Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Décembre 2006

Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents

 

Discours de M. La Fontaine

13 septembre 1842

[Pour comprendre le contexte et l'importance de ce discours, consulter ce texte de Thomas Chapais. Pour la référence bibliographique précise, voir la fin du document.]

 

Je sais combien est grande la responsabilité qui, pen­dant ces derniers jours, a pesé sur ma tête. Nul doute que Son Excellence ne fût mue par le désir de rendre justice à mes compatriotes, au moins autant qu'il était en son pouvoir de le faire pour le moment, et je dois déclarer publiquement que, quoique j'aie grandement à me plaindre de la communication qui vient d'être faite à cette Chambre, dans la vue sans doute de m'écraser, j'ai néanmoins la plus grande confiance dans Son Excellence; et d'après ce qui s'est passé entre sir Charles Bagot et moi, je n'hésite pas à dire que Son Excellence mérite toute la confiance, non seulement de mes amis dans cette Chambre, mais encore de tous mes concitoyens, quelle que soit l'origine à laquelle ils appartiennent. Mais je n'ai pas la même confiance dans le cabinet, tel qu'à présent constitué. Si individuellement quelques membres de ce corps ont droit à ma confiance, ils n'y ont aucun droit collectivement.

Cependant, monsieur le Président, voulant rendre jus­tice à l'honorable procureur général, je lui déclare que les sentiments que personnellement il nous a dit entretenir envers mes compatriotes canadiens-français, et qu'il vient d'exprimer, sont propres à lui gagner toute mon estime et celle de mes amis; et puisqu'il est mu par des vues si hon­nêtes et si libérales, il est malheureux de le voir placé dans une fausse position qui est telle que ses actions, libres ou non, l'exposent à perdre tout le mérite des sentiments qu'il a exprimés, puisqu'il nous déclare lui-même que cette position l'a empêché de les faire prévaloir.

Néanmoins je suis bien sensible à l'aveu de l'honorable procureur général, qu'avant de rencontrer mes compatriotes, il avait été bien préjugé contre eux; mais que, depuis qu'il était venu en rapport avec eux durant la dernière session, il s'était convaincu que ces préjugés étaient injustes et mal fondés, et qu'il prenait plaisir à le reconnaître publiquement.

Il reconnaît qu'il faut au gouvernement, pour rétablir la paix et le contentement général, la coopération active des Canadiens français. Non seulement ce serait là un acte de justice, mais c'est encore un appui que la nécessité appelle. Oui, cette coopération est absolument nécessaire au gouver­nement. Oui, il la lui faut; oui, il nous faut la lui donner, mais à des termes qui ne puissent en rien diminuer, ni affai­blir notre honneur et notre caractère.

Le but de l'Acte d'Union, dans la pensée de son au­teur, a été d'écraser la population française; mais l'on s'est trompé, car les moyens employés ne sont pas complets pour produire ce résultat. La masse des deux populations du Haut et du Bas-Canada a des intérêts communs, et elles finiront par sympathiser ensemble.

Oui, sans notre coopération active, sans notre participation au pouvoir, le gouvernement ne peut fonctionner de manière à rétablir la paix et la confiance, qui sont essen­tielles au succès de toute administration. Placés par l'Acte d'Union dans une situation exceptionnelle et de minorité dans la distribution du pouvoir politique, si nous devons succomber, nous succomberons du moins en nous faisant respec­ter. Je ne recule pas devant la responsabilité que j'ai assu­mée, puisque dans ma personne le gouverneur général a choisi celui par lequel il voulait faire connaître ses vues de libéralité et de justice envers mes compatriotes. Mais dans l'état d'asservissement où la main de fer de lord Sydenham a cherché à tenir la population française, en présence des faits qu'on voulait accomplir dans ce but, je n'avais, comme Canadien, qu'un devoir à remplir, celui de maintenir le caractère honorable qui a toujours distingué mes compa­triotes et auquel nos ennemis les plus acharnés sont obligés de rendre hommage. Ce caractère, M. le Président, je ne le ternirai jamais!

