Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Novembre 2006

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

L'abbé Henri-Raymond Casgrain

La formation de son esprit

l’historien; le poète; le critique littéraire

Introduction

 

[Ce texte a été publié en 1913 par Camille Roy. Pour la référence bibliographique précise, voir la fin du document.]

 

LE 11 du mois de février 1904 décédait, à Québec, en sa modeste et pieuse retraite de Bon-Pasteur, l'abbé Henri-Raymond Casgrain. Cet événement a surpris tout le monde, excepté l'abbé Casgrain lui-même qui, depuis quel­ques semaines, pressentait sa fin et voyait venir la mort avec la sérénité du sage et toute la confiance du prêtre.

Cette mort qui eût effrayé sa jeu­nesse ardente, fut pour ses soixante-treize ans la suprême délivrance ; elle apportait à ce vieillard devenu aveugle le repos et la consolante vi­sion de l'éternelle lumière.

Hélas je vois là-bas la croix du cimetière,

Et j'ai frayeur (1),

écrivait, il y a plus de trente ans, cet abbé à qui un jour quelque mauvais génie, plutôt que la muse, inspira des vers. Il était alors dans toute la force de l'âge et du talent ; il avait la noble ambition d'être utile encore à ses compatriotes. Épris de la pas­sion très séduisante d'enseigner par la plume et par les livres, il avait lancé dans le public ses premiers ou­vrages ; il avait prêté l'oreille aux premiers bruits de la renommée, et ses yeux, affaiblis déjà par le travail des nuits studieuses, croyaient aper­cevoir, se prolongeant bien loin dans l'horizon et dans l'avenir, une route ensoleillée, sinueuse et montant vers la gloire, que l'abbé se sentait malgré tout la force de parcourir ; une route où il s'aventurerait avec une assurance d'autant plus joyeuse que son imagination, qui né fut jamais avare de rayons et de fleurs, l'avait inondée de lumière, remplie de tous les par­fums, et semée de toutes les roses.

La Providence, qui ne ménagea pas à l'abbé Casgrain les douloureu­ses épreuves, lui permit, à lui prêtre et écrivain, de s'avancer longtemps sur ce chemin du rêve et de la vie, de poursuivre jusqu'au bout la course qu'il avait commencée, de réaliser sa vision. Autour de quelques-unes des meilleures oeuvres de notre litté­rature, docteur et professeur de l'Université Laval, membre de la Socié­té royale du Canada, lu dans son pays et l'étranger, mis en relations par ses recherches et par ses livres avec quelques-unes des plus vieilles familles et quelques-uns des plus illustres écrivains de la France, vivement applaudi par nos frères d'Aca­die, hautement apprécié par ses concitoyens, l'abbé Casgrain acquit bientôt cette notoriété qui faisait autour de son nom le plus agréable murmu­re. La gloire, celle du moins que l'on peut conquérir dans nos climats, le récompensait de son patient labeur ; mais lui, il s'estimait heureux surtout d'avoir sur quelques points de notre vie nationale projeté une plus vive lumière ; il remerciait Dieu de lui avoir donné de travailler pour la vérité : et, c'est pourquoi, au dernier jour de sa maladie, l'abbé Casgrain vit sans terreur se dresser pour sa tombe cette croix au pied de laquelle tant de fois il avait souffert, et où il venait hier de déposer sa plume.

Au mois de février 1904, il y avait juste quarante-quatre ans que l'abbé Casgrain avait pris place parmi les ouvriers de notre littérature cana­dienne, puisque c'est au mois de janvier 1860 qu'il publiait en feuilleton, dans le Courrier du Canada, sa première légende. Quarante-qua­tre années d'une vie laborieuse, féconde, partagée entre l'étude, la souf­france, les voyages et la prière !

C'est à Québec, où il devait mou­rir, que Casgrain a le plus travaillé ; c'est ici qu'il eut ses plus fervents admirateurs, et parfois aussi ses critiques les plus sévères ; c'est ici qu'il aimait vivre, dans cette ville his­torique où il lui plaisait d'évoquer le passé, sur ces hauteurs où l'air libre, l'ardente lumière, les beaux soleils couchants, les bruits de la vague, les harmonies de la plaine et les ondu­lations gracieuses de nos montagnes sollicitaient sans cesse sa brillante imagination ; c'est ici qu'il aimait vivre, parce que nulle part peut-être en ce pays le travail n'est plus facile, les relations plus cordiales, l'amitié plus douce.

Et Québec connaissait donc bien cet abbé. Il fut le principal théâtre de son zèle sacerdotal ; et il avait été si souvent le confident de ses projets, le témoin de ses enthousias­mes les plus généreux ou les plus indiscrets ; il avait tant de fois entendu le cri de ses admirations, le mot pit­toresque et cru de ses causeries, le rire sonore de sa gaieté gauloise. Il l'avait vu tant de fois et si longtemps parcourir ses rues, faire les cent pas sur cette terrasse qui l'attirait tou­jours! Et Québec avait entouré d'amis si fidèles cette aimable vieillesse ; il réservait à l'abbé, dans cette maison qu'il avait faite sienne, et où la douce charité est l'atmosphère que l'on respire, une si tranquille et si chère solitude !

Mais l'abbé Casgrain n'est plus au milieu de nous. Il manque aux an­ciens qui retrouvaient en son com­merce la joie et les souvenirs des années lointaines ; il manque aux jeu­nes qu'il honorait de son amitié et de ses conseils, et qui l'aimaient pour cette ardeur, pour cette flamme de jeunesse que si volontiers encore il mêlait à la leur. Ses livres, non moins que son amitié, font se survi­vre à lui-même l'historien de nos glorieuses défaites. Mais il est peut-être utile, au moment où disparaît de notre société ce prêtre et cet écri­vain, de remettre sous les yeux du lecteur une vie qui fut presque tout entière consacrée aux lettres cana­diennes. Nous essaierons de le faire, en déterminant quelles influences ont développé et orienté l'esprit de l'écrivain, en rappelant quelques-unes des idées générales et des cir­constances qui expliquent son oeu­vre, en précisant le rôle qu'il a joué, la place qu'il occupe dans l'histoire de notre littérature.

(1) Le Manoir, 1 juin 1869.

 

[Premier chapitre]

 

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Source: Camille ROY, L’Abbé Henri Raymond Casgrain. La formation de son esprit; l’historien; le poète et le critique littéraire, Montréal, Librairie Beauchemin, 1913, 141p., pp. 11-17.

 
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