Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Août 2006

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Stéphane ST-PIERRE, François-Albert Angers et la nation confessionnelle (1937-1960), Mémoire de M.A. (histoire), Université de Montréal, 2006, 181p.

 

Introduction

 

Professeur, économiste et nationaliste canadien-français, François-Albert Angers (1909-2003) a été des années trente aux années quatre-vingt de toutes les luttes canadiennes-françaises: campagne autonomiste; opposition à la conscription; efforts pour le développement de l'éducation; défense de la nation, de la confessionnalité et de la langue. Il a été l’un des conseillers spéciaux de la Commission d’enquête sur les problèmes constitutionnels (1953-1956), président de la Ligue d’Action nationale (1955-1985), directeur de L’Action nationale (1959-1968), président de la société Saint Jean-Baptiste de Montréal (1963-1973) ainsi que l’un des fondateurs et président du Mouvement Québec français (1972-1980).  À titre d’universitaire et de chercheur, il est à l’origine de la fondation en 1960 de l’Institut d’économie appliquée et d’un nombre impressionnant d’études portant sur l’économie. Ses articles abordent les questions de l’économie générale et régionale, de la finance, du transport ainsi que de la coopération. Par ses études et ses actions, il a exercé une influence indéniable sur le développement du coopératisme. L’exploration de sa pensée coopérative exigerait, à elle seule, une étude approfondie.     

La pensée d’Angers s’inscrit dans l’idéologie du nationalisme traditionaliste. Il veut éviter les ruptures avec la tradition canadienne-française. Il ne cherche pas la «répétition de l’autrefois, mais une marche en avant soucieuse du maintien dans l’être d’une culture, à travers ses mutations (1) ». À titre de traditionaliste, il ne manque pas de souligner l'ascendant de la pensée d’Henri Bourassa, d’Édouard Montpetit, d’Esdras Minville et de Lionel Groulx dans l’édification de sa propre pensée. Selon ses dires, il acquiert de Bourassa la fierté d’être Canadien français et la volonté de discussion d’égal à égal avec l’ex-conquérant; de Montpetit et de Minville, la nécessité d’intégrer l’économie dans les questions nationales; et de Groulx, l’idée que le Canada français représente une majorité ethnique qui a le droit à l’autodétermination. Selon la formule de John Grube, Angers a été «élevé en bourassiste, éduqué en économiste et a acquis à son corps défendant la pensée de Groulx (2)». À ces influences, il convient d’ajouter les encycliques papales qui définissent et orientent certaines positions adoptées et défendues par Angers. Toutefois, ses politiques de réformes s’inspirent des réalités concrètes du milieu, il fait un usage raisonné des encycliques papales.

Par son engagement et son acharnement à défendre ses idées, Angers parviendra à se forger une place dans l’histoire. Pour Richard Arès, Angers possède «un sens du devoir qui le pousse à se dépenser jusqu’à l’épuisement, pour les causes qu’il aime (3)». Il est un homme de principes et de devoir: «Pour lui, un principe est quelque chose de sacré qui doit commander toute l’activité d’un homme et auquel il faut demeurer intégralement fidèle. S’il s’élève contre un courant d’opinions qu’il n’admet pas, il ne le fait pas pour prendre la vedette, mais par amour de la vérité (4).» Selon Jean-Marc Léger, il a illustré avec éloquence la définition que «Malraux a donnée un jour de l'intellectuel : celui dont une idée, un grand dessein, engagent et ordonnent la vie (5)». Angers laisse le souvenir d'un grand professeur et d'un intellectuel engagé incarnant à la fois le savant et l’homme public.

1. Problématique et hypothèse           

Notre démarche vise à réaliser une relecture de la pensée d’Angers par l’intermédiaire de son projet de nation confessionnelle. Cet angle d’analyse jette un regard renouvelé sur la cohérence et la pertinence du projet proposé par la droite intellectuelle canadienne-française et plus précisément par Angers au cours des années quarante, cinquante et soixante. Cet aspect soulève la problématique de l’étude des «perdants» en histoire, à savoir comment parvenir à une analyse équitable des différents projets défendus à une époque donnée. Essentiellement, la solutionest de montrer toutes les possibilités qui s’offraient à l’époque en se méfiant de la perspective téléologique, c’est-à-dire d’éviter d’analyser les événements à partir d’une finalité supposée de l’histoire. Le projet des «perdants» possède un intérêt en soi et nous apprend énormément sur la société. Les projets qui émanent de la société prennent forme par la rencontre de diverses façons de concevoir le monde. C’est à partir de ce choc de conceptions que s’érige un projet plus complexe, plus nuancé. Il est ainsi utile d’analyser les «perdants» de la Révolution tranquille pour reconstruire la carte intellectuelle de l’époque. Notre mémoire est orienté vers l’étude d’un des «perdants» de la Révolution tranquille,François-Albert Angers, ou l’analyse d’un des projets perdants à l’époque de la Révolution tranquille, la nation confessionnelle. Notons que l’utilisation du vocable «nation confessionnelle» n’apparaît pas dans les écrits d’Angers. Nous retenons cette appellation parce qu’elle permet de réaliser une synthèse de sa pensée en incluant l’ensemble des notions structurantes de son projet.

Au centre de notre mémoire s’articule le rapport de la modernité et de la religion dans la pensée d’Angers. Un problème surgit quant au fait que la sécularisation est constitutive de la modernité et que le nationalisme d’Angers a pour assise la nation confessionnelle. Il s’agira de déceler l’architecture et l’évolution de son idéologie à l’égard de la confessionnalité. À ce titre, mentionnons que son opposition au cours des années cinquante et soixante à la déconfessionnalisation est représentative de la droite traditionaliste canadienne-française. Cet angle d’analyse demeure peu exploré par les historiens pour saisir l’évolution de la société canadienne-française.

Plusieurs questionnements orientent notre analyse: la confessionnalité qu’il préconise s’accorde-t-elle avec un système démocratique et pluraliste? Qu’est-ce que le confessionnalisme et la confessionnalité assurent à la nation canadienne-française? Quelle est la place des minorités ethniques et religieuses à l’intérieur de son projet? Quelle place accorde-t-il à la personne humaine? La femme peut-elle s’émanciper au sein de la nation confessionnelle? Quelle place accorde-t-il à la doctrine sociale de l’Église? La nation confessionnelle représente-t-elle une alternative à la modernité ou est-elle conciliable avec cette dernière, en devenant un de ses visages possibles? L’ordre défendu par l’entremise de la nation confessionnelle permet-il de combler les lacunes engendrées par le passage à la modernité? Quel lien établit Angers entre la religion et la nation? Comment s’insère le catholicisme dans le nationalisme? Comment et pourquoi s’opposer à l’américanisation des institutions et des mentalités? En quoi, selon lui, la nation confessionnelle permet-elle une modernisation fidèle à l’héritage canadien-français et sans aliénation? Il s’agit de montrer comment il harmonise la philosophie chrétienne, le progrès matériel et le système démocratique; comment il conjugue tradition et modernité.

