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Documents in Quebec History

 

Last revised:
20 August 2001


Documents sur la grève de l’amiante de 1949 / Documents on the 1949 Asbestos Strike

Pierre-Elliott Trudeau et La Grève de l'Amiante
(première partie)

Réflexions préliminaires

Le temps passe et il s'est déjà écoulé un an depuis la publication de La Grève de l'Amiante. Il reste cependant nécessaire qu'un groupe comme celui de L'Action nationale revienne -- n'ayant pu le faire avant à cause de circonstances diverses -- sur l'introduction et l'épilogue qu'y donne Pierre-Elliott Trudeau. N'était-ce pas en effet le procès des positions mêmes de L'Action nationale qu'il y faisait ? De L'Action nationale actuelle, et surtout de tous ceux qui y ont appartenu et qui ont lutté, depuis vingt-cinq ans pour un renouveau politique et social (quoi qu'on en dise) au Canada français ?

Ce n'est cependant pas mon intention d'entreprendre une défense passionnée de nos positions actuelles, ou de celles de nos devanciers. Sans doute, l'Introduction à la Grève de l'Amiante a-t-elle été saluée, par les adeptes de la Nouvelle École, (1) comme un coup de grâce porté aux positions nationalistes. Mais, à mon avis, ce n'est pas une défense qu'elle nous impose, mais simplement une mise au point.

Cette mise au point est nécessaire parce que la jeunesse pourrait facilement, est effectivement induite en erreur par le ton d'apparente objectivité d'études comme celle de Trudeau. Et elle exige davantage une analyse objective des prétentions sociologiques et politiques de ce dernier, en vue précisément de mesurer l'objectivité même dont il se réclame dans ses démonstrations. C'est dans une telle entreprise que je veux m'engager, en exprimant très librement, comme toujours, mes observations personnelles, et sans prétendre parler, en tout et pour tout, au nom de la Ligue d'action nationale.

Les abcès doivent aboutir et crever!

Cela dit, plusieurs seront sans doute surpris que je débute par une expression de satisfaction que ce « manifeste » ait été écrit ! Satisfaction toute relative, sans doute ! Comment, en effet, ne pas préférer, quand on est convaincu de la valeur de ses positions ou idées, voir les autres les partager et les défendre ? Comment ne pas préférer l'union des bonnes volontés pour la défense d'une sainte cause, à l'opposition systématique d'un groupe adverse qui prétend détruire tout ce que les devanciers ont édifié avant eux, quoique ceux-ci fussent animés de la même volonté d’aboutir à de grandes réalisations ?

Mais d'un autre côté, tout esprit réaliste doit admettre que l'unanimité n'est ni possible, ni même toujours avantageuse pour le succès des grandes causes. Bien au contraire parfois ! Des oppositionnistes de valeur sont une nécessité humaine pour empêcher des déviations néfastes aux meilleures doctrines. Et s'il y a sans doute là des questions de degré, il reste qu'une fois un abcès formé quelque part dans le corps social, toute attitude qui équivaut à en nier l'existence est vaine. Le parti sage est alors de prendre les choses comme elles sont, de désirer l'aboutissement du processus et de se montrer disposé à assumer les risques des interventions chirurgicales nécessaires, en ayant bien soin de s'y préparer pour qu'elles réussissent.

Depuis quelques années, les points de vue dont Trudeau s'est fiait le héraut circulent librement dans les milieux les plus variés. Ils se sont manifestés partout, à l'occasion d'articles sur des sujets divers et particuliers, notamment dans Cité Libre, mais aussi dans plusieurs autres périodiques, y compris même l'Action nationale dans une certaine mesure. La radio et la télévision les ont répandus dans le grand public par de nombreux commentaires, nouvelles, carrefours, chocs d'idées, idées en marche ou prises de bec ! Des conversations particulières ou discussions de groupe, aussi bien que des interventions publiques dans des réunions comme celles de Sainte-Adèle, s'en sont nourris.

