Quebec History Marianopolis College


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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Histoire de la littérature canadienne-française (Québec)

CHAPITRE II

La lenteur des débuts - Premiers centres de vie littéraire

Les Premiers journaux - Etienne Parent

 

[Ce texte a été écrit par l'abbé Camille Roy. Pour la citation exacte, voir la fin du document.]

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La littérature canadienne-française fut lente à se constituer après 1760. Il fallut, après le traité qui livrait le Canada français à l'Angleterre, réparer les désastres de la guerre, et refaire la vie économique. Nos pères, à cette époque, firent mieux que d'écrire, ils s'appliquèrent à réorganiser leur vie sociale et politique, et à garder aussi intactes que possible, malgré les influences contraires, leurs traditions françaises. Les classes dirigeantes ayant été décimées par le départ pour la France des chefs de l'administration civile et militaire et de nombreuses familles bourgeoises qui ne voulurent pas vivre sous le drapeau anglais, c'est principalement autour du clergé que se groupa le peuple.

 

Il fallut lutter pour obtenir des autorités britanniques la reconnaissance de tous les droits civils et religieux que conféraient aux Canadiens français, non seulement les traités, mais aussi la loi naturelle et leur histoire. La vie publique de notre premier siècle de régime anglais fut presque tout entière absorbée par des luttes politiques, parlementaires, administratives, où trop souvent la bureaucratie anglaise s'appliqua à contrarier nos légitimes aspirations nationale. Dans ces luttes se consumèrent des énergies morales et intellectuelles qu'on aurait pu, sous un régime de paix sociale, appliquer à une plus rapide et meilleure organisation de notre vie littéraire, artistique et scientifique.

 

La rupture complète, voulue par l'Angleterre, de nos relations avec la France, ne pouvait à cette époque que ralentir, sinon paralyser, le développement de la vie intellectuelle nécessaire à l'éclosion ou à l'épanouissement d'une littérature. Sans doute, des collèges classiques furent établis par le clergé, au cours de la première partie du dix-neuvième siècle, aux points stratégiques de la vie française, mais malgré tout le dévouement de leurs fondateurs et de leurs maîtres, ces institutions n'eurent que des moyens insuffisants d'organisation et de développement. Et l'enseignement supérieur, avec l'université, ne sera pas créé chez nous avant 1852, alors que fut fondée à Québec l'Université Laval. Le projet d'université mixte présenté par le Gouverneur à l'évêque de Québec, Mgr Hubert, en 1789, contenait trop de périls pour la survivance de l'esprit français au Canada; il ne fut pas accepté. Il en fut de même de l'Institution Royale, établie en 1801, avec toutes ses promesses de développements au domaine de l'enseignement primaire et supérieur. Elle plaçait tout notre système d'éducation sous l'influence prépondérante des autorités anglaises. On préféra s'abstenir d'en profiter, parce que le profit comportait trop de dangers d'assimilation pour l'esprit français de notre peuple.

 

Nous eûmes donc à souffrir longtemps des lacunes profondes de l'enseignement à tous les degrés. Notre vie intellectuelle en fut péniblement affectée, et aussi notre vie littéraire. Dans de telles conditions d'existence où les privations de l'esprit s'ajoutaient aux sacrifices matériels, et aux persécutions politiques qui suivirent la conquête, il n'est pas étonnant que notre littérature canadienne ne se soit que lentement constituée et n'ait produit que tardivement des oeuvres capables de survivre.

 

Premiers centres de vie littéraire

 

Québec, qui avait été sous le régime français une capitale politique, religieuse et intellectuelle, continua, après 1760, de jouer ce premier rôle dans la vie nationale. Il garda, autant qu'il lui fut possible, ses allures de ville académique et son esprit français. Michel Bibaud , qui vint de Montréal visiter Québec en 1841, y retrouvait « les manières amènes, affables de ses notables habitants, l'urbanité, la politesse française » ; il l'appelait a le Paris de l'Amérique » (1).

