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Documents in Quebec History

 

Last revised:
20 August 2001


Documents sur la grève de l’amiante de 1949 / Documents on the 1949 Asbestos Strike

En marge de La grève de l’amiante [1949] : Une recherche récente sur les faits d'une grève

L’OUVRAGE intitulé la Grève de l'amiante (publié en collaboration, sous la direction de Pierre Elliott Trudeau, aux éditions Cité libre, Montréal, 1956, 430 pp., 23 cm.) constitue le dossier le plus complet que nous ayons à l'heure actuelle sur « l'un des événements les plus considérables dans l'histoire sociale du Canada français » (Relations, numéro de juin 1949, publié avant la fin de la grève).

Il faut féliciter le groupe de Recherches sociales et son directeur, F. R. Scott, d'avoir eu l'idée initiale de ce travail en commun et d'avoir, par sa « fonction de carrefour et d'assistance » financière, conduit à terme sa publication; les recherches sociales sérieuses conduites en équipe sont assez rares chez nous -- on pourrait citer Notre milieu, enquête menée sous la direction d'Esdras Minville, et Essais sur le Québec contemporain, recueil préparé par les soins de Jean-Charles Falardeau -- pour que la réalisation n'en soit pas marquée du caillou blanc traditionnel. L'élaboration du dossier a rencontré des difficultés majeures tant dans l'invention des matériaux que dans la mise au point des perspectives : une lecture attentive le révèle rapidement; et n'est-ce pas à la persévérance méritoire d'un second directeur, Pierre Elliott Trudeau, qu'on doit l'agencement final des parties et la mise au jour de l'ensemble ?

1. Présentation d'ensemble

Le livre se présente maintenant ainsi : a) au début, un avant-propos de F. R. Scott explique la genèse et l'évolution de la recherche enreprise, et la part du groupe qu'il dirige; puis, une préface de Jean-Charles Falardeau dégage la portée du travail accompli, distingue les faits du sens qui leur est donné et qui reste discutable, circonscrit « les principaux ordres de problèmes soulevés »; b) à la fin, quatre appendices; une courte bibliographie sur le sujet, une description et des extraits du «  rapport Custos » , des commentaires en marge d'une décision judiciaire sur les brutalités policières et, en dernier lieu, un article déjà publié sur le procès Rocque; c) au centre, des monographies sur le conflit lui-même forment la substance du volume; bien ordonnées, précises, elles ont des mérites divers, certes, mais sont conduites avec rigueur. Les deux premières portent sur l'industrie de l'amiante, son histoire financière et celle de son syndicalisme ouvrier; deux autres, sur les faits relatifs à la grève elle-même : d'abord les événements d'Asbestos, puis les négociations; trois autres sur les relations de l'Église, de l'État et de la presse avec le conflit de l'amiante; enfin, une dernière sur la situation actuelle à Asbestos après six ans, à laquelle s'en est ajoutée une autre, sur le mouvement ouvrier en général, qui veut donner un sens à la grève et ouvre même des perspectives d'avenir.

Avant et après ces austères monographies, P. E. Trudeau a placé deux chapitres, le premier qui, sous le titre « La province de Québec au moment de la grève », brosse le tableau de notre histoire sociale depuis cinquante ans, l'autre, dernier du livre, intitulé « Épilogue », qui vise à dégager le sens profond du conflit de l'amiante et de la révolution industrielle en cours chez nous. Plus que tous les autres, ces derniers exposés feront parler, parce que, de par leur nature, ils devraient fournir la clé de l'interprétation.

Or, dans une recherche « qui est essentiellement un effort d'objectivation » (préface de J. C. Falardeau, p. XII), ils détonnent étrangement, d'abord par leur longueur mal proportionnée à l'ensemble (pp. 1-91, 379-404) et excessive en vue de leur fin propre, ensuite par leur ton caustique et leur allure de réquisitoire, enfin par leur pauvreté au point de vue de la méthode scientifique (simplification injuste des attitudes et méconnaissance, ou ignorance, de faits primordiaux). Encore s'il ne s'agissait que d'opinions politiques légitimes à exprimer et à justifier! P. E. Trudeau a plus d'un titre à y réussir : talent, courage, études poussées, expérience des rouages; on lui souhaiterait bonne chance! Ou s'il ne s'agissait que de crier son dégoût ou sa déception pour le milieu et le moment où chacun doit s'insérer, comme autrefois les Jeune-Canada: on sourirait, tout en applaudissant la juvénile volonté de reconstruction qui s'y manifeste. La surprise et le scandale viennent de ce que ces pages vident de sa signification essentielle un événement capital et douloureux de notre monde social et qu'elles présentent sous des couleurs fausses plus d'une réussite de notre récent passé. Les faits sont les faits; l'histoire, même sociale, est une discipline exigeante où l'idéalisme, les bonnes intentions et l'esprit de fronde ne constituent pas des arguments.