Dans la plupart sinon tous ces cas, il était en fait difficile d'amorcer ce qu'on aime à appeler, depuis quelques années, un dialogue. Au cours de discussions particulières directes ou à propos d'un article de détail, chacun ne présente qu'une partie de son attitude; et généralement forcée par les exigences mêmes du genre. Devant la réplique de l'interlocuteur, chacun se ravise s'il s'aperçoit qu'il a été trop loin, et s'évade en affirmant, à tort ou à raison, avoir été mal compris. Tout reste ainsi dans l'imprécis et le vague. Un écrit de synthèse, accepté par tous les intéressés comme la véritable expression de leur pensée, fixe donc les idées d'une façon utile et fournit la matière pour une analyse vraiment sérieuse.

Nécessité d'une prise de conscience

Une telle analyse s'impose d'ailleurs pour d'autres raisons que la simple mise au point dont nous avons déjà parlé. Si l'École qui défend actuellement les positions exposées comme des faits dans la contribution de Trudeau à la Grève de l'Amiante, n'est pas fondamentalement si nouvelle qu'elle le croit, les circonstances historiques dans lesquelles elle travaille la favorise plus que ce ne fut le cas pour les autres tentatives analogues du passé. Ses chances de transformer son point de vue minoritaire en une philosophie fondamentale de la vie nationale sont accrues, avec ce que cela comporte d'enrichissement (dans ses aspects valables pour un dynamisme traditionnel), mais aussi de désintégration ou de démolitions inutiles dans ses attitudes volontairement iconoclastes. Bien des signes, en effet, indiquent que le Canada français passe par une période de transition; et dans des conditions qui peuvent aboutir à une sorte de Renaissance (au sens purement historique et non pas nécessairement étymologique du mot [2]).

Tous les observateurs sérieux de la civilisation canadienne-française ont été à peu près d'accord pour lui attribuer cette caractéristique en quelque sorte unique d'être une dérivation de l'une des grandes civilisations européennes qui a en grande partie échappé aux influences de la Renaissance. Nous devons cette situation au caractère simple de société de colonisation à ses débuts qui nous a marqués sous le régime français; à la conquête britannique de 1760 qui nous a coupés de nos origines et fait perdre une forte partie de notre élite laïque bourgeoise; à notre attitude de résistance contre l'influence du conquérant et au manque de contacts généralisés et suivis avec le reste du monde. Une société ruralisée par la force des situations est ainsi restée fondamentalement attachée aux valeurs de civilisation qui ont caractérisé le Moyen-Âge et a évolué, presque en vase clos, en fonction d'elles surtout. Elle s'est trouvée profondément marquée par un catholicisme intégral, plus que par les principes issus de la Renaissance, de la Réforme et de la Révolution, comme ce fut le cas en Europe, où le catholicisme a été en définitive placé en position défensive par le retour du paganisme antique, le protestantisme et l'athéisme libre-penseur.

Quoi qu'on pense de cet état de chose -- et je ne suis pas prêt pour ma part à lui nier une valeur universelle d'un caractère exceptionnellement significatif à notre époque, même si je ne disconviens pas des inconvénients qu'a pu présenter le caractère sans doute abusivement clos de notre évolution -- qu'on en pense donc ce qu'on voudra, les circonstances historiques actuelles apparaissent telles que nous semblons placés, trois cents ans plus tard, dans une situation passablement analogue à celle qui a produit la Renaissance en Europe. Une Révolution industrielle, massivement introduite chez nous par des éléments extérieurs, joue pour nous le rôle de l'or des Amériques au XVIe siècle : elle engendre un enrichissement matériel rapide de notre société, de plus en plus urbanisée au surplus; c'est-à-dire des progrès économiques soudains et non digérés par la création d'une évolution venant de nous et formée à notre image et à notre ressemblance. Le « goût de vivre », au sens matérialiste du mot, nous gagne maintenant, comme il gagnait les Européens du XVIe siècle. Et comme eux, beaucoup des nôtres réagissent vigoureusement ou pratiquement (désaccord entre la vie et les principes auxquels on prétend adhérer) contre une philosophie de la vie faite surtout d'austérité et de renoncement dans la joie du sacrifice et du devoir accompli.

