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Last revised:
23 August 2000


Tentative de créer un Ministère de l'Instruction publique / Attempt to create a Ministry of Education, 1897-1898

Réponse de Marchand à la lettre des archevêques du Québec.

CABINET DU PREMIER MINISTRE
Province de Québec.

Québec, 8 janvier 1898

MESSEIGNEURS,

J'accuse réception de la lettre que Vos Grandeurs m'ont fait l'honneur de m'adresser, le 5 du courant, au sujet du projet de loi sur l'Instruction Publique, actuellement soumis à la Législature.

Je me souviens de l'entretien que deux de mes collègues et moi-même nous avons eu avec Vos Grandeurs, à l'époque de la réunion du Conseil de l'Instruction Publique, en septembre dernier, au sujet de cette mesure que nous projetions, et je croyais vous en avoir défini la portée et indiqué les points sur lesquels nous prétendions faire quelques modifications à la loi existante.

Je me rappelle aussi vous avoir promis de vous communiquer ce projet de loi, dès que je serais en mesure de le faire. J'ai cru m'être rendu à cette promesse en m'empressant le jour même - 13 décembre dernier - où le bill nous fut livré par les imprimeurs, de vous en faire expédier des copies, et j'ai retardé de neuf jours sa prise en considération par la Chambre afin que vous eussiez, ainsi que la députation, le temps d'en faire l'étude en détail. La seconde lecture n'a eu lieu que le 5 janvier courant devant l'Assemblée législative, de sorte que Vos Grandeurs ont dû avoir en main ce projet de loi pendant trois semaines avant sa seconde lecture, ce qui démontre, je crois, que nous n'avons pas mis à son adoption un empressement inusité.

J'avais l'espoir que, durant cet intervalle, Vos Grandeurs auraient amplement le temps de faire une étude complète de la mesure, étude d'autant plus facile qu'elle n'est, pour la plus grande partie, qu'une reproduction textuelle du projet de refonte des lois scolaires, formulé sous la direction d'un comité du Conseil de l'Instruction Publique et adopté par résolutions du comité catholique et du comité protestant de ce Conseil.

Le point essentiel de différence entre cette mesure et le projet de refonte en question, est celui de la substitution d'un ministre au surintendant de l'Instruction Publique. C'est ce changement qui inspire à Vos Grandeurs les inquiétudes qu'elles manifestent, et qui leur fait craindre un conflit entre le comité catholique et le gouvernement.

J'avais crû éviter tout danger à cet égard, en conservant à ce comité la direction pleine et entière de l'enseignement, et en ne donnant au Ministre que des fonctions purement administratives qui n'entravaient aucunement cette direction. C'était, dans mon humble opinion, le moyen de contenir dans de justes limites le mouvement populaire qui s'est produit récemment à l'égard de l'enseignement dans nos écoles primaires, tout en conservant au Conseil de l'Instruction Publique l'autorité qui lui appartient. C'était assurer, par conséquent, d'une part, l'apaisement populaire, et, d'autre part, pour la cause de l'éducation, la garantie d'une sécurité complète. Cette garantie était d'autant plus assurée que loin d'être un adversaire du Conseil de l'Instruction Publique, hostile à tous ses projets et prêt à entraver son action salutaire, le Ministre eût été un auxiliaire effectif, et forcé, par la responsabilité de sa position, à donner effet à la direction de l'enseignement imprimée par le Conseil. L'impression contraire exprimée par Vos Grandeurs m'afflige infiniment et me désappointe d'autant plus qu'elle met en doute la sincérité de mes intentions et qu'elle me place dans la désolante alternative de contrarier des opinions que je respecte infiniment, ou de soulever, par l'abandon de cette mesure, au lieu de l'apaisement qu'elle était destinée à produire, un désordre dont, dans mon âme et conscience, je ne puis assumer la responsabilité.

J'ose espérer que vous me pardonnerez si, à propos d'une question aussi grave, je prends la liberté de m'exprimer en toute franchise, et que vous voudrez bien croire que je conserve à l'égard de Vos Grandeurs le profond respect qui leur est dû.

Agréez, Messeigneurs, l'expression de mon plus entier dévouement.

à Messeigneurs : J.T. Duhamel, Archev. d'Ottawa,

L.N. Bégin, Archev. de Cyrène,

Paul Bruchési, Archev. de Montréal.

(signé) MARCHAND

Source: Louis-Philippe Audet, « Le projet de ministère de l'instruction publique en 1897 », dans Mémoires de la société royale du Canada, Vol. 1, quatrième série, juin 1963, pp. 133-161, pp. 156-157.

© 2000 Claude Bélanger, Marianopolis College