Aussi, devant cette situation, une appréciation intégrale de la Grève de l'amiante doit comporter trois parties: les faits tels que les racontent les monographies; le sens de l'événement, tel qu'exposé surtout par Trudeau et Boisvert; le procès de notre pensée sociale, tel que conduit par Trudeau.

2. Les monographies

L'intérêt majeur et la saveur piquante du volume ne viennent peut-être pas des monographies centrales; mais sa valeur documentaire y prend sa source, pas toujours pure d'ailleurs.

Ainsi l' « Histoire financière de l'industrie de l'amiante », de Jean Gérin-Lajoie (et de Fernand Dansereau, voir note p. 95) livre un bon travail de « vulgarisation » (p. 96), mais sur lequel les auteurs ne se font pas illusion, puisqu'ils avouent honnêtement (p. 117) : « Nous savons peu de chose au sujet de la plupart des entreprises concernées. En fait, l'Asbestos Corporation est la seule qui publie des chiffres suffisamment complets, et encore est-il difficile de la considérer comme typique des autres compagnies. » Dès lors, même s'il y a intérêt pour nous et mérite pour eux à suivre l'évolution de la petite à la grande industrie, les soubresauts amenés par l'extrême instabilité de l'industrie (due aux crises économiques et à la concurrence serrée, amenant variation brusque des prix, fluctuation des marchés et irrégularité de la production), l'étroitesse de la base sur laquelle s'appuient ces considérations nous empêche de savoir -- elle nous permet tout au plus de deviner -- quelle était la situation réelle des antagonistes en 1949, surtout quand nous n'y apprenons rien sur le « géant de l'amiante », la Canadian Johns Manville, protagoniste patronal des négociations et de la grève. Dossier en main, la vraie histoire financière est à refaire.

Pour son « Histoire du syndicalisme dans l'industrie de l'amiante », Fernand Dumont bénéficiait d'une documentation abondante, écrite et orale, mise à sa disposition par les autorités syndicales (voir p. 124, note); il en a tiré un récit ordonné, sincère et vivant. Son mérite consiste à avoir mis deux points en relief sur le plan des relations du travail : le recours désordonné à l'action directe devenu traditionnel chez les mineurs d'amiante et considéré d'après les résultats comme une condition de réussite, puis la collusion des différentes compagnies avec les gouvernements, fédéral ou provincial, suivant l'occasion, dans leur opposition au syndicalisme.

Malheureusement, l'attrait du pittoresque et la tendance à exploiter des sources faciles et neuves ont écarté le rédacteur des tâches essentielles. Comment justifier l'importance démesurée accordée à l'histoire du syndicat d'East-Broughton, qui n'a pas participé à la grève et qui n'a jamais eu une influence décisive sur le comportement de la Fédération; si ce n'est au point de vue de l'hygiène industrielle, point de vue qui n'est pas traité ? La description des origines, avec son luxe piquant de détails, peut être agréable; elle n'était ni nécessaire, ni utile à l'intelligence de la grève de 1949; elle semble avoir pris la place d'autre chose qui était indispensable : l'explication de la transformation intérieure du syndicalisme dans l'amiante, de 1942 à 1949, et la position des vrais problèmes au sein même de l'organisation ouvrière.

Car, enfin, il faudrait qu'on nous dise comment un syndicalisme dont les premiers cheminements ont été marqués d'interventions cléricales qui paraissent étranges et autoritaires, dégagées du contexte historique et psychologique, comment ce syndicalisme est arrivé à maturité (modification de l'esprit et du comportement, adaptation des structures), sous l'influence de quels événements et de quelles personnalités? Tel était le sujet à traiter. La section du chapitre qui couvre la période capitale de 1942 à 1949 ne parle que des relations du travail, activité normale des syndicats, certes, et ne dit rien sur la source qui est sa vie intérieure. Il y a bien une allusion (p. 155) à « la crise intérieure » du syndicalisme à Thetford, mais c'est tout. Il y a bien aussi (p. 151) l'affirmation, que j'appellerais aérolithique, tant elle semble tomber du ciel et imposée au contexte : « Fait très-important aussi : durant les quinze dernières années, les syndiqués de la région de l'amiante ont pu compter sur la collaboration étroite et l'appui éclairé de leurs aumôniers. »

Évidemment, l'exercice des influences profondes et la solution des crises morales ne sont pas consignées aux procès-verbaux. Je me rappelle avoir, à Asbestos en 1943, vu de près le dénouement heureux d'une crise grave; le secrétaire a dû n'en rien retenir par écrit, avec raison. Le professeur Dumont a trop fait confiance aux documents écrits; des interviews plus nombreuses et bien choisies auraient donné les clés de la situation.

