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Extrait du document de stratégie soumis au cabinet fédéral, le 30 août 1980, pp. 33-35 Les réunions (ministérielles) ont probablement établi la base pour un arrange-ment sur les pouvoirs et les institutions. La stratégie fédérale consistait à prendre l'initiative et à placer les provinces sur la défensive. Le gouvernement fédéral a cependant montré, au moment voulu, suffisamment de flexibilité pour que les provinces puissent en partie sauver la face. La même stratégie doit être suivie à la conférence des premiers ministres. Un arrangement doit comprendre quelque chose pour chacun. Et cela est maintenant vraiment possible parce que le gouvernement fédéral a été capable de garder l'initiative et qu'il s'est servi d'une façon extrêmement efficace de sa principale arme, l'union économique. Pour en arriver à un arrangement portant sur autant d'éléments que possible concernant les pouvoirs et les institutions, le gouvernement fédéral doit comprendre ce qui est fondamental pour chaque province, ou au moins pour chacune des régions du Canada. Et les provinces doivent comprendre ce qui est fondamental pour le gouvernement fédéral. Cela facilite l'élaboration d'une stratégie. La Colombie-Britannique a un peu bougé sur la réforme de la Chambre haute, condition essentielle de son adhésion à tout arrangement. De la même façon, cet arrangement devrait contenir ce qui est essentiel pour la Saskatchewan et l'Alberta, soit des pouvoirs accrus sur les richesses naturelles. Le Manitoba n'a pas de demande particulièrement insistante en ce qui le concerne, mais fait siennes les positions des autres provinces de l'Ouest. L'Ontario a très étroitement appuyé le gouvernement fédéral, spécialement sur la question de l'union économique. Le Québec se trouve dans une situation très spéciale; s'il est disposé à signer, il lui faut, comme minimum, quelque chose sur la Cour suprême, une formulation convenable dans le préambule et peut-être quelque chose sur les communications. En outre, une solution intérimaire sur (...) un conseil intergouvernemental (...) représenterait, pour le Québec, une incitation substantielle en faveur d'un arrangement. Pour ce qui est des provinces adantiques, les deux questions les plus importantes pour elles sont les ressources en bordure des côtes et les pêcheries, les premières étant plus importantes que les secondes. Un ensemble équilibré acceptable aux provinces - même s'il n'est pas accepté par toutes - doit comprendre des éléments jugés essentiels dans l'Ouest, au Québec et dans les provinces atlantiques. Pour conserver l'initiative, le premier ministre devrait songer, dans son allocution d'ouverture, à exprimer l'opinion que le gouvernement fédéral veut des changements au statu quo de façon à satisfaire les besoins et les souhaits légitimes de l'Ouest, du Québec et de l'Atlantique. Le gouvernement fédéral doit très clairement dire aux provinces qu'on ne réussira à négocier des changements aux pouvoirs qu'en acceptant la constitu-tionnalisation de l'union économique, accompagnée d'un mécanisme - politi-que ou judiciaire - apte à la rendre opérationnelle et applicable. En faisant de l'union économique l'élément central des discussions ministérielles, le gouver-nement a placé les provinces nettement sur la défensive, et ce de deux façons. D'abord, le concept d'union économique et de mobilité est très populaire au sein du public canadien et cela est admis par les provinces. Ensuite, le lien entre un progrès des négociations sur l'union écanomique et 1e progrès de celles-ci sur les ressources a forcé 1es provinces de l'Ouest à choisir entre le statu quo sur Ies ressources (qu'elles savent avantager le gauvernement fédéral et l'acceptation de concessions au gouvernement fédéral sur l'union économique. Si ce lien entre les ressources et l'union économigue est maintenu - et il doit l'étre - 1es éléments d'un arrangement sont possibles. Il en est ainsi parce que les provinces de l'Ouest veulent quelque chose sur les ressources et qu'elles constatent pouvoir atteindre cet objectif seulement en souscrivant à la position fédérale sur l'union économique. Peut-être un arrangement n'interviendra-t-il qu'avec le Manitoba, la Saskatchewan et la Colombie-Britannique, vu que l'Alberta peut ne vouloir rien signer. Mais au moins, tout l'Ouest ne sera pas isolé. Pour ce qui est des autres sujets, (les réunions ministérielles) ont préparé la voie à une entente sur une solution intérimaire à propos de la Chambre haute, ce qui sera bon pour la Colombie-Britannique, de même qu'à une entente sur une Cour suprême réformée, ce qui sera vendable au Québec. On devrait pro-céder rapidement sur ces sujets pour démontrer la flexibilité et la bonne foi fédérales. Quant au droit de la famille et à la péréquation, ces questions sont pratiquement résolues et n'exigent pas de commentaires d'ordre stratégique. Pour les ressources en bordure des côtes, ce qui importe c'est d'obtenir l'accord d'une partie des provinces de l'Atlantique. Comme il est probablement impossible de conclure une entente avec Terre-Neuve, il est crucial d'en arriver à une solution acceptable avec les trois autres provinces et particulièrement avec la Nouvelle-Écosse. La position de négociation décrite plus tôt dans ce document devrait le permettre; c'est ce que la Nouvelle-Écosse nous a dit en privé. On ne saurait cependant trop souligner que la légitimité de la conférence exige qu'il y ait quelque chose pour les provinces atlantiques, à cause de leur situation économique désavantagée. Sur les pêcheries, il est peu probable qu'on fera des progrès, puisque les provinces en cause, notamment Terre-Neuve et la Nouvelle- Ecosse, ne peuvent pas s'entendre entre elles. Les communications représentent un cas diffïcile. Comme on l'a indiqué plus haut, à la fin (des réunions ministérielles), les provinces ont formulé une position commune qui, au plan des principes, est très différente de la position fédérale. Même si une entente sur les communications n'est pas nécessairement déterminante pour l'adhésion d'une province ou d'une autre à un compromis d'ensemble acceptable, il importe que le gouvernement fédéral ne paraisse pas inflexible sur cette question ou sur n'importe quelle autre. (...) Une nouvelle proposition (fédérale) ne suffirait probablement pas, à ce moment-ci, pour en-traîner une entente, mais elle ferait publiquement preuve de flexibilité et, de plus, pourrait briser ou faire plier le front unanime des provinces. En résumé, sur les pouvoirs et les institutions, les ingrédients d'une entente avec presque toutes les provinces sont réunis. Une telle entente inclurait des sujets importants pour les provinces et, pourtant, ne comprendrait pas de con-cessions désagréables au gouvernement fédéral. Une entente sur les pouvoirs et les institutions rendrait en même temps très facile aux provinces l'acceptation du people's package et leur éviterait la menace d'une action unilatérale. Une stratégie visant à démontrer la flexibilité et la bonne volonté devrait permettre d'atteindre ce but. Sinon, elle créera au moins les conditions voulues pour une action unilatérale, car le gouvernement fédéral aura prouvé que seulement les provinces sont seules à blâmer pour un échec. Traduit de l'anglais par Claude Morin. Source: Claude MORIN, Lendemains piégés. Du référendum à la nuit des longs couteaux, Montréal, Boréal, 1988, pp. 342-344
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