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2001-08-13

Fournier, Jules, « Chez les Franco-Américains. De quoi demain sera-t-il fait? », Le Canada, 1905.

[Note de l’éditeur : Au cours de l’automne 1905, Fournier fut envoyé par le journal Le Canada pour faire un grand reportage sur la situation des Franco-Américains. Il produisit une importante série de dix-huit articles dans laquelle il décrivit les principaux aspects politiques et sociaux des francophones de la Nouvelle-Angleterre. Fournier fut l’un des plus grand journalistes québécois de sa génération.]

Nous terminerons aujourd'hui notre étude sur la situation des Franco-Américains. Peut-être, à une date ultérieure, aurons-nous l'occasion, dans une seconde série d'articles, de traiter certains points du même sujet que nous avons pu à peine indiquer jusqu'ici et tirer les conclusions générales qui paraissent se dégager des faits précédemment exposés. Mais maintenant, nous n'avons plus, pour avoir accompli jusqu'au bout le programme que nous nous sommes tracé dès notre premier article, qu'à répondre à cette dernière question :

-- « Que deviendront vraisemblablement les citoyens d'origine canadienne-française de l'est des Etats-Unis et est-il possible qu'ils résistent longtemps aux dangers qui menacent leur langue maternelle ? »

C'est là, nous l'avons déjà dit, un problème impossible à résoudre rigoureusement. L'avenir de la race française aux Etats-Unis repose non seulement sur les conditions actuelles où elle se trouve et qu'il n'est pas possible de connaître autrement que de façon très implicite, mais encore sur des événements politiques ou économiques à venir dont elle ressentira nécessairement le contre-coup et qu'on ne saurait prévoir. Aussi la seule réponse que nous puissions offrir à la question plus haut posée ne constitue-t-elle pas une solution définitive : elle ramène simplement le problème aux termes d'une équation.

La race canadienne-française pourra se maintenir et conserver sa langue, dans l'est des Etats-Unis, À CONDITION

1° Qu'aucun événement ne se produise qui vienne changer à son égard l'attitude des Etats-Unis et restreindre la liberté dont elle a joui jusqu'ici.

2° Que dès aujourd'hui, elle entre résolument dans la voie des réformes indispensables à la survivance de sa langue et que nous allons brièvement énumérer.

Maintenant que l'émigration de la province de Québec a virtuellement cessé d'aller augmenter leur population tout en contribuant à entretenir chez eux l'usage et l'amour de la langue, les Franco-Américains doivent faire preuve d'une énergie plus vive que jamais pour résister aux dangers qui les menacent. Et ils ne peuvent reculer devant aucun sacrifice.

... On a vu précédemment qu'ils possèdent actuellement un certain nombre de très bonnes écoles : il importe maintenant que TOUTES leurs écoles soient au niveau de celles-là, qu'il y ait un plus grand nombre d'écoles et un personnel enseignant plus considérable. Tout cela, nous le savons, coûtera des sacrifices. Mais ces sacrifices sont indispensables. Car il faut bien s'en rendre compte, il n'y a que l'école paroissiale qui puisse assurer la conservation de notre langue, et des signes certains indiquent que le Franco-Américain ne continuera pas longtemps à envoyer ses enfants à l'école paroissiale à moins que celle-ci ne soit sous tous rapports l'égale de l'école publique.

En second lieu, il faut de toute nécessité que la naturalisation fasse avant peu d'années tous les progrès qu'elle peut faire, car ce n'est que par la naturalisation, et par suite, l'exercice du droit de vote, que nos gens pourront conquérir aux Etats-Unis la part légitime d'influence qui leur reviendrait de par leur nombre.

