Date Published: |
L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Histoire de la Louisiane françaiseChapitre VLa Compagnie Crozat(1713-17)
La guerre avait épuisé le Trésor royal. Le ministre et son Conseil cherchaient à passer l'exploitation de la Louisiane à une Compagnie. Après des efforts infructueux à Saint-Malo et à La Rochelle (1708-10), ils chargèrent l'intrigant et ambitieux Antoine Laumet, sieur de Lamothe-Cadillac de persuader le grand financier Antoine Crozat de tenter l'entreprise.
Le 14 septembre 1712, des lettres patentes lui accordaient, pour 15 ans, le monopole du commerce et, à perpétuité, la propriété des mines ouvertes, des manufactures établies, des terres mises en valeur, durant cette période. Le roi concéda aussi l'Ouabache, mais non les Sioux et l'Illinois. La seule condition du privilège était l'envoi annuel au Mississipi de deux vaisseaux, porteurs de 20 garçons ou filles à son choix. M. de Lamothe, un des associés, était promu gouverneur, depuis deux ans, et M. Duclos nommé commissaire ordonnateur. Arrivés en juin 1713, ils trouvèrent tous deux la colonie dans un grand état de faiblesse et de misère : à l'île Dauphine, pas plus de 16 habitants; à Mobile 19 familles et quelques garçons, une garnison de 67 hommes dont 10 invalides, tout le monde manquant des vivres nécessaires. Avec le nouveau monopole, plus de bateaux des Antilles pour faire le troc, plus de commerce de volailles et de légumes avec Pensacola. Et, ce qui vint aggraver la situation, les agents de la Compagnie achetaient au rabais forcé : la peau d'ours 40 sous au lieu de 3 liv. auparavant, celle de chevreuil 15 sous au lieu de 25; ils vendaient, en revanche, un baril de farine 80 liv. payé 20 à 25 en France, une barrique de vin 250 liv., les quatre barriques valant 50 écus à Bordeaux. C'était ajouter l'usure à la vexation : les habitants cédaient à perte maisons et esclaves, résolus de retourner en France.
Gouverneur et commissaire ne cherchaient entre eux que prétexte à contestations et à querelles; et les soldats, mal vêtus et mal nourris, fuyaient en Caroline; les forts restaient sans munitions ni artillerie montée; d'autre part, la Cour de Madrid avait prescrit les mesures les plus sévères, supprimant tout échange du Mexique avec la Louisiane : c'était fermer la voie aux espoirs de M. de La Mothe et de la Compagnie. Les tentatives de Louis Juchereau de Saint-Denis par voie de fleuves et de terre subirent le même échec. Il ne restait à M. Crozat que la culture et les mines encore à découvrir. Cultiver avec quels bras? Outre la soixantaine de soldats à Mobile, il n'y avait, en 1714, que très peu d'habitants : 30 hommes, 36 femmes, 5 filles à marier, 40 enfants, 134 esclaves indiens, 10 nègres. Il supplia le ministre de promouvoir le peuplement du pays et de renforcer les garnisons. La vallée du fleuve attira son attention et il se décida à créer un poste sur la rivière Ouabache où abondait, dit-on, le cuivre, et un autre au pays des Natchez où le terrain était fertile. C'était à la fois son dessein de former une barrière contre l'installation des Anglais au seuil même de la colonie : en 1715, on arrêta un audacieux officier britannique aux Natchez, au moment où il se disposait avec ses compagnons à aller soulever contre nous les Indiens de la Rivière-Rouge. Au nord, les missionnaires des Illinois signalaient leurs incessantes tentatives d'établissement.
