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Last
revised: 23 August 2000 | Tentative
de créer un Ministère de l'Instruction publique / Attempt to create a Ministry
of Education, 1897-1898
Le
Conseil de l'Instruction Publique et le Comité Catholique Par Pierre (Montarville)
Boucher de La Bruère CHAPITRE
DOUZIÈME. La
refonte de la loi scolaire [Note
de l'éditeur : Boucher de La Bruère était
Surintendant de l'Instruction publique pour la province de Québec au moment où
fut rédigé ce texte. Il fut le premier à analyser les événements que nous présentons
dans cette collection de documents bien que le père Gonthier en ait déjà dévoilé
quelques éléments lors de sa controverse au sujet du livre d'André Siegfried (ce
texte est reproduit ailleurs sur le site; il en est fait allusion à la fin de
l'article qui suit.). Bien que le but de La Bruère fut de faire l'historique du
Conseil de l'Instruction publique, donc de faire uvre objective d'historien,
on notera qu'il n'est pas un observateur détaché des événements qu'il décrit;
il est nettement de tendance conservatrice et ultramontaine et opposé à la création
d'un ministère de l'éducation. On traitera donc son texte comme émanant d'un individu
impliqué directement dans les événements qu'il décrit, et non comme s'il provenait
d'un observateur impartial. Néanmoins, le texte reste utile puisqu'il définit
bien le contexte juridique des lois scolaires et du partage des responsabilités
entre les différents organes étatiques au moment où lieu la controverse sur la
création d'un ministère de l'éducation. Les notes de bas de pages ont été renumérotées
et sont toutes placées à la fin du document. Certaines erreurs d'édition du texte
original ont été corrigées. La Bruère s'est trompé dans le décompte des votes
tenus sur la question de la création du Ministère; on se reportera à notre document
sur les votes pour des statistiques plus exactes.] Le
comité catholique, jugeant utile de faire des modifications importantes à la loi
de l'instruction publique, décida en 1895, de profiter de la circonstance pour
refondre tous les articles du code scolaire. Il constitua pour cette fin un sous-comité
composé de NN.SS. les évêques Bégin, Blais et Émard, de MM. Jetté, Chapais, Archambault
et du surintendant, auxquels furent adjoints subséquemment MM. Gédéon Ouimet,
Frs Langelier et Eugène Crépeau. Le comité protestant également intéressé à la
révision de la loi, accéda volontiers à la prière que leur fit le comité catholique
de s'unir pour ce travail de révision et nomma MM. Henneker, Reyford, Shaw et
Flemming membres conjoints de la commission. Celle-ci se réunit dans les premiers
jours de septembre, et M. Paul de Cazes, secrétaire français du département de
l'Instruction publique qui travaillait depuis un certain temps à la refonte de
la loi scolaire, soumit son projet de révision à la considération des réviseurs. Au
cours des séances, ce comité spécial examina minutieusement chaque article du
code, en perfectionna la phraséologie et adopta, avec une classification plus
méthodique des matières, de nombreux changements de détails. Ce travail de refonte
dura deux ans, et il venait d'être complété, lorsque le ministère de M. Flynn,
après les élections générales, descendit du pouvoir et fut remplacé par celui
de M. Marchand. Le conseil de l'Instruction publique remit alors entre les mains
du nouveau cabinet le projet de loi qu'il avait élaboré, afin de le faire présenter
à l'approbation de la législature. Un
changement de gouvernement amène généralement un changement dans les idées. Or,
la nouvelle administration, en prenant la direction des affaires, voulut faire
du nouveau et donna en matière d'éducation un effet pratique aux principes de
ses chefs. Elle trouva à point le prétexte de la refonte de la loi scolaire pour
tenter d'opérer certaines réformes. Prêtant complaisamment attention aux attaques
dirigées par quelques adversaires de notre système d'éducation contre les méthodes
d'enseignement employées dans nos écoles, enclin, semble-t-il, à satisfaire dans
une certaine mesure, les extrémistes aussi bien que les esprits modérés du groupe
ministériel, le gouvernement résolut de faire subir d'assez profondes modifications
à l'excellent travail de codification du conseil. Afin d'arriver plus sûrement
à la réalisation de ses désirs et de se mettre à l'abri, autant que possible,
de toute intervention, le cabinet commença par ne pas tenir compte de la déclaration
publique faite en 1882 par l'ancien premier ministre M. Mousseau et d'après lequel
on devait référer, pour consultation, au corps si compétent du Conseil de l'Instruction
publique, tout projet de loi scolaire que le ministère aurait l'intention de présenter
aux chambres. Il nomma au sein même du conseil exécutif une commission spéciale
chargée de revisser le travail de refonte. Cette commission se composa de MM.
Marchand, Archambault, Robidoux et Duffy, avec MM. Paul de Cazes et G. Parmelee
comme secrétaires. (1) Les
altérations que cette commission fit au rapport des comités catholique et protestant
indiquèrent clairement les tendances centralisatrices du gouvernement et sa détermination
d'assumer, dans une large mesure, le contrôle et la direction du système administratif
des écoles, préparant ainsi la voie sinon à la suppression du conseil de l'Instruction
publique, du moins et à coup sûr à la diminution de ses pouvoirs et de son prestige. Les
modifications auxquelles s'arrêta la commission de l'exécutif peuvent se résumer
à sept principales. 1.
La première en importance fut l'abolition de la charge de surintendant de l'Instruction
publique qui serait désormais remplacé par un ministre de la couronne. On sait
que le surintendant est le chef de son département; comme tel, il est revêtu des
attributions nécessaires à l'exécution de ses fonctions et on peut dire que pratiquement,
il possède les pouvoirs d'un ministre. Le département qu'il gère n'est pas, ainsi
que quelques-uns le croient, comme une succursale du secrétariat de la province.