L’étude des écrits d’Angers montre que son projet vise d’abord à satisfaire les exigences de la personne humaine et, plus globalement, le bien commun. Sa pensée n’est pas l’antithèse de la modernisation, elle représente plutôt une instrumentalisation du catholicisme par un projet de modernisation nationale. Il est toutefois essentiel de comprendre que sa foi n’est pas seulement un outil. Celle-ci est profondément ancrée dans sa pensée comme le souligne Richard Arès : «faire abstraction de sa pensée religieuse signifie en quelque sorte retirer une partie de l’unité de sa pensée compte tenu queses convictions religieuses sont aussi vigoureuses, vivantes et voyantes que le sont ses convictions nationalistes (6)». Il ne s’agit pas d’exploiter le religieux à des fins qui lui sont étrangères, mais d’employer le religieux comme un outil solide pour édifier une nation canadienne-française moderne et fidèle à ses origines catholiques. Dans sa pensée la religion a une valeur transcendante. Il cherche une modernisation sans modernité philosophique, c’est-à-dire sans négation du spirituel dans l’espace public. Selon Angers, dans le contexte de modernisation, la religion catholique doit demeurer le point central de la nation afin d’éviter toute forme d’aliénation. La modernisation ne doit causer aucune rupture avec le passé. La civilisation, la patrie et la nation doivent s’appuyer sur la religion pour atteindre leur finalité.

Le cadre temporel de notre analyse se limite aux années 1937 à 1960. Cet intervalle correspond à la période marquée par l’édification du projet de nation confessionnelle d’Angers. La première date marque le début de sa carrière d’économiste et son engagement à la revue L’Action nationale alors que la seconde marque la fin de la période correspondant à la défense de son projet de la nation confessionnelle. Toutefois, nous prolongerons notre étude jusqu’en 1967 pour ce qui est de la confessionnalité scolaire. Le débat entourant l’école confessionnelle vient en quelque sorte clore la question de la confessionnalité au sein de la société canadienne-française. À partir de ce moment, Angers réoriente son engagement, passant de la défense de la confessionnalité à celle de la langue française. Cette balise chronologique ne signifie pas pour autant une modification de sa pensée personnelle, mais davantage une résignation à l’égard de l’application sociale du projet de nation confessionnelle. 

2. Notions-clés

Les notions de modernité, de nationalisme et de sécularisation sont au centre de notre problématique. L’analyse de ces notions-clés s’avère nécessaire afin d’approfondir la compréhension de la pensée d’Angers et de son projet de nation confessionnelle. Ces notions serviront à mieux dégager le contexte dans lequel sa pensée et son projet s’inscrivent.

a) Modernité

La modernité est un phénomène complexe aux limites imprécises. Elle ne présente aucune loi spécifique, seulement des traits distinctifs. La modernité correspond à un mode qui regroupe des changements profonds dans la vie sociale et économique, une attitude nouvelle face à la tradition et une philosophie critique (7). Selon Marcel Rioux, «être moderne, quels que soient le pays et l’époque, comporte toujours l’idée de quelque chose qui s’oppose à la tradition et marque une évolution historique (8)». La modernité implique une volonté de changement. Pour Joseph-Yvon Thériault, elle est définie comme un vide de mémoire et de tradition. Selon ce dernier, l’être américain ne serait rien d’autre que l’être moderne et l’américanité une autre manière de dire la modernité (9). Cette américanité découle de la modernité radicale. D’ailleurs, une distinction entre les notions d’américanité et d’américanisations’impose afin d’éviter toute confusion:

[…] l’américanisation du Québec, concept de résistance ou de refus, est ce processus d’acculturation par lequel la culture étasunienne influence et domine la culture autant canadienne que québécoise – et mondiale – tandis que l’américanité, qui englobe tout autant l’Amérique latine que l’Amérique saxonne, est un concept d’ouverture et de mouvance qui dit le consentement à son appartenance continentale (10).

Cette définition correspond à la conception d’Angers de l’américanisation et de l’américanité. En fait, il s’oppose à l’américanisation des institutions et des mentalités étant donné son caractère aliénant pour la nation canadienne-française. Il défend une américanité différenciée.

Dans le but de cerner toutes les composantes de la modernité, il convient de diviser cette notion en cinq grands principes (11). Premièrement, le principe philosophique de la modernité est défini comme une laïcisation, une sécularisation ou une déconfessionnalisation de la société. Dans cette acception, la modernité marque le déplacement du théocentrisme par l’anthropocentrisme. Selon Pierre Trépanier, la modernité théorique symbolise «le divorce du spirituel et du temporel dans la vie collective, et le cantonnement de la religion dans la vie privée (12)». D’ailleurs, «la modernité est souvent présentée implicitement, quand ce n’est pas explicitement, dans une perspective téléologique et méliorative qui tend à concevoir comme une pathologie sociale tout écart par rapport à elle (13)». La modernité est perçue comme une rupture radicale avec l’univers traditionnel organisé autour de la religion. Ce principe de la modernité confronte directement la conception d’Angers quant au rôle de la religion au sein de la société. Pour lui, la religion constitue un élément structurant de l’espace public. Son opposition, au cours des années soixante, à la déconfessionnalisation de l’éducation en témoigne.    

Deuxièmement, le principe psychologique s’inscrit en continuité avec le principe philosophique, car l’homme acquiert, par l’intermédiaire de la modernité philosophique, une autonomie morale qui le mène à affirmer son individualité (14) . Il se développe ainsi une conscience de la valeur que revêt la personne individuelle aux dépens «de la collectivité et des entités plus larges susceptibles de l’amputer» (15). Ce principe psychologique symbolise le triomphe de l’individualisme sous ses formes politique, économique et morale. 

Troisièmement, dans sa dimension politique, la modernité implique un État national centralisé, bureaucratique et technocratique.  La modernité prend le visage de la démocratie libérale (16). Cet État libéral cherche à satisfaire les exigences de vérité politique et celles du pluralisme. Il y a une quête du bien public par l’entremise de la tolérance, de la coopération et de la solidarité du peuple. Il s’agit d’assurer le respect des droits individuels et des droits collectifs. Ce processus est une transformation du mode de régulation sociale. Le modèle social providentialiste remplace le modèle libéral. Il s’agit de l’abandon des formes anciennes et d’une volonté de transparence dans la gouverne de l’État. Notons qu’Angers est réticent envers le modèle statoprovidentialiste puisqu’il considère que celui-ci mène à une dégradation du sens des responsabilités personnelles. Finalement, il estime inefficace une démocratie politique sans l’établissement d’une démocratie économique.

