Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Juillet 2005

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Histoire de la Louisiane française

Chapitre IV

Les premiers établissements:

Biloxi, Maurepas et Mobile

 

Le 7 avril 1699, ne pouvant découvrir sur la côte aucun havre naturel, M. d'Iberville se décide à ériger, au fond de la baie, le fort de Biloxi, ainsi appelé du nom de la tribu voisine. Il était situé à 30 lieues à l'ouest de celui de Pensacola, bâti tout récemment par les Espagnols. Terminé le 3 mai, le fort comprenait quatre bastions avec des embrasures pour 12 canons, un corps de bâtiment principal et un fossé à l'entour. Il y laissa, sous les ordres du commandant de Sauvolle de Villantray et du lieutenant de Bienville, une garnison de 76 hommes, munis de vivres pour six mois : puis le voilier appareilla pour la France, le 3 mai 1699. La prise de possession était réalisée en temps opportun.

 

Stimulés par les appels directs de l'ouvrage du Père Hennepin, les Anglais avaient armé deux vaisseaux à destination du Mississipi. L'un resta à Charleston, parce que la plupart des volontaires qui le montaient, réfugiés français Huguenots ou gentilhommes anglais, refusèrent d'aller plus loin. L'autre continua sa route. Le 15 septembre 1699, tandis que M. de Bienville, avec un détachement, sondait les passes du Mississipi, il surprit la corvette anglaise, commandée par le capitaine Lewis Bank, à l'endroit du fleuve, appelé depuis le Détour-à-l'Anglais : le lieutenant reconnut le capitaine que M. d'Iberville avait fait prisonnier à la baie d'Hudson (1697). Il le somma de se retirer sur-le-champ : ce qu'il fit après avoir déclaré « qu'on le reverrait ». Un Huguenot français du bord, nommé Second, fit demander en secret à M. de Bienville si l'on pouvait recevoir 400 familles, réfugiées en Caroline, « avec la liberté de conscience ».

 

La Cour accueillit M. d'Iberville avec joie et le promut chevalier de Saint-Louis. Il reprit la mer le 17 octobre 1699 et atterrit en Louisiane, le 8 janvier suivant. Des instructions secrètes interdisaient d'attaquer les postes que les Anglais auraient fondés sur la côte, mais l'autorisaient à les faire détruire par les Sauvages ou par les Canadiens, « comme d'eux-mêmes et sans qu'ils parussent avoués de lui ». Informé de la tentative de Lewis Bank et des agissements des traitants caroliniens qui vendaient aux Chicachas, il songea aussitôt à élever un fortin, armé de six pièces de canon, sur la rive gauche et à 18 lieues en amont du Mississipi : il l'appela le fort Maurepas. Rendu au pays des Taensas, il fit explorer, par un parti formé de Canadiens commandés par M. de Bienville, le cours de la Rivière-Rouge jusqu'aux Natchitoches et au delà, afin de s'assurer des visées des Espagnols. De retour à la côte, il chercha en vain une rade plus commode que celle de Biloxi et il reprit la mer, le 28 mai 1700. Le résultat était dès lors évident : nous avions à escompter avec deux rivaux obstinés: les Anglais et les Espagnols, qui soutenaient leurs prétentions de priorité sur la contrée. Restait une issue : se passer des deux et fonder des établissements permanents, tout en gagnant l'amitié des tribus.

 

Aussi bien, à l'automne de 1701, M. d'Iberville effectua son troisième et dernier voyage, atterrissant à la baie de Pensacola (16 décembre). Sans se soucier des protestations du commandant espagnol et retenu à bord par des douleurs aiguës, il manda à M. de Bienville, remplaçant M. de Sauvolle décédé, d'abandonner Biloxi et de rejoindre à l'lle-au-Massacre M. de Sérigny. Les deux frères allèrent prendre possession de la baie de Mobile où, à l'embouchure de l'Alabama, ils érigèrent le fort Louis. En mars 1702, M. d'Iberville convalescent put s'y transporter, y tracer des alignements des rues, distribuer des terrains, installer quatre familles, entre autres celle de M. le Commissaire Nicolas de La Salle. Il fit aussi habiter l'Ile-au-Massacre, mouillage des vaisseaux qu'il fallait y décharger. Puis il s'attacha la sympathie des Chicachas réconciliés avec les Chactas, grâce au prestige habile de Henri de Tonti : ils lui promirent de chasser les Anglais de leurs villages. Tranquille sur le sort de la colonie, il mit à la voile le 27 avril 1702, laissant à M. de Bienville une garnison de 130 hommes. En juin, il rédigea un remarquable Mémoire sur la colonisation de la Louisiane. Un an après (juin 1703), le roi lui conférait le titre de commandant en chef ou gouverneur de la colonie. Mais une grave maladie vint déjouer ses projets. Le quatrième voyage était organisé, quand le ministre se vit contraint de le remettre à une autre date (14 novembre 1703).

