La femme a de grands et multiples intérêts à défendre; la priver du droit de vote c'est lui enlever son moyen le plus puissant de défense...."

 

Que tous les membres du corps social aient un égal droit aux bienfaits qui résultent de la sage administration de la chose publique par les dépositaires de l'autorité, c'est incontestable; mais, conclure de là que tous ont un égal droit dans le choix de ces dépositaires de l'autorité, c'est tirer une conclusion plus large que les prémisses, c'est une pétition de principe. Nous nous en convaincrons plus tard.

 

 

On a dit:

 

"Tous les citoyens portent également le poids de la vie commune, en particulier, le fardeau des impôts;  n'est-il pas équitable que les avantages soient également répartis? n'est-il pas juste que chaque citoyen exprime sa volonté, par le vote, quant à l'emploi des deniers publics?"

 

"Mariée ou non mariée, dit notre confrère, elle soutient les charges de l'État".

 

On a répondu à cela:

 

"Sans doute, tous les citoyens ont un égal droit aux avantages de la société; mais tous n'ont pas le même droit aux mêmes avantages: c'est évident: tous les citoyens ont un égal droit à ce que le trésor public soit administré avec sagesse et justice; mais tous n'ont pas un égal droit de dire comment il faut dépenser chaque sou. La conclusion, ici encore, se­rait plus large que les prémisses."

 

On a dit :

 

"Le bien public n'est en définitive que la somme des biens auxquels les individus ont droit, et qu'ils poursuivent par leur travail et leur industrie. Il est donc nécessaire que les chefs de la société connaissent les besoins de chacun, pour y subvenir efficacement. Or, comment ces citoyens les feraient-ils savoir à  leurs chefs si ce n'est pas leur vote?"

 

Nous répondons:

 

"Non, le bien commun n’est pas l’accumulation mathématique de tous les biens dont jouissent les individus; l’expérience l’a depuis longtemps démontré. Pour concourir au bien commun, chaque citoyen doit dépenser ses talents et son activité, rechercher par des moyens légitimes une certaine somme de bonheur, peut exiger que les dépositaires de l’autorité sociale le protège dans l’exercice de ce droit sacré: mais de là à conclure que chaque citoyen a droit de désigner ce dépositaire par voie de vote ou d'élection, c'est tirer une conclusion plus large que les prémisses. C'est prendre pour démontré ce qui est à démontrer."

 

Nous pourrions ajouter encore à ce plaidoyer d'attaque et de défense: mais, ce serait inutile; nous connaissons suffisamment le pour et le contre du suffrage universel. On a dit tout le mal qu'on pouvait dire de cette prétention moderne; sans invoquer ici l'argument d'autorité, nous croyons vrais les deux témoignages suivants :

 

"De tous les jurys, le suffrage universel est le plus incompétent, le plus aisément affolé, dupé, le plus incapable de comprendre les questions qu'on lui pose; et les conséquences de sa réponse, le plus mal informé, le plus inattentif, le plus aveuglé par des sympathies ou des antipathies préconçues, le plus volontiers absent, simple troupeau de moutons raccolés [sic], dont on peut toujours escroquer, violenter, falsifier le vote, et dont le verdict contraint ou simulé est d'avance à la merci des politiciens." (Henri Taine, Origines de la France Contemporaine tome III p. 161.).

 

"Le suffrage universel c'est la toute puissance de la moitié des citoyens plus un, et l'autre moitié moins un subit donc les lois qu'elle n'a pas voulues. Et ainsi... le suffrage universel déjà sous le régime parlementaire, et à beaucoup plus forte raison, sous le régime du gouvernement direct par le peuple, aboutit nécessairement à la tyrannie toute puissante d'un parti. Sans compter qu'il aboutit, d'une façon générale, à l'asservissement ou plutôt à Ia submersion des capables par les incapables qui sont les plus nombreux." (Jules Lemaître, Conf. sur le Contrat social de J. J. Rousseau).

 

Nous n'attribuons pas à Monsieur Henri Tame et à Monsieur Jules Lemaître une autorité dogmatique; mais nous ne pouvons pas nous empêcher de dire: "Comme ils ont raison!" Après cela, que penser du droit de vote de la femme?

 

Nous en parlerons demain. 

 

(3) Semaine religieuse de Montréal, 19 décembre 1921.

(4) Semaine religieuse de Montréal, 19 décembre 1921.

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Source : Abbé Arthur Curotte, "Le vote de la femme. Étude de droit social. Deuxième partie", dans Le Devoir, le 21 décembre, 1921, p. 1. Article transcrit par Louise-Hélène Gagnon. Quatre erreurs typographiques ont été corrigées. Révision par Claude Bélanger.

 

 

 

 
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