Quatrièmement, le principe scientifique de la modernité se déploie avec l’avènement de l’empirisme et de l’abstraction mathématique. Il est symbolisé par l’émergence et par la valorisation des notions de rationalisation, de scientisme et d’universalisation quant à l’explication de la vie.  Il s’agit de la construction d’un système de pensée rationnelle.  En fait, la science et la technique présentent une conception de l’homme qui se transforme par la volonté de puissance. Les progrès techniques, le confort et le bien-être sont valorisés. Selon Alain Touraine, « il n’y a de modernité que par l’interaction croissante du sujet et de la raison, de la conscience et de la science (17)». Selon Angers, la science et la religion ne sont pas forcément opposées et il est possible d’en arriver à un accommodement. Toutefois, la science doit reconnaître ses limites en s’assurant que l’empirisme ne remplace pas la métaphysique et la morale.    

Cinquièmement, le principe économique de la modernité est lié à l’idée de marché. Principalement, il s’agit de la victoire de l’économie sur la culture et de la société d’individus sur la communauté comme un monde de sens (18). Être moderne «c’est être productif, efficace et d’un rendement maximal, c’est la raison économique qui subsume la raison culturelle : c’est la fuite en avant éperdue pour s’emparer des meilleures techniques qui produiront, à leur tour, plus d’argent et de pouvoir (19)». Cette modernité fonde sa définition du bonheur et de la réussite sur une conception matérialiste. L’homme rassasie ses besoins dans l’avoir au détriment de l’être.

À la lumière de ces caractéristiques, une précision s’impose en ce qui concerne la notion de modernisation et de modernité, car bien qu’applicable à la modernité philosophique, la modernisation n’est pas nécessairement dépendante de celle-ci. La modernisation, liée à l’industrialisation et à l’urbanisation, est un processus d’évolution, de progrès ou de transformations alors que la modernité correspond à un caractère ou à un courant idéologique. Il est ainsi possible de concevoir une modernisation sans modernité philosophique plénière, c’est-à-dire avec une modernité comportant des modulations de survivances et d’accommodements avec l’ordre ancien. Cette définition de la modernité semble s’accorder davantage avec la pensée d’Angers puisqu’elle tient compte des particularités canadiennes-françaises,soit son caractère français et catholique. D’ailleurs, la modernité est un phénomène complexe qui se vit à différents niveaux d’intensité d’où l’importance d’effectuer une distinction entre la modernité abstraite et les modernités concrètes. 

b) Nationalisme

Les définitions du nationalisme sont multiples. Il est donc futile de chercher à fournir une définition complète. Pour le théologien Jacques Grand’Maison, le nationalisme et la religion possèdent des liens avec l’identité. Cette caractéristique s’accorde avec le nationalisme d’Angers puisqu’une théorie nationaliste qui fonde son organisation sociale sur l’opposition entre le politique et le religieux et sur une culture purement linguistique sans résonance religieuse lui apparaît une théorie irréaliste et irrationnelle. Le nationalisme doit respecter la culture. Toujours selon la définition de Grand’Maison, l’exaltation du sentiment national est un attachement passionné à la nation à laquelle on appartient, accompagné parfois de xénophobie et d’une volonté d’isolement. Le nationalisme relève partiellement de facteurs irrationnels et passionnels (20). Cette définition rejoint celle d’Angers, car le nationalisme et le patriotisme se justifient par l’amour et l’attachement que l’homme éprouve envers son milieu. Toutefois, pour Angers, la raison ne doit jamais abdiquer. Le nationalisme et le patriotisme sont néanmoins liés avant tout à la sentimentalité plutôt qu’à la rationalité. Pour Léon Dion, l’idéologie nationaliste est : 

[l]'ensemble des représentations faites par référence à une collectivité spécifique particulière, appelée peuple ou nation, définie par un amalgame de traits incluant, entre autres, mais sans qu'aucun d'entre eux en particulier ne soit suffisant ni nécessaire, une origine, une histoire, un territoire, une culture, des institutions et une langue communs aux membres de cette collectivité, témoignant du sens d'une solidarité d'appartenance et de destin souvent en face d'autres collectivités jugées étrangères ou ennemies ainsi que par des projets concernant l'organisation de la vie culturelle, économique et politique jugés convenir à cette collectivité (21).

Pour Louis Balthazar, le nationalisme se présente comme «un mouvement qui consiste à accorder une priorité à l’appartenance nationale et à lutter pour une meilleure reconnaissance (22)».  D’ailleurs, il soutient que l’incapacité du nationalisme traditionaliste à se donner des assises politiques solides et ce, malgré la richesse de son contenu, l’amène à être dépassé par l’évolution sociale et à perdre de son influence auprès des populations autant que des élites (23). Sa définition du nationalisme traditionaliste est construite en cinq points: une prédominance de la culture aux dépens de la politique; une absence de la dimension économique; une place centrale à la religion; un repli sur lui-même; une tendance à être peu accueillant envers les nouveaux venus (24). Toutefois, cette conception du nationalisme traditionaliste contredit la pensée d’Angers et demande à être corrigée, car l’importance accordée à la religion et à la méfiance envers les nouveaux venus n’empêchent pas que la dimension économique et politique demeure centrale dans son nationalisme. La prise en compte de la politique et la recherche d’une libération économique des Canadiens français font partie intégrante du nationalisme d’Angers.

Par ailleurs, au cours des années soixante, le nationalisme traditionaliste est progressivement remplacé par le néonationalisme qui agit comme un phénomène d’affirmation d’une identité collective laïque (25). La modernisation du Québec a brisé le traditionalisme et éveillé une nouvelle conscience collective. Le passage du nationalisme ethnique au nationalisme territorial et civique témoigne de cette volonté de démocratiser la société afin de concilier les valeurs libérales et le sentiment nationaliste désethnisé. Pour les néonationalistes, l’ethnie est une conception statique à laquelle on ne peut rien changer alors que la culture est une notion dynamique qui se nourrit des rapports sociaux et de la communication (26). En excluant les considérations de race, de croyance et de sexe, le nationalisme devient le ciment social. Essentiellement, ce nationalisme s’oppose à la pensée d’Angers étant donné son caractère laïque et sa méfiance à l’égard de la continuité ethnique.