Le prêtre d'origine canadienne-française est l'homme à qui l'on doit à l'heure qu'il est la survivance de notre langue dans la Nouvelle-Angleterre. D'autre part, le clergé irlandais est le grand ennemi de notre race. Il importe donc que les Franco-Américains continuent de lutter pour avoir des prêtres de leur langue et de leur sang. Il leur faut faire disparaître la tradition selon laquelle on impose à une multitude de paroisses aux neuf-dixièmes canadiennes-françaises des curés irlandais qui souvent savent à peine quelques mots de français et dont l'effort continuel tend à assurer la disparition de notre langue...

Malgré certains abus auxquels elles ont donné lieu, les sociétés « nationales » font beaucoup, croyons-nous, pour la conservation du français. Elles contribuent à inspirer à nos compatriotes émigrés à la fois l'estime et l'amour de notre langue, elles entretiennent le souvenir des origines et perpétuent les traditions de notre race...

En terminant signalons comme un puissant élément de force pour eux, le fait de se tenir étroitement groupés dans les diverses villes qu'ils habitent. On aura beau railler les petits Canada : ce sont eux qui, en tenant nos gens voisins les uns des autres, leur ont permis de parler leur langue plus souvent, et partout en ont assuré le salut...

Sans doute l'école contribue beaucoup à la conservation de notre langue, mais il ne fait aucun doute à nos yeux que, même avec l'école paroissiale, les Franco-Américains, du jour où ils seront dispersés dans les villes où ils se sont fixés, perdront leur langue...

Mais s'ils doivent rester groupés afin d'avoir chaque jour l'occasion de parler français entre eux, il s'ensuit pas qu'ils doivent s'isoler de la vie américaine, de la vie nationale américaine. Cela ne veut pas dire qu'ils doivent faire bande à part en politique. Ils doivent être, en politique, démocrates ou républicains -- peu importe -- ils ne doivent pas être Canadiens. Cela n'est pas un parti...

Enfin si nous résumons, nous dirons que si les circonstances continuent de les favoriser, il n'est pas impossible que les Franco-Américains conservent leur langue. Mais il faudra pour cela :

1. Qu'ils aient des prêtres de leur origine.

2. Qu'ils se donnent de bonnes écoles paroissiales.

3. Que tout en restant groupés étroitement afin d'avoir l'occasion de parler français chaque jour dans le quartier qu'ils habitent, ils entrent résolument dans le courant de la vie nationale américaine...

4. Qu'ils se fassent naturaliser et qu'ils s'intéressent à la politique américaine.

5. Qu'ils continuent d'avoir des sociétés nationales mais qu'ils aient souci plus que jamais de conserver ou de rétablir l'union parmi eux.

Il nous reste à indiquer un dernier élément de force à peu près indispensable aux Franco-Américains. Mais celui-là, ils ne doivent l'attendre que du dehors. Nous voulons parler de la persécution qui, pourvu qu'elle ne fût pas trop violente, a toujours été pour notre race un excellent stimulant...

Et maintenant, « de quoi demain sera-t-il fait ? »

Il n'est donné à personne de le prévoir...

L'avenir est un livre fermé que le temps effeuille sous nos yeux page par page, jour par jour. En dépit de tous les calculs et sur quelque base qu'on s'appuie, on ne pourra jamais dire un an seulement à l'avance le résultat d'événements que nul ne connaît et que le hasard seul, souvent, détermine. Or, dans le problème qui nous occupe, une foule de données et de données essentielles, reposent précisément sur ces événements impossibles à prévoir. Tout ce que nous pouvons dire, après une étude assez longue, et en tous cas très sincère, [...] c'est que la survivance de la race et de la langue française dans la Nouvelle-Angleterre et l'Etat de New-York ne nous paraît pas chose impossible.

Source : Jules Fournier, « Chez les Franco-Américains » dans Le Canada, 18 janvier 1906, p. 3. Reproduit dans Adrien Thério, Jules Fournier. Textes choisis et présentés, Montréal, Fides, Collection des Classiques canadiens, 1957, 93p., pp. 19-23.

© 2001 Pour l’édition sur le web, Claude Bélanger, Marianopolis College