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revised: 23 August 2000 | Documents
on Public Immorality in Quebec in the Duplessis Era / Documents sur l'immoralité
publique sous Duplessis [1956]
Jusqu'à
quel point nos moeurs politiques se sont-elles avilies ? Editorial, Le
Soleil, Mardi, 14 août 1956 La
presse de la province et plus encore, celle des autres provinces, a donné beaucoup
d'importance à une étude de deux ecclésiastiques de notre ville sur l'avilissement
de la morale politique de notre population. Le texte, qui fut d'abord publié dans
une revue exclusivement réservée au clergé, a été reproduit dans le Devoir au
début de la semaine avant de commencer son tour de presse. II
dénonce nos moeurs politiques en général avec tout ce qu'elles peuvent comporter
d'irrégulier : achat de votes, corruption des officiers d'élections, menaces de
représailles contre ceux qui ne voteront pas du bon côté, supposition de personnes
lors de la journée des élections, les faux serments, etc... Y passent toutes les
manoeuvres frauduleuses dont les partis po-litiques s'accusent mutuellement au
cours et à la suite des campagnes électorales. Il
va cependant beaucoup plus loin, disant que toutes nos campagnes politiques sont
bâties sur le mensonge systématique et l'emploi du mythe, sur une propagande tellement
insidieuse et fausse qu'on réussit à fausser chez les élec-teurs, ceux de la masse
comme des classes les plus éclairées, les fondements mêmes de la vérité. Les
deux abbés ont bien soin de dire que les partis actuels n'ont pas inventé ces
procédés. Ils existaient depuis longtemps, mais, selon eux, on en a fait un usage
de plus en plus généreux à chaque élection, et aucun parti n'en a le mo-nopole. Le
laïcat et le clergé sont sévèrement condamnés pour leurs attitudes dans ce domaine,
leur complicité à cette décadence de la conscience populaire et dans certains
cas, non identifiés pour leur participation directe à ce système. Les
deux abbés réclament la création immédiate d'une véritable ligue de moralité indépendante
de tout parti politique et dont la double fonction serait de rééduquer la population
dans son attitude morale à l'égard de la politique et de dénoncer le scandale
advenant le cas. Ils souhaitent que le clergé, plutôt que de participer activement
à l'organisation de la ligue, lui donne l'inspiration et la théologie de base
indispensables. Dans
son ensemble, le document constitue une étude très sévère de nos moeurs politiques
et électorales, de la baisse constante du niveau de la moralité de notre population.
Il faudrait vouloir s'aveugler pour ne pas admettre que les accusations portées
ont un grand fondement de vérité. La corruption électorale, qui existe chez nous
depuis des générations, a pris une forme plus subtile, mais elle existe à un état
plus aigu que jamais. Chaque élection est accompagnée de manoeuvres frauduleuses,
d'actes répréhensibles, qui frisent parfois le banditisme, quand ce n'est pas
du banditisme pur. Il y a dans ce domaine une vaste oeuvre d'épuration à entreprendre.
Il faut surtout souhaiter que ces méthodes ne soient pas aussi généralisées que
le laissent entendre les deux ecclésiastiques, mais qu'il s'agisse plutôt de cas
isolés grossis par les exagérations de langage de nos politiciens. Ceci
n'est cependant pas encore prouvé. Si nous sommes convaincus que la masse de la
population en général ne se laisse pas prendre à ces manoeuvres et ne se prête
pas à toutes les formes de corruption auxquelles il est possible de recourir pour
essayer de gagner une élection, il est indéniable que c'est le cas d'un trop grand
nombre de personnes et que des gens irréprochables en temps ordinaire se font
en périodes électorales les complices de manoeuvres absolument immorales. Non
moins grave est la prétention des deux ecclésiastiques sur le mensonge systématique
qui serait à la base même de toutes nos campagnes politiques. Si tel est le cas,
il est urgent qu'une réaction s'opère, une réaction violente même, pour que la
conscience populaire retrouve les véritables critères de la vérité. On n'a jamais
le droit de laisser arranger la vérité à toutes les sauces et le silence est une
complicité tacite dont personne n'a le droit de se rendre coupable. Une population
gavée par une prospérité qu'elle a de la difficulté à digérer se bouche facilement
les yeux et les oreilles pour ne pas voir, ne pas entendre et ne fait aucun effort
pour essayer de comprendre, de juger. L'étude
des deux ecclésiastiques peut comporter des inexactitudes, certaines exagérations,
mais c'est un document dont on ne saurait sousestimer l'importance. Il est capital
qu'on s'arrête longuement à le méditer, àl'étudier, à enquêter dans son milieu
immédiat et à sonder l'opinion publique pour juger si la situation est aussi grave
qu'ils le prétendent, si la morale est aussi avilie. Le
cri d'alarme est jeté. A tous ceux qui ont charge d'âmes, à tous ceux qui se soucient
de l'avenir de notre province, de la moralité publique, de la survie de nos institutions
démocratiques, de se pencher sur le problème pour le scruter et trouver les réformes
qui s'imposent afin que le Québec reste au sein de la Confédération canadienne
un élément d'ordre, de stabilité : ce qui est impossible sans une conscience populaire
soucieuse de la vérité, capable de discerner entre le bien et le mal, le vrai
et le faux, respectueuse des principes les plus élémentaires de la morale et de
la justice. Le
Soleil, pour sa part, est prêt à accorder son appui le plus entier à tout mouvement
nonpolitique, offrant les garanties morales et le désintéressement nécessaires,
qui voudra se consacrer à cette rééducation de notre population et à ce prolongement
de sa formation morale collective. |