Il possède une organisation qui lui est propre, avec des fonctionnaires spéciaux
parmi lesquels deux d'entre eux, le secrétaire français et le secrétaire anglais,
occupent le rang de sous-ministre. (2) La loi générale dit bien que ce département
relève du secrétariat, mais en ce sens que le surintendant n'étant pas membre
du conseil exécutif, et n'y ayant pas de siège, a besoin d'un intermédiaire entre
les ministres et lui-même pour transmettre ses recommandations au lieutenant-gouverneur
en conseil. Cet intermédiaire est le secrétaire de la province qui, par la loi,
a charge de la correspondance du gouvernement. (3) Les
statuts refondus (1909) disent aussi que le surintendant est le dépositaire des
documents relatifs aux affaires de son département (4) et d'autre part, stipulent
que le secrétaire a la garde des registres et des archives qui n'appartiennent
pas spécialement à d'autres départements. Les
mêmes statuts définissent expressément les devoirs respectifs de l'un et de l'autre
chef. Le surintendant a la direction de ses bureaux dont ses sous-ministres ont,
sous sa surveillance, le contrôle général, pendant que le secrétaire de la province
veille à l'administration et à l'exécution des lois qui se rattachent
aux objets que la loi énumère. Pour
des motifs d'ordre public, le surintendant ne peut exercer de patronage politique,
ni nommer par conséquent les officiers de son département : ces nominations relèvent
du gouvernement qui est le dispensateur des faveurs ministérielles. De plus, pour
assurer l'indépendance du surintendant contre l'ingérence politique, la loi stipule
expressément que ce fonctionnaire est tenu, dans l'exercice de ses fonctions,
de se conformer non pas aux instructions du secrétaire de la province, mais à
celles qu'il reçoit de l'un ou de l'autre des deux comités du conseil de l'Instruction
publique. C'est à la législature aussi qu'il adresse son rapport annuel,
comme le font les ministres du cabinet. (5) Par
cette organisation scolaire qui, dans la confédération, est particulière à la
province de Québec, le législateur a voulu, comme nous l'avons dit antérieurement,
éloigner le plus possible l'instruction publique de l'arène politique, afin de
lui permettre de se développer sans entraves, d'assurer, par la permanence du
chef du département, des idées de suite dans la direction de l'enseignement, de
prévenir les variations trop brusques dans les mesures administratives et les
fluctuations dans les opinions qui coïncident avec les changements fréquents de
ministres. (6) 2. L'abolition
de la charge de surintendant devait amener d'autres changements dans la loi. Ainsi
les décisions des commissaires d'écoles au sujet du choix des emplacements et
de la construction des maisons d'écoles, de la fixation des limites des arrondissements
dans les municipalités et d'autres cas étaient sujettes à appel devant ce fonctionnaire.
Or, la commission spéciale du gouvernement proposa d'abolir cet appel et de le
référer aux tribunaux de justice. On conçoit qu'il eût été très embarrassant pour
le ministre de l'Instruction publique de juger ces questions administratives et
de rendre des décisions qui auraient pu être taxées de favoritisme ou diminuer,
envers le gouvernement lui-même, les sympathies de certains groupes d'électeurs,
car on sait quel intérêt les citoyens d'une paroisse attachent à ces disputes
locales et quelle véhémence ils apportent parfois dans la discussion. En
présence de ce dilemme à lame tranchante, des raisons politiques s'imposaient
donc pour l'abolition du droit d'appel au ministre. (7) 3.
Le projet de loi pourvoyait aussi à la nomination de deux inspecteurs généraux
et enlevait aux comités catholique et protestant le pouvoir de prendre la responsabilité
de nommer les inspecteurs sans l'intermédiaire des comités. 4.
L'on se rappelle l'intéressante et vive discussion qui s'éleva au sein du comité
catholique lorsqu'on voulut obliger les membres des communautés enseignantes à
subir devant le bureau central des examinateurs, un examen pour l'obtention
du brevet de capacité; or, la commission nommée par le cabinet, sans proposer
d'abolir le principe de l'équivalence des diplômes que possédaient ces congrégations,
fit néanmoins à ce sujet un amendement au projet de refonte. En effet, pour donner
au comité catholique le pouvoir de supprimer par résolution cette équivalence,
le bill contenait une clause dont nous extrayons le passage suivant : « Chacun
des comités du conseil de l'instruction publique peut, par résolution, déclarer
que les personnes de sa croyance religieuse qui sont ainsi exemptées ne jouiraient
plus du bénéfice de cette exemption, et à partir de la date de cette résolution,
le privilège accordé par le présent article n'existera plus pour ces personnes.
» (8) Par suite de cette
altération du texte de la refonte et des changements possibles dans la composition
du comité catholique, l'abolition de l'équivalence eut été plus facile à réaliser,
et il semble que l'on voulait prendre un chemin détourné pour arriver sans bruit
et sans l'intervention de la législature au but que l'on désirait atteindre. 5.
Les réviseurs de la refonte portèrent aussi leur attention sur le choix des manuels
de classe et adoptèrent des changements où se manifestaient des tendances au choix
et à la distribution des livres d'écoles par le gouvernement. Le conseil de l'Instruction
publique avait inséré dans son rapport un projet d'amendement à la loi par lequel
les commissaires d'écoles auraient le droit de déterminer, pour chaque matière
de l'enseignement, les manuels qui seuls devaient être en usage dans les écoles
placées sous leur juridiction. On proposait cette mesure en prévision d'une uniformité
partielle qui serait sinon imposée par l'État du moins dictée par les représentants
élus de la municipalité. A cette règle projetée il y aurait cependant une exception
par laquelle il serait permis à l'autorité scolaire paroissiale de conclure avec
les communautés religieuses enseignantes qui publient des livres classiques dont
elles sont les auteurs, des arrangements spéciaux concernant l'emploi de ces livres
dans les écoles confiées à ces institutions. Le
gouvernement voulant se réserver le choix des livres de classe biffa l'amendement
et conféra au futur ministre de l'Instruction publique le devoir de « choisir
parmi les livres, cartes, globes et plans approuvés par l'un ou l'autre des comités
du conseil de l'Instruction publique, selon le cas, ceux dont il doit être fait,
usage dans les écoles publiques. » (9) De
graves objections se dressaient en face de cette législation toute nouvelle. D'abord
elle supprimait le droit des commissaires de choisir les séries de livres destinés
à l'usage des enfants de leurs écoles; en second lieu, elle restreignait et même
abolissait un des attributs les plus importants et les plus essentiels du Comité,
mettant par là en péril la garantie d'impartialité qui doit présider au choix
des manuels. Enfin, en conférant au ministre de l'Instruction publique le pouvoir
d'éliminer de la circulation parmi les livres approuvés ceux qui ne lui plaisaient
pas, elle ouvrait toute grande la porte au favoritisme politique et à d'injustes
préférences. Au reste, cette législation constituait, au profit des amis du pouvoir,
un monopole préjudiciable au commerce de librairie et, en paralysant l'essor des
écrivains dont les opinions politiques auraient différé de celles des chefs politiques,
elle pouvait enrayer la publication de livres classiques d'une valeur pédagogique
très grande. Cette altération tout à fait inattendue du texte de la refonte était
donc en principe une atteinte à l'intégrité du droit de l'autorité scolaire paroissiale
et aux attributs des comités du conseil. En