Dans le peuple, cette réaction se manifeste par un relâchement général des moeurs et un attachement moins solide aux vertus traditionnelles. Dans une certaine élite se développe un esprit de réforme radical, qui rejette entièrement le passé pour bâtir un avenir transposé sur des accords. empruntés à une harmonie étrangère à la nôtre. A notre tour, nous avons nos « protestants » sur le plan national, c'est-à-dire sociologico-religieux. Et en réaction contre les exagérations de ces « protestants », nous voyons même se former, depuis quelques mois, une « sainte ligue », qui n'apparaît pas toujours capable de se dégager des excès contraires. Un climat de guerre civile s'établit lentement entre les factions opposées.

De la Pléiade à Cité Libre

Le groupe de Cité Libre, que Trudeau représente, se considère en quelque sorte comme la Pléiade de cette réaction contre la tradition. Avec la différence que son effort de rénovation porte sur le plan sociologique plutôt que littéraire, la similitude est objectivement assez juste. Cité Libre réagit contre l'école nationaliste, comme la Pléiade dénonçait, à travers Clément Marot tout particulièrement, les poètes français nationaux et leur volonté de faire évoluer les genres littéraires en fonction du fond poétique traditionnel. Cité Libre, comme la Pléiade, va surtout chercher son inspiration à l'étranger, chez les socialistes plus ou moins marxistes et les progressistes européens; et elle se comporte à leur égard selon la même ardeur, le même enthousiasme et le même étonnement de néophyte que les redécouvreurs de l'Antiquité.

N'y a-t-il pas jusqu'à l'acharnement à vouloir rompre toute attache avec le passé et à traiter de vieux bonzes ou de « réactionnaires » tous ceux qui veulent faire des distinctions, pour dénoter la présence d'un même esprit. Dans son étude sur Pierre de Ronsard, ne dirait-on pas, en effet, que Daniel Villey (3) parle de nos « jeunes turcs », quand il décrit les attitudes des jeunes révoltés du XVIe siècle contre tout ce qui est tradition. Leur tendance à considérer comme une sorte de sacrilège « impardonnable », toutes les attitudes réformatrices qui ne constituaient pas une « rupture tapageuse avec le passé ». Leur attitude « d'orgueil et de mépris des marotiques », lisez nationalistes. Leurs déclarations « libelleuses », prononcées sur un « ton révolutionnaire », avec « une arrogance hautaine », qui « choquait ou ravissait par la brutalité avec laquelle tous les genres traditionnels sans distinction, pour cela seuls qu'ils appartenaient à la tradition, étaient traités d'épiceries ». Leurs « jugements impertinents portés sur les poètes les plus admirés ». Leur « audace à faire table rase du passé pour dater de soi les origines de la poésie française ». Leur prétention « dénuée de fondement » d'avoir « inventé l'ode française » et créé véritablement la poésie française en cela justement qu'ils auraient « rompu brusquement avec le passé ». Une fois ajustement fait pour les allusions littéraires, ne pourrait-on pas aisément dire la même chose de l'Introduction de Trudeau, de plusieurs articles de Cité Libre et des exposés de certains de nos sociologues et économistes de la jeune génération ?

C'est dans cette perspective et cet esprit qu'il faut, à mon sens, aborder un « manifeste » comme l'Introduction de Trudeau à la Grève de l'Amiante. C'est-à-dire comme un document émanant d'une école qui a un rôle à jouer dans l'évolution du Canada français au cours des prochaines années, étant donné les circonstances nouvelles de notre évolution historique et les ajustements qu'il convient d'apporter à nos orientations et à nos points de vue.

