Quebec History Marianopolis College


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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

L'histoire de la littérature canadienne-française (Québec)

 

CHAPITRE 7

1860-1900

LE ROMAN

 

Philippe-Aubert de Gaspé - Antoine Gérin-Laloie - Laure Conan  

P. Boucher de Boucherville - Napoléon Bourassa

Joseph Marmette

 

[Ce texte a été écrit par l'abbé Camille Roy; il a été publié en 1962. Pour la citation complète, voir la fin du texte.]

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Le roman est apparu assez tard dans l'histoire de la littérature canadienne-française. Ce genre littéraire, qui exige pour y réussir une imagination bien disciplinée, une science profonde de la vie, et un art très adroit, a souffert des conditions pénibles où s'est pendant longtemps développée notre littérature. On a longtemps hésité à se risquer dans ce genre où, pour arriver au succès, il faut de rares qualités d'esprit et une forte culture générale.

 

C'est le roman de moeurs canadiennes et le roman historique qui ont été d'abord pratiquée.

 

Vers 1840, des journalistes s'essayèrent dans le genre de la nouvelle et du roman. Eugène L'Écuyer écrivait en 1844 une nouvelle: La Fille du Brigand , dont la scène se passe à Québec; les personnages sont extravagants et les actions mélodramatiques. L'Écuyer avait une imagination ardente qui s'accompagnait dans ses écrits parfois fort agréables de la plus romantique sensibilité.

 

C'est une scène vécue de la vie canadienne, une sorte de nouvelle du terroir, que La Terre paternelle , que publiait, en 1848, le notaire Patrice Lacombe , nouvelle que l'on retrouve comme La Fille du Brigand dans Le Répertoire National.

 

Joseph Doutre (1825-1886), avocat, journaliste, qui fit beaucoup de littérature politique dans l'Aurore des Canadas, l'Avenir et le Pays, écrivit, en 1844, alors qu'il était encore étudiant en droit, Les Fiancés de 1812 . Il déclare, dans la préface, qu'il fit ce livre « pour donner quelque essor à la littérature parmi nous, si toutefois il est possible de la tirer de son état de léthargie ». Il y reproche à ses compatriotes de n'accorder d'estime qu'au livre étranger, de n'avoir que préjugé et antipathie pour ce qu'écrivent les Canadiens. Il est intéressant d'entendre en 1844 une plainte que l'on renouvellera si souvent et si longtemps après. Malheureusement, Les Fiancés de 1812 n'étaient pas le livre qu'il fallait pour donner de l'essor aux lettres canadiennes. C'est une oeuvre de jeunesse où se montre, avec de naissantes qualités chez l'auteur, trop d'inexpérience de la composition.

 

En 1853, Pierre-Joseph-Olivier Chauveau [voir aussi l'encyclopédie de l'Agora ou la biographie écrite par l'abbé Élie Auclair ] (1820-1890), publiait Charles Guérin . C'était un premier essai de roman de moeurs, mais la composition en est languissante et inexpérimentée; Charles Guérin, malgré certains tableaux assez piquants de la vie populaire, n'est lui aussi qu'une oeuvre de jeunesse. Ce n'est que dix ans plus tard, en 1863, que parut une autre oeuvre qui devait rester dans l'histoire de notre roman, Les Anciens Canadiens.

 

Philippe-Aubert de Gaspé [Courte biographie en anglais ] (1786-1871). Né à Québec le 30 octobre 1786, Philippe-Aubert descendait de l'une des plus anciennes familles de la noblesse canadienne. Son enfance, jusqu'à l'âge de neuf ans, se passa au manoir de la famille, à Saint-Jean­ Port-Joli, dans la modeste maison construite sur les ruines de l'opu­lente demeure qu'avaient incendiée les Anglais, en 1759. Après des études classiques faites au Séminaire de Québec, de Gaspé étudia le droit, et fut reçu au barreau de Québec, où il pratiqua pendant quelques années. Il fut shérif de la ville de Québec. Il vécut les dernières années de sa vie dans la solitude de son manoir de Saint-Jean-Port-Joli. Cette solitude de Gaspé pleine de dignité, au   milieu de sa famille et des bonnes gens qui estimaient M. de Gaspé pour sa cordialité de gentilhomme, fut la période la plus heureuse et la plus féconde de sa vie. Il y relut ses   classiques, y étendit la culture de son esprit, en même temps qu'il s'appliquait à observer les moeurs de ses braves censi­taires. A son insu, de Gaspé se préparait à l'oeuvre littéraire qu'il devait écrire. Il ne vint cependant que sur le tard à la littérature canadienne; c'est vers la fin de sa vie qu'il fut épris un jour du vif désir de confier à ses compatriotes, avant de mourir, ses souvenirs anciens.