parlant ainsi, nous ne voulons assurément pas dire que le cabinet Marchand se
serait servi d'une manière abusive de la liberté qu'il aurait eue de discréditer
ou de rejeter arbitrairement les ouvrages classiques inscrits sur la liste des
livres approuvés, mais enfin et en réalité, on forgeait une arme puissante dont
aurait pu se servir habilement le ministre de l'Instruction publique pour imposer
à toute la province l'uniformité absolue des livres. Dans
tous les cas, l'innovation projetée dut plaire singulièrement aux esprits forts
du radicalisme. Les conséquences
de retrait du privilège qu'avaient les communautés enseignantes de pouvoir, du
consentement des commissaires d'écoles, se servir de leur propres manuels de classe
se firent sentir quelques années plus tard, lorsqu'à Montréal on prêcha de nouveau
une croisade en faveur de l'uniformité des livres. Il
existe dans cette ville plusieurs instituts de frères et de religieuses dont quelques-uns
emploient dans les écoles les manuels qu'ils ont publiés. Or, les partisans de
l'uniformité voulurent obliger les commissaires à n'adopter dans toutes les écoles
de la ville qu'une série unique de livres. S'appuyant sur la loi qui prescrit
ce choix, ils intentèrent contre la commission scolaire une poursuite devant les
tribunaux pour la forcer à se conformer à la loi. C'est à la suite du jugement
rendu par la cour en cette instance que le gouvernement Gouin consentit, à la
demande du Comité catholique, de rétablir le premier texte de la refonte du code
scolaire. Maintenant, dans une municipalité, si les commissaires requièrent les
services d'une congrégation catholique enseignante, il leur est « loisible de
faire un contrat avec elle relativement aux livres dont on se servira dans les
écoles confiées à cette congrégation, pourvu toutefois que ces livres fassent
partie de la série approuvée par le comité catholique du conseil de l'Instruction
publique. » (10) La loi
qui existait avant la refonte avait relativement aux livres de classe certaines
dispositions que la commission nommée par le cabinet crut devoir supprimer. Les
comités catholique et protestant possédaient, en vertu de cette loi, le pouvoir
d'acquérir la propriété des livres d'écoles inscrits sur le tableau d'approbation,
en payant aux auteurs une indemnité fixée par le lieutenant-gouverneur en conseil.
Mais le gouvernement voulut diminuer par une restriction de plus, les attributions
de ces comités en se réservant la faculté d'acquérir la propriété des publications
scolaires. C'était ajouter une maille de plus à la chaîne de l'uniformité. En
outre, on retrancha de la loi l'article qui statuait que dans le cas d'abus résultant
de la coalition des libraires pour augmenter le prix des ouvrages classiques,
l'un ou l'autre des comités pouvait fixer le prix maximum de la vente. On se plaint
quelquefois du prix élevé des livres d'écoles et des commissions trop fortes que
les libraires exigent des auteurs sur la vente des manuels. Il sembla à plusieurs
personnes que l'ancienne loi pouvait offrir aux parents une certaine protection
que la loi actuelle leur a enlevée. Avec
ces modifications profondes faites au projet de révision, devait s'effondrer pour
ainsi dire le principe reconnu depuis 25 ans de « l'instruction publique hors
de la politique. » Comme le gouvernement savait fort bien que le comité catholique
se serait opposé à ces changements, s'il les eut connus, il ne voulut pas le consulter.
Ainsi l'abolition de la charge de surintendant, la nomination et la destitution
des inspecteurs d'écoles faites sans la recommandation des comités du conseil,
le choix des livres par le ministre de l'Instruction publique, l'achat des droits
d'auteur que le gouvernement se réservait, c'était bien de toute évidence l'ingérence
de la politique avec toutes ses conséquences dans le domaine de l'éducation et
la destruction dans ses parties vives, de l'économie de la loi de 1875. Le
nouveau projet de loi était attendu avec hâte par le public, car on savait que
le conseil de l'Instruction publique avait préparé de longue main la refonte de
la législation scolaire, et on se demandait si le gouvernement allait l'adopter
intégralement. L'honorable
M. Robidoux, secrétaire de la province, fut le parrain du bill qu'il soumit à
la considération de l'Assemblée législative en décembre 1897. Inspirateur, a-t-on
prétendu, des changements suggérés, son discours excita d'avance beaucoup d'intérêt.
Orateur agréable à entendre, le proposeur, dans une harangue remarquable plus
par le charme du style que par la force de l'argumentation, exposa les principales
dispositions du projet. Commençant son discours par quelques considérations générales
sur la nécessité du développement de l'instruction dans les rangs des personnes
qui se destinent aux professions libérales, mais surtout chez les classes qui
en ont été jusqu'à présent les moins favorisées, l'honorable ministre crut opportun
pour dissiper certaines appréhensions de faire une déclaration de principes dont
il est juste de lui donner crédit. «
Nous voulons, dit-il, modifier notre loi de l'Instruction publique, mais nous
n'entendons pas toucher à celles de ses dispositions qui sont une sauvegarde pour
la foi et pour les moeurs. Nous voulons que plus d'enfants sachent lire, nous
voulons que la jeunesse soit mieux instruite, mais nous sommes de ceux qui croient
que Dieu doit être présent partout dans l'enseignement et qu'avant de songer à
développer les facultés de l'intelligence et les forces physiques, il faut inculquer
aux enfants l'amour de la vertu, donner de la droiture à leur volonté et leur
apprendre à regarder en haut avant de les inviter à abaisser leurs regards sur
les livres. » Avant
d'en arriver à la réformation la plus importante que le gouvernement entendait
opérer, M. Robidoux se posa la question suivante : Pourquoi remplacer le surintendant
de l'Instruction publique par un ministre ? Il y fit la réponse suivante que nous
donnons en son entier : «
Pour plus d'une raison c'est au gouvernement qu'il appartient de créer l'avenir
d'une nation. C'est à lui qu'il incombe d'étudier les avantages naturels qu'offre
le pays, d'y choisir les sources les plus fécondes d'enrichissement, d'en préparer
l'exploitation. En même temps le gouvernement doit étudier les aptitudes particulières
du peuple et harmoniser le développement de ces aptitudes comme le but à atteindre. «
Le développement de ces aptitudes fournira le moyen d'atteindre ce but. Si le
gouvernement est chargé de la fin, il doit disposer des moyens, or, c'est par
l'instruction que ces aptitudes se développeront. Pour que l'instruction soit
sagement dirigée, n'est-il pas sage de laisser à l'exécutif la tâche d'interpréter
et de faire exécuter les lois de l'Instruction publique qui émanent du gouvernement
lui-même ? « Un des reproches
qu'on fait jusqu'ici à notre peuple c'est son apathie pour l'instruction, et ce
reproche est malheureusement trop fondé. «
Le peuple s'en occupera davantage et nécessairement s'il se trouve, dans la chambre,
un ministre de l'Instruction publique et si les questions s'y rattachant font
l'objet des délibérations de la législature. Chaque année, la législature passera
des jours et des jours à faire et à amender des lois d'intérêt bien inférieur
à celui qu'offre l'instruction publique. Qu'un ministre ait la direction de l'instruction
publique, et les questions qui s'y rattachent provoqueront devant la chambre des
débats qui captiveront l'attention publique et qui feront disparaître l'apathie. «
Il existe une troisième raison qui milite en faveur de la création d'un ministère
de l'instruction publique, et cette raison n'est que le corollaire du principe
de la responsabilité aux chambres. Le surintendant a tous les pouvoirs d'un ministre.
