Quebec History Marianopolis College


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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

L'histoire de la littérature canadienne-française (Québec)

 

CHAPITRE XIII

JOURNALISME ET ÉLOQUENCE AU QUÉBEC DE 1900-1939

 

Journalistes : Henri Bourassa - Omer Héroux - Georges Pelletier -

Jules Dorion -- Oliver Asselin. - Éloquence : Th. Chapais -­

Mgr Paul-Eugène Roy - R. P. Gonthier, et autres

 

[Ce texte a été écrit par l'abbé Camille Roy; il a été publié en 1962. Pour la référence complète, voir la fin du texte.]

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Le journalisme

 

Le journalisme canadien a fait depuis trente ans de réels progrès. A côté des journaux inféodés aux partis politiques, et des journaux à sensations imités des feuilles américaines, on a créé des journaux avant tout consacrés à la discussion des idées. Le ton du journalisme s'y est élevé, et la tenue littéraire des journaux politiques eux-mêmes y a gagné.

 

Il est difficile de distinguer, entre tous, les journalistes qui ont fait meilleure oeuvre littéraire. D'autant que l'ouvre de ces écrivains est d'ordinaire anonyme ou qu'elle reste enfouie dans les collections du journal où elle fut publiée. On a souvent dit pour cela que l'article du journal n'appartient pas à l'histoire littéraire, et que le journaliste qui ne publie pas autrement ou par ailleurs ses écrits, doit se résigner à n'y pas paraître. Nous croyons cependant utile, pour faire plus complet le panorama de notre vie littéraire et de ses principaux ouvriers, de rappeler au moins ici les noms de journalistes qui, depuis 1900; ont laissé une oeuvre écrite plus considérable.

 

Henri Bourassa fut le fondateur du Devoir en 1910. Il a occupé dans notre journalisme contemporain une place exceptionnelle. Quoi que l'on puisse penser du nationalisme, d'ailleurs variable, dont il a formulé la doctrine, et créé l'organe, M. Bourassa aura contribué par le Devoir, non seulement à relever le ton du journalisme canadien, mais à développer ce journalisme d'idées qui nous était si nécessaire.

 

M. Bourassa a déployé dans sa manière de faire l'article une force de dialectique, une précision de pensée, une vigueur de style réaliste, et parfois une éloquence qui donnaient à ses articles de politique, de sociologie ou d'histoire une valeur d'art spéciale. Il a porté cette vigueur, cette éloquence de la dialectique dans ses discours. Il fut l'orateur préféré des foules, donnant à sa pensée une forme à la fois académique et populaire qui lui valut les plus enthousiastes succès.

 

Henri Bourassa a recueilli en brochures un grand nombre d'articles d'abord publiés en séries dans le Devoir . Il a aussi publié deux ouvrages où sont étudiés quelques problèmes constitutionnels et nationaux : Que devons-nous à l'Angleterre ? (1915); Hier, Aujourd'hui. Demain (1916). A propos des questions qu'a soulevées la grande guerre, il a publié : Le Pape arbitre de la Poix (1918).

 

Omer Héroux fut le principal collaborateur de Henri Bourassa au Devoir . Il continue d'y publier, depuis 1910, son article quotidien, précis, vivant, facile, élégant, parfois ému, presque toujours vigoureux. M. Héroux reste assurément chez nous le type du journaliste qui renouvelle chaque jour, au contact des réalités et de l'actualité, sa manière et sa pensée. L'ensemble de ses articles fournira une chronique assez complète de la vie politique, religieuse, nationale du Canada, de 1910 à nos jours.

 

Georges Pelletier écrit au Devoir, à côté d'Omer Héroux, donnant aux questions économiques et internationales une spéciale attention. Il le fait avec une documentation abondante, un sens aigu des réalités, et une force vigoureuse d'argumentation. Sa logique se pénètre parfois d'émotion.