Comme la Pléiade, à ses débuts, Cité Libre joue mal son rôle, parce qu'on y exagère et tombe dans des excès qui aveuglent par rapport à certaines vérités des plus élémentaires, comme aussi au respect des règles de la véritable objectivité. Dans notre cas particulier, elle joue mal son rôle également, parce qu'en refusant de se greffer sur le passé pour construire l'avenir, elle fait courir au Canada français l'énorme risque de disparaître substantiellement parlant. En voulant construire de toute pièce une nouvelle Cité sans utiliser les matériaux ni les méthodes de l'ancienne, elle assume la responsabilité d'une nouvelle Cité qui sera si peu nôtre et si semblable à l'autre Cité qui nous domine au Canada (la Cité anglo-canadienne) que, faute de pouvoir se bien distinguer, les deux cités se fusionneront presque invinciblement. Le tragique de l'affaire, c'est qu'il apparaît loin d'être sûr que les adeptes de Cité libre eux-mêmes seraient tellement satisfaits de ce résultat, une fois qu'ils en verraient les conséquences réalisées, parce que celles-ci ne correspondraient pas réellement, selon toute vraisemblance, aux objectifs qu'ils disent poursuivre fondamentalement.

Que Cité Libre exagère, ce n'est cependant pas une raison pour que ceux qui représentent les Anciens en fassent autant en sens inverse. Ce serait même là exactement ce qu'il faudrait pour que les exagérations de Cité Libre triomphent et qu'au lieu de passer par une évolution nécessaire vers des temps nouveaux, notre civilisation, sous la poussée du corps social, connaisse une révolution brutale et que soient alors perdues toutes les valeurs authentiques qui la caractérisent tout de même encore aujourd'hui. Cité Libre exagère en remettant en jeu des positions fondamentales qui sont des vérités universelles et permanentes; les Anciens exagèrent à vouloir que ces vérités universelles et permanentes restent en permanence engagées dans les cadres ou des institutions fixes. L'histoire est là pour nous montrer que rien ne reste, dans ses accidents, toujours et indéfiniment identique à ce qu'il était hier et à ce qu'il est aujourd'hui. Pour sauver les vérités universelles tenues par une civilisation, il est indispensable que ceux qui les défendent sachent faire évoluer les cadres et les institutions afin qu'elles se trouvent incarnées dans des structures propres aux circonstances de chaque époque.

Les leçons de l'histoire

Le phénomène Cité Libre n'est en somme rien autre chose que, dans des circonstances révolutionnaires, la montée à l'assaut des positions traditionnelles d'éléments jeunes et représentatifs des problèmes que posent les transformations de notre société rendues nécessaires par les événements. Personnellement, je suis convaincu qu'il y a dans nos positions traditionnelles, du moins telles que tenues par le groupe de l'Action nationale, assez d'éléments granitiques pour que cette marée nouvelle, si violente qu'elle se montre, n'arrive guère qu'à en arrondir les angles et à modifier certains contours. A condition, vraisemblablement, que nous sachions garder notre sang froid et nos contacts avec la vie.

L'histoire même de la Pléiade, comme de la Réforme, se charge de nous montrer que les tempéraments nationaux sont bien autre chose que des abstractions, même valables. C'est précisément l'erreur de la nouvelle École, que de se croire bien concrète, et totalement réaliste en concevant l'homme en termes d'humanité, au lieu de nationalité. L'homme est sans doute essentiellement homme partout; mais existentiellement, il appartient tout d'abord à son hérédité et à son tempérament, à une famille et à une patrie nationale. C'est seulement par un dépassement de son « soi » individuel, familial et national, seulement par une élévation au dessus de ce « soi » (ce qui suppose que l'on s'appuie d'abord sur lui pour construire le dernier étage), qu'il atteint l'universel pur. Car ce « soi » variable d'une personne à l'autre et d'un groupe à l'autre est aussi (il ne faut jamais l'oublier) un universel humain par sa généralité même.