Tout ce que nous faisons en remplaçant le surintendant par un ministre, c'est
de remplacer un ministre irresponsable par un ministre responsable. Il y a là
tout à gagner. Au reste, les pouvoirs du ministre ne seront que ceux qui sont
maintenant possédés par le Surintendant. «
Le conseil de l'Instruction publique, M. l'orateur, continuera d'exister avec
l'autorité qu'il a eue jusqu'à ce jour, et ceci constitue une garantie qui doit
rassurer les plus timorés. » Tel
fut l'exposé de la thèse du secrétaire de la province en faveur de la création
d'un ministère de l'Instruction publique dont le chef serait directement responsable
à la législature. Dans
son discours, M. Robidoux se prononça en faveur de l'uniformité générale des livres
de classe. L'uniformité partielle, laissée à la direction des commissions scolaires
locales, ne lui suffisait pas. Pour remédier aux inconvénients qu'il déplorait
dans la multiplicité des manuels, « la législation nouvelle, fit-il remarquer,
décrète que, parmi les livres qu'auront approuvés les comités de l'Instruction
publique, le ministre de l'Instruction publique choisira ceux qui devront être
en usage dans la province. De la sorte, le père de famille sera déchargé d'une
bonne partie des dépenses qu'entraîne l'éducation des enfants et il aura l'avantage
de pouvoir instruire deux ou trois de ses enfants avec les mêmes livres. » M.
Flynn, ancien premier ministre de la province, combattit la mesure au nom de l'opposition.
Avec cette modération de langage, mais avec cette argumentation serrée qui en
faisait un des debaters les plus écoutés et les mieux renseignés de la
chambre provinciale, il soutint que le discours du secrétaire de la province n'avait
nullement démonté la nécessité ou l'utilité d'abolir la charge de Surintendant.
«
Depuis l'abolition du ministère de l'Instruction publique en 1875, dit-il en résumé,
les statistiques et les faits nous montrent que les progrès en matière d'éducation
ont été de plus en plus considérables. C'est une calomnie de dire que la province
de Québec n'a pas l'éducation qu'elle devrait avoir; c'est une calomnie de dire
que l'acte de 1875 n'avait pas sa raison d'être. Personne ne combattit alors cette
mesure d'abolition, pas même les adversaires du gouvernement . . . . M. Robidoux
dit que le ministre sera le Surintendant de l'Instruction publique. Cela n'est
pas possible. Autrefois, le Surintendant gérait le département d'après les indications
du conseil de l'Instruction, publique. Maintenant le ministre serait indépendant
du conseil et régirait l'instruction à sa guise. C'est le renversement, des anciennes
lois. » L'orateur
exprima l'opinion que le projet en considération contenait un grand nombre de
changements qui étaient moins inoffensifs qu'ils ne le paraissaient tout d'abord.
Telle la clause 33 concernant les attributions du ministre. Elle signifie que
l'instruction devra désormais cesser d'être indépendante de la politique. Il signala,
comme un danger grave, le fait de vouloir confier au gouvernement le choix des
livres de classe, la distribution des sommes destinées à l'instruction et les
privilèges de l'accaparement des droits d'auteur. « Que fera-t-on, s'écria M.
Flynn, devant les préjugés et les sympathies personnelles? Comment les choses
se passent-elles aux États-Unis? La politique est la ruine des écoles. » Il cita
à l'appui de ses remarques plusieurs autorités, entre autres les paroles suivantes
de l'honorable M. B. S. Morgan secrétaire de la West Virginia. « C'est la partisanerie
politique qui fait la base des écoles et qui prostitue l'éducation. L'association
d'éducation nationale, à sa dernière session, a adopté la résolution suivante:
'Nous demandons que l'administration des écoles, y compris la nomination, la promotion
et le changement des professeurs, ainsi que le choix des livres soient exempts
de toute influence politique. Nous faisons appel à tous ceux qui ont à coeur l'éducation
saine de leurs enfants et nous demanderons à la presse en général d'appuyer nos
réclamations'. » Nous
pouvons ajouter qu'il n'y a pas qu'aux États-Unis que l'on s'émeut de l'influence
politique en matière d'éducation. La France en a ressenti les effets bien avant
les événements des trente dernières années, car un des grands éducateurs du 19e
siècle, Mgr Dupanloup, écrivait dans son livre L'Éducation: « Le ministre
de l'éducation chez un peuple est revêtu de la plus haute fonction sociale. Rien
n'égale son importance, mais je trouverais sage la nation qui ne le condamnerait
pas à subir les agitations de la politique. Je le voudrais dans une région supérieure
aux orages. Je le voudrais, selon la pensée de Platon, dans la force et dans la
plus grande maturité de l'âge. » Le
chef de l'opposition proposa le rejet de la mesure, mais l'assemblée législative
par un vote de 44 contre 19 refusa d'approuver la motion. (11) Au
conseil législatif, les débats furent également très intéressants, car deux jouteurs
de renom étaient en présence l'un de l'autre. M. Horace Archambault, alors procureur
général, et aujourd'hui juge en chef de la cour d'appel, et M. Thomas Chapais,
écrivain érudit autant qu'orateur distingué. Le
premier, avec beaucoup d'habileté dans l'argumentation prononça, à l'appui du
bill, un discours que l'on peut considérer comme la principale pièce de résistance
contre les attaques des adversaires du gouvernement. Au reproche de vouloir, en
abolissant la charge de Surintendant, faire entrer la politique dans l'éducation,
il répliqua qu'il avait une bonne réponse à donner « c'est qu'un ministre de l'Instruction
publique au lieu d'un Surintendant est plus en état d'apporter aux besoins du
jour ce que ces besoins réclament. Un ministre de l'Instruction publique sera
sur la brèche, sera en contact avec le peuple de la province; connaissant ses
besoins, répondant à ses aspirations, il pourra apporter dans nos lois les changements
qui sont nécessaires pour l'éducation des masses.