 

On était en 1860; de Gaspé avait donc soixante-quatorze ans. Le mouvement littéraire qu'avait déterminé l'activité de Crémazie , de Casgrain et de Gérin-Lajoie [ou encore au site du Dictionnaire Biographique du Canada], avait abouti à la fondation des Soirées canadiennes, où l'on inscrivit en première page cette phrase de Charles Nodier: « Hâtons-nous de raconter les délicieuses histoires du peuple avant qu'il les ait oubliées. » Le vieillard septuagénaire prit pour lui-même cette exhortation, et il se mit à écrire. Les Anciens Canadiens parurent en 1863, et eurent le plus vif succès. L'auteur compléta cette peinture des moeurs anciennes en publiant trois années plus tard d'intéressants Mémoires (1866). Le nom de M. de Gaspé devint aussitôt très populaire. De Gaspé mourut à Québec, le 29 janvier 1871; il voulut avoir sa sépulture à Saint-Jean-Port-Joli, dans le pays pittoresque où il avait vécu, au milieu des excellentes gens dont son livre avait raconté les moeurs.

 

Les Anciens Canadiens sont à la fois un roman de moeurs et un roman historique. Sur le fond véridique et fantaisiste du récit, l'auteur a fixé quelques-unes des particularités les plus intéressantes de la vie canadienne, et quelques épisodes de la guerre de la conquête.

 

La vie des seigneurs, mêlée à celle du peuple, est longuement décrite dans les pages du roman. La simplicité naïve des moeurs populaires y est peinte avec vérité. Si le père José est le type un peu chargé du bon et vieux serviteur, M. D'Haberville et son fils Jules représentent bien les seigneurs de l'ancien régime français. Les scènes de la débâcle à Saint-Thomas, de la plantation du mai à Saint-Jean-Port-Joli; les récits de José, l'évocation des sorciers de l'île d'Orléans et les promenades nocturnes de la Corriveau; la description du costume de l'« habitant », et les conversations toutes pleines de l'esprit et des vocables du parler populaire: tout cela, répandu, dispersé, distribué à travers les pages du livre, reconstitue aux yeux du lecteur la vie d'une époque dont nous délaissons peu à peu les meilleures et les plus françaises traditions.

 

Le romancier se fit aussi philosophe; il définit la vie et se définit lui-même dans les épreuves qui ont traversé la fortune de M. d'Egmont, le bon gentilhomme.

 

Le style du roman est fait de simplicité, de bonhomie, et parfois d'éloquence. Les réminiscences classiques émaillent des récits qui paraissent écrits au fil de la plume; elles témoignent de la culture de l'auteur.

 

Si nous accordons une large place au roman de Gaspé dans l'histoire du roman canadien, c'est qu'il fut chez nous le premier qui méritât l'attention, et qu'il est donc une date dans l'histoire de notre roman. D'autre part, il fut peut-être le livre le plus populaire qu'on ait lu avant 1900, à une époque où le roman était rare, presque inexistant dans notre littérature. Enfin, si ce livre paraît ingénu, construit sans façons, bien éloigné de la littérature subtile du roman contemporain, il contient une somme de vérités morales, de souvenirs historiques, de fantaisies légendaires qui le feront toujours rechercher par ceux qui sont curieux de connaître à la fois nos origines littéraires et nos vieilles traditions françaises.

 

Antoine Gérin-Lajoie (1824-1882). Né à Yamachiche, en 1824, Antoine Gérin-Lajoie , l'auteur de Dix ans d'Histoire du Canada , que son roman Jean Rivard avait déjà rendu populaire, fit de brillantes études classiques au collège de Nicolet. L'écolier aimait à rimer en marge de ses devoirs, et à dix-huit ans il composait une tragédie, Le jeune Latour, que mirent à la scène les camarades de l'auteur, et qui lui fit dans le cercle de ses amis une première réputation. La tragédie, on le conçoit, n'avait pas une grande valeur d'art, mais elle révélait chez le jeune étudiant de remarquables aptitudes littéraires. C'est encore au collège que Gérin-Lajoie écrivit les strophes du Canadien errant , que lui inspira le triste sort de nos déportés politiques de 1837, et qui devint bientôt l'une des chansons les plus populaires de chez nous. L'abbé Ferland , qui était alors professeur à Nicolet, appréciait les talents littéraires du jeune poète, et lui témoignait une affectueuse confiance.

