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revised: 23 August 2000 | Tentative
de créer un Ministère de l'Instruction publique / Attempt to create a Ministry
of Education, 1897-1898
Discours
de J.-E. Robidoux lors de la présentation du projet de loi créant le Ministère
de l'Instruction publique [21 décembre 1897] [Note
de l'éditeur : Joseph-Emery Robidoux [1843-1929]
fut professeur de droit à l'université McGill de 1877 à 1890. Associé étroitement
à l'aile « radicale » du Parti libéral, marquée particulièrement par le désir
de réformer le système de l'éducation, adversaire acharné des ultramontains et
du Conseil législatif, Robidoux fut de plusieurs batailles pour promouvoir la
liberté et le progrès. C'est à ce titre qu'il sera fait Chevalier de la Légion
d'honneur de la France républicaine en 1908. Robidoux avait aussi été nommé Officier
de l'instruction publique de France. Au moment où le discours qui suit fut prononcé,
Robidoux était le Secrétaire de la province, et donc chargé du dossier de l'éducation.
Il y a peu de doute que, si le Ministère de l'Instruction publique avait été créé,
en 1897, Robidoux aurait été nommé Ministre de l'éducation.] Mais,
M. l'Orateur, si nous voulons apporter des modifications à notre loi de l'instruction
publique, qu'on le sache bien dès maintenant, nous n'entendons pas créer de révolution.
Que ceux pour qui le titre de libéral, que nous portons avec fierté, a été de
tout temps un titre suspect et qui ont cru que nous voulions tout bouleverser
et tout détruire, que ceux là se détrompent. Nous garderons les Crucifix aux murs
de nos écoles. Nous voulons modifier notre loi de l'instruction publique, mais
nous n'entendons pas toucher à celle [sic] de ces dispositions qui sont une sauvegarde
pour la foi et les moeurs. Nous voulons que plus d'enfants sachent lire, nous
voulons que la jeunesse soit mieux instruite; mais nous sommes de ceux qui croient
que Dieu doit être présent partout dans l'enseignement; et qu'avant de songer
à développer les facultés de l'intelligence et les forces physiques, il faut inculquer
aux enfants l'amour de la vertu; donner de la droiture à leur volonté et leur
apprendre à regarder en haut avant de les inviter à baisser leurs regards sur
les livres. Nous ne nous
flattons pas toutefois d'avoir, d'avance, désarmer [sic] la critique, et nous
ne nous attendons pas à une approbation unanime. Les uns nous combattrons [sic]
parce que nous n'allons pas assez loin, les autres nous combattrons [sic] simplement
parce que nous voulons avancer. Je
me hâte de déclarer que les droits de ceux de nos compatriotes qui ne professent
pas la religion de la majorité, trouveront que dans la législation nouvelle, tous
les droits dont ils jouissaient sous l'ancienne loi ont été scrupuleusement conservés,
et que rien ne s'y trouve qui puisse susciter ici, les conflits et les misères
que l'on a déplorés dans d'autres provinces. Nous estimons, nous qui formons la
majorité, que c'est manquer de religion que de ne pas respecter la religion des
autres. A nos adversaires
politiques, je tiens à donner cette assurance que dans notre travail, nous avons
recherché consciencieusement et sincèrement le bien de ceux que la confiance populaire
nous a donné mission de gouverner, et que nous n'avons été animé d'aucun autre
désir. Je me plais aussi
à déclarer que la question qui est maintenant soumise à nos méditations, est une
question trop vitale et trop sacrée pour qu'il me soit permis de supposer que,
de leur côté, nos adversaires ne la traiteront pas dans les dispositions d'esprit
que nous y apportons nous-mêmes. Monsieur
l'Orateur, comme l'économie et les dispositions de notre loi de l'instruction
publique sont dans la mémoire de tous les députés j'abandonnerai le projet que
j'avais formé d'abord d'en faire l'analyse devant vous; et je me contenterai d'exposer
les modifications de l'ancienne loi que contient la législation nouvelle, avec
les motifs qui les ont inspirés. La
première de ces modifications consiste dans la substitution d'un ministre de l'instruction
publique à un surintendant. Je ne me flatte pas d'avoir sur ce point l'assentiment
du chef de l'opposition; car au cours d'un discours qu'il fit à la chambre pendant
la session dernière, il déclarait ne rien vouloir changer à notre loi, et qu'il
acceptait le fait accompli. De peur de rendre imparfaitement sa pensée, je cite
ses propres paroles : « Devons-nous, M. l'Orateur, toucher au principe même de
notre éducation ? Nous ne touchons pas au principe de notre éducation, et nous
n'y touchons pas parce que nous croyons que ce principe est bon. Notre mission
n'est pas de briser et de détruire, notre mission est d'édifier. Mais, acceptant
ce système comme bon en lui-même, nous voulons l'aider, nous voulons le favoriser,
nous voulons le perfectionner. Voilà notre but véritable. Dans notre marche vers
ce but, M. l'Orateur, nous rencontrons trois opinions. L'une dit que tout est
bien, que tout est bon, et qu'il n'y a rien à faire; l'autre prétend que tout
est mal et qu'il n'y a de remède possible que dans l'abolition du système actuel.