 

C'est à Québec que fut fixé le premier parlement canadien après l'établissement du régime constitutionnel de 1791. On y entendra notre première éloquence politique. Là furent successivement formées de nombreuses sociétés littéraires: le Club constitutionnel, en 1792; la Société littéraire, en 1809; la Société historique et littéraire, en 1824, fondée au Château Saint-Louis sous la présidence du gouverneur lord Dalhousie; la Société pour l'encouragement des Sciences et des Arts, en 1827, qui se fusionnera bientôt, en 1829, avec la Société historique et littéraire.

 

C'est à Québec aussi que fut fondé le premier journal, la Gazette de Québec, en 1764, et c'est là surtout que sera fondé, en 1806, le Canadien, dont les bureaux devinrent un foyer d'études et de discussions politiques.

 

Montréal ne devait pas tarder à devenir lui aussi un centre d'activité pour l'esprit. En 1773, les prêtres de Saint-Sulpice y fondèrent un collège classique. Une Académie éphémère s'y forma vers 1778. La Gazette littéraire, pendant un an, en 1778, y fit circuler sa mauvaise prose; Joseph Mermet, poète français et soldat, qui vint guerroyer avec nous contre les Américains en 1813, y fut fort recherché; il y faisait lire ses vers et y comptait parmi ses admirateurs Jacques Viger . C'est à Montréal que Jacques Viger lui-même se livra à ses études d'histoire, et Denis-Benjamin Viger y publia ses pesantes strophes dans le Spectateur. Michel Bibaud , surtout, essaiera, à Montréal, de grouper autour de ses recueils périodiques, la Bibliothèque canadienne (1825-1830), l'Observateur (1830), le Magasin du Bas-Canada (1832), et l'Encyclopédie canadienne (1842), ceux qui pouvaient à cette époque faire oeuvre littéraire.

 

Nos premiers journaux

 

Voici la liste de quelques-uns des journaux qui parurent à la fin du dix-huitième siècle, au commencement du dix-neuvième, et qui sont à l'origine de notre histoire littéraire: la Gazette de Québec, 1764 ; la Gazette du Commerce et Littéraire, de Montréal, qui au bout de quelques semaines s'appela la Gazette littéraire tout court, 1778; la Gazette de Montréal, 1785; le Magasin de Montréal, 1792; le Canadien, à Québec, 1806; le Courrier de Québec, 1807; le Vrai Canadien, à Québec, 1810; le Spectateur, à Montréal , 1813; l'Aurore, à Montréal, 1815; l'Abeille Canadienne, à Montréal, 1818; la Minerve, 1830; l'Ami du Peuple, 1832.

 

Ces journaux n'eurent pas tous une égale fortune. La plupart d'entre eux, la Gazette littéraire, l'Abeille Canadienne, le Magasin de Québec, le Courrier de Québec, le Vrai Canadien luttèrent pendant quelques mois ou quelques années avec la vie, puis disparurent tour à tour. Si l'on excepte la Gazette de Québec, la Gazette de Montréal, le Canadien, le Spectateur, qui devaient fournir une longue carrière, l'existence fut dure pour nos premiers « papiers ». Afin d'atteindre le plus grand nombre possible de lecteurs, on publia plusieurs de ces journaux en anglais et en français. La Gazette de Québec, la Gazette de Montréal, le Magasin de Québec, furent rédigés dans ces deux langues.

 

On pourrait classer en deux catégories distinctes nos premiers journaux. Il y eut les journaux d'information, comme la Gazette de Québec, la Gazette de Montréal; et il y eut des papiers périodiques surtout littéraires, comme la Gazette littéraire de Montréal, le Magasin de Québec. Ce dernier ne reproduisait guère que des pages de littérature étrangère. La Gazette littéraire de Montréal, publiée par Fleury Mesplet , [ autre site sur Mesplet ]et où collaborait activement un Français, Valentin Jautard, sous le pseudonyme de Le spectateur tranquille, fournit à nos compatriotes les premières occasions d'écrire sur des sujets d'ordre littéraire ou philosophique. Mais ces premiers essais sont médiocres; quelques-uns, qui firent scandale, portent la marque de l'esprit voltairien qui avait pénétré au Canada, pendant la deuxième partie du dix-huitième siècle.

