Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Août 2013

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

L'industrie forestière

du Canada et du Québec

 

[Ce texte a été rédigé dans les années vingr. Pour des considérations plus récentes, voir la fin de l'étude]

 

FORÊT (La), vaste étendue de régions boi­sées, sur la superficie de l'Amérique Britannique du Nord. — Pulpe, mot d'usage cou­rant, signifie pâte de papier.

Sur la superficie totale, approximativement de 3.650.000 milles carrés, une partie, égale à 1.227.000 milles carrés, est couverte de fo­rêts. Cependant, 40 % de cette aire portent du bois commercial et environ 20 % du bois d'oeuvre, le surplus étant occupé par de jeu­nes taillis, poussé après l'incendie ou l'aba­tage. L'on estime que l'ensemble des forêts contiennent 482.075.000.000 pieds de bois de construction, et 1.279.705.000 cordes de bois à pulpe, de chauffage, poteaux, dormants ou traverses, formant un total équivalant à 246 milliards 826.000.000 de pieds cubes. La con­sommation, le feu, les insectes absorbent en­viron 5 milliards de pieds cubes par an; mais il suffit d'une pousse annuelle de dix pieds cubes par acre pour effectuer la récupéra­tion. L'accessibilité des forêts facilitera un abatis plus considérable, et l'amélioration des mesures de conservation et de reboisement compensera cette consommation.

La période moderne, que l'on connaît par les Relations des Jésuites, accuse l'existence de la forêt vierge ou non encore exploitée; mais les missionnaires ne fréquentaient d'abord que l'est et le sud, puis le nord et l'ouest. La densité des bois est constatée par­tout où ils vont. Ils ne trouvent comme ar­bres à fruits que « noyers et coudriers », mais « chênes, hêtres, charmes, peupliers, cèdres, etc. ». En 1642, l'île de Montréal est couverte de grands bois. En 1736, le Père Aulneau parle des forêts immenses de la ré­gion des grands lacs. Enfin, le Père Lafiteau va sous les arbres de la grande forêt près du lac Saint-Louis, et découvre là le gin­seng.

En décrivant la sécheresse de 1636, le Père Le Jeune affirme que, à la moindre étincelle, forêts et campagnes étaient embrasées. En 1660, le narrateur avoue « que l'air est presque toujours embruni de fumée des embrase­ments des forêts, à 15 et à 20 lieues à la ronde tout ensemble, jetant leurs cendres plus de 10 lieues au loin; que les fumées sont si épaisses que les éclipses de soleil ne rendent point l'air, la terre et les herbes plus tristes et plus sombres ». En 1673, le Père de Cré­pieul écrivait du lac Saint-Jean « qu'on y remarque les traces de cruels incendies dans les forêts jusqu'à plus de 200 lieues ». En 1736, le même P. Aulneau dit qu'il y a plus de 300 lieues du lac Supérieur au fort Saint-Charles et qu'il les a faites presque toujours au travers des flammes, étouffé par une fumée qui ne lui a jamais permis de voir une seule fois la lumière du soleil. Ainsi les feux de forêts remontent au berceau même de la colonie.

La première réglementation du bois re­monte à 1683 : elle réserve le chêne pour construire les vaisseaux du roi; le reste ne compte point. En 1720, le combustible se faisant rare, des ordonnances défendent d'en couper sur la terre du voisin. On construisit dès lors des navires.

Après 1763, les lois réservent aussi le chêne et le pin pour la marine royale et les régions où ils poussent. Toutefois, les armateurs an­glais donnaient leur préférence au bois de la Baltique. Le commerce fit des progrès du­rant les guerres de Napoléon. Ensuite, les marchands se sentaient libres; dans les con­trats, afin de livrer vite le pays à la culture, une clause obligeait d'abattre par an au moins 1.000 pieds, plus tard 500 pieds. Si le marché se congestionnait, on brûlait au lieu de vendre, puisque, pour une somme nominale à verser au gouvernement, on acquérait le droit de coupe sur d'immenses limites à bois.

Composition de la forêt actuelle. — L'on peut conserver la division populaire en bois tendres et bois durs.

Les bois tendres sont : neuf espèces de pins, cinq d'épinettes, cinq de sapins, trois de mélèze, trois de pruche, deux de cèdres, deux de genévrier, une espèce de cyprès et une autre d'if.

Les bois durs sont le triple des précédents chênes, 12 espèces; cornouillers, 12; éra­bles, 9; bouleaux, 9; peupliers, 8; cerisiers, 7; aulnes et caryas, 6; frênes, 4; ormes et sor­biers, 3; noyers, 2; charmes, hêtres, châtai­gniers, mûriers, platanes, pruniers, tilleuls, une espèce.

Le cornouiller n'offre aucune espèce arbo­rescente, mais il a une grande valeur déco­rative. Le cascara de Colombie possède dans l'écorce un principe purgatif énergique.