Entre ces deux opinions diamétralement opposées, se place la troisième qui accepte
le fait accompli, mais qui reconnaît la nécessité de suppléer à ce qui manque
et qui demande un plus grand développement et une plus grande perfection. Acceptons
cette dernière comme plus près de la vérité ». Quant
à nous, nous croyons qu'il vaut mieux que le département de l'instruction ait
un ministre pour chef. Pourquoi, me demandera-t-on,
remplacer le surintendant par un ministre ? Avant
de répondre à cette question, laissez-moi regarder en arrière et rappeler un état
de choses qui a existé de 1867 jusqu'à 1875. Depuis
1867 à 1875, le département de l'instruction a été sous la direction d'un ministre. Ce
fut le 15 juillet 1867 que fut nommé le premier ministre de l'instruction publique.
Il fut nommé par un arrêté en conseil dont faisait alors partie l'hon. M.
Chauveau, l'hon. M. Ouimet et l'hon. M. de Boucherville. L'hon. M. Chauveau en
était le premier ministre. Dans cet arrêté en conseil, il était déclaré : « Qu'à
cause de l'importance relative du département de l'éducation de cette province,
il est à propos que le dit département (le département de l'instruction publique)
soit représenté dans l'Exécutif par un ministre du dit conseil portant le titre
de ministre de l'instruction publique ». Le
premier titulaire appelé au poste de ministre de l'instruction publique fut l'honorable
M. Chauveau, qui eut pour successeur, en 1873, l'honorable M. Ouimet qui était
alors en même temps premier ministre. En 1874, l'hon. M. DeBoucherville fut appelé
à former un nouveau ministère, et il garda pour lui la charge de ministre de l'Instruction
publique. De ceux qui formaient parti de la députation, en 1868, lorsque fut créé,
par une loi, le ministère de l'Instruction publique, je ne retrouve plus dans
la chambre que le premier ministre d'aujourd'hui. Mais je retrouve encore au Conseil,
l'hon. M. DeBoucherville, l'hon. M. Ouimet et l'hon. M. Ross qui était député
en 1868. L'hon. M. Wood qui y siège maintenant, y siégeait déjà. La
loi de 1868 n'a rencontré aucune opposition, ni à la Chambre ni au Conseil. J'ajouterai
qu'elle n'a rencontré aucune opposition que je sache, du moins, en dehors de la
législature. Vous me
permettrez, M. l'Orateur, de rappeler ici un autre souvenir qui se rattache à
la loi de 1868. Il en avait été fait mention dans le discours du trône lors de
l'ouverture de la session. Celui qui proposa alors l'adresse en réponse au discours
du trône était alors un tout jeune homme et il élevait la voix pour la première
fois devant la députation; mais sa réputation d'orateur était répandue dans tout
le pays. Nous l'appellions alors nous, ses contemporains, tout simplement Chapleau.
Il s'appelle aujourd'hui sir Adolphe, et c'est le lieutenant-gouverneur de la
province de Québec. N'en
voilà-t-il pas assez, monsieur l'Orateur, pour me permettre de tirer ici une première
conclusion, à savoir, que cette loi ne doit pas être une loi subversive de l'ordre.