« Un Surintendant, supposons-lui
toutes les qualités... n'aura aucun intérêt à faire marcher l'éducation . . .
. . . Le ministre sera responsable au peuple, il ne pourra fermer l'oreille aux
cris et aux rumeurs qui monteraient jusqu'à lui, et s'il ne veut pas se rendre
aux demandes qui lui sont faites, un mouvement pourra l'emporter et il sera remplacé
par un autre . . . . . . Mettons au poste du Surintendant un homme aux idées avancées
et aux tendances radicales, cet homme sera plus en état de produire du mal qu'un
ministre responsable aux chambres. » Le
procureur-général insista longuement sur le fait que tout en créant un nouveau
ministère, le gouvernement avait à coeur de maintenir le Conseil de l'Instruction
publique avec tous ses pouvoirs et toutes ses attributions. Celui-ci étant appelé
à décider par lui-même et par ses deux comités les questions d'éducation qui concernent
toute la province, conservait comme auparavant le pouvoir de régler les questions
spéciales qui intéressent soit les catholiques soit les protestants. Le ministre
ne posséderait que le pouvoir d'administration et celui de modifier, mais seulement
les règlements scolaires. En
réponse à l'argumentation de M. Archambault, M. Chapais, dans un discours de grande
envergure, accusa à son tour le gouvernement de vouloir bouleverser l'économie
de la loi de 1875, non pas pour se rendre à la voix du peuple, puisque, durant
les plus récentes élections générales, il n'avait pas été question des réformes
que l'on proposait, mais, d'agir sous la pression d'un élément perfide, grossi
de quelques dupes inconscientes et de quelques têtes aussi vides que vaniteuses.
Il cita le Réveil, feuille radicale depuis disparue, qui voyait dans le Conseil
de l'Instruction publique « le rempart du cléricalisme au sein de l'éducation
» et l'orateur soutint que de là, soufflait le vent, sans songer toutefois à attribuer
aux membres du cabinet d'odieux sentiments. Soutenant que le projet de loi créait
une révolution complète dans notre système d'enseignement et d'instruction publique
: «
C'est, dans la suppression du Surintendant, dit-il, et dans, son remplacement
par un ministre que se trouve le coup fatal porté aux pouvoirs, à la dignité,
à l'importance du Conseil de l'Instruction publique. Et pourquoi cela? Pour la
raison bien simple que l'article 1886 de la loi actuelle déclare que 'dans l'exercice
de ses attributions, le Surintendant doit se conformer aux instructions qui lui
sont données par le Conseil de l'Instruction publique ou les comités catholique
et protestant suivant le cas' et que les articles 92 et 93 du nouveau bill, qui
substituent un ministre au Surintendant, ne reproduisent pas naturellement cette
disposition. C'est-à-dire que sous la loi telle qu'elle existe actuellement, c'est
bien le Surintendant qui est le pouvoir exécutif et administratif en matière d'éducation;
c'est bien lui qui est le chef du département; mais sous le contrôle et la direction
du Conseil. Actuellement, dans une large mesure, c'est donc le conseil qui est
le corps souverain. Supprimez cette clause 1886, mettez à la place du Surintendant
un ministre qui, naturellement, je le répète, n'est pas et ne peut pas être soumis
à la direction d'un corps quelconque, et la situation du Conseil de prépondérante
devient secondaire, son influence d'indiscutable devient problématique, son autorité
au lieu d'être une autorité légale devient un simulacre et une chimère... «
Qu'on ne vienne plus nous dire après cela : le Conseil conserve ses attributions;
il garde tel privilège, il reste avec tel pouvoir, il a le droit de faire tel
règlement; nous ne lui enlevons rien. Non, vous ne lui enlevez presque rien, vraiment
! Vous ne lui enlevez que sa suprématie et sa juridiction générale. Bagatelle
! sans doute. Il était un pouvoir, vous en faites un rouage; il était le principal,
vous en faites l'accessoire. Il était le supérieur vous en faites l'inférieur.
Il était un, corps presque souverain, vous en faites un petit bureau de discipline
. . . . . . Du moment que vous mettez un ministre à la tête du département de
l'Instruction publique, ce ministre sera le maître. Et le conseil tombera au rang
de corps subalterne. » L'éminent
conseiller ne manqua pas de signaler l'abolition de l'une des attributions des
comités, la nomination des inspecteurs d'écoles et des inspecteurs généraux, en
proposant de laisser désormais cette nomination au gouvernement lui-même. Ainsi
en était-il de cette autre attribution beaucoup plus importante que la précédente
: le choix des livres d'écoles laissé au ministre qui, à son gré, pouvait écarter
toutes les séries des manuels approuvés, moins une, et créer un monopole en faveur
de tel auteur ou de tel libraire. C'était sûrement une des clauses les plus sujettes
à caution et les moins justifiées du projet de loi. M.
Chapais regardant la législation proposée comme une mesure de méfiance ministérielle
envers le Conseil de l'Instruction publique, et comme une sorte de déchéance qu'on
lui infligeait, termina ses éloquentes remarques par une péroraison dans laquelle
il s'écria: «
Fermons à la politique le temple de l'Instruction. Ah! La politique, cette politique
de parti qui est inhérente à notre système de gouvernement parlementaire, mais
qui nous a fait tant de mal, qui a sali tant de choses augustes et compromis tant
de choses saintes. Ne lui laissons pas mettre la main sur cette arche sacrée qui
porte dans ses flancs les destinées de notre peuple et l'avenir de notre race.
Non, non, l'éducation populaire et la politique ne doivent pas vivre sous le même
toit. La politique, c'est la discorde; l'éducation, c'est l'harmonie; la politique,
c'est l'ambition; l'éducation, c'est le dévouement; la politique, c'est trop souvent
la haine; l'éducation, c'est la fraternité et l'amour. La politique habite une
zone fertile en tourments et en naufrages; l'éducation doit planer toujours dans
des sphères plus pures et plus sereines ...... » Le
conseil législatif rejeta sur la division suivante le projet de loi du gouvernement.