 

Au sortir de ses études classiques, Antoine Gérin-Lajoie voulut étudier le droit, et s'inscrivit à Montréal, au bureau d'un ancien ami de collège. Étant d'ailleurs sans ressources suffisantes pour payer ses études, il alla tout de suite chercher fortune aux États-Unis. Son voyage aventureux dura dix-sept jours, du 13 au 30 août 1844. N'ayant pu obtenir nulle part d'emploi, l'étudiant revint à Montréal, où il dut battre encore pendant trois mois les pavés, avant de trouver enfin une besogne peu rémunératrice à la Minerve. De correcteur d'épreuves qu'il y fut d'abord, il devint bientôt rédacteur du journal. Pendant deux ans et demi, il fut ainsi mêlé aux luttes politiques de la Minerve, qui soutenait La Fontaine et Baldwin contre Draper et Viger . Entre temps, il donnait des leçons et continuait ses études de droit. Il se fit recevoir avocat. De la politique dont il s'était vite dégoûté, il se réfugia au barreau où sa timidité l'empêcha de réussir. C'est à cette époque qu'il rêva de devenir un jour cultivateur et de vivre la vie qu'il devait imaginer dans Jean Rivard. Mais il dut plutôt, pour vivre, occuper des emplois administratifs. A partir de ce moment, Gérin-Lajoie entra dans le service civil, qu'il ne quittera pas.

 

C'est en 1856 qu'il devint bibliothécaire du parlement: situation qui lui fit des loisirs et lui permit de se livrer à l'étude. Le parlement étant venu se fixer à Québec en 1859, Gérin-Lajoie y rencontra tout un groupe d'hommes qui se préoccupaient de développer notre littérature. II se joignit à eux. Avec l'abbé Casgrain et le docteur Hubert La Rue , il fonda les Soirées canadiennes, puis le Foyer canadien. C'est dans ces recueils qu'il publia son roman. En 1862, parut dans les Soirées, Jean Rivard, le défricheur, et en 1864, dans le Foyer, Jean Rivard, économiste.

 

Lorsque Ottawa fut définitivement choisi comme ville capitale du Canada, Gérin-Lajoie y suivit l'administration. Il y mourut le 4 août 1882.

 

Nous avons insisté sur la biographie de Gérin-Lajoie, parce que Jean Rivard est une sorte d'autobiographie où se rencontrent des souvenirs personnels de l'auteur et de sa famille.

 

Gérin-Lajoie s'est transposé dans les personnages de Jean Rivard et de Gustave Charménil.

 

Nous donnons quelque attention à ce roman, non à cause de sa valeur littéraire, qui n'offre rien de remarquable, mais à cause de la place qu'il occupa, tout comme Les Anciens Canadiens, dans l'histoire des origines du roman canadien, et dans la faveur du public. Ce livre, à sa façon, rendait témoignage en faveur des traditions françaises et des moeurs des Canadiens de 1850. On peut y retrouver toute la vie populaire de l'époque. D'autre part, ce livre était une thèse de portée sociale. Au moment où les Canadiens français émigraient en masse aux États-Unis pour y chercher des moyens de subsistance, Gérin-Lajoie voulut, par son roman, par l'exemple de Jean Rivard, les persuader de rester au pays, de s'y emparer du sol, de faire de la colonisation. Il écrivit le roman du colon. Et ce roman fit le tour des foyers canadiens.

 

Il ne faut pas chercher dans un tel livre une psychologie profonde ni un art savant de conduire les récits. Ce que l'auteur a voulu y montrer surtout, ce sont des tableaux de colonisation, des scènes où l'on voit se succéder avec une grande vraisemblance toutes les étapes, parfois pénibles, mais en somme heureuses, de la vie du colon canadien. Et cela est raconté dans un style simple, un peu terne, pas toujours animé; mais cela est aussi émaillé de pages fort pittoresques où sont rappelées avec précision quelques-unes des habitudes les plus caractéristiques de la vie de l'habitant canadien-français.