Vouloir atteindre à l'universelle humanité sans passer par ce « soi » universel, ce n'est pas être concret, ni réaliste. Ce n'est pas non plus être humain, mais bien verser dans l'angélisme. Le souci « d'humanité » par opposition au souci de « nationalité » est sans doute fort louable. Il est même parfaitement conforme à notre tradition propre, puisqu'il n'est pas seulement marxiste, mais d'abord et avant le marxisme, intégralement catholique par définition même (re : le petit catéchisme). Mais le catholicisme authentique et intégral a toujours tenu la position que l'homme ne peut arriver à l'essentiel ou à l'universel que par une sublimation de l'existentiel. Et pour autant qu'il s'est agi de question religieuse, toute déviation à droite ou à gauchie de cette position (sans aucune allusion politique), a toujours été condamnée comme hérétique. Elle n'est pas moins contraire à la nature des choses, donc condamnable au nom de la vérité et de l'efficacité, quand il s'agit de questions politiques et sociales.

C'est ce que confirme une fois entre bien d'autres l'histoire de la Pléiade, que j'ai introduite ici non pas par vain étalage de réminiscences littéraires, mais pour les leçons pertinentes qui s'en dégagent. Tant que Ronsard, qui était le grand homme de la Pléiade, comme Trudeau apparaît celui de Cité Libre, est resté dans la voie d'une recherche de la beauté littéraire dans le mépris de son milieu, par la seule imitation de l'Antiquité, il n'a pas atteint la grandeur. Il n'y est parvenu que quand, descendant des sphères éthérées de la beauté abstraite, il a repris contact avec la réalité des sentiments vivants comme avec le courant littéraire issu du tempérament national français. Tout le reste, nous dit Daniel Villey, n'a été, à travers des réussites partielles significatives, qu’  « erreur historique incontestable », « laborieuses constructions », « pédante imitation », « abus d'érudition » et « style ampoulé ». Tout ce qu'il a gagné aux excès de jeunesse de la première époque, c'est de perdre le mérite, aux yeux des générations qui l'ont suivi immédiatement, de l'oeuvre réelle qu'il avait accomplie, et de tomber dans l'oubli pour deux siècles.

Certes, toute comparaison pèche par certains côtés. Trudeau se prétend, en fait, le grand réaliste contre les traditionalistes, qui vivraient encore dans le passé et n'apercevraient pas le mouvement de l'histoire. Et il serait surprenant qu'il n'ait pas en partie raison (c'est le défaut de toute tradition de pécher par excès de conservatisme), ou même totalement raison par rapport à certaines personnes sans doute bien moins nombreuses qu'il le croit. Tout cela est dans l'ordre, car tout mouvement a ses extrémistes, sauf qu'on a souvent tendance à confondre les intransigeants avec les extrémistes, qui ne sont pourtant pas nécessairement identiques.

Mais la nouvelle École ne l'est pas davantage en empruntant ses postulats d'interprétation de notre évolution historique à des doctrines étrangères à notre tradition et à notre milieu, ou en comptant sur les idées et l'appui politique d'éléments étrangers (ce dernier point s'appliquant d'ailleurs beaucoup moins à Trudeau qu'à plusieurs autres) pour se situer dans ce fameux courant historique. Je crois d'ailleurs qu'on s'en aperçoit déjà à Cité Libre. Il me semble déjà possible de parler d'une Cité Libre première manière, et d'une autre, plus récente, qui a déjà évolué; et je doute que Trudeau lui-même récrirait son Introduction tout à fait dans le même ton, et en y maintenant toutes les observations qu'il y fait. Comme il s'agit là d'un texte écrit, donc susceptible d'avoir une influence permanente sur ceux qui le liront, quelles que soient par ailleurs les évolutions de son auteur, c'est ce texte même qu'il importe de juger. Je m'y emploierai dans de prochains articles.