Ainsi il est inconcevable que cette histoire du syndicalisme dans l'industrie de l'amiante ait été écrite sans qu'on mentionne même l'antagonisme entre comité de boutique et syndicat, alors qu'à Asbestos du moins, c'est la présence et l'activité de ce comité qui, au début, étouffait et, plus tard, gênait la vie authentique du syndicat, et que la grève a été déclenchée dans un désir explosif de se libérer définitivement des attitudes et méthodes de la compagnie centrées autour de ce comité de boutique.

Enfin; il faut déplorer que Fernand Dumont n'ait pas poussé jusqu'à terme, jusqu'aux négociations de 1949, son excellente étude des relations du travail; la description de la période omise (après novembre 1947, Asbestos; après avril 1948, Thetford), attribuée à un autre chapitre (mais qui n'a pas été faite, sans doute par un manque de coordination), lui aurait permis de donner l'atmosphère syndicale de cette année cruciale; sa page de conclusion (p. 162), dense et lucide, qu'il appelle à tort « excursus final », laisse deviner qu'il comprenait l'importance du moment et l'aurait franchement exprimée. Nous y avons perdu.

L' « Histoire de la grève à Asbestos » nous amène aux faits de la grève elle-même. Après avoir dit pourquoi il « se concentre sur la narration du récit de la grève à Asbestos », Gilles Beausoleil fait de la grève au jour le jour un tableau où l'exactitude de la description le dispute à l'art de la composition vivante; les événements y sont groupés de façon à en montrer à la fois le mouvement logique interne et l'insertion dans le cadre général des autres forces en jeu : patrons, gouvernement, autorités religieuses, opinion publique, presse, briseurs de grève. La seule omission d'importance consiste à n'avoir pas signalé la réunion quotidienne des grévistes à l'église Saint-Aimé, pour réciter le chapelet avec leur aumônier, l'abbé Camirand.

La conclusion sur l'enjeu de la grève développe une explication du drame, la plus sérieuse qui soit présentée dans le volume. Après avoir décrit, sans l'expliquer lui non plus, « la transformation de l'action ouvrière, facteur dynamique de prime importance dans le conflit », puis analysé les raisons qui ont amené la Canadian Johns Manville à sa politique de résistance, Beausoleil élimine les hypothèses de grève économique, politique, révolutionnaire, pour ne retenir que celle-ci qui donne le sens profond de la grève: « test de puissance », « lutte de pouvoir », dont l'enjeu aurait été « la transformation radicale du système de relations sociales à l'intérieur de l'entreprise ».

Hypothèse juste en général, bien qu'il faille davantage préciser; mais l'hypothèse qui s'y ajoute dans le court paragraphe final: « la grève de l'amiante fut aussi une grève de reconnaissance syndicale à l'intérieur de la communauté canadienne-française », est moins solide et appelle une mise au point qui sera faite au cours de la deuxième partie de ce travail.

L' « Histoire des négociations », rédigée en collaboration, forme un dossier capital, patiemment recueilli et mis en oeuvre avec objectivité, sans aucun doute par des gens qui ont vécu activement le drame. Les historiens de l'avenir devront, pour comprendre, scruter ce chapitre qui justifie déjà la recherche entreprise, parce que miroir fidèle: les éléments du véritable jugement sont tous là.

« L'Église et le conflit de l'amiante », de l'abbé Gérard Dion, constitue une pierre d'angle du volume; c'est normal, quand on sait « jusqu'à quel point l'Église est intégrée dans notre contexte social » (p. 262) et qu'on reconnaît « inestimable » (p. 253), avec la Fédération de l'Industrie minière, le rôle de l'Église au cours de la grève. Le chapitre expose d'abord les faits, puis développe les causes et les conséquences de l'intervention de l'Église. Sur ces deux derniers points, le texte se révèle sobre, exact, ferme et définitif quant à l'essentiel; l'auteur était admirablement placé pour savoir. A propos des faits, on peut regretter trois choses: 1o que le directeur de l'équipe de collaboration n'ait pas permis à l'abbé Dion d'exprimer ses vues sur l'insertion de l'événement dans notre monde social (elles en valaient bien d'autres, pour sûr, et n'auraient pas pris autant de place); 2o que l'abbé lui-même ait cru plus délicat de taire l'existence, ou d'attribuer à l'Ensign, cité dans une note (p. 255), la vague affirmation de certains faits, comme les pressions intimidantes exercées sur Mgr Leclaire, président de la Commission sacerdotale d'Études sociales, par plusieurs membres du cabinet provincial au cours d'une célèbre entrevue, comme la démarche infructueuse de trois ministres provinciaux auprès du délégué apostolique pour lui faire désavouer l'attitude du clergé québécois; 3° enfin, qu'il ait oublié de mentionner le décisif article de la Civiltà Cattolica (3 décembre 1949), qu'on peut considérer à bon droit comme une réponse officieuse du Saint-Siège aux appels venus de Québec. Dans le contexte du chapitre préliminaire, dont n'avait pas pris connaissance le seul collaborateur ecclésiastique du groupe et où « l'absence intellectuelle » de l'Église était affirmée avec tant de force, il s'imposait de montrer le courage, héroïque souvent, et la cohésion réfléchie des responsables hiérarchiques, une fois que notre Église avait décidé de jeter dans la balance, en faveur des travailleurs de l'amiante, le poids de sa sympathie, de son prestige et de sa puissance d'organisation.