Pour faire apprécier à la Chambre la position particulière où je me suis trouvé, on me permettra de faire remarquer qu'avant l'Union des deux provinces chacune d'elles était soumise à une législature séparée. Des luttes de prin­cipes et de vues politiques se sont engagées dans ces légis­latures. Des sympathies se sont formées entre des hommes soutenant la même cause mais ne se connaissant pas encore personnellement. Ces sympathies étaient plus ou moins fortes entre ces hommes politiques, selon qu'ils étaient plus ou moins engagés dans ces luttes parlementaires. Ces sympa­thies, M. le Président, se sont accrues, sont devenues plus pressantes, du moment que ces hommes, en faisant leur entrée dans cette Chambre, ont pu se serrer la main mutuellement. Telle est, entre autres, la position de mon honorable ami du comté de Hastings, à l'égard de nous, Canadiens français. Ces relations, M. le Président, ont non seulement créé des sympathies, mais ont encore créé des obligations morales auxquelles le sentiment seul de l'honneur nous fai­sait un devoir impérieux, et à moi en particulier, de ne pas manquer. J'y suis resté fidèle. Voilà, en partie, la cause de cette position que j'ai à défendre aujourd'hui.

Je vais procéder maintenant à expliquer mes entrevues avec Son Excellence. Ces explications sont bien désagréables et pénibles; mais encore une fois la faute en est au cabinet de Son Excellence, tel qu'à présent constitué. Ce sont eux et non pas moi, qui ont rendu ces explications inévitables en conseillant à Son Excellence de communiquer à cette Cham­bre une lettre qui n'aurait jamais dû lui être communiquée dans les circonstances actuelles, et surtout d'après ce qui s'est passé entre Son Excellence et moi.

Cette lettre ne m'a été remise par Son Excellence qu'aujourd'hui, à une heure de l'après-midi, et par consé­quent peu de temps avant l'ouverture de cette séance. J'ai si bien regardé cette lettre comme privée, comme étant de la nature de mes entrevues avec Son Excellence, que je l'ai laissée sous clef à ma maison de pension. Si on devait en faire usage dans cette Chambre, je dis, néanmoins avec tout le respect possible pour Son Excellence, que Son Excellence aurait dû me l'intimer. Le reproche que je fais à son cabinet, de lui avoir donné un conseil qui tendait à le compromettre, est donc juste et bien mérité. A une telle lettre, il était na­turel de penser, même sans s'en expliquer en termes exprès, que je devais faire une réponse par écrit, soit que je fusse disposé à donner un refus péremptoire ou conditionnel; et je déclare que je n'ai pas donné de refus péremptoire. Avais-je le temps de faire une réponse par écrit entre le moment où cette lettre me fut remise par Son Excellence, et l'heure de l'ouverture de cette séance? Il y avait impossibilité de le faire. Grande a donc été ma surprise, quand, arrivé dans cette Chambre, j'ai entendu l'honorable secrétaire pour le Haut-Canada me dire que le cabinet entendait faire usage de cette lettre en la lisant à cette Chambre comme moyen de défense. J'ai voulu lui en démontrer l'inconvenance, mais sans succès; et alors je me suis empressé d'envoyer chercher la lettre à mon hôtel. Dans cette lettre, Son Excellence fait allusion à nos entrevues précédentes, que j'ai également regardées comme privées. Depuis que je suis à Kingston, j'ai eu trois entrevues avec Son Excellence, à sa demande, l'une samedi, la deuxième dimanche, et la troisième aujourd'hui. Je n'ai qu'à me féliciter de ces entrevues. Elles m'ont convaincu que Son Excellence voulait réellement rendre justice à toutes les classes des sujets de Sa Majesté; et aussi lui ai-je donné ma pleine et entière confiance, lui donnant en même temps, autant qu'il était en mon pouvoir, l'assurance de celle de mes amis et de mes compatriotes.

Je vois que le but du cabinet, en communiquant cette lettre à la Chambre, est de faire revivre plus fort que jamais l'assertion si souvent faite par nos ennemis, que les Cana­diens français sont impraticables; qu'il est inutile au gouver­nement de leur tendre la main et de les appeler au pouvoir. Cette pensée, M. le Président, je la repousse de toutes mes forces; cette pensée était la pensée favorite de lord Syden­ham, dont la volonté tyrannique a tant opprimé mes compa­triotes. Dans quelle occasion les Canadiens français ont-ils été appelés à prendre part activement à l'action politique et administrative du gouvernement, de manière à exercer la juste influence qu'ils ont droit d'y avoir? Jamais, M. le Pré­sident, cette occasion ne leur a été offerte accompagnée de ces garanties dont le ministère reconnaît aujourd'hui la né­cessité et la justice. Je suis peut-être le premier auquel une proposition de cette nature a été faite avant l'arrivée du présent gouverneur général. C'était sous lord Sydenham, quand il m'offrit la charge de solliciteur général; je l'ai refusée, et je devais le faire si je voulais conserver mon indépendance.