En faveur du projet : les honorables MM. Archambault, Bryson, Cormier, Garneau,
Gilman, Marsil, Pérodeau, Sylvestre et Turner - 9. Contre : les honorables MM.
Audet, Berthiaume, de Boucherville, Chapais, Girouard, Larue, Méthot, Ouimet,
Pelletier, Rolland, J.-J. Ross, Sharples et Wood - 13. Au
cours de la session de 1899, le gouvernement Marchand présenta un nouveau projet
de loi sur l'éducation, mais modifié et plus en harmonie, cette fois, avec le
projet de refonte préparé par le Conseil de l'Instruction publique. La clause
qui abolissait la charge de Surintendant et qui créait à sa place un ministère
de l'Instruction publique avait été effacée et le gouvernement se désistait aussi
du privilège de choisir les manuels de classe, seulement, dans l'assemblée législative,
on modifia le bill de manière à imposer aux commissaires d'écoles le devoir
d'exiger que les livres autorisés fussent les mêmes dans toutes les écoles de
leur municipalité. L'exécutif conserva le droit de nommer et de révoquer les inspecteurs
d'écoles, sans la recommandation des comités. En
outre, le nouveau projet de loi contenait deux dispositions importantes par les
conséquences qui pouvaient en résulter. La première, extraite du bill de
l'année précédente, permettait au gouvernement d'acquérir le droit de propriété
des livres de classe; l'autre, le pouvoir de les distribuer gratuitement aux enfants
d'écoles. (12) Le but que les ministres désiraient atteindre était donc l'uniformité
et la gratuité des livres dans les écoles primaires. Ce
sont ces deux additions à l'ancienne législation que l'un des membres du cabinet,
l'honorable M. A. Turgeon, fut chargé d'expliquer et de justifier devant l'assemblée
législative, ce qu'il fit dans un discours de longue haleine et fort documenté.
Pour M. le ministre, notre système d'instruction publique n'était ni si bon ni
si mauvais qu'on l'affirmait. «
Nous avons fait, dit-il, des progrès indiscutables et il suffit de jeter un coup
d'oeil autour de soi, de comparer le niveau intellectuel des masses avec ce qu'il
était il y a une décade, pour se rendre compte du chemin parcouru et des progrès
réalisés. Seulement, l'esprit humain n'est pas une borne; ce qui était bon hier,
peut être mauvais aujourd'hui; ce qui est satisfaisant aujourd'hui sera peut-être
jugé défectueux demain
Nous sommes pour la politique du juste milieu. Nous
ne voulons pas révolutionner, mais évolutionner .. . » M.
Turgeon, après avoir fait un brillant éloge de l'oeuvre admirable accomplie par
le clergé canadien-français dans la fondation de nos collèges classiques et dans
le champ de l'instruction primaire, en vint à dire que des changements, en petit
nombre il est vrai, étaient devenus nécessaires et que si les statistiques plaçaient
la province de Québec, au point de vue éducationnel, au premier rang dans la confédération,
au niveau de l'Angleterre et bien au-dessus de l'Irlande, elle était cependant
inférieure à quatorze états de la république voisine. C'est donc vers, les États-Unis
d'Amérique, foyer d'instruction à base mobile et à principes délétères, que le
gouvernement de Québec jetait le regard pour y puiser les réformes qu'il se proposait
d'accomplir. A la question
: quels sont les changements proposés par le bill ? l'éloquent orateur,
en réponse, énuméra les arguments déjà apportés en faveur de la suppression du
Surintendant, et, pour justifier le gouvernement de l'abandon de sa politique
de l'année précédente, il s'appuya enfin sur les raisons que les adversaires avaient
employées pour la combattre. Le système inauguré en 1875 avait bien fonctionné,
disait-on, il avait reçu le concours des plus hautes autorités religieuses, et
la minorité protestante de la province, si libéralement traitée sous le régime
actuel, n'avait pas d'intérêt au changement. En certains quartiers, le nouveau
projet de loi avait été accueilli, sinon avec inquiétude, du moins avec un sentiment
de méfiance à peine dissimulé. Or, dit le ministre, nous revenons à l'ancienne
législation et dans ce but, «
nous avons eu recours à un moyen terme. Nous abandonnons la création du ministre,
mais nous enlevons au Surintendant ses pouvoirs judiciaires. Nous révoquons la
législation d'exception qui en faisait un juge sans appel dans une foule de questions
irritantes où le caprice, les influences politiques, les rancunes personnelles,
les faiblesses humaines en un mot se faisaient jour et exerçaient leur action.
L'appel de la décision des commissaires sera porté devant les tribunaux réguliers
par une procédure sommaire et peu coûteuse...» Après,
l'abandon de l'appel au Surintendant, la réforme la plus pressante dans l'opinion
de M. Turgeon c'était l'établissement de l'uniformité des manuels de classe.
« Une réforme depuis
longtemps réclamée par les associations ouvrières est l'uniformité des livres
d'écoles. Notre projet de loi la décrète. Nous ferons ainsi cesser un abus qui
est devenu une taxe lourde et, dans certains cas, monstrueuse, sur les pères de
famille. Lorsque nous fréquentions l'école primaire, les livres changeaient avec
l'instituteur ou l'institutrice. Ceux qui avaient servi aux aînés étaient impropres
aux cadets, et si l'enfant changeait d'école, restât-il dans la même municipalité,
il devait bien souvent acheter une série de livres nouveaux
Nous décrétons
l'uniformité non seulement dans un but d'économie, mais pour réaliser une importante
réforme pédagogique, l'adoption de la méthode concentrique qui a été accueillie
avec tant de faveur par tous les grands éducateurs, qui est actuellement en usage
dans les écoles de France, d'Allemagne, de Chicago et dont les hommes les plus
compétents recommandent l'essai dans tous les États-Unis. » Était-il
bien nécessaire d'établir l'uniformité des livres pour mettre en pratique cette
méthode connue des éducateurs? Quoi qu'il en soit, M. Turgeon appuya sa thèse
sur de copieuses citations extraites des rapport , de certains fonctionnaires
de l'Instruction publique aux États-Unis et que des amis plus intéressés que clairvoyants
lui avaient tout probablement communiqués. M.