 

Laure Conan (1845-1924) s'est appliquée d'abord au roman psychologique dans Angéline de Montbrun (1884), Puis au roman historique dans A l'oeuvre et à l'épreuve (1891), L'oublié (1902) , La Sève immortelle (1925) , terminé par l'auteur sur son lit de mort, et publié quelques mois après sa mort. L'Obscure souffrance (1924), journal intime d'une jeune fille, est un retour au genre de méditation chrétienne, parfois douloureuse, que Laure Conan avait pratiqué dans Angéline de Montbrun.

 

Laure Conan a aussi publié des monographies historiques: Élisabeth Seton (1903), Silhouettes canadiennes (1917).

 

Laure Conan, de son vrai nom Félicité Angers, est notre première femme écrivain. Elle a laissé une oeuvre où se révèlent de très remarquables qualités d'âme et de style. Fine sensibilité, noblesse soutenue de la pensée, idéalisme réconfortant, émotion volontiers mélancolique, voilà ce qui fit attachante sa littérature. Analyses justes et rapides des états d'âme, courtes et nettes descriptions qui font tableau, sobriété des développements, phrase élégante et simple, voilà ce qui caractérise sa manière d'écrire. Pour tout cela, Laure Conan s'est placée au premier rang des écrivains canadiens de son temps.

 

Parmi les pionniers du roman canadien, il faut encore mentionner:

 

Georges Boucher de Boucherville (1814-1898), qui fit paraître en 1864 et 1865, dans la Revue canadienne, Une de perdue, deux de trouvées, roman de moeurs et d'aventure, publié ensuite en volume, et qui obtint un grand succès auprès des lecteurs.

 

Napoléon Bourassa (1827-1916), qui écrivit lui aussi pour la Revue canadienne, en 1865 et en 1866, ce roman acadien Jacques et Marie , où l'histoire se mêle à la fiction, rempli de digressions émouvantes, et qui fut très populaire.

 

Joseph Marmette (1844-1895), qui pratiqua surtout le roman historique, publia Charles et Éva (1867), François de Bienville (1870), L'Intendant Bigot (1872), Le Chevalier de Marnac (1873), Le Tomahawk et l'Épée (1877) .

 

Joseph Marmette fit des reconstitutions historiques attachantes, qui plurent aux lecteurs, et valurent à ses ouvrages une grande vogue. Son imagination est parfois surabondante comme son style, mais il a écrit des pages qui sont agréables et vivantes.

 

Il reste comme l'initiateur, et le principal représentant, à cette époque, du roman historique.

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BIBLIOGRAPHIE

 

LAREAU (Edmond) : Histoire de la Littérature canadienne.

AR DER HALDEN (Ch.) : Études de Littérature canadienne-française (Ph.-A. de Gaspé, Gérin-Lajoie); Nouvelles Études de Littérature canadienne-française (Lause Conan).

ROY (Mgr Camille) : Essais sur la Littérature canadienne (Laure Conan); Nouveaux Essais sur la Littérature canadienne (De Gaspé, Gérin-Lajoie); Études et Croquis (De Gaspé, Gérin-Lajoie).  

HARVEY (Jean-Ch.) : Pages de critique (Laure Conan). 

HÉBERT (Maurice) : De Livres en Livres (Laure Conan).  

MAURAULT (Mgr O.) : Marges d'Histoire, L'Art au Canada (Joseph Marmette). 

CASGRAIN (H.-R.) : Oeuvres complètes, I (Laure Conan, II (De Gaspé, Gérin-Lajoie). 

LA RUE (Hubert) : Mélanges historiques et littéraires, II (Gérin­-Lajoie).  

CHAPAIS (Thomas) : Mélanges (Joseph Doutre). 

DE MONTIGNY (Louvigny) : Gérin-Lajoie. 

LAPERRIÈRE (A.) : Les Guêpes canadiennes, I (Gérin-Lajoie, Joseph Marmette).  

DE SAINT-MAURICE (Faucher) : Choses et Autres (De Gaspé, J. Marmette).

BELLERIVE (Georges): Artistes-peintres canadiens-français, 2e série (Napoléon Bourassa); Nos Auteurs féminins (Laure Conan).

D'ARLES (Henri): Estampes (Laure Conan).

DES ORMES (Renée) : Célébrités (Laure Conan).

FRASER (Ian Forbes) : The Spirit of French Canada.,

 

 

Source: Mgr Camille ROY, Manuel d'histoire de la Littérature canadienne de langue française , 21 ème edition, revue et corrigée par l'auteur, Montréal, Beauchemin, 1962 [1939], 201p., pp. 70-77. Le texte a été reformaté et les erreurs typographiques évidentes ont été corrigées.

 

 

 

 

 
© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College