Finalement, il convient de mentionner que le nationalisme et le libéralisme sont conciliables sur la base de l’individualisme moral, dans la mesure où le nationalisme reste soumis aux impératifs de l’individualisme puisque les groupes, les collectivités et les institutions ont des droits et des obligations qui ne sont pas nécessairement contraires à cet esprit (27). En fait, l’individualisme moral cerne les limites des revendications collectives et individuelles. En imposant une culture commune, il est possible d’encourager l’émancipation de la démocratie puisque l’individualisme propose une égalité des chances dans les débats démocratiques. Toutefois, il est nécessaire d’élargir la conception de droit pour l’identité nationale. Le nationalisme moderne se trouve tiraillé entre les droits individuels et l’identité collective.  Une théorie de droit requiert une politique de la reconnaissance qui protège l’intégrité de l’individu y compris dans les contextes de la vie qui forment son identité. La pleine reconnaissance de l’intégrité des sujets de droits individuels implique l’acceptation du contexte collectif de socialisation.  Selon Yaël Tamir «contrairement à la croyance populaire, les communautés nationales peuvent, sous certains angles, être plus ouvertes et pluralistes que des communautés dans lesquelles le lien social est fondé sur un ensemble de valeurs communes (28)».  Paradoxalement, cette mutation nationale du libéralisme individualiste rend théoriquement possible un rapprochement entre la pensée d’Angers et la modernité.

c) Sécularisation

Une des principales transformations au sein de la société québécoise au cours de la Révolution tranquille est la perte de la pertinence sociale du religieux. Comme nous l’observerons dans les chapitres suivants, la sécularisation heurte directement la pensée et le projet de nation confessionnelle d’Angers. Le phénomène de sécularisation «est total en ce qu’il atteint l’homme au plus intime de sa conscience et global, parce qu’il caractérise les sociétés contemporaines (29)». Selon Paul-André Turcotte:

[…] l’industrie et l’urbanisation minèrent sournoisement le projet chrétien de société et celui de réappropriation d’un pays. Ces projets ne firent que s’effriter de 1945 à 1960, avant que s’impose le nationalisme néo-libéral s’appuyant sur la seconde industrialisation. L’Église rendit à l’État des secteurs où elle avait joué un rôle prépondérant depuis un siècle, et elle ne rallia plus l’ensemble des citoyens autour d’un objectif défini, facteur de cohésion sociale. Il s’agit de la sécularisation, fait majeur de la Révolution tranquille (30).

Toutefois, cette nouvelle construction laïque du sens n’est pas pleinement apprivoisée par la population. Il s’agit d’un vide que l’État québécois n’est pas en mesure de remplir puisque, pour ceux qui abandonnent la religion catholique et sa morale, il n’existe pas de morale de remplacement immédiatement disponible (31). D’ailleurs, l’émancipation d’un système de pensée rationnelle «ne mène pas à une disparition complète du sens, elle favorise davantage une fragmentation. La modernité renvoie la religion à la sphère privée et à la subjectivité (32) .» Or, il est possible qu’il ne s’agisse pas d’«une crise du croire, mais bien d’une crise du croire ensemble (33).»La modernité n’est donc pas la mort de la religion, mais la redéfinition de la place de la religion dans l’espace social et dans le monde des idées (34). Cette situation suppose une autonomie progressive de l’État aux dépens de la religion, une capacité de l’État à diffuser ses propres codes culturels et idéologiques au sein des institutions scolaires et une capacité étatique à contrôler le cycle de vie (35).  Selon Gilles Routhier, la religion n’a pas été une victime passive de la modernité.  Elle est parvenue à «s’accommoder de la ville, [à] en faire son lieu et [à] en utiliser les ressources (36) ».  Celui-ci jette un regard éclairant sur la notion de sécularisation:

Si l’on désigne par sécularisation les processus concrets qui se sont opposés à cette ambition qu’entretenait l’Église du Québec [de confessionnaliser l’ensemble des activités nouvelles], jusqu’à en consacrer l’échec, on peut alors dire qu’il y a eu effectivement sécularisation. Si l’on entend plutôt par sécularisation autonomisation du domaine séculier par rapport au champ religieux, on peut là aussi attester de la sécularisation (37).

 

De plus, «la séparation de l’Église et de l’État n’équivaut aucunement à interdire le rôle social des Églises. Il faut distinguer la sphère publique qui renvoie au domaine de l’État, et la sphère privée qui inclut le personnel, le familial et le social (38).»

Dire que la religion relève de la sphère privée ne signifie pas que c’est seulement une affaire privée et personnelle. Cela signifie qu’elle échappe au domaine public de l’État, mais qu’elle peut exister et agir librement dans la société. La religion n’est donc pas réduite à sa dimension intérieure et individuelle; elle a nécessairement un caractère extérieur et social (39).

La sécularisation symbolise l’incapacité de l’Église à agir. (40) Cette impuissance implique une séparation progressive entre le temporel et le spirituel, ce qui entraîne l’incompétence des Églises dans le domaine temporel.  D’ailleurs, une religion qui vit au cœur de la modernité acquiert une dimension purement idéologique aux yeux de la société et son existence dépend de sa capacité à se défendre (41).  Selon le théologien André Charron, «la sécularisation est un processus d’émancipation culturelle de la tutelle de l’Église et du contrôle religieux sur la vie sociale (42)». Donc, le passage à la modernité incarne la confrontation entre la transcendance et l’immanence (43). On verra qu’Angers ne pouvait se satisfaire d’un rôle minimal pour la religion dans l’espace public.

3. Historiographie

a) Historiographie de la droite intellectuelle canadienne-française

En 1993, dans son mémoire de maîtrise, Sylvie Renaud signalait que « très peu d’ouvrages se penchent sur la droite […]l’historiographie commence à peine à explorer cette tentative de la droite nationaliste traditionaliste à travers son discours, ses opinions et ses réalisations (44)». Est-il possible de tenir des propos similaires en 2006 à l’égard de l’historiographie de la droite intellectuelle? Notre analyse atteste d’un intérêt pour cette thématique au cours des dix dernières années. Dans l’essor de l’historiographie de la droite canadienne-française l’apport du département d’histoire de l’Université de Montréal doit être signalé (45). Principalement effectués sous la direction de Pierre Trépanier, spécialiste de l’histoire intellectuelle du Québec et de l’histoire du traditionalisme et des droites au Québec, ces mémoires et ces thèses ont permis d’alimenter cette historiographie (46).

L’étude des Clercs de Saint-Viateur réalisée par Paul-André Turcotte (47) et l’analyse de la revue Aujourd’hui-Québec par Serge Gagnon (48), toutes deux réalisées en 1981, ont véritablement contribué à ouvrir la voie à cette historiographie de la droite.  Ces ouvrages ont introduit la nécessité d’analyser l’échec de ce mouvement au cours de la Révolution tranquille et ce, dans le but d’interpréter l’évolution de la société québécoise. L’ouvrage de Micheal D. Behiels, Prelude to Quebec’s Quiet Revolution. Liberalism Versus Neo-nationalism, 1945-1960 (49), qui analyse les courants progressistes ou de gauche par opposition à la droite représente un apport essentiel à la compréhension de l’historiographie de droite. Malgré que les intellectuels de la droite ne soient pas au centre de cette étude, on est en mesure de constater que les idées de la droite sont défendues et que ces intellectuels proposent un projet cohérent. Micheal D. Behiels pose indirectement les premiers jalons de l’histoire de la droite intellectuelle québécoise.  D’autre part, l’analyse de Léon Dion dans l’ouvrage Québec 1945-2000, les intellectuels et le temps de Duplessis, s’inscrit en continuité avec celle de Micheal D. Behiels par l’utilisation d’un schéma d’interprétation similaire. En fait, il place la revue Cité libre et le journal Le Devoir, tous deux de «gauche», au centre de son analyse contrairement aux revues dites traditionalistes. Toutefois, un nombre appréciable de références sont faites aux intellectuels de droite. Léon Dion reconstruit cette histoire à partir de la dichotomie tradition-modernité. Par contre, sa définition du traditionalisme est extrêmement limitée de sorte qu’il développe une autre catégorie sous l’étiquette de transitionalisme, celle-ci désignant l’école des conservateurs «nationalistes modernisants». Il décrit l’action des transitionalistes, dont celle de François-Albert Angers, comme une modernisation organique de la société québécoise qui avait pour objectif de prévenir la rupture avec son passé (50) . C’est en lien avec ces principales études que va se développer un nombre appréciable de mémoires et de thèses concernant la droite intellectuelle canadienne-française.