Avec « La grève dans nos cadres juridiques », de Charles-A. Lussier, voici la « partie parfaite », comme à la balle-au-camp. Un travail étonnamment lucide, écrit sans bavure, où la finesse impitoyable du jeune maure se joue non pas de, mais dans l'illégalité. Son étude minutieuse établit, en effet, que là où les employeurs ont commencé, les ouvriers ont continué, la Commission des Relations ouvrières et le ministre provincial du Travail ont terminé la série des gestes entachés d'illégalité. La différence vient de ce que les fautes « de la compagnie et des syndiqués apparaîtront comme la violation d'une loi, celles de la commission et du ministre, comme la négation du droit ». Un modèle de démonstration présentée avec un sourire, semble-t-il.

L'étude de Gérard Pelletier sur « La grève et la presse », sauf les « enseignements inédits » assez brumeux et équivoques de la conclusion, présente un extrême intérêt; elle met en relief la nécessité où chaque foyer d'opinion se trouva de prendre position et les antagonismes profonds qui s'exprimèrent alors. L'ancien journaliste du Devoir pouvait en connaissance de cause parler du « rôle capital » joué par l'organe « nationaliste », puisqu'il en fut l'instrument habile et zélé; il est le seul à donner justice au réquisitoire de Burton Le Doux sur l'amiantose, en le reconnaissant comme un « facteur de toute première importance ». Sa classification de la presse quotidienne est heureuse; il résume avec netteté les positions du Devoir, avec humour et indignation celle des journaux politiques, avec un ton aigre-doux celle des journaux catholiques, enfin avec pittoresque, mais confusion dans l'ensemble, celle des journaux d'information. On eût souhaité une analyse plus complète de la « presse d'Église », étendue aux hebdomadaires diocésains et aux revues d'inspiration religieuse, pour faire ressortir l'unanimité populaire d'adhésion, cet « état de grâce » dont parle l'auteur, de même qu'un dépouillement de la presse non québécoise la plus influente, pour mieux nous comprendre à travers le jugement des autres. Le travail, déjà considérable et bien amorcé, serait à prolonger.

Dans « Six ans après », Maurice Sauvé aborde les conséquences de la grève, dont il dresse avec rigueur et précision le bilan économique et financier à Asbestos. D'abord, quelle est la situation actuelle par rapport aux revendications de 1948, comment se sont réglés les griefs issus de la grève, comment se comportent syndicat et compagnie? Puis, quelle est la position du syndicat (esprit, effectifs, finances) ? Enfin, quelles conséquences économiques pèsent sur l'ouvrier qui a fait la grève (pertes et gains de salaire, dettes des membres envers le syndicat et la Caisse populaire) ? Étude solide, qui n'est pas exploitée à sa valeur à cause de la présentation un peu touffue et de la rédaction hâtive, mais combien révélatrice des répercussions concrètes, matérielles et psychologiques, d'un traumatisme social comme la grève!

Avec le chapitre de Réginald Boisvert sur « La grève et le mouvement ouvrier », nous entrons dans des considérations plus élevées et des résultats à longue portée qui engagent le sens profond de la grève de l'amiante, sujet de la deuxième partie de cette appréciation.

Source : article de Jacques Cousineau publié originellement dans la revue Relations, No 191, novembre 1956, pp. 315-317. Il fut reproduit dans Réflexions en marge de « La grève de l’amiante ». Contribution critique à une recherche, Les Cahiers de l’Institut national populaire, No 4, septembre 1958, 80p., pp. 5-12. Je remercie la direction de la revue Relations qui a accepté que cet article soit reproduit au site d’histoire du Québec.

© 2001 Pour l’édition sur la Toile Claude Bélanger, Marianopolis College