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Message du premier ministre du Québec à l'occasion de la proclamation de la «Loi constitutionnelle de 1982» le 16 avril 1982 Chez nous, ces jours-ci, on n'a pas le coeur à la fête. C'est le moins qu'on puisse dire. Que d'autres célèbrent, s'ils le veulent, cet événement «historique»: les provinces anglophones et le gouvernement fédéral nous imposent des changements constitutionnels pour lesquels ils n'ont reçu aucun mandat de la part des électeurs et auxquels le gouvernement québécois n'a pas consenti. Pourquoi le refus unanime des partis représentés à l'Assemblée nationale? Parce que ce «Canada Bill» adopté par Westminster affecte en profondeur le statut du Québec au sein de la fédération de même que les pouvoirs de son Parlement, gardien de ses droits. Les droits linguistiques La nouvelle loi constitutionnelle écorche et restreint la compétence exclusive et inaliénable du Québec en matière linguistique sans pour autant accorder de véritable réciprocité ni marquer des progrès pour les minorités francophones des autres provinces. Elle heurte de front certains aspects essentiels de notre Loi 101, mettant de nouveau en péril notre équilibre démographique et notre sécurité culturelle. Il est très significatif à cet égard que le bilinguisme imposé au Québec ne l'est pas en Ontario. La mobilité des autres Sous prétexte de favoriser la mobilité de la main-d'oeuvre d'un océan à l'autre , la charte fédérale limite dangereusement les pouvoirs et la marge de manoeuvre du Québec dans le domaine économique. La plupart des politiques visant à protéger et à créer des emplois au Québec pour les travailleurs québécois de même que les mesures favorisant les professionnels et les entreprises d'ici pourront être contestées devant les tribunaux avec toutes les chances d'être jugées inconstitutionnelles. «Just another province» En fait la constitution rapatriée ne reconnaît aucunement, de façon tangible, le caractère et les besoins spécifiques du Québec, société nationale distincte. Elle ignore le principe même de la dualité canadienne et fait du Québec une province comme les autres. Et le chantage pour l'avenir La nouvelle formule d'amendement est très claire: désormais de nouvelles modifications à la constitution pourront être imposées au Québec. Sans son consentement. Sans qu'il puisse exercer efficacement son droit de retrait puisque la compensation financière automatique réclamée par son gouvernement lui a été refusée. Ainsi que le déclarait un député libéral fédéral, avec cette menace de double taxation, le Québec aura sans cesse à choisir entre le respect de ses principes et le portefeuille de ses contribuables. Tout cela est inacceptable. C'est aux antipodes de ce que réclament depuis une trentaine d'années tous les gouvernements du Québec. Non seulement ces changements ne vont pas dans le sens d'une plus grande maîtrise de nos affaires et d'un accroissement de nos pouvoirs et de nos moyens d'actions, mais ils réduisent ceux que nous possédons depuis 186'7 et hypothèquent gravement notre avenir comme peuple. Voilà à quoi aboutit le «renouvellement» du fédéralisme... Avec le temps, chacun de nous pourra constater et ressentir les effets de l'opération en cours à. Ottawa depuis le «non» référendaire de mai 1980, opération qui s'accompagne d'une centralisation sans précédent de tous les leviers économiques et des recettes fiscales. Nous allons continuer à nous servir de tous les recours légitimes, si limités soient-ils, que nous permet le régime politique actuel. Il doit être bien clair que le gouvernement du Québec n'a pas l'intention de modifier ses lois ni ses politiques pour les rendre conformes à ces changements mis au point sans nous et contre nous. Quant aux auteurs de cette constitution qui n'est pas la nôtre, tôt ou tard ils auront des comptes à rendre à tout un peuple dont ils ont abusé de la confiance. Au-delà de tout cela, le Québec continue. Il en a vu d'autres. Et il n'y a pas de meilleure façon d'affirmer notre identité nationale et notre vouloir-vivre collectif en ce moment que d'arborer partout le fleurdelisé, symbole de ce que nous sommes.
Source : Claude MORIN, Lendemains piégés. Du référendum à la nuit des longs couteaux. Montréal, Boréal, 1988, pp. 379-380 |