 

Xavier Gélinas consacre son mémoire de maîtrise à une étude à la revue Tradition et Progrès (1957-1962).  Il s’interroge sur les thèses défendues, les aspirations et les alliés de cette revue. On y découvre une revue qui se démarque «par son écartèlement, entre la suspicion et l’enthousiasme, quant à l’attitude à adopter sur ces deux grandes questions [question confessionnelle et nationalisme] qui ponctuèrent la Révolution tranquille.  La revue est traditionaliste pour la question de la confessionnalité et progressiste pour la question nationale (51).» Il démystifie le nationalisme traditionnel encrassé de xénophobie. Quant à elle, Sylvie Renaud analyse la tentative de conciliation entre la tradition et la modernité au sein des Cahiers de Nouvelle-France. Cette revue ne repousse pas la modernité, mais tente davantage de s’adapter au contexte canadien-français (52). Elle intègre au nationalisme la nécessité d’un développement économique et du progrès matériel. Elle veut «construire un projet d’avenir pour la nation canadienne-française. Quoique cette voie n’ait pas réussi à s’imposer, ce besoin d’ajustement à la nouvelle réalité nous invite à penser que le monopole du changement n’appartenait pas qu’aux néo-nationalistes et aux autres réformateurs (53).» D’ailleurs, «la recherche du progrès, qui est aussi celle d’une politique nationale, ne saurait se réaliser sans que la nation ne détienne les clés de sa liberté (54).» Dans son mémoire, Stéphane Pigeon expose la réaction de Lionel Groulx devant les changements imposés lors de la Révolution tranquille.  Il en vient à la conclusion que Groulx applaudit les réformes économiques et politiques qui servent l’idéologie nationaliste, mais repousse en bonne partie la réforme de l’éducation parce qu’elle renonce aux particularités canadiennes-françaises: les traditions nationales et la religion catholique (55). Bref, «Groulx a approuvé les réformes économiques et politiques d’inspiration nationaliste. Il a dénoncé celles qui marginalisaient l’Église catholique et son clergé (56).»

Ces mémoires sont unifiées dans la thèse de doctorat de Xavier Gélinas qui effectue la première synthèse de la droite intellectuelle canadienne-française au cours de la Révolution tranquille. Selon l’auteur, «[…] il est opportun d’étudier la droite intellectuelle, grande perdante de la Révolution tranquille et chaînon manquant dans la reconstitution des luttes d’idées (57)». Il cherche à comprendre si cette droite rejoint le courant réformiste.  Se crispe-t-elle dans un traditionalisme frileux, rabâchant ses thèses sans les adapter?  Essaie-t-elle d’absorber dans sa conception du monde ce qu’elle jugerait importable dans les idées nouvelles (58)? Le principal obstacle entre gauchisme et droitisme se situe autour de la question nationale et confessionnelle. En effet, «la religion, la nation et l’État peuvent se conjuguer autant que se concurrencer (59)». Selon Xavier Gélinas, les traditionalistes adaptent timidement la question confessionnelle à la modernité: «la cause du déclin de la droite ne réside donc pas dans une bombe à retardement concoctée par la droite elle-même, mais plutôt par une conjonction de facteurs qui n’émanent pas d’elle (60)». Cette synthèse par Xavier Gélinas de la droite intellectuelle canadienne-française peut être considérée comme le centre de gravité des études de la droite des années de la Révolution tranquille. Il est possible d’y rattacher tout un ensemble d’ouvrages et de textes traitant de la droite intellectuelle. De plus, il accorde une place importante à l’analyse de la pensée d’Angers et ce, principalement au niveau de son engagement à la revue L’Action nationale, de sa défense de la confessionnalité, de sa recherche d’une libération économique des Canadiens français et d’une solution à la question nationale. Il présente ce dernier comme un des principaux acteurs de la droite intellectuelle au cours de la Révolution tranquille.

Ces études développent la thèse que la droite nationaliste traditionaliste veut, contrairement à ce que soutiennent les auteurs de synthèse (61), détacher ce mouvement du duplessisme. Il y a une volonté de redéfinir ce mouvement idéologique comme une solution de recharge aux changements proposés lors de la Révolution tranquille. Les questionnements définis dans le cadre de ces ouvrages rejoignent à plusieurs niveaux ceux nécessaires à la compréhension du projet de nation confessionnelle. Il est ainsi possible d’affirmer que l’analyse du projet de la nation confessionnelle s’insère en continuité avec cette réévaluation de la place de l’intellectuel traditionaliste dans l’affirmation de la modernité. Ces études rejoignent notre questionnement, à savoir comment s’articule le rapport entre modernité et religion. À ce titre, signalons que le mémoire de maîtrise de Dominique Foisy-Geoffroy consacré à la pensée d’Esdras Minville permet d’observer de nombreuses similitudes entre l’idéologie de ce dernier et celle de François-Albert Angers, manifestement en situation d’interaction. Le projet de ces deux intellectuels vise à conjuguer la culture traditionnelle canadienne-française et la vie moderne afin de favoriser l’épanouissement de la personne humaine et de la nation.

Finalement, ces études témoignent de la présence d’Angers au sein de l’historiographie. Si sa pensée est négligée dans les travaux des années soixante-dix et une majorité des années quatre-vingt, son nom se fait de plus en plus présent dans les études traitant de la droite intellectuelle menées au cours des années quatre-vingt-dix et deux mil. Sans en faire leur objet central, ces études rendent compte de la présence d’Angers au sein des luttes de l’époque: défense de l’autonomie provinciale, du coopératisme, du nationalisme et de la confessionnalité. Toutefois, ces références se limitent généralement à quelques lignes et sont davantage descriptives. L’historiographie de la droite intellectuelle canadienne-française montre néanmoins que la pensée d’Angers s’inscrit en continuité avec d’autres penseurs de l’époque, non sans opérer, dans certains cas, une radicalisation. Les traditionalistes nationalistes y sont dépeints comme présentant un projet cohérent cherchant à s’accorder avec les besoins de la nation canadienne-française.