Dans ces conjonctures critiques, M. de Cadillac voyageait à la recherche des mines éloignées, traitant sur son passage nos amis Indiens avec hauteur et dédain. M. de Bienville, qui était lieutenant-général des troupes, sauva de nouveau nos alliances par son crédit auprès des Sauvages. Le commissaire Duclos sut l'apprécier et lui en rendre témoignage à la Cour. Si, le 15 avril 1715, la révolte éclatait parmi les Indiens, qui allèrent en masse se précipiter sur la Caroline et y mettre les établissements à feu et à sang, la faute ne saurait lui être attribuée : les fraudes des traitants anglais, leur morgue tyrannique, leur brutalité et leurs confiscations arbitraires avaient exaspéré leurs amis les plus résolus. On accusa à tort les Français de ces massacres. Bien plus, M. de Bienville dépêcha chez les nations situées au-dessus de Mobile des émissaires pour leur arracher leurs captifs anglais, hommes, femmes et enfants : il y réussit à son grand honneur. Il différa même l'érection d'un poste aux Alibamons pour ne point offusquer les Caroliniens dans le malheur.
Au mois d'août 1715, arrivaient, avec deux compagnies de renfort, des ordres du roi prescrivant la fondation de cinq postes : à l'île Dauphine, devenant le chef-lieu de la colonie, à Mobile, aux Alibamons, aux Natchez, à Ouabache. La Compagnie Crozat, faute de rendement du sol, ne pouvait entreprendre de telles dépenses : elle n'avait ni chaloupes, ni pirogues, ni matelots, ni ouvriers, ni main-d'oeuvre. Et le moral était entamé par suite de la mésintelligence de M. de Cadillac avec Duclos et de Bienville.
Celui-ci, néanmoins, ainsi que les sieurs de Richebourg et de Mandeville, reçut l'ordre d'aller établir un fort aux Natchez. Il y exigea d'abord la mort de plusieurs Sauvages, assassins de cinq Français et obtint des chefs la construction d'un fort à leurs frais : le 3 août 1716, le fort Rosalie - nom de la comtesse de Pontchartrain - était terminé. M. de Bienville avait encore saisi l'occasion d'expédier un détachement prendre possession des Natchitoches pour y prévenir les Espagnols. Malgré ce succès, M. Crozat constatait avec raison que la Louisiane demeurait « dans un désordre horrible »; il l'imputait à l'esprit de discorde et au caractère intéressé des administrateurs, « tous deux profitant seuls de tout ce qu'on peut faire de cette colonie ».
Aussi, dès le début de 1716, avait-il sollicité leur rappel. A la mort de Louis XIV, le 1er septembre 1715, le Conseil de la Marine, succédant à M. de Pontchartrain, avait à sa tête le comte de Toulouse, son fils naturel, et le maréchal d'Estrées, hommes capables de comprendre toute l'importance de la Louisiane : le Mémoire du mois de février 1716 au Conseil de Régence, en est une preuve évidente. En mars, révocation de M. de Lamothe et de Duclos, remplacés par M. de l'Espinay et M. Hubert. En même temps deux vaisseaux du roi étaient armés à Rochefort pour porter en Louisiane des vivres, des munitions, des marchandises, quatre compagnies d'infanterie et de nombreux colons. A la demande de M. Crozat, le Conseil de la Marine projeta la création de huit postes : île Dauphine, Mobile, Biloxi, Alibamons, Natchez, Arkansas, deux à Ouabache: chaîne qui reliait la colonie à la Nouvelle-France. On ne put ériger que le fort Toulouse aux Alibamons (1717), faute de ressources. En janvier de cette année, taxé comme grand financier par le Trésor, M. Crozat remettait au roi son privilège. Le 13 du mois, le Conseil de la Marine accepta cette résignation et songea bientôt à « choisir une Compagnie assez forte pour soutenir cette entreprise ». Chapitre [précédent] [suivant] Retour à la page de l'Histoire de la Louisiane française Source : Louis LE JEUNE, "Histoire de la Louisiane française: La Compagnie Crozat", dans Dictionnaire Général de biographie, histoire, littérature, agriculture, commerce, industrie et des arts, sciences, mours, coutumes, institutions politiques et religieuses du Canada , Vol. 2, Ottawa, Université d'Ottawa, 1931, 829p., pp. 181-182.
|
© 2005
Claude Bélanger, Marianopolis College |