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revised: 23 August 2000 | Documents
on Public Immorality in Quebec in the Duplessis Era / Documents sur l'immoralité
publique sous Duplessis [1956]
La
politique provinciale UN RÉFLEXE MORAL Editorial, Le Devoir, Monday,
August 13, 1956 André Laurendeau Ceux
de nos lecteurs qui nous ont fait l'honneur de répondre à l'enquête sur la politique
provinciale ne sont, en général, ni des intellectuels ni des grands noms de la
politique. Il y a parmi eux, des cultivateurs, des ouvriers, des hommes de classe
moyenne, quelques professionnels et quelques rares hommes d'affaires. J'oserais
les appeler d'un beau nom galvaudé : des citoyens, des membres d'une cité qui
prennent leur rôle d'électeurs au sérieux, des hommes qui ont une conscience politique. Ils
ne prétendent pas apporter de réponses sensationnelles : en général, ils les attendent
plutôt de ceux à qui leur science et leur rôle donneraient un rôle de guide. Plusieurs
sont de milieux très modestes; ils ne se font pas d' illusions sur le degré de
leur culture, et certains nous demandaient en post-scriptum de rétablir une orthographe
un peu vacillante. Mais ils possèdent en commun cette qualité trop rare qui est
pourtant le ferment et l'assiette d'une démocratie : un vif intérêt pour les affaires
de l'État, un amour pour la chose publique, le sens de l'intérêt général. Plusieurs,
nous l'avons déjà signalé, éprouvent une certaine crainte à s'aventurer sur le
terrain politique. Ils redoutent les vengeances des Puissants. Cette défaillance
n'enlève cependant rien à l'authenticité de leur témoignage. Nous
avons enregistré ici, il y a quelques semaines, l'échec de la morale politique
au pays de Québec. "Le "déferlement de bêtise et d'immoralité dont le Québec (venait)
d'être témoin", comme s'expriment les deux théologiens cités mardi, permettait,
il nous semble, de tirer cette conclusion. Ce qui, cependant, apparaît réconfortant,
c'est que soixante lecteurs, qui en représentent des milliers, l'aient à peu près
tous tirée avec plus de rigueur encore. Car
cette enquête politique a donné lieu d'abord à une réaction morale. Nos correspondants
ne s'entendent guère sur le choix d'un parti, sur la ligne à suivre. Mais ils
ont tous un même haut-le-cœur devant la légèreté, la bassesse, la vénalité qui
s'étalèrent durant trois semaines dans la province.
Ce dégoût est sain. Il peut dépasser les bornes, conduire à des exigences trop
absolues, à des condamnations sommaires. Mais la sévérité est souvent au fond
une marque d'estime : ceux, par exemple, qui ont parlé d'utilisation de la religion,
ou de collusion entre le gouvernement et quelques membres du clergé, témoignent
ainsi de la haute idée qu'ils se font de la politique et du rôle de clerc. Au
reste, le mal dont ils se plaignent n'est pas imaginaire. Les deux théologiens
dont nous avons reproduit l'analyse ont cru devoir le constater, avec autant de
courage que de lucidité : "Il y a lieu de croire que les laïcs ne sont plus les
seuls à être influencés par des dons en argent ou en nature. Les dons aux associations
pieuses ou de bien-être, les contributions aux associations paroissiales savent
toucher la corde sensible de certaines âmes ecclésiastiques. Devant quelques faits,
on est enclin à méditer la remarque du Chanoine Tellier de Poncheville sur les
causes cléricales de l'anticléricalisme". Ces faiblesses ou ces maladresses n'engagent
en rien l'Église, et il serait injuste de se livrer à des généralisations hâtives
autant qu'imprudentes. Quand les politiciens abusent du patronage, quand une société
est victime de la vénalité, il serait étonnant que l'une de ses élites échappe
totalement à l'atmosphère. Mais ces choses doivent être dénoncées, car elles ont
sérieusement scandalisé; et le silence, loin d'éteindre le scandale, le fait entrer
plus sourdement dans le système. Nous
nous demandions si la faculté de s'indigner avait disparu chez nous. L'enquête
qui se termine établit une réponse claire : la révolte contre des mœurs politiques
corrompues existe, mais n'a pas souvent l'occasion de s'exprimer. Les braves gens
se sentent trop isolés pour émettre publiquement leur protestation; s'ils la gardent
en eux-mêmes ou l'expriment seulement devant des amis, elle est néanmoins fort
nette. Ceux qui
songent à rénover la politique québécoise pourraient peut-être partir de là. Pour
plusieurs Canadiens français, la dernière élection a eu l'effet d'un choc psychologique
: ils ont eu honte - honte de la dégradation subie par la politique, honte de
mœurs indignes d'un peuple chrétien, honte de ce que les attitudes vénales ont
en même temps de puéril. Ils réclament un assainissement des élections. C'est
un point de vue préliminaire, mais c'est aussi une fondation sur laquelle on peut
bâtir quelque chose de plus ample - une vraie démocratie. |