 

b) François-Albert Angers

Ces précisions sur les principales notions-clés et sur l’historiographie de la droite intellectuelle invitent à jeter un regard sur la place qu’occupent les études portant sur Angers dans l’historiographie québécoise. En fait, seulement deux ouvrages s’y consacrent entièrement. Malgré que les contours de sa pensée soient fixés, des traits plus spécifiques restent à explorer et à approfondir. De plus, dans les écrits qui lui sont consacrés, sa pensée religieuse est soit ignorée, soit reléguée au second plan. Pour cette raison, notre étude s’attardera aux notions de religion et de nation qui constituent, à la lumière de nos lectures, les principaux piliers de sa pensée.

 

La première étude est celle de John Grube, Bâtisseur de pays. Étude sur le nationalisme au Québec (62). Il cerne ses influences, son nationalisme, sa conception de la sécurité sociale, de l’économie, de l’éducation et de la langue. Cette étude est orientée principalement sur ses écrits dans les revues L’Action nationale et L’Actualité économique. Elle s’attarde essentiellement à exposer les luttes auxquelles il a participées. Elle est davantage une chronique qu’une analyse approfondie (63). On constate une faiblesse au niveau de la mise en contexte et une vision statique et cristallisée de la pensée d’Angers. Sans véritable toile de fond, l’originalité, la pertinence et la cohérence de la pensée de ce dernier sont réduites. En fait, l’auteur ne respecte pas une analyse ascendante ou génétique de sa carrière. Il y a juxtaposition de plusieurs étapes de sa vie. Cet ouvrage est néanmoins riche en contenu et constitue une précieuse introduction à la pensée de cet intellectuel et à la reconstitution de la droite intellectuelle et du nationalisme canadien-français. Cet ouvrage est complété par une utile biobibliographie réalisée par Patrick Allan et traitant de l’économie, des relations internationales, des aspects socio-politiques et de la coopération dans la pensée d’Angers. L’étude de Grube esquisse donc un portrait global.

Réalisée par Pascale Ryan, la seconde étude s’attarde à la pensée économique d’Angers entre 1937 et 1960. L’auteure réalise la première véritable analyse axée sur un aspect spécifique de sa pensée, soit sa pensée économique. Elle démontre qu’Angers a contribué par son travail d’économiste à la modernisation scientifique du Québec. Elle expose son influence dans la professionnalisation des sciences économiques. D’autre part, pour l’auteure, Angers reflète «l’ambivalence d’une génération qui cherche à palier aux faiblesses du capitalisme selon les principes catholiques».  Selon elle, les convictions religieuses d’Angers semblent avoir pris le pas sur l’acceptation des nouvelles réalités économiques et sociales que vit le pays dans les années d’après-guerre (64). Or, Pascale Ryan définit sa pensée comme la recherche d’une troisième voie, une voie chrétienne entre le socialisme et le libéralisme. «La pensée économique d’Angers est une pensée humaniste, qui veut faire une place à l’individu, à la liberté personnelle et à la responsabilité individuelle selon les principes catholiques. Le corporatisme et le coopératisme, troisième voie entre un libéralisme en faillite et un socialisme “menaçant” (65) .» Toutefois, cette idée d’une troisième voie demande à être précisée. S’agit-il d’un accommodement entre le socialisme et le libéralisme ou une voie différente? À la lumière de son mémoire la deuxième formule s’impose.

 

Parmi les faiblesses de ce mémoire, on note un manque d’approfondissement, de justification ainsi que quelques conclusions précipitées. Certaines erreurs et certains oublis sont également observables dans le chapitre consacré aux influences exercées sur Angers. Par ailleurs, Pascale Ryan n’aborde pas la question de la sécurité sociale et ne fait qu’effleurer l’importance de la responsabilité individuelle. Il s’agit pourtant d’éléments déterminants pour la compréhension de sa pensée économique et sociale. Finalement, en conclusion, elle effectue seulement une récapitulation des éléments mentionnés précédemment. Il aurait été intéressant que l’auteure soumette des pistes d’interrogation ou de réflexion afin de faire avancer la réflexion sur cet intellectuel. Ce mémoire souligne indirectement l’intérêt d’étudier simultanément Angers à titre d’universitaire, de chercheur et d’homme public.

En dernier lieu, mentionnons que seulement quelques articles analysent la pensée d’Angers. La majorité d’entre eux sont des hommages à ses engagements politiques et économiques (66).  Il convient toutefois de signaler la brève analyse de Richard Arès dans la revue Commerce qui cerne les grands axes de sa pensée. Cet article permet de rendre compte de l’importance de sa pensée religieuse. À consulter aussi le numéro du printemps 1996 des Cahiers d’histoire du Québec au XXe siècle. L’entrevue recueillie par Jean-Marc Léger, extrêmement riche en contenu et admirablement dirigée, circonscrit les contours de la pensée d’Angers en approfondissant certaines notions telles sa conception de la démocratie, du nationalisme ainsi que sa perception de la Révolution tranquille. Finalement, Gilles Paquet dans La pensée économique au Québec français accorde quelques pages, sous la forme d’une entrevue, à l’analyse des grands axes de sa pensée économique. Donc, l’historiographie portant sur Angers est relativement discrète et appelle des approfondissements et des compléments.

 

4) Le plan de notre étude       

Pour cerner l’ensemble des composantes de notre problématique, notre mémoire se divise en deux parties. La première, avec son chapitre unique intitulé, «Confessionnalisme et nationalisme», nous amènera à explorer les caractéristiques du confessionnalisme à l’étranger, de la confessionnalité au Canada français ainsi que des notions structurantes de la pensée d’Angers. Il s’agit de comprendre le cadre général à l’intérieur duquel Angers déploie son analyse de la situation canadienne-française. Quant à elle, la seconde partie nous permettra d’entrer dans le vif du sujet par la présentation du projet de nation confessionnelle. Dans le premier chapitre, «La nation confessionnelle et la personne humaine», nous analyserons la place qu’occupe la doctrine sociale de l’Église dans l’édification de son projet ainsi que le rôle de la société et de la famille dans l’encadrement de la personne humaine. Il s’agira de démontrer le rôle structurant de la personne humaine dans l’édification du projet d’Angers. Dans le deuxième chapitre, «La nation confessionnelle et l’État démocratique», nous exposerons comment Angers parvient à concilier la modernisation de l’État et la conservation des principes constituant l’identité canadienne-française. Dans cette partie de notre analyse, une place importante est accordée à l’étude des notions de fédéralisme, de démocratie et de décentralisation. Également, nous ciblerons le rôle de l’État, de l’Église et de la paroisse. Ce chapitre nous fera observer le rôle du corporatisme dans la démocratisation de la vie économique canadienne-française. Dans le troisième chapitre, «La nation confessionnelle et l’économie», nous analyserons à ses yeux la valeur de la doctrine sociale catholique, ses critiques à l’égard du libéralisme et du socialisme et les notions-clés de sa pensée, soit sa conception du travail, du salaire, de la propriété privée et de l’agriculture. Ce chapitre consacrera une analyse au coopératisme comme structure fondamentale de la libération économique des Canadiens français. Finalement, le quatrième chapitre, «La nation confessionnelle et l’éducation», présentera la confrontation entre la pensée d’Angers et le système d’éducation proposé dans le rapport Parent. Nous exposerons ses critiques à l’égard de l’américanisation de l’éducation ainsi que de la neutralité de l’État et de l’éducation. La valeur conférée par Angers à l’école confessionnelle sera ainsi mise en lumière.