 

Les premiers journaux d'information politique furent très peu littéraires; ils publièrent rarement des articles français qui eussent quelque valeur. Si l'on excepte quelques rares poésies d'ailleurs faibles, les articles français que l'on trouve dans la Gazette de Québec ne sont guère qu'une traduction de ses articles anglais. La littérature de ce journal politique est elle-même fort terne et insignifiante. Brown , qui fut, avec Gilmore , le fondateur de la Gazette, caractérisait trop justement ce journal, quand il écrivait, le 8 août 1776, qu'il « a mérité le titre de la plus innocente gazette de la domination britannique ». C'est avec le Canadien (1806) que commence véritablement l'histoire du journalisme canadien-français. C'est dans ses pages que se retrouvent les premières ardeurs de notre prose politique.

 

Pierre Bédard , François Blanchet , au Canadien, Jacques Labrie , Louis Plamondon , au Courrier de Québec, Denis-Benjamin Viger , au Canadien et au Spectateur, Michel Bibaud à l'Aurore des Canadas et dans ses recueils, Jacques Viger , au Canadien et dans les journaux et les recueils littéraires de Michel Bibaud , sont les premiers journalistes qui aient exercé sur les esprits, par le moyen de leurs écrits, une influence d'ailleurs inégale et variable. Cette prose des journaux est à peu près la seule que l'on imprime à la fin du dix-huitième et au commencement du dix-neuvième siècle. C'est elle qui occupe l'attention, oriente les sympathies politiques, et dicte le jugement qu'il faut porter sur la chose publique. Cette prose est tour à tour enflammée ou calme, ardente ou contenue, agressive ou patiente. Elle est pleine des agitations qui ont troublé certaines heures de notre vie nationale, à l'époque où, par exemple, Craig était ici la dupe des mauvais conseillers qui l'entouraient, et où les Canadiens français étaient à la fois prudents et capables de revendications hardies. On trouve dans toute cette littérature politique la trace encore profonde des incessantes récriminations qu'ont soulevées pendant près de quarante ans les questions si souvent irritantes des subsides et de la réforme du Conseil législatif.

 

Nous pourrions mentionner avec la prose de nos premiers journaux, celle des pétitions, mémoires, remontrances adressés au gouvernement de Londres, et qui constituent à cette époque une page intéressante de notre littérature politique. On y trouve les griefs et les revendications des Canadiens. L'expression en est souvent remarquable. Les pensées y sont fermes, nettes, exposées avec une dialectique vigoureuse, et parfois avec une belle éloquence.

 

Étienne Parent (1802-1874). Étienne Parent fut notre plus grand journaliste au siècle dernier. Rédacteur du Canadien pendant près de vingt ans, à une époque de profondes agitations politiques, et où les Canadiens français luttaient avec vigueur pour la reconnaissance des libertés parlementaires promises par la charte de 1791, il incarna avec force, et avec une prudente sagesse, la pensée et les revendications de ses compatriotes.

 

Né à Beauport, près de Québec, le 2 mai 1802, Étienne Parent fit ses études classiques au Collège de Nicolet et au Séminaire de Québec. Dès l'année 1822, il devint rédacteur du Canadien de Québec. Après la disparition temporaire de ce journal en 1825, le jeune rédacteur fit son droit, et fut admis au barreau en 1829. Son tempérament d'écrivain, son esprit très occupé d'études, son goût de la polémique l'entraînèrent encore bientôt vers le journalisme. Et quand, en 1831, un groupe de jeunes députés réclama la création d'un journal combatif, et voulut relever le Canadien, Étienne Parent se chargea de cette résurrection du journal, dont le nom seul était pour nos pères un signe de ralliement, et, le 7 mai 1831, paraissait le premier numéro du nouveau Canadien. En première page se trouvait une nouvelle devise: Nos Institutions, notre Langue et nos Lois!

 

A l'occasion de l'insurrection de 1837, Étienne Parent, qui, cependant, ne partageait pas les idées de ceux qui avaient poussé à la révolte, fut tenu pour suspect et enfermé avec d'autres patriotes pendant l'hiver de 1837-1838, dans la prison de Québec. En 1841, il fut élu député du comté du Saguenay. Mais à cause d'une surdité assez grave qu'il avait contractée dans sa prison, il jugea à propos de remettre son mandat dès l'année 1842. Il abandonna la même année la direction de son journal, et accepta le poste de greffier du Conseil exécutif. Il revint cependant, même après 1842, au Canadien, où il conduisit encore de vives polémiques.