 

La guerre de la Succession d'Espagne allait épuiser les ressources du Trésor et maintenir la Louisiane au berceau dans la plus affreuse misère. Et le Canada, par les directeurs de la Compagnie du Castor, commençait à se montrer hostile à la personne et à la grande oeuvre de M. d'Iberville. En réalité, M. de Bienville, à partir du mois d'août 1701, devint la tête dirigeante de la colonie jusqu'en 1713. Nicolas de La Salle fut loin de seconder son administration, nouant des intrigues avec le clergé contre sa conduite, son prestige et ses entreprises.

 

Un recensement, pris le 14 septembre 1704, accusait un chiffre d'habitants fort modeste : 195 âmes, ainsi réparties : 8 officiers majors, 3 prêtres, 72 soldats, 14 officiers mariniers et matelots, 10 mousses, et seu­lement 2 familles composées de 6 personnes. Le gouvernement royal fit son possible pour ravitailler les habitants : en 1703, c'est la flûte la Loire qui arrive à temps pour les sauver de la famine; en 1704, c'est le Pélican ; en 1706, c'est l'Aigle ; et en 1707, la Renommée leur apporte les vivres indispensables. M. de Pontchartrain ne put réussir, dans la période de revers militaires, à se procurer les provisions et les munitions nécessaires, les années suivantes. (1708-11): La Renommée, prise à fret par M. de Rémonville n'arriva à Mobile qu'en septembre 1711; quatre années, non d'oubli ou d'abandon, mais de privations et de patience, « d'une grande disette de toutes choses ».

 

M. de Bienville fit face à tout, grâce à son habileté et à sa politique avec les indigènes. Les environs de Mobile, dans un rayon de 20 lieues, n'avaient point de terres arables pour 50 habitants. Personne non plus pour défricher ce sol fiévreux. Le gros bétail, en 1704, consistait en 9 boeufs et 14 vaches. «En 1706, écrit le commissaire, faute de haches et de pioches, on n'avait pu abattre encore le premier arbre. Il n'existait rien que la traite et le jardinage. Faute de vivres et de bras, le fort Maurepas dut être abandonné en 1707. Mais le moral était rendu plus malade encore par les perpétuels conflits entre les administrateurs civils et spirituels.

 

En juin 1707, le roi décida le rappel du commandant de Bienville et du commissaire. Mais le successeur, M. Daneau de Muy, mourut en cours de route, et M. Diron d'Artaguette arriva seul. Son enquête exonéra M. de Bienville, qui continua ses fonctions. Il y eut comme un souffle nouveau qui passait sur la Louisiane : on se mit à cultiver les rives du Mississipi et un peu autour de Mobile. Mais en 1710, un corsaire de la Jamaïque vint piller, deux jours durant, l'établissement de l'Ile-au-Massacre, et une désastreuse inondation ruiner, en 1711, celui de Mobile. Il fallut fonder, à quelques lieues plus bas, la Nouvelle-Mobile. Et l'on entreprit aussi à l'île, qui prit le nom de Dauphine, en l'honneur du futur roi Louis XV, les travaux de Port-Dauphin, ensablé par un raz de marée.

 

En traversant ces années terribles, la colonie avait eu à lutter contre ses voisins de la Caroline, qui comblaient de leurs présents les avides Indiens, tandis que M. de Bienville ne disposait d'aucunes marchandises. Assurés de l'alliance des Chicachas et des Chactas, les Français ne sauraient craindre une attaque anglaise; les ayant pour clients, les Caroliniens pouvaient nous jeter à la mer : la France dut ce succès au gouverneur que l'on voulait rappeler. En 1708, la Caroline comptait déjà 9,580 habitants, qui formaient 16 compagnies de 950 blancs et un nombre égal de nègres. En mai 1709, les Anglais, voyant les Chactas incorruptibles, lancèrent contre Mobile les Alibamons, en attendant de les suivre eux-mêmes, dans la suite. Par bonheur, ils se désistèrent de leurs projets de conquête, sans raison apparente, sinon la peur de nos Sauvages alliés et l'échec des Alibamons. En 1712, voulant en finir avec les Français, de formidables préparatifs eurent lieu en Virginie et en Caroline : Nicholson avait si bien réussi à Port-Royal en 1710. Mais la suspension d'armes en Europe, partant pour les colonies du mois d'août 1712, nous sauva d'une ruine certaine. La partie était perdue pour plus d'un demi-siècle encore. Mais la Louisiane, sortie indemne de ce long cauchemar des hostilités, allait passer en d'autres mains et en subir de fâcheuses conséquences. (V. Heinrich, Introd. )

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Source  : Louis LE JEUNE, "Histoire de la Louisiane française : Les premiers établissements: Biloxi, Maurepas et Mobile", dans Dictionnaire Général de biographie, histoire, littérature, agriculture, commerce, industrie et des arts, sciences, mours, coutumes, institutions politiques et religieuses du Canada, Vol. 2, Ottawa, Université d'Ottawa, 1931, 829p., pp. 179-181.

 

 
© 2005 Claude Bélanger, Marianopolis College