Date Published: |
L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia
L'abbé Henri-Raymond CasgrainLa formation de son espritl’historien; le poète; le critique littéraireIntroduction
[Ce texte a été publié en 1913 par Camille Roy. Pour la référence bibliographique précise, voir la fin du document.]
LE 11 du mois de février 1904 décédait, à Québec, en sa modeste et pieuse retraite de Bon-Pasteur, l'abbé Henri-Raymond Casgrain. Cet événement a surpris tout le monde, excepté l'abbé Casgrain lui-même qui, depuis quelques semaines, pressentait sa fin et voyait venir la mort avec la sérénité du sage et toute la confiance du prêtre.
Cette mort qui eût effrayé sa jeunesse ardente, fut pour ses soixante-treize ans la suprême délivrance ; elle apportait à ce vieillard devenu aveugle le repos et la consolante vision de l'éternelle lumière.
Hélas je vois là-bas la croix du cimetière, Et j'ai frayeur (1), écrivait, il y a plus de trente ans, cet abbé à qui un jour quelque mauvais génie, plutôt que la muse, inspira des vers. Il était alors dans toute la force de l'âge et du talent ; il avait la noble ambition d'être utile encore à ses compatriotes. Épris de la passion très séduisante d'enseigner par la plume et par les livres, il avait lancé dans le public ses premiers ouvrages ; il avait prêté l'oreille aux premiers bruits de la renommée, et ses yeux, affaiblis déjà par le travail des nuits studieuses, croyaient apercevoir, se prolongeant bien loin dans l'horizon et dans l'avenir, une route ensoleillée, sinueuse et montant vers la gloire, que l'abbé se sentait malgré tout la force de parcourir ; une route où il s'aventurerait avec une assurance d'autant plus joyeuse que son imagination, qui né fut jamais avare de rayons et de fleurs, l'avait inondée de lumière, remplie de tous les parfums, et semée de toutes les roses.
La Providence, qui ne ménagea pas à l'abbé Casgrain les douloureuses épreuves, lui permit, à lui prêtre et écrivain, de s'avancer longtemps sur ce chemin du rêve et de la vie, de poursuivre jusqu'au bout la course qu'il avait commencée, de réaliser sa vision. Autour de quelques-unes des meilleures oeuvres de notre littérature, docteur et professeur de l'Université Laval, membre de la Société royale du Canada, lu dans son pays et l'étranger, mis en relations par ses recherches et par ses livres avec quelques-unes des plus vieilles familles et quelques-uns des plus illustres écrivains de la France, vivement applaudi par nos frères d'Acadie, hautement apprécié par ses concitoyens, l'abbé Casgrain acquit bientôt cette notoriété qui faisait autour de son nom le plus agréable murmure. La gloire, celle du moins que l'on peut conquérir dans nos climats, le récompensait de son patient labeur ; mais lui, il s'estimait heureux surtout d'avoir sur quelques points de notre vie nationale projeté une plus vive lumière ; il remerciait Dieu de lui avoir donné de travailler pour la vérité : et, c'est pourquoi, au dernier jour de sa maladie, l'abbé Casgrain vit sans terreur se dresser pour sa tombe cette croix au pied de laquelle tant de fois il avait souffert, et où il venait hier de déposer sa plume.
Au mois de février 1904, il y avait juste quarante-quatre ans que l'abbé Casgrain avait pris place parmi les ouvriers de notre littérature canadienne, puisque c'est au mois de janvier 1860 qu'il publiait en feuilleton, dans le Courrier du Canada, sa première légende. Quarante-quatre années d'une vie laborieuse, féconde, partagée entre l'étude, la souffrance, les voyages et la prière !
C'est à Québec, où il devait mourir, que Casgrain a le plus travaillé ; c'est ici qu'il eut ses plus fervents admirateurs, et parfois aussi ses critiques les plus sévères ; c'est ici qu'il aimait vivre, dans cette ville historique où il lui plaisait d'évoquer le passé, sur ces hauteurs où l'air libre, l'ardente lumière, les beaux soleils couchants, les bruits de la vague, les harmonies de la plaine et les ondulations gracieuses de nos montagnes sollicitaient sans cesse sa brillante imagination ; c'est ici qu'il aimait vivre, parce que nulle part peut-être en ce pays le travail n'est plus facile, les relations plus cordiales, l'amitié plus douce.
Et Québec connaissait donc bien cet abbé. Il fut le principal théâtre de son zèle sacerdotal ; et il avait été si souvent le confident de ses projets, le témoin de ses enthousiasmes les plus généreux ou les plus indiscrets ; il avait tant de fois entendu le cri de ses admirations, le mot pittoresque et cru de ses causeries, le rire sonore de sa gaieté gauloise. Il l'avait vu tant de fois et si longtemps parcourir ses rues, faire les cent pas sur cette terrasse qui l'attirait toujours! Et Québec avait entouré d'amis si fidèles cette aimable vieillesse ; il réservait à l'abbé, dans cette maison qu'il avait faite sienne, et où la douce charité est l'atmosphère que l'on respire, une si tranquille et si chère solitude !
Mais l'abbé Casgrain n'est plus au milieu de nous. Il manque aux anciens qui retrouvaient en son commerce la joie et les souvenirs des années lointaines ; il manque aux jeunes qu'il honorait de son amitié et de ses conseils, et qui l'aimaient pour cette ardeur, pour cette flamme de jeunesse que si volontiers encore il mêlait à la leur. Ses livres, non moins que son amitié, font se survivre à lui-même l'historien de nos glorieuses défaites. Mais il est peut-être utile, au moment où disparaît de notre société ce prêtre et cet écrivain, de remettre sous les yeux du lecteur une vie qui fut presque tout entière consacrée aux lettres canadiennes. Nous essaierons de le faire, en déterminant quelles influences ont développé et orienté l'esprit de l'écrivain, en rappelant quelques-unes des idées générales et des circonstances qui expliquent son oeuvre, en précisant le rôle qu'il a joué, la place qu'il occupe dans l'histoire de notre littérature.
(1) Le Manoir, 1 juin 1869.
Retour à la page sur Henri-Raymond Casgrain
Source: Camille ROY, L’Abbé Henri Raymond Casgrain. La formation de son esprit; l’historien; le poète et le critique littéraire, Montréal, Librairie Beauchemin, 1913, 141p., pp. 11-17. |
© 2006
Claude Bélanger, Marianopolis College |