Je sais que quelques amis m'ont blâmé dans le temps. Ils m'ont approuvé depuis; et quant à moi, je dis, dans toute la sincérité de mon coeur, que je ne m'en suis jamais repenti.

Depuis mon arrivée à Kingston Son Excellence a cru devoir m'envoyer chercher. A la première entrevue, je trou­vai qu'il me plaçait sur un terrain assez étendu pour me permettre de réaliser ses bonnes et bienveillantes dispositions envers mes compatriotes; à la seconde, il m'a semblé que le terrain me laissait moins de latitude quant à l'action du pouvoir politique; mais les sentiments de justice de la part du gouvernement à l'égard de mes compatriotes n'en étaient pas moins les mêmes. Le résultat de ses offres était de me placer moi et un ami dans le cabinet; nous y aurions été en mino­rité. Il voulait nous y appeler comme Canadiens français, et comme un commencement de justice envers mes compa­triotes. Sur ce pied, nous aurions pu peut-être accéder aux propositions bienveillantes de Son Excellence, sans manquer à nos obligations envers mon honorable ami pour le comté de Hastings, d'autant plus que mon honorable ami a toujours été prêt à donner son assentiment à tout arrangement qui aurait pour but de faire justice à mes compatriotes. Mais pour accéder à cette proposition, il nous fallait (et c'en était la conséquence naturelle) obtenir liberté d'action sur les mesures du cabinet, puisque, étant placés en minorité et sans l'accession d'aucun ami du Haut-Canada, nous ne pou­vions espérer y exercer aucune influence, ni y faire préva­loir nos opinions. La conséquence dont je viens de parler ne fut pas niée par Son Excellence. Mais il ne pouvait permettre cette liberté d'action. Au contraire, il s'y est refusé; et Son Excellence avait raison : car c'eût été contraire à l'action du gouvernement responsable récemment introduit dans notre constitution, principe que j'approuve, quoique malheureusement, sous l'administration du prédécesseur de Son Excellence, on lui ait donné une fausse direction dans la pratique. Il me fallait donc, moi et mon ami, assumer la responsabilité des actes et des mesures de l'Exécutif ou rési­gner. L'on nous soumettait donc, et avec raison, à l'action du principe du gouvernement responsable. Mais alors nous étions placés sur un autre terrain. Il nous fallait une part efficace du pouvoir politique; il nous fallait non seulement une légitime influence auprès des membres canadiens-fran­çais, mais encore la même influence auprès des membres du Haut-Canada. Nous ne pouvions espérer obtenir par nous-même cette influence. Ainsi placé, n'avais-je donc pas raison, n'avais-je même pas le droit de demander l'assistance de mon honorable ami pour le comté de Hastings dans le Conseil exécutif? Oui, j'en avais le droit; si bien que l'hono­rable procureur général le reconnaît lui-même. Ainsi des raisons politiques, de même que celles de l'honneur et de la reconnaissance, me faisaient un devoir impérieux, de l'aveu même de l'honorable procureur général, de faire, de l'entrée au Conseil de mon honorable ami pour le comté de Hastings, une condition sine qua non de mon acceptation des offres de Son Excellence. En un mot, pour me servir des termes de la lettre de Son Excellence, mon accession au gouvernement devait être satisfaisante pour mes compatriotes, et en même temps accompagnée de cette confiance mutuelle qui seule pouvait rendre cette accession avantageuse au pays.

J'avais la conviction que je n'aurais pu atteindre le but de Son Excellence sans l'assistance de mon honorable ami pour le comté de Hastings. Du moment qu'on m'a eu concédé ce point, on devait être prêt à faire disparaître tous les obstacles qui, dans sa position particulière, pouvaient empêcher mon honorable ami d'entrer dans le cabinet. C'en était la conséquence naturelle; on devait donc s'y soumettre. Cette conviction était si forte dans mon esprit qu'elle était inébranlable et m'imposait la ligne de conduite que l'on veut me reprocher aujourd'hui.