Formation des groupes. — Il existe une étroite relation entre les plantes et le sol.

a) Le Nord comprend la bande arctique, terre aride sans forêt, qui s'étend du nord-est du Labrador à l'Alaska. La bande sub-arctique au sud de la précédente et allant de la baie Ungava à celle d'Hudson en s'incur­vant un peu vers le sud, et de la baie James à l'Alaska : immense forêt clairsemée, uni­quement composée de pins, épinettes, mélè­zes, peupliers, bouleaux, saules en arbustes, tous gardant leur taille arborescente jusqu'à la limite de la zone aride. La bande nord, au sud de la précédente, descend au sud des lacs Nipigon et Winnipeg, et constitue les forêts exploitables du nord de Québec, de l'Ontario, du Manitoba, de l'Alberta, de la Colombie; les quatre conifères subarctiques y sont encore très importants : le tremble, le peuplier bau­mier, etc.

b) L'Est comprend les forêts des Provinces maritimes, du Québec au sud du fleuve jusqu'à Montréal, le nord du lac Saint-Jean jus­qu'aux sources de l'Ottawa. A Prince-Édouard, hêtre et érable poussent près de la mer et les épinettes sont les plus beaux ty­pes du Canada : mais il n'y a ni noyer, ni tilleul. Presque partout les forêts sont mix­tes, les bois durs sur les collines : Québec possède une dizaine d'espèces de plus que les Provinces, entre autres l'orme et le noyer amer.

c) Le Centre comprend le sud-ouest de l'Ontario et les prairies jusqu'aux Rocheuses. Le long du lac Erie et à l'ouest du lac Onta­rio, poussent des espèces qui font défaut ail­leurs : châtaignier, tulipier, platane, sassa­fras. Les grandes Prairies, sur une largeur variant de 200 à 400 milles du sud au nord, sont dépourvues d'arbres, à part des bosquets de tremble, accompagné parfois de pin gris et d'épinette blanche. Au nord, faisant tran­sition entre la région boisée et la terre cul­tivée, les forêts mixtes alternent avec les fermes.

d) L'Ouest comprend trois régions : côte intérieure, Rocheuses; l'île Vancouver n'a aucune espèce particulière; le sapin Douglas y domine et forme des forêts denses et sombres.

Sur la Chaîne côtière, au sud le sapin et le cèdre rouge, s'élèvent jusqu'à 2.500, 3.000, et même 4.500 pieds d'altitude. Sur les hautes montagnes, l'on trouve les types alpins, sapin, cyprès jaune; puis l'épinette Engelmann: là où le feu les a dévastés, on les a rempla­cés par le pin Murray. L'intérieur est sou­mis à un climat, sec sur le plateau, humide près des montagnes où croît l'épinette; ail­leurs, c'est le cèdre rouge et la pruche.

 

Dans les Rocheuses, le pin jaune, le sapin, le cèdre habitent les endroits secs; ailleurs, le sapin est le seul élément de la forêt.

Droit de Propriété. — En général, les forêts font partie des terres de la Couronne. Moins de 7 % de la surface totale appar­tient à des corporations ou à des individus. La N.-E. a le plus cédé à ces derniers, se dépouillant de la plus grande partie de ses ter­res à bois, mais ne vendant plus que les terres cultivables.

Les forêts de la Couronne sont adminis­trées par les gouvernements provinciaux et par le gouvernement fédéral, qui régit celles du Manitoba, de la Saskatchewan, de l'Alberta jusqu'en 1930 [depuis 1931, les trois provinces des Prairies gèrent maintenant toutes leurs ressources naturelles, incluant leurs forêts]. En Colombie, le Fédéral possède une superficie de 14.494.000 acres : soit vingt milles de chaque côté de la ligne ferrée du Pacifique, de l'Alberta à l'anse-Bunard; 3.500.000 acres à la rivière la Paix; un lambeau contenant de la houille dans le passage du Nid-du-Corbeau (Crow's Nest). En somme, la propriété privée possède 62.500 milles carrés. Celle de l'Etat se divise en réserves et parcs, 245.250 milles carrés, et autres, 642.250 milles carrés ou en tout 950.000 milles carrés. Les réserves : Colom­bie : 4.586 m. c.; Alta : 16.618 m. c.; Sask. : 9.237 m. c.; Man.: 3.906; Ont.: 18.366; Québec : 168.294 m. c; Les parcs : Colombie : 3.100 m. c.; Alta : 8.923 m. c.; Ont.: 4.449 m. c.; Québec : 5.771 m. c.

