Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Octobre 2013

Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents

 

 

Un dernier mot

 

 

Jacques Brassier

[pseudonyme de Lionel Groulx]

 

 

Chronologie de la controverse sur l'Appel de la Race

 

Dans le Canada français d'avril dernier, M. l'abbé Camille Roy nous a écrit ce qu'il appelle son dernier mot. Voici le nôtre qui n'a pas besoin de promettre d'être modéré et respectueux.

 

Nous voulons nous en tenir, pour notre part, au point précis de notre intervention. Ne mêlons pas les choses: c'est une question de savoir quelle formation patriotique a reçue la génération de Lantagnac; c'en est une autre de préciser sur ce point d'histoire, l'affirmation d'Alonié de Lestres dans l'Appel de la race. La première question nous intéresse plus que la seconde et c'est pour débattre celle-là que nous avions pris la plume. Disons tout de suite que MM. les abbés Roy et Maheux posent, l'un et l'autre, fort mal le problème. Il ne s'agit pas de définir « le patriotisme de nos vieux maîtres », ni de se demander: « Nos maîtres furent-ils des patriotes ? » On se ménage ainsi un triomphe par trop facile en donnant à la discussion une tournure odieuse. Le point en litige est exactement celui-ci: quelle fut, au temps de Lantagnac,  la formation patriotique dans nos collèges, par l'enseignement de l'histoire du Canada ? Sur le caractère de cet enseignement nos contradicteurs n'ont infirmé aucun de nos témoignages. M. l'abbé Maheux n'attache pas plus d'importance que cela, veut-il nous faire savoir, à son enquête à travers les archives du petit séminaire de Québec. En quoi il est, bien près de s’accorder avec tout le monde. Quant à M. Roy il a beau soutenir, qu'entre son opinion d'autrefois et celle d'aujourd'hui, la contradiction n'existe point, son ancien texte reste. Il reprochait alors à notre enseignement de donner « des lumières trop confuses sur le caractère et les transformations de notre vie coloniale, sur La Fontaine et Baldwin, sur l'histoire de nos cinquante dernières années, sur la nature et le progrès de notre civilisation et de nos institutions, sur la géographie physique et les ressources économiques de notre pays ». (1) Personne ne contestera, croyons-nous, que ce ne soit là, pour des élèves de l'enseignement secondaire, des notions fondamentales d'histoire canadienne. Mais alors que pouvait bien être, au jugement de M. l'abbé Roy, un enseignement qui ne donnait sur ces points capitaux, que « des lumières trop confuses » ? Car nous ne supposons pas un instant que M. l'abbé Roy, historien sérieux de notre littérature, ait voulu se permettre en formulant cette condamnation, une « fusée de la plume », ou de la vulgaire rhétorique.

 

*     *     *

 

Il n'empêche que son jugement est sévère, presque aussi sévère - ce qui va bien l'étonner - que celui d'Alonié de Lestres. Car il serait bon peut-être, avant d'épiloguer davantage, d'examiner, en toute justice, ce passage fameux de l'Appel de la race, objet de toute la controverse. Nous avons écrit ici nous-même: « Ceux qui voudront bien se reporter aux pages 14, 15, 16 de l'Appel de la race, verront que les collèges sont mis en cause, en cette affaire, de façon plutôt discrète. » Que dit en effet Alonié de Lestres, de la formation reçue par le jeune de Lantagnac au Séminaire de X... ? « Une seule chose lui manqua affreusement: l'éducation du patriotisme. » Un point, c'est tout. Pourtant non. Alonié de Lestres recherche les coupables d'un pareil état de choses. Et les coupables, ce sont les politiciens de cette époque qui ont fait l'atmosphère empoisonnée où a grandi la jeunesse. Quels sont, en effet, les mauvais maîtres qui ont célébré la libéralité anglo-saxonne, la fidélité canadienne à la couronne anglaise, les bienfaits de la couronne britannique, beaucoup plus que la noblesse de la race, la fierté de l'histoire, la gloire politique et militaire des ancêtres ? Les politiciens. Quels sont ceux qui imposaient à la jeunesse l'attitude du vaincu comme un devoir, qui lui représentaient « comme autant de choses immorales » d'oser rêver d'indépendance pour le Canada, d'oser parler de l'union des Canadiens français pour la défense politique ou économique ? Les politiciens toujours. Là dessus il n'y a pas d'erreur possible. « Ainsi le voulait, hélas! l'atmosphère régnante dans la province française du Québec, » a écrit proprement Alonié de Lestres. Et tout un tableau d'histoire nous fait voir les chefs politiques fabriquant cette atmosphère d'anémie. D'ailleurs le jeune de Lantagnac ne parle que de ce qu'il a « entendu, jeune collégien, puis étudiant, aux jours des fêtes de Saint-Jean-Baptiste ».

 

Mais alors, par quel procédé d'argumentation fait-on passer cet enseignement patriotique, de la bouche des politiciens à celle de nos éducateurs, pour s'écrier ensuite avec indignation: « Mais que vraiment il y ait eu ...formation à rebours de nos maîtres; ...que nos maîtres nous aient enseigné comme un devoir l'attitude humiliée et servile du vaincu...qu'on nous ait enseigné que le rêve de l'indépendance, ou l'union patriotique pour la défense de nos droits, étaient des choses immorales, c'est une plaisanterie trop forte que de l'écrire. » Et voilà pourtant ce qu'a fait proprement le directeur du Canada français. Nous ne rétorquerons pas à M. Roy, avec la modération de M. Roy, que c'est là « une injure gratuite indigne d'un historien sérieux ». Il nous suffira de nous demander, par quel hasard, un critique de sa qualité se permet de lire aussi distraitement.

 

Que M. l'abbé Roy ne s'étonne pas après cela si on ne lui trouve point sa sérénité coutumière. Bien d'autres indices nous ont averti qu'il s'en était dépouillé pour autre chose. Ainsi personne ne lui a fait reproche, quoi qu'il prétende, d'avoir donné son avis sur le cas de conscience de Lantagnac. Ce qu'on reproche à ce critique serein, c'est d'avoir condamné ex cathedra la théologie du Père Fabien, pour reconnaître en somme, dans son dernier article, que cette théologie est parfaitement soutenable. On se demandera également ce qui a bien pu lui inspirer, dans son article du mois de décembre dernier, cette longue page fortement pimentée, autour d'une question de grammaire assez puérile, controversée d'ailleurs même au Canada français.

 

Que M. l'abbé Roy nous permette la franchise de ces observations. Au reste, elles n'enlèvent rien à la grande estime que nous avons toujours professée à l'Action française pour sa personne, son oeuvre et son talent.

 

(1) Essai sur la littérature canadienne, p. 370.

 

Source : Jacques Brassier [pseudonyme de Lionel Groulx], « Un dernier mot », dans L’Action française, Vol. IX, No 5 (mai 1923) : 291-294. Quelques corrections typographiques mineures ont été effectuées.

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