 

Les matériaux de notre étude sont constitués principalement de pièces provenant de sa correspondance, de ses articles et autres textes tirés de revues et de journaux choisis selon les thèmes : nationalisme, religion, politique, économie et culture. La sélection des articles a constitué le principal défi méthodologique étant donné la rare fécondité de cet auteur. Il arrive assez fréquemment que ses articles soient repris par plus d’une publication. Comme Angers en a fait les principaux véhiculent de sa pensée, c’est sur L’Action nationale et L’Actualité économique que nous avons concentré l’analyse. On peut même considérer que L’Actualité économique constituait un laboratoire, un banc d’essai. Les articles publiés dans les revues Notre temps, Tirons franc, Le Foyer rural, Ensemble, Le Travail et La Terre de chez nous vulgarisent ses positions. Bref, la compréhension de sa pensée passe par l’analyse de L’Action nationale et de L’Actualité économique.

 

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(1) Pierre Trépanier, Qu’est-ce que le traditionalisme? Club du 3 Juillet, 2002, p. 14.

(2) John Grube, Bâtisseur de pays, Montréal, Éditions de L’Action nationale, 1981, p. 143.

(3) Richard Arès, «L’homme du mois: François-Albert Angers », Commerce, 67, 8 (mars 1965), p. 64

(4) Ibidem.

(5) L’Action nationale. «Les bâtisseurs: François-Albert Angers ».  Site de L’Action nationale, [En ligne]. http://www.action-nationale.qc.ca/enbref/angers.htm  (Page consultée le 10 février 2005).

(6) Richard Arès, «L’homme du mois: François-Albert Angers »…, p. 64.

(7) William Edgar, La carte protestante: les protestantisme francophone et la modernité (1815-1848), Genève, Labor et Fides, 1997, p. 35-36.

(8) Marcel Rioux, Un peuple dans le siècle, Montréal, Boréal, 1990, p. 91.

(9) Joseph-Yvon Thériault, Critique de l’américanité: Mémoire et démocratie au Québec, Montréal, Québec Amérique, 2002, p. 44.

(10) Yvan Lamonde cité dans Joseph-Yvon Thériault, Critique de l’américanité: Mémoire et démocratie au Québec, Montréal, Québec Amérique, 2002, p. 30.

(11) La structure de cette définition de la modernité est inspirée de l’ouvrage de William Edgar.

(12) Pierre Trépanier, «Notes pour une histoire des droites intellectuelles canadiennes-françaises», Les Cahiers des Dix, 48 (1993), p. 140.

(13) Ibid., 150-151.

(14) Edgar William, La carte protestante: les protestantisme francophone et la modernité (1815-1848)…,    p. 42.

(15) Ibid., p. 36.

(16) Pierre Trépanier, «Notes pour une histoire des droites intellectuelles canadiennes-françaises»…,  p. 151.

(17) Alain Touraine cité dans Janine Thériault, D’un catholicisme à l’autre trois ordres catholiques au Québec et leurs revues face à l’aggiornamento et à la Révolution tranquille, 1958-1970, Thèse de Ph.D (Histoire), Université de Montréal, 2004, p. 28.

(18) Joseph-Yvon Thériault, Critique de l’américanité: Mémoire et démocratie au Québec…, p. 168.

(19) Marcel Rioux, Un peuple dans le siècle…, p. 99.

(20) Jacques Grand’Maison, Nationalisme et religion: nationalisme et révolution culturelle, Montréal, Beauchemin, 1970, p. 30.

(21) Léon Dion, Québec, 1945-2000, Tome 1: À la recherche du Québec, Québec, Presses de l’Université Laval, 1987, p. 16. 

(22) Louis Balthazar, Bilan du nationalisme au Québec, Montréal, L'Hexagone, 1986, p. 19.

(23) Ibid., p. 111.

(24)Louis Balthazar, «Les visages du nationalisme au Québec», dans Alain-G Gagnon, dir. Québec: État et société, Montréal, Québec-Amérique, 1994, p. 27-28.

(25) Louis Balthazar, Bilan du nationalisme au Québec…, p. 131.

(26) Ibid., p. 135.

(27) François Blais, «Peut-on être libéral et nationaliste?», dans François Blais, Guy Laforest, Diane Lamoureux., dir. Libéralisme et nationalisme, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 1995,  p. 22.

(28) Cité dans Michel Sara-Bournet, dir. Les nationalismes au Québec au XIXe et XXe siècle, Saint-Foy, Presses de l’Université Laval, p. 333.

(29) Jean Hamelin, Histoire du catholicisme québécois. Le XXe siècle, tome 2, 1898-1940, Montréal, Boréal,  1984, p. 213.

(30 Paul-André Turcotte, L’Éclatement d’un monde. Les Clercs de Saint-Viateur et la Révolution tranquille, Montréal, Bellarmin, 1981, p. 11.

(31) Marcel Rioux, Un peuple dans le siècle..., p. 101.

(32) Pierre Valadier, «Catholicisme et modernité, un procès permanent », Sociologie et sociétés, 22, 2 (octobre 1990),  p. 14.

(33) Raymond Lemieux, «Le dynamisme des cultures francophones», dans Brigitte Caulier, dir. Religion, sécularisation, modernité. Les expériences francophones en Amérique du Nord, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 1996, p. 30.

(34) Jean Baubérot, Religion, modernité et cultureau Royaume-Uni et en France, 1800-1914, Paris, Éditions du Seuil, 2002, p. 288.

(35) Gilles Routhier, «Quelle sécularisation?L’Église du Québec et la modernité», dans Brigitte Caulier, dir...,  p. 74

(36) Ibid, p.90

(37) Ibid., p. 91.

(38) Maurice Barbier, La laïcité, Paris L’Harmattan, 1995, p. 95 cité dans Guy Durand, Le Québec et la laïcité. Avancées et dérives, Montréal, Éditions Varia, 2004, p. 19-20.

(39) Guy Durand, Le Québec et la laïcité. Avancées et dérives, Montréal, Éditions Varia, 2004, p. 16.  

(40) Gilles Routhier, «Quelle sécularisation?L’Église du Québec et la modernité», dans Brigitte Caulier, dir…, p. 78-79. 

(41) Guy Durand, Le Québec et la laïcité. Avancées et dérives..., p. 15.

(42) André Charron, «Catholicisme culturelle et identité chrétienne», dans Brigitte Caulier, dir...,  p. 161.

(43) Guy Durand, Le Québec et la laïcité. Avancées et dérives…, p. 16.

(44) Sylvie Renaud, Cahiers de Nouvelle-France et Nouvelle-France. La droite catholique face à la révolution tranquille, 1957-1964, Mémoire de M.A. (Histoire), Université de Montréal, 1993, p. 3.

