Quebec History Marianopolis College


Date Published:
15 August 2003

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

M. LE SUPERIEUR NARCISSE-AMABLE TROIE (1843-1919)

par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR

M. NARCISSE AIMABLE Troie, ancien curé de Notre Dame et supérieur de Saint Sulpice à Montréal, naquit à Saint Rémi de Napierville, d'une bonne et honnête famille de cultivateurs canadiens, le 3 avril 1843. Son père, Amable Troie, qui mourut jeune, passait pour un habitant considéré dans la paroisse, et sa mère, Marie Pinsonnault, était une femme accomplie. Devenue veuve de bonne heure, celle ci épousa, en secondes noces, Joseph Allard. Les Messieurs Allard, prêtres de Saint Sulpice, ses petits fils, sont les neveux de l'ancien supérieur.

Son temps d'école terminé, Narcisse-Amable vint suivre son cours classique au collège de Montréal, et il fit aussi ses années de cléricature, sous la direction sulpicienne, au grand séminaire de la même ville. Elève et séminariste, il se distingua par sa régularité, sa piété solide et ses succès en classe. A l'automne de 1867, ayant été agréé à Saint Sulpice, il partait pour la « solitude » d' Issy, et, l'année suivante, il était ordonné prêtre, à Paris, par Mgr Darboy, le 6 juin 1868. Revenu au pays à l'été, M. Troie fut nommé au collège de Montréal, et il y professa la philosophie, pendant sept ans, de 1868 à 1875. Il passa ensuite au grand séminaire, où on le chargea, tour à tour, du cours de dogme et du cours de morale, et ce fut pour dix ans, jusqu'en 1885. Au témoignage de ses anciens élèves, notamment de Mgr Bruchési et de Mgr Langevin qui suivirent ses classes de philosophie, son enseignement brillait par la clarté et la solidité, et, tout autant, par l'aisance et la facilité de sa mise en valeur. Au grand séminaire, pareillement, étant d'esprit positif et observateur, et déjà très au fait, quoique jeune, des choses de la discipline en vigueur dans les diocèses canadiens et américains, il savait donner à ses leçons de morale spécialement un tour particulier des plus intéressants et des plus pratiques. Il aimait certes l'enseignement, s'y plaisait et y réussissait. Un moment, il pensa pourtant à se faire missionnaire dans les régions neuves, et il s'en ouvrit un jour à Mgr Lorrain, quand celui ci devint vicaire apostolique de Pontiac en 1882. Mais ce projet n'eut pas de suite. En 1885 d'ailleurs, M. Troie était assigné au ministère paroissial, à l'église Saint Jacques de Montréal, et son désir d'exercer plus immédiatement l'apostolat auprès des âmes se trouva satisfait. Neuf ans plus tard, en 1894, il devenait curé de cette même paroisse de Saint Jacques, où il était vicaire depuis 1885. L'année d'ensuite, en 1895, il était nommé à Notre Dame, où il devait remplir les fonctions de curé, pendant dix huit ans, jusqu'en 1913. En cette dernière année, son état de santé laissant à désirer, il cessa d'être curé. Mais il resta attaché à l'église de Notre Dame et surtout il garda son confessionnal, le « confessionnal des hommes », comme disaient ses confrères, ce qu'il admettait lui même en souriant. Enfin, le 1er décembre 1917, il était élu supérieur de sa compagnie à Montréal pour succéder à M. Lecoq, que la maladie avait contraint à offrir sa démission. M. Troie mourut, supérieur de Saint Sulpice, au presbytère de Notre Dame, le 15 mars 1919, à 76 ans.

M. Troie est le premier sulpicien canadien-français qui soit devenu supérieur de la société à Montréal. Avant lui, de 1657 à 1917, pendant deux cent soixante ans, la tradition s'était maintenue, de M. de Queylus à M. Lecoq, et toujours ce sont des Français de France qui avaient occupé la charge suprême. Disons sans crainte, et très hautement, que Montréal n'eut pas à s'en plaindre. Rien qu'à citer les noms vénérés de M. Colin et de M. Lecoq, les prédécesseurs immédiats de M. Troie, la preuve s'établit tout de suite que la France a été, à ce propos, particulièrement généreuse à notre endroit. L'ancienne mère patrie toujours si riche en hommes de haute valeur, ne pouvait nous donner mieux, on l'a déjà écrit, que la longue et belle lignée de supérieurs qui s'étaient succédé à Saint Sulpice de Montréal pendant deux siècles et demi. Mais on restait quand même reconnaissant, dans le clergé et dans le monde de la grande ville, au respecté M. Troie, d'avoir mérité, par sa distinction, ses qualités et ses vertus, que la confiance de ses confrères l'appelât à la charge de supérieur. D'une façon toute spéciale, semblait il, le clergé canadien était honoré dans sa personne.