La preuve que je voulais, en autant qu'il dépendait de moi et de mes amis, faciliter à Son Excellence tous les moyens de réaliser ce qu'avec raison il appelait un grand acte de justice pour la population française, c'est que je lui déclarai plusieurs fois qu'en supposant même que je pourrais avoir des objections personnelles à aucun des membres du Conseil choisis dans le Haut-Canada, je croyais de mon devoir de ne pas les faire valoir, tant il était vrai que l'administration du Haut et du Bas-Canada devait être laissée aux conseillers de chaque province respectivement; mais en même temps je déclarai à Son Excellence, comme c'était mon devoir de le faire, que si mon honorable ami pour le comté de Hastings avait des objections de cette nature à faire valoir, je serais obligé de les appuyer.

Quant au Bas-Canada, j'acceptais les arrangements proposés dans la lettre de Son Excellence. Mais quant au Haut-Canada, puisqu'il était reconnu que pour des raisons politiques, mon honorable ami pour le comté de Hastings ne pouvait siéger dans le Conseil avec l'honorable procureur général, l'on ne pouvait ignorer que, pour les mêmes raisons, mon honorable ami avait des objections analogues à faire valoir contre M. Sherwood, solliciteur général du Haut-Canada. Il ne pouvait donc entrer dans le Conseil avec ce dernier à moins de se mettre dans une fausse position, et de s'exposer en outre au soupçon d'être mû dans sa conduite par des motifs purement personnels contre l'honorable procureur général. Mon honorable ami a donc dû insister pour la retraite de M. Sherwood; et j'ai dû appuyer cette demande. La lettre de Son Excellence n'accordant pas ce point, j'ai exposé à Son Excellence que je regrettais beaucoup qu'il n'y eût pas plus de temps pour délibérer avant la séance de la Chambre et que tant que cet obstacle existerait il me semblait qu'il ne me laissait pas de latitude; que néanmoins j'espérais qu'il pouvait le faire disparaître bientôt, de même que les deux autres que je mentionnerai dans un instant et qu'alors il pourrait en tout temps commander mes services.

En outre, deux nominations récentes, que Son Excel­lence avait faites dans son Conseil, de deux honorables indi­vidus de vues politiques entièrement opposées, justifiaient encore, ce me semble, mon honorable ami de demander pour lui dans le Conseil l'entrée et le concours d'un de ses amis politiques, afin de rendre évident aux yeux de cette grande partie de la population du Haut-Canada dont il représente les sentiments, que son adhésion au cabinet était un nouveau gage des vues nobles et désintéressées qui ont toujours carac­térisé sa conduite.

Une autre objection à accepter de suite les arrange­ments proposés par Son Excellence, c'est la condition que sa lettre nous imposait de nous lier à faire voter des pensions de retraite. C'était nous lier à un principe que mon hono­rable ami et moi nous ne pouvons consacrer. Voilà, M. le Président, les seules raisons qui ne m'ont pas permis de conclure aujourd'hui, à une heure, les arrangements propo­sés par Son Excellence.

Ce n'est pas la première fois que, depuis l'arrivée du gouverneur général, l'on m'a fait des ouvertures pour entrer dans le Conseil exécutif. Je regrette d'être forcé d'avoir à faire part à cette Chambre d'une entrevue qui a eu lieu à cet égard entre l'un des membres du cabinet, M. Sullivan, et moi. Ce sont eux qui me forcent à le faire, par le procédé inexcusable auquel ils ont cru devoir recourir pour se défendre dans leur situation chancelante.