Puisqu'elle a eu l'approbation de nos amis, et celle d'hommes que nos adversaires
citent comme les appuis incontestés des bons principes et des saines doctrines. Dès
1868, la province d'Ontario adoptait aussi une loi par laquelle on créait un ministère
de l'instruction publique. Cette loi avait été préconisée par les derniers surintendants
de l'instruction publique d'Ontario, le Dr Ryerson qui, dans la lettre par laquelle
il se démettait de ses fonctions, déclarait que le plus sûr moyen de faire progresser
l'instruction était de la mettre sous la direction d'un ministre. Pourquoi,
je le demande de nouveau, faut-il que le département de l'instruction publique
soit dirigé par un ministre plutôt que par un surintendant ? Pour plus d'une raison. C'est
au gouvernement qu'il appartient de créer l'avenir d'une nation. C'est à lui qu'il
incombe d'étudier les avantages naturels qu'offre le pays, d'y choisir les sources
les plus fécondes d'enrichissement, puis d'en préparer l'exploitation. En
même temps le gouvernement doit étudier les aptitudes particulières du peuple,
et harmoniser le développement de ces aptitudes avec le but à atteindre. Le développement
de ces aptitudes fournira le moyen d'atteindre le but. Si le gouvernement est
chargé de la fin, il doit pouvoir disposer des moyens. Or, c'est par l'instruction
que ces aptitudes se développeront. Pour que l'instruction soit sagement divisée,
n'est-il pas sage de laisser à l'exécutif la tâche d'interpréter et de faire exécuter
les lois de l'instruction publique qui émanent du gouvernement lui-même. Un
des reproches qu'on a fait jusqu'ici à notre peuple, c'est son apathie pour l'instruction,
et ce reproche est malheureusement trop bien fondé. Le peuple s'en occupera davantage
et nécessairement, s'il se trouve dans la chambre, un ministre de l'Instruction
publique, et si les questions s'y rattachant font l'objet des délibérations de
la législature. Chaque année, la législature passe des jours et des jours à faire
et à amender des lois d'intérêt bien inférieur à celui qu'offre l'Instruction
publique. Qu'un ministre soit responsable aux chambres de la direction de l'Instruction
publique, et les questions qui s'y rattachent, provoqueront devant la chambre
des débats qui captiveront l'attention publique et qui feront disparaître l'apathie. Il
existe une troisième raison qui mélite [sic] en faveur de la création d'un ministère
de l'instruction publique, et cette raison n'est que le corolaire [sic] du principe
de la responsabilité aux chambres. Le surintendant a tous les pouvoirs d'un ministre.
Tout ce que nous faisons, en remplaçant le surintendant par un ministre, c'est
de remplacer un ministre irresponsable par un ministre responsable. Il y a là
tout à gagner. Du reste, les pouvoirs du ministre ne seront autres que ceux qui
sont maintenant possédés par le surintendant. Le
conseil de l'instruction publique*, M. l'Orateur, continuera d'exister avec toute
l'autorité qu'il a eue jusqu'à ce jour, et ceci constitue une garantie qui devrait
rassurer les plus timorés. [*Note
de l'éditeur : En théorie le véritable
maître de l'éducation au Québec, le Conseil de l'Instruction publique était, en
pratique, formé de deux comités : le Comité catholique, composé de tous les évêques
de la province de Québec et d'un nombre égal de laïques catholiques nommés à cette
fonction, et le Comité protestant, dont les membres était nommés en nombre tel
qu'ils constituaient le tiers du Conseil de l'Instruction publique bien que la
proportion des protestants dans la province fut inférieure à 10% de la population.
En réalité, non seulement, entre 1875 et 1897, le gouvernement avait-il abdiqué
ses responsabilités en éducation à l'avantage du Conseil de l'instruction publique,
mais celui-ci avait aussi abandonné la gestion de l'éducation à chacun des Comités
qui jouissaient donc d'une large autonomie en cette matière. Voilà pourquoi le
Conseil plénier ne se réuniera qu'à quelques occasions. Cette situation restera
sensiblement la même jusqu'en 1964, alors que le Ministère de l'éducation du Québec
sera créé.] Source: Originellement
donné dans Le Soleil, quotidien libéral de Québec, le 22 décembre 1897,
le texte fut reproduit par Louis-Philippe Audet, « Le projet de ministère de l'instruction
publique en 1897 », dans Mémoires de la société royale du Canada, Vol.
1, quatrième série, juin 1963, pp. 133-161, pp. 147-150. ©
2000 Claude Bélanger, Marianopolis College |