Chapais se posa de nouveau en adversaire irréductible de la politique ministérielle
et disséqua, avec cette maîtrise qui lui est particulière, les articles, du projet
de loi. S'appuyant sur Montalembert, Mgr Freppel et le grand économiste M. Le
Play, il fit ressortir, en matière de gratuité des livres, le rôle naturel de
l'État qui consiste à faire dans l'intérêt général ce que ne peuvent faire aussi
bien que lui ni les individus, ni les familles, car les fonctions qui peuvent
être remplies parfaitement par les individus ou les familles ne sont pas ou du
moins ne peuvent être que par exception des fonctions d'État. Il rappela ces paroles
que le combatif évêque d'Angers avait prononcées dans une discussion budgétaire
: «
C'est une vérité de sens commun qu'en matière civile et commerciale. ..l'État
ne doit entreprendre que ce que les particuliers et les associations naturelles
ou libres ne peuvent faire par leurs propres forces. L'État, usant de ses pouvoirs
militaires, administratifs, judiciaires, exécutifs, pour le profit de la chose
publique, rien de mieux; encore une fois : c'est sa véritable fonction; mais l'État
banquier, l'État professeur, l'État maître d'école, l'État commerçant, l'État
industriel, l'État manufacturier, l'État comédien ou tragédien et vous me permettrez
d'ajouter, s'écria M. Chapais, l'État fournisseur des livres d'écoles, rien de
tout cela n'est dans la nature des choses, rien de tout cela ne correspond à une
idée saine et correcte. » «
Que l'État, ajoute l'éloquent orateur, consacre une fraction quelconque de son
budget à l'achat de livres scolaires pour les enfants dont les parents trop pauvres
ne peuvent leur en fournir eux-mêmes, il n'y a rien à redire. C'était l'idée qui
avait inspiré le gouvernement de l'honorable M. Flynn dans la rédaction de la
loi sur l'instruction publique 60 Victoria, chapitre 3, section 3. Mais décréter
qu'on va grever le budget d'une somme suffisante pour fournir des livres à tous
les enfants, aux enfants des riches comme aux enfants des pauvres, c'est une absurdité,
c'est un excès, c'est une faute contre les lois constitutionnelles de toute société
bien ordonnée, c'est véritablement du communisme officiel et du socialisme d'État.
» (13) L'éminent
auteur de La Réforme sociale dénonçant la gratuité, écrivait :
« Quant à la gratuité,
cela est contraire au principe qui commande aux citoyens de pourvoir par
leur propre initiative aux besoins de la vie privée. Il est d'ailleurs inexact
d'appeler gratuit un service rétribué par l'impôt, et s'il convient à tous égards
que le riche paye volontairement l'enseignement du pauvre, on ne doit pas permettre
que le pauvre, toujours atteint en quelques points par le fisc, contribue malgré
lui aux frais de l'instruction du riche. » Enfin
la discussion terminée la législature adopta le projet de loi du gouvernement. Que
s'était-il donc passé entre les deux sessions de la législature de 1897 et de
1899 pour que le cabinet ait cru opportun de modifier sa politique en conservant
l'ancienne législation scolaire et la charge de Surintendant? Le procureur général
en constatant l'hostilité de la chambre haute au projet de 1897, avait pourtant
dit en chambre: « Si en passant par le Conseil, cette mesure ne devient pas loi
cette année, elle le deviendra l'année prochaine ou dans deux ans, mais elle le
deviendra. » Le public ignora les motifs de ce revirement subit jusqu'à ce que,
six ans après, un écrivain de France, M. André Siegfried, faisant précisément
allusion, dans un intéressant ouvrage sur le Canada, à cette question du remplacement
du Surintendant par un ministre de l'Instruction publique, crut devoir, dans une
phrase aussi brutale que le mot dont il se servit lui-même, donner la raison qui
avait, selon lui, porté le premier ministre M. Marchand, à renoncer à son projet.
« En 1899, écrit M. Siegfried, il fut question de remplacer le Surintendant par
un membre du cabinet. Le ministère libéral Marchand s'était déclaré partisan de
la réforme et l'avait inscrite dans son projet général de remaniement de la loi
scolaire. L'opposition de l'Église fut brutale et décisive : un télégramme expédié
de Rome somma M. Marchand de renoncer à son idée. L'autorité catholique est si
forte même sur les libéraux canadiens, que le premier ministre dut céder. » (14) Cette
affirmation de M. Siegfried causa de la surprise dans notre monde politique et
fut accueillie avec une certaine méfiance. Or, ayant pris connaissance de cette
affirmation, un écrivain canadien qui séjournait à Rome, à l'époque des difficultés
scolaires de Manitoba, crut devoir fournir, dans un de nos périodiques, des détails
dont il garantit l'authenticité et que les personnes qui avaient donné des informations
à M. Siegfried ignoraient tout probablement. On
se rappelle qu'en 1897, l'année après l'avènement de M. Laurier à la tête du gouvernement
fédéral, la solution de la question des écoles manitobaines inquiétait beaucoup
les esprits, et un grand malaise existait parmi les catholiques du Canada, surtout
de l'ouest du pays, au moment où leurs intérêts, à la suite du voyage de l'honorable
Ch. Fitzpatrick à Londres et à Rome, venaient d'être transférés de la Propagande
à la secrétairerie d'État pontificale. Il ne sera pas sans intérêt, en terminant
nos remarques sur la refonte de notre loi scolaire, de citer textuellement ce
qu'écrivait le correspondant de la revue La Nouvelle France sur ce qui
se serait passé au Vatican à propos du projet de loi du cabinet Marchand. Voici
ce qu'il dit. «
Or, à ce moment-là même, un de nos évêques présents à Rome, fut reçu en audience
par Léon XIII, lequel se préoccupait vivement de l'état des esprits dans notre
pays. Il crut devoir faire connaître au Souverain Pontife les inquiétudes que
donnerait aux évêques le programme du ministère, surtout annoncé comme il l'était
et préconisé par des journaux nullement dévoués aux écoles catholiques. L'occasion
semblait opportune. M. Marchand était sincère catholique et pratiquant, il venait
d'écrire à la secrétairerie d'État une lettre très dévote au Saint-Siège pour
lui demander d'intervenir dans nos difficultés. Léon XIII jugea sans doute que
M. Marchand, après avoir trouvé nécessaire et opportun que le chef de l'Église
intercède dans les difficultés à Ottawa, ne pourrait pas se plaindre qu'il fasse
entendre un conseil et exprimer un désir à Québec dans l'intérêt de la paix religieuse.