En juillet dernier, étant à Québec, à la Cour d'Appel, l'honorable M. Sullivan me demanda une entrevue à moi et à un de mes amis. Je lui fis part des conditions auxquelles j'étais disposé à entrer dans le cabinet. On se sépara et l'on me dit alors : Let the matter stand as it is, till we meet. Les honorables membres qui siègent au treasury bench en ont-ils su quelque chose? auraient-ils autorisé M. Sullivan à avoir cette entrevue?—Ici M. Draper fait un signe négatif. —Alors comment voulez-vous qu'on repose confiance dans un cabinet dont les membres semblent se défier les uns des autres, et dont on dit ouvertement que chacun d'eux serait prêt à sacrifier ses collègues pour garder son siège? N'y a-t-il pas là absence de cohésion, de vitalité dans le cabinet? Au contraire, n'est-ce pas là une raison suffisante pour démontrer que, non seulement il n'y a pas de cohésion dans ce corps, mais que même il renferme dans son sein un principe de destruction? Oui, ce ministère, tel qu'à présent constitué, ne saurait exister longtemps. La dernière ancre de salut, c'est de reconnaître la nécessité de la coopération des Cana­diens français, et d'implorer cette coopération. Il vaut mieux tard que jamais. Pourquoi donc avoir attendu jusqu'à la dernière heure, surtout quand on entend l'honorable procu­reur général dire que, depuis l'hiver dernier, il avait conseillé à Son Excellence d'opérer cette coopération? Qui donc y a mis des entraves? Si on ne peut le découvrir, le fait n'en existe pas moins; et ce seul fait suffit pour appuyer un vote de manque de confiance, et rendre évidente la nécessité de reconstituer ce cabinet d'une manière ou d'une autre.

Une autre raison pour moi d'appuyer ce vote, c'est le mépris que les membres du cabinet ont montré envers mes compatriotes du Bas-Canada, à quelque origine qu'ils appar­tiennent. Pendant plusieurs mois, et en l'absence de l'hono­rable membre pour Mégantic, qui représentait dans le cabi­net le Bas-Canada? Personne. Toute l'administration des affaires du Bas-Canada était laissée aux mains d'un jeune homme, clerc ou assistant de l'honorable membre pour Mé­gantic. N'y a-t-il pas eu là du mépris, même une insulte envers le Bas-Canada?

L'absence de tout nom français dans le cabinet n'est-elle pas une circonstance qui comporte une injustice, même une injure préméditée? Mais, dira-t-on, « vous ne voulez pas accepter d'emploi ». Ce n'est pas là une raison. Mes amis et moi, il est vrai, nous ne voulions pas en accepter sans des garanties; mais puisque vous avez bien trouvé quelques noms français pour siéger dans le Conseil spécial, même pour assister la Cour martiale, ne pouviez-vous pas en trouver de même force pour siéger dans le cabinet? Non pas qu'un pareil choix aurait assuré la coopération de mes compa­triotes, mais du moins on aurait eu l'apparence de ne pas dédaigner entièrement une origine qui est celle de la moitié de la population. Non, les honorables membres du cabinet ne l'auraient pu, quand même ils l'auraient voulu, sous l'administration de lord Sydenham. Ils n'étaient là que pour exécuter ses volontés. Ils ont prouvé qu'ils n'avaient pas la force d'y résister. Lord Sydenham leur imposait silence. Et ils s'y soumettaient servilement. Croit-on que ce serait pour marcher sur leurs traces que je consentirais à entrer dans le Conseil? Avant tout, je préfère mon indépendance, les dictées de ma conscience. Quand je serai appelé à donner mes avis au représentant de Sa Majesté, je manquerais à mon devoir envers lui si je n'agissais pas avec franchise et indépendance; je manquerais également envers mes com­patriotes et envers moi-même. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je suis engagé dans la vie publique; il y a déjà plusieurs années que j'ai commencé ma carrière, je n'ai pas à rougir du passé; je ne veux pas avoir à rougir du présent, ni de l'avenir.

Voilà l'exposé que j'avais à faire à cette Chambre. J'en appelle avec confiance à sa décision. Je le répète encore, une grande responsabilité a pesé sur ma tête; j'en connaissais toute l'étendue. J'aurais voulu que Son Excellence eût appelé un de mes honorables amis que je ne nommerai pas pour ne point blesser sa modestie. Comme cet ami, canadien-français ainsi que moi, a toute ma confiance et mon estime, j'aurais donné à toute administration dont il aurait fait partie, un appui cordial et sincère. Les circonstances en ont décidé autrement. J'ai dû m'y soumettre.

Trop longtemps, sans doute, j'ai abusé de la patience de cette honorable Chambre. Mais les explications que je viens de donner, je les devais à mes compatriotes, à mes amis, et à moi-même.

Source: « Discours de M. La Fontaine, prononcé le 13 septembre 1842 », dans Thomas CHAPAIS, Cours d’histoire du Canada, Vol. V, 1841-1847, Montréal. Bernard Valiquette, 1932 [1919], 316p., pp. 289-299.                                                             
 
© 2006 Claude Bélanger, Marianopolis College