(45) Cette liste exhaustive de mémoires et de thèses se veut révélatrice de l’importance du département d’histoire de l’Université de Montréal dans l’étude de la droite intellectuelle canadienne-française: Xavier Gélinas, Tradition et progrès (1957-1962). Une Révolution tranquille de droite? Mémoire de M.A. (Histoire), Université de Montréal, 1991; Sylvie Renaud, Cahiers de la Nouvelle-France et Nouvelle-France. La droite catholique face à la révolution tranquille, 1957-1964. Mémoire de M.A. (Histoire), Université de Montréal, 1993; Jean-Marc Maranda, La politique d'un philosophe. André Dagenais dans les années 1950. Mémoire de M.A. (Histoire), Université de Montréal, 1996; Éric Bouchard, Raymond Barbeau et l'Alliance laurentienne: les ultras de l'indépendantisme québécois. Mémoire de M.A. (Histoire), Université de Montréal, 1997; Damien-Claude Bélanger, Lionel Groulx et la Franco-Américanie. Mémoire de M.A. (Histoire), Université de Montréal, 2000; Stéphane Pigeon,Lionel Groulx, critique de la révolution tranquille (1956-1967). Mémoire de M.A. (Histoire), Université de Montréal, 2000; Dominique Foisy-Geoffroy, Esdras Minville. Nationalisme économique et catholicisme social au Québec durant l’entre-deux-guerres. Mémoire de M.A. (Histoire), Université de Montréal. 2001; Charles Hamelin, Daniel Coussirat (1841-1907): la vie et l’œuvre d’un intellectuel franco-protestant, Mémoire de M.A. (Histoire), Université de Montréal, 2001; Patricia Houde, Lionel Groulx – Un traditionaliste à la rencontre de l’Europe, 1921-1922. Mémoire de M.A. (Histoire), Université de Montréal, 2001; Daniel Thibault, Mgr Desranleau, évêque de Sherbrooke (1941-1952), et le catholicisme social. Mémoire de M.A. (Histoire), Université de Montréal, 2002; Janine Thériault, D’un catholicisme à l’autre. Trois ordres catholiques au Québec et leurs revues face à l’aggiornamento et à la Révolution tranquille, 1958-1970. Thèse de Ph.D (Histoire), Université de Montréal, 2004.

(46) Pierre Trépanier, «Robert Rumilly et la fondation du Centre d’information nationale (1956)», 44 (1989), p. 231-254 ; «Notes pour une histoire intellectuelle des droites canadiennes-françaises à travers leurs principaux représentants (1770-1970)», 48 (1993), p. 119-164 ; «Quel Corporatisme? (1820-1965)», 49 (1994), p.159-212 ; «Esdras Minville (1896-1975) et le traditionalisme canadien-français», 50 (1995), p. 255-294; «Le maurrassisme au Canada-français», 53 (1999), p. 167-233; «Qu’est-ce que le traditionalisme?» Causerie-débat tenue à Montréal, le samedi 8 juin 2002, Club du 3 juillet. 53 pages. En plus de la publication de trois tomes consacrés aux écrits de Lionel Groulx.

(47) Paul-André Turcotte, L’éclatement d’un monde. Les Clercs de Saint-Viateur et la Révolution tranquille, Montréal, Bellarmin, 1981, 366 pages.

(48) Serge Gagnon, «Aujourd’hui-Québec,février-décembre 1965», dans Fernand Dumont, Jean Hamelin et Jean-Paul Montminy, dir. Idéologies au Canada français (1940-1976), I: La presse, la littérature, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 1981, p. 287-313.

(49) Micheal D. Behiels, Michael Derek. Prelude to Quebec’s Quiet Revolution. Liberalism versus Neo-nationalism 1945-1960, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 1985, 366 pages.

(50) Micheal D. Behiels, «Duplessis, le duplessisme et la prétendue reconstitution du passé», dans Michel Sarra-Bournet et Alain-G Gagnon, dir. Duplessis, entre la grande noirceur et la société libérale, Montréal, Québec-Amérique, 1997. p. 320.

(51) Xavier Gélinas, Tradition et progrès (1957-1962). Une Révolution tranquille de droite? Mémoire de M.A. (Histoire), Université de Montréal, 1991, p. 202-203.

(52) Sylvie Renaud, Cahiers de Nouvelle-France et Nouvelle-France. La droite catholique face à la révolution tranquille, 1957-1964, Mémoire de M.A. (Histoire), Université de Montréal, 1993, p. 2.

(53) Ibid., p. 3.

(54) Ibid., p. 220.

(55) Stéphane Pigeon,Lionel Groulx, critique de la Révolution tranquille (1956-1967). Mémoire de M.A. (Histoire), Université de Montréal, 2000, p. 94.

(56) Ibid., p. 95.

(57) Xavier Gélinas, La droite intellectuelle québécoise et la révolution tranquille, Thèse de Ph.D. (Histoire), Université York, 2001, p. 8.

(58) Ibid., p. 4.

(59) Ibid., p. 613.

(60) Ibid., p. 617.

(61) Linteau, Paul-André, René Durocher, Jean-Claude Robert et François Ricard. Histoire du Québec contemporain. Tome II: Le Québec de 1930 à nos jours. Nouvelle édition revue. Montréal, Boréal compact, 1989. 834 pages

(62) John Grube, Bâtisseur de pays, Montréal, Éditions de L’Action nationale, 1981. 256 pages.

(63) Pascale Ryan, La pensée économique de François-Albert Angers de 1937 à 1960: la recherche de la troisième voie, Mémoire de M.A. (Histoire), Université du Québec à Montréal, 1993, p. 7.

(64) Ibid., p. 66.

(65) Ibid., p. 92.

 

(66) Les Cahiers de Nouvelle-France (éditorial), «M. François-Albert Angers précise les conditions d’une action commune», Les Cahiers de Nouvelle-France, 5 (janvier-mars 1958), p. 7-9 ; Roger Brien, «François-Albert Angers: un grand Canadien-français», Revue Nouvelle France, 20 (mars-juin 1962), p. 222-223, Richard Arès, «L’homme du mois: François-Albert Angers», Commerce, 67, 8 (mars 1965), p.60-66 ; Léon Courville, «François-Albert Angers reçoit le prix Léon-Gérin», Le Devoir (1er décembre 1980), p. 54-59; Bernard Bonin, «La coopération: hommage à François-Albert Angers», L’Actualité économique, 57, 3 (juillet-septembre 1981), p. 287-342 ; Delmas Lévesque, «François-Albert Angers, un authentique grand homme», L’Action nationale, 82,  4 (avril 1992), p. 423-428.

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Source : Stéphane St.-Pierre, Francois-Albert Angers et la nation confessionnelle (1937-1960), Mémoire de M.A. (histoire), Université de Montréal, 2006, 181p., pp. 1-21.

 

 
© 2006 Claude Bélanger, Marianopolis College