Il dit donc en substance au prélat canadien: « Écrivez à M. Marchand et dites-lui
que le Pape désire qu'il ne présente aucune loi sur l'instruction publique qui
soit de nature à susciter des conflits entre l'Église et l'État. »
« On était à la veille
de la session à Québec. Une lettre arriverait après le discours du trône ou le
fameux ministère serait annoncé; elle mettrait le premier ministre dans la difficile
et vraiment pénible alternative, ou de ne pas tenir compte du désir connu du Saint-Père
ou de retirer une mesure officiellement annoncée à la législature et au pays.
Le prélat écrivit de suite au ministre et au lieutenant-gouverneur pour leur transmettre
officieusement, comme il s'y était engagé, le désir du Saint-Père et les prévint
immédiatement par un message télégraphique qui annonçait la lettre et son contenu. «
Que se passa-t-il dans le conseil des ministres au reçu de cette dépêche aussi
irréprochable de fonds que dans la forme? M. Siegfried le sait peut-être, mais
ne l'a point dit. Ce que nous savons c'est que le premier ministre ne changea
rien au programme et que le lieutenant-gouverneur annonça dans le discours officiel
la création d'un ministère de l'instruction publique. En fait donc, le premier
ministre ne céda point. Les désirs du Pape, on les exploite quand on peut en tirer
profit, mais, les élections faites, on les met de côté en plaidant impossibilité
de s'y rendre. « Cependant,
le désir du Saint-Père était connu; les catholiques pouvaient en être avertis
avant la discussion du projet de loi, et celui-ci était mal vu, on le savait,
au conseil législatif. Comment finirait l'aventure? Il fallait à tout prix que
l'on fasse retirer le désir exprimé par le Saint-Père. Le lieutenant-gouverneur
et le ministre écrivirent à la secrétairerie d'État et y firent agir un personnage
de leur confiance. On représenta au Saint-Siège que le ministre s'était engagé
envers les électeurs et ne pouvait pas retirer sa parole; que l'opinion publique
exigeait impérieusement cette mesure, que si le ministre consentait, par déférence
à la retirer, il devait céder le pouvoir; qu'enfin le retrait de la mesure et
la démission du ministre entraîneraient des bouleversements et une agitation qui
prendraient les proportions d'une révolution. Tous ces allégués étaient faux... «
Cette fois, le grand sens politique du Saint-Père ne fut pas, trompé par la tempête
suscitée dans son plus prochain voisinage. Il se contenta de faire répondre par
son secrétaire d'État ces mots qui maintenaient son désir en précisant le caractère
de son intervention officieuse et toute de bienveillance 'Le Saint-Père exprime
le désir qu'il ne soit fait présentement aucun changement à la législation concernant
l'instruction publique qui soit de nature à amener des conflits entre l'Église
et l'État. Mais son intention n'a pas été d'exercer une pression telle que le
ministre soit obligé de donner sa démission. (15) «
Nos politiciens en furent pour leurs démarches plus habiles que loyales et sincères.
On sait le reste. La loi du ministère de l'instruction publique, votée à une grande
majorité à l'assemblée législative, mourut d'une mort naturelle, je veux dire
purement civile et politique, au conseil législatif. Le premier ministre garda
le pouvoir, le lieutenant-gouverneur acheva paisiblement son terme d'office à
Spencerwood, et il ne fut plus question ni de chute de ministère, ni de bouleversements,
ni d'agitation interne, ni de révolution. «
Voilà l'histoire vraie du ministère de l'instruction publique enterrée au conseil
législatif le 18 janvier 1898. On voit qu'elle ne ressemble pas tout à fait à
celle qu'imagine M. Siegfried... Cette
version des faits donnée par l'écrivain de La Nouvelle France n'a jamais
été relevée ni contredite par ceux qui pouvaient avoir intérêt à le faire. (1)
MM. de Cazes et Parmelee étaient alors des deux secrétaires du département de
l'Instruction publique. (2) Statuts refondus
de 1909, Article 640 et 2530. (3)
S. Ref. 1909, Article 771. (4)
IDEM, Article 2532. (5)
Statuts refondus de 1909, Article 2532. (6)
Depuis 1895, six ministres ont occupé la position de Secrétaire de la province
: M. L.-P. Pelletier, Hacket, Robidoux, Robitaille, Roy, Décarie. (7)
Bill de l'Assemblée législative no 3, 1898. Article 482. (8)
Pour comprendre parfaitement cet extrait du bill, il est bon de se rappeler que
les ministres du culte protestant possédaient comme les membres des communautés
catholiques le privilège de l'équivalence. Bill no 3, article 81. (9)
Bill de l'Assemblée législative no 3, 1898, article 33-5. (10)
Statut - Geo. V chap. 20, p. 64 - 1910. (11)
Pour la loi : MM. Allard, Béland, Bickerdike, Bissonnette, Blanchard, Bourbonnais,
Cardin, Champagne, Chauret, Chênevert, Cherrier, Décarie, Déchêne, de Grosbois,
Delaney, Dessaulles, Doris, Duffy, Garneau, Girouard, Gosselin, Gouin, Hunt, Lacombe,
Laliberté, Lalonde, Major, Marchand, McCorkill, Olivier, Parent, Petit, Pineault,
Robidoux, Robitaille, Rocheleau, Roy, Stephen, Talbot, Tessier (Rimouski), Turgeon,
Watts, Weïr. - 64. Contre
: MM. Atwater, Ball, Bédard, Bouffard, Chicoyne, D'Auteuil, Dufresne, Duplessis,
Flynn, Girard, Grenier, Hackett, Leblanc, McDonald, Marion, Nantel, Panneton,
Pelletier, Tellier. - 19. (12) Bill de
l'Assemblée législative no 9 sec. 548 - 1899. (13)
Discours de M. Th. Chapais sur la loi de l'instruction publique 1899, p. 11. (14)
Le Canada. Les deux races, Paris, 1906, p. 91. (15)
Je n'ai pas le texte de la dépêche sous les yeux, dit l'écrivain de l'article,
mais j'en garantie l'exactitude substantielle. Si l'on veut la contester il sera
facile de retrouver le texte même qui me fut communiqué de la part du Secrétaire
d'État pour le faire parvenir à la connaissance d'un prélat canadien avec lequel
on me savait en intimes relations. Source
: Pierre (Montarville) Boucher de La Bruère, Le Conseil de l'Instruction publique
et le Comité catholique, Montréal, Le Devoir, 1918, 270p., pp. 185-212. ©
2000 Claude Bélanger, Marianopolis College |