Rendement des forêts. — Le tableau sui­vant indique, en 1924, la quantité demandée à chaque genre ou espèce :

Espèce                                             Pieds cubes

1. Epinette                                     70.047.869.000

2. Peuplier                                     29.722.682.000

3. Sapin baumier                          29.720.260.000          

4. Pin Murray                               29.251.022.000           

5. Cèdre                                         22.045.001.000                        

6. Sapin Douglas                           16.887.000.000           

7. Pruche.                                      16.144.654.000

8. Bouleau                                     12.069.390.000

9. Pin blanc                                     8.144.654.000           

10. Erable                                       4.03.240.000

11. Pin rouge                                  2.498.880.000           

12. Mélèze.                                      1.442.299.000           

13. Hêtre.                                        1.143.713.000

14. Cyprès jaune                               993.000.000   

15. Pin jaune d'Ouest                       923.000.000

16. Tilleul.                                         544.314.000

17. Orme                                          431.083.000   

18. Frêne                                           333.919.000

19. Chêne                                          101.473.000

20. Aulne                                              4.750.000

Scieries. — Le sciage du bois, la fabri­cation des lattes, des bardeaux et autres pro­duits constituent la principale des industries. En 1920, le Canada a produit plus de 4 bil­lions de pieds de bois scié, la Colombie four­nissant plus de la moitié du total de la pro­duction : en 1926, la valeur s'élevait à 101 millions 71.250 dollars. Le nombre des scie­ries faisant du bois d'oeuvre, traverses, bar­deaux, etc., ou coupant le bois de pulpe, était de 2.780. Le capital engagé dans ces éta­blissements montait à 175.186.704 dollars, le nombre d'employés à 35.078, le profit à 34 millions 925.390 dollars. La quantité de bois scié exporté a très peu varié depuis 1900 : une moyenne par année de 2 millions de pieds, en 1926 exactement 2.142.576.000, va­lant 62.247.188 dollars, dont les Etats-Unis ont pris 83 % et l'Angleterre 8 % seulement.

Autres industries. — Outre les pulperies et les scieries, un premier groupe comprend la fabrication du papier, des portes, fenêtres; des boîtes, paniers, tonnellerie; des canots, bateaux; des ustensiles de cuisine, de boulangerie, de laiterie; des pompes, tuyaux, auges; des bobines, manches, poignées. Un second groupe embrasse la fabrication des meubles, véhicules et accessoires, bières, et le papier utilisé dans les imprimeries, les papeteries.. Un troisième groupe emploie en partie le bois pour la fabrication des instruments aratoi­res, les wagons de transport, les balais, bros­ses, etc.

Epuisement et récupération de la forêt. — Les pertes par les incendies sont estimées à 60 %; 13 % est abattu et 27 p. 100 reste debout. Le feu détruit annuellement en­viron 900 millions de pieds cubes de bois marchand et de jeune bois sur 1.300.000 acres. En 1925, tout le bois de la vallée Miramichi (N.-B.) fut réduit en cendres, Vers 1845, de vastes forêts ont disparu à l'ouest du lac Su­périeur; puis quelques années après, du lac Témiscamingue à Michipicoten; en 1871, plus de 2,000 milles carrés, entre le lac Nipissing et le nord de la baie Georgienue; sans comp­ter une énorme conflagration du Saguenay au lac Saint-Jean; en 1891 et 1896, dans le sud du district de l'Algoma. Le 11 juillet 1911, un vaste incendie à Porcupine, Ontario nord, où périrent 72 personnes, causa des pertes évaluées à 3 millions; en 1916, dans la même, il y eut 224 victimes; en 1922, un troisième incendie consuma Haileybury et d'autres vil­lages, comme en 1908, disparu la ville de Fernie (Col. angl.). Les touristes campant en fo­rêt, les colons imprudents, les flammèches des locomotives sont, avec les chantiers, la malveillance et la foudre, responsa­bles de la conflagration des forêts, au prin­temps et en automne.

Les insectes et les maladies des plantes exercent aussi d'énormes ravages : entre 1912 et 1923, 100 millions de cordes dans le Qué­bec et 15 millions au Nouveau-Brunswick; puis, le fléau a atteint le nord de l'Ontario et le Cap-Breton. La récupération s'opère len­tement actuellement. La préservation est aussi assez bien organisée par l'éducation du public et par la police des gouvernements provinciaux, par la réglementation de l'ex­ploitation, par le reboisement.

[Compte-tenu des caractéristiques du territoire québécois – où la forêt a toujours été omniprésente – on ne sera pas étonné que les études sur cette ressource soient nombreuses et de grande qualité. Nous en proposons ici quelques-unes qui permettront de mettre à jour les données du père Le Jeune. Nous rappelons qu’alors que l’agriculture québécoise a eu des difficultés, pendant longtemps, à assurer un niveau de vie décent à ses adeptes, particulièrement dans les régions de colonisation, les activités forestières ont permis à des générations de québécois de survivre – père et fils passant souvent une bonne partie de l’hiver et du printemps « dans les chantiers » alors que la mère et les filles s’occupaient d’assurer la subsistance de la ferme. En histoire québécoise, on appelle cette activité l’industrie agro-forestière.

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Source: Louis LEJEUNE, Dictionnaire général de biographie, histoire, littérature, agriculture, commerce, industrie et des arts, sciences, mœurs, coutumes, institutions politiques et religieuses du Canada, Vol. I, Ottawa, Université d’Ottawa, 1931, 862p., pp. 637-640. 

Le lecteur est invité à lire le texte d’introduction et la mise-en-garde de l’éditeur de l’encyclopédie de l’histoire du Québec.

 

 
© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College