(1) Nouvelle, en fait, surtout par l'âge de ses adeptes et leur prétention d'apporter un renouvellement complet des traditions. En fait, elle ne fait que continuer une tradition bien établie chez nous, sous des variantes diverses, et qui est toujours restée minoritaire, comme elle l'est encore, de toute évidence. Nos « jeunes turcs » représentent en somme la tradition de la séduction des idées nouvelles (dans le sens d'opposées au développement selon notre dynamisme propre); de la « largeur de vue » contre la prétendue « étroitesse d'esprit » d'un milieu menacé d'invasion et qui essaie de protéger les valeurs qu il illustre; d'une attitude se voulant plus libérale par contraste avec le conservatisme inévitable de toute société qui veut durer dans ce qu'elle est et pour ce qu'elle représente. A travers Étienne Parent, l'école littéraire de Saint Hyacinthe, le parti libéral de la jeunesse de Laurier, la vieille garde libérale de T.-D, Bouchard, et l'école de Jean-Charles Harvey et du Jour, nous aboutissons finalement à Cité Libre, au Rassemblement et au PSD. Plus révolutionnaire que ses devanciers sur le plan économico-social comme le veut la mode du jour la Nouvelle École l'est en fait beaucoup moins sur le plan des idées fondamentales. Elle marque, sur ce dernier point, une orientation plus traditionaliste, en se montrant plus attachée aux valeurs religieuses catholiques. Son anticléricalisme affiché est beaucoup moins antireligieux; il se défend même de l'être en aucune façon sans pouvoir empêcher naturellement que ceux qui en veulent vraiment à la religion se cachent derrière elle pour mousser leurs idées. Un bon nombre des adeptes de cette Nouvelle École sortent d'ailleurs des mouvements d'Action catholique. Même s'ils laissent souvent l'impression de ne pas très bien savoir ce qu'ils veulent concrètement, ils sont à la recherche non pas d'un substitut au catholicisme comme facteur d'orientation de notre vie nationale, mais d'un approfondissement des valeurs que celui-ci nous offre. Cela est excellent en soi, sauf que pour qui n'est pas très sûr de son affaire ni de la portée de ses moyens d'action, il arrive qu'en roulant approfondir, on défonce et on ruine.

(2) La désignation « Renaissance » appliquée à la période qui a marqué, en Europe, la transition entre le Moyen Âge et les Temps Modernes, a comporté initialement une signification littérale. Aux esprits forts qui apprécièrent le mouvement intellectuel du XVIe siècle, il apparut que le plus intéressant aspect de cette évolution avait été le triomphe des idées antiques, en tant que non chrétienne (non moyenageuse), sur « l'obscurantisme » de la période antérieure. Chacun sait que l’histoire des dernières années a éliminé ce simplisme. Ce sont la plupart du temps des esprits agnostiques qui se sont chargés de restaurer le Moyen Âge à la dignité d'époque de pensée et de civilisation. On a alors déploré qu'un certain nombre des valeurs élaborées par le Moyen Âge se soient en quelque sorte perdues dans le retour de flamme du paganisme et la détérioration des moeurs qui a marqué la Renaissance. Ainsi, celle-ci a-t-elle cessé d'apparaître comme un pur bienfait. Un monde nouveau est né, en fonction d'un retour des conceptions antiques; mais qui s'est édifié sur les bases d'un monde qui avait aussi ses richesses, non pas dans un désert encore inexploité. La discussion reste maintenant ouverte sur la question de savoir si une revivification du Moyen Âge traditionnel par les richesses décantées de l'Antiquité n'eût pas produit encore de plus beaux fruits.

(3) Plon, 1914.

Source : François-Albert Angers, « Pierre-Elliott Trudeau et La grève de l’amiante. Première partie. Réflexions préliminaires », dans L’Action nationale, septembre 1957, pp. 10-22.

© 2001 Claude Bélanger, Marianopolis College