 

A partir de 1842, c'est plutôt par la conférence qu'Étienne Parent continua d'exercer une action publique. Devant les auditoires des Instituts Canadiens de Québec et de Montréal, à la Chambre de lecture de Saint-Roch de Québec, et devant la Société pour la fermeture de bonne heure des magasins, à Québec, il donna des séries de lectures publiques qui témoignent de l'étendue de son savoir, et surtout de la pénétration philosophique de sa pensée. Devenu sous-secrétaire de la province du Bas-Canada, en 1847, il garda à peu près les mêmes fonctions sous la Confédération, avec le titre de sous-secrétaire d'État. Il prit sa retraite en 1872, et mourut à Ottawa le 22 décembre 1874 .

 

Le jour même de la mort d'Étienne Parent, le Courrier de l'Outaouais affirmait qu'il avait créé le genre du journalisme en ce pays. Ses confrères l'appelaient volontiers le « Nestor de la presse ». Une pensée maîtresse orienta toutes ses idées: c'était la devise qu'il inscrivit en tête du Canadien: « Nos Institutions, notre Langue et nos Lois ! »

 

Le contrôle des subsides par la chambre des députés, la réforme du Conseil législatif dans le sens d'un conseil élu par le peuple plutôt que nommé par le gouverneur et ses ministres, le gouvernement responsable qu'il réclamait dès 1833 (2), furent les principaux objets des campagnes d'idées conduites par Étienne Parent dans le Canadien. Il les discuta avec clairvoyance et pondération. Bien qu'il ait longtemps soutenu la politique de Papineau, il ne put suivre jusqu'au bout le grand agitateur. Il s'en sépara quand il lui sembla qu'il allait sortir des voies de la prudence et de la légalité.

 

Aucune question intéressant la vie politique, sociale, intellectuelle, économique des Canadiens français ne resta étrangère à Étienne Parent. Sur tous ces aspects de la vie canadienne, il a écrit des articles de haute valeur. Il reprit plus tard, dans ses conférences, les principaux problèmes économiques et sociaux que posait l'actualité: problèmes d'éducation, du capital et du travail, de la répartition des richesses, de la création des élites, de l'influence de la religion, de la nécessité de créer des industries, de s'emparer du commerce et de préparer la jeunesse aux carrières techniques et politiques.

 

Étienne Parent se complaisait dans les spéculations philosophiques, et parfois dans les lieux communs de l'histoire. Sa pensée porte souvent des traces du philosophisme du dix-huitième siècle.

 

Étienne Parent écrivait dans une langue qui fut assez lourde au début, mais qui a fini par être remarquablement vigoureuse et alerte. Il a laissé des pages qui comptent parmi les meilleures de toute notre littérature. Son autorité littéraire fut considérable. Il fut le directeur littéraire de son temps. Selon le mot d'Hector Fabre: « Nul n'osait se croire écrivain, s'il n'en tenait de sa main le brevet.»

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BIBLIOGPAPHIE

 

LAREAU (Edmond): Histoire de la Littérature canadienne.

AB DER HALDEN (Ch.): Études de Littérature canadienne-française.

ROY: (Mgr Camille): Nos Origines littéraires.

DIONNE (N: E.) : Pierre Bédard et ses fils.

CHAPAIS (Thomas). Discours et Conférence.

SULTE (Benjamin): Mélanges historiques, XIV.

FRASER (Ian Forbes) : The Spirit of French Canada.

MARION (Séraphin): Les lettres canadiennes d'autrefois, 3 vols.

 

(1). Encyclopédie canadienne. I, 309.

 

(2). Le Canadien, 19 juin 1833.

 

 

Source: Mgr Camille ROY, Manuel d'histoire de la Littérature canadienne de langue française , 21 ème edition, revue et corrigée par l'auteur, Montréal, Beauchemin, 1962 [1939], 201p., pp. 22-29. Le texte a été reformaté et les erreurs typographiques évidentes ont été corrigées.

 

 

 

 
© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College