C'est peut être comme curé de Notre Dame, plus encore que comme supérieur de Saint Sulpice que M. Troie aura marqué dans les souvenirs de notre ville. Au physique, c'était un très beau type de Canadien, grand et d'apparence robuste, bien proportionné et de manières élégantes, avec une belle tête toute blanche sur la fin, la figure ouverte, douce et aimable, les traits réguliers et délicats, les yeux attirants, la bouche toujours souriante, à l'aspect sympathique et bon, supérieurement bon. Tout le monde admettait que le curé de Notre Dame était un fort bel homme et un homme avenant au possible. Il jouissait de la confiance complète de ses paroissiens et surtout de ses nombreux dirigés. Prudent et sage, il savait trouver, en toutes circonstances, la solution qui convenait et les paroles fermes et douces qui l'imposaient, sans blesser ni froisser personne. Il possédait à un rare degré l'art si difficile — ars artium — de manier les hommes et de les diriger vers le bien. Cela se voyait dans son administration des choses temporelles elles mêmes, mais davantage encore dans son indiscutable ascendant sur les âmes. Quand il montait en chaire, dans cette vénérable église de Notre Dame, où il parut si souvent, on a remarqué que sa belle figure, si calme et si digne, auréolée de cheveux blancs, semblait être tout à fait dans son cadre naturel. Le cadre était grand, certes, mais grande aussi était la figure ! Sa parole un peu lente, nette, claire, très sûre d'elle même, en même temps qu'elle portait jusqu'aux coins les plus reculés du vaste édifice, pénétrait partout dans les coeurs. On sentait en lui l'homme d'autorité, dont la bonté sans doute tempérait la sévérité, mais qui savait rester ferme, parce qu'il était convaincu de la vérité et de la solidité de la doctrine qu'il prêchait. Non seulement il soignait son enseignement pour le fond et pour la forme, mais il se préoccupait aussi de celui que donnaient ses confrères du haut de « sa chaire ». Au carême, quand le prédicateur venu de France, selon la coutume, y faisait son apparition, on voyait le bon curé circuler par les allées et les galeries de l'immense église, cherchant à se rendre compte par lui même si le prédicateur était bien entendu, s'il faisait bonne impression ? Et, comme toujours, ou presque toujours, le prédicateur de Notre Dame était un maître de la parole, M. Troie s'en montrait ravi. « Entendez-vous, disait il, il est très bien ! »

Pasteur zélé et dévoué, attentif à remplir toutes les fonctions de son ministère, M. Troie était en particulier un confesseur aimé et recherché. D'abord, il était toujours là, l'après midi, à 3 heures, surtout à l'époque du carême ou les veilles des grandes fêtes, prêt à vous entendre. Il avait soin de dire son bréviaire à bonne heure pour être plus complètement à la disposition de ses pénitents éventuels. Et puis, avec quelle bonté digne il vous accueillait ! Vous éprouviez nettement qu'il vous ouvrait son coeur aussi bien que sa « grille ». Et pourtant quelle réserve toujours et comme il restait prêtre ! Aussi, on ne s'y trompait point. Nos premiers citoyens du monde de la politique, des professions ou du commerce, étaient ses pénitents. Beaucoup de nos confrères du sacerdoce s'adressaient de même à lui. Il se donnait à tous avec tout son coeur. Sa direction était précise. Le mot bienveillant s'avérait juste et ferme. « Entendez.vous, cher ami, faites ainsi. » — « N'ayez crainte, cher fils, entendez vous, voilà ce qu'il faut faire. Dieu est bon, il vous aidera. » Que de secrets sa mort a célés [sic] ! Que d'âmes il a refaites devant Dieu ! Que de bien il a accompli ! Son confessionnal, je l'ai noté plus haut, c'était le « confessionnal des hommes ». Il laissait à d'autres de diriger les mères de famille et les jeunes filles chrétiennes. Lui, il se réservait pour ses pénitents, « pour ces chers frères, entendez vous, qui n'aiment pas à attendre longtemps leur tour à l'entrée du confessionnal ».

Comme supérieur de Saint Sulpice, c'est à dire au premier rang, M. Troie, de l'aveu de tous, était parfaitement à sa place. Je n'y insiste pas. Il est sûr qu'il a emporté dans sa tombe les regrets profonds et sincères de tous ses confrères, de tout le clergé et de tous les citoyens de Montréal. Il n'est personne des nôtres à Saint Sulpice qui nous ait fait plus d'honneur. Elle est très juste, je pense, cette parole d'un laïque distingué de la grande ville, que j'ai entendue au lendemain de la mort du vénéré supérieur : « Aux temps de la féodalité, quel beau prince évêque eut été M. Troie ! »

Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Première série, Montréal, éditions Albert Lévesque, 1933, 201p., pp. 119-126.

 
© 2003 Claude Bélanger, Marianopolis College