 

Georges Pelletier écrit, sous de nombreux pseudonymes, d'ailleurs assez connus, des billets qui sont une part exquise de sa collaboration. Il y fait de l'amusante et élégante psychologie. Il a réuni en volume une partie de cette ouvre : Silhouettes d'aujourd'hui (1926), signées Paul Dulac. Ce sont des portraits de personnages politiques, religieux, universitaires, où l'auteur burine d'une main délicate, mais avec un art condensé, pénétrant et mordant, à la La Bruyère, la silhouette de quelques-uns de nos principaux contemporains.

 

Jules Dorion (1870-1939), directeur pendant plus de trente ans de l'Action Catholique , de Québec, écrivait d'une plume plutôt sobre, mais au besoin vigoureuse ou piquante, et avec un ferme bon sens, son article sur les questions sociales et politiques.

 

C'est dans la série des articles de Jules Dorion que l'on peut retrouver l'histoire des campagnes faites depuis trente ans pour créer, consolider les différentes formes de l'Action sociale catholique, et pour défendre les droits politiques, scolaires ou religieux des Canadiens français. Au cours d'un long voyage, Jules Dorion écrivit pour le journal, et publia ensuite en volume des récits : En passant aux bords de l'Europe, de l'Asie, de l'Afrique (1934).

 

Olivar Asselin (1874-1937) a exercé par le journal, sur ses lecteurs, une influence considérable : influence qui tenait surtout à son esprit critique, ouvert sur tous les problèmes de la vie politique, intellectuelle, nationale. Cet esprit s'animait d'une vigueur hardie qu'accroissait volontiers le pessimisme. Asselin aperçut assez clairement, nos déficiences ; il ne vit pas assez autre chose. Il ne vit pas assez les éléments sains de nos organisations sociales ou intellectuelles, et les causes historiques de nos insuffisances. Il groupa facilement autour de lui ceux qui aiment la critique amère et violente. Asselin assaisonnait sa critique des meilleures qualités de l'esprit français. Le sien était alerte, curieux, mordant, souvent irrité. Souvent aussi il était faussé par une passion mesquine, par des animosités injustes et par un facile et injuste mépris des personnes. Il se plaisait à détruire par le sarcasme : ce qui est plus aisé que de construire. Son action fut trop souvent négative. Une actualité piquante assura du succès au journaliste. Ce fut une grande part de la force d'Asselin; ce fut aussi pour son oeuvre un principe de caducité. Il a fondé des journaux qui eurent la vie brève. On a publié après sa mort un recueil d'articles, Pensées françaises (1937).

 

Jules Fournier (1884-1918) fut collaborateur d'Olivar Asselin . Il avait aussi ses qualités d'esprit. Il partagea jusqu'à son pessimisme. Il eut une carrière brève toute remplie des violences de sa polémique. Il fit de la critique politique et littéraire. Il avait le souci de la culture; il était impatient de réformes. Il souhaitait une plus rapide restauration de nos forces nationales. Mais il s'employa trop volontiers lui aussi à la tâche assez facile de détruire les hommes par le sarcasme ou l'injure : tâche qui procure plus de joie au démolisseur que de profit aux causes que l'on veut servir. On a recueilli en deux volumes ses principaux articles, Mon encrier (1922).

 

Louis Francoeur (1895-1941) aura été l'un de nos plus brillants journalistes. Ses articles restent épars dans les journaux où il a collaboré: La Patrie, Le Journal, de Québec, L'Illustration. Ce sont ses causeries de guerre à Radio-Canada (1939-1941) qui lui ont valu sa plus large réputation. Ces causeries, hebdomadaires d'abord, puis presque quotidiennes sous la rubrique La situation, ce soir, ont été pour Louis Francoeur l'occasion de mettre en valeur son esprit érudit, judicieux, humaniste, clair, mordant et incisif. La plupart de ces causeries ont été publiées. Une mort accidentelle les a brusquement interrompues. Louis Francoeur avait publié, en collaboration avec le docteur Philippe Panneton, A La manière de . . . (1941), curieux ouvrage, de réussite inégale, où les auteurs s'appliquaient à faire des pastiches d'écrivains canadiens.

 

L'éloquence

 

L'éloquence politique, académique, religieuse, a laissé peu d'oeuvres à notre littérature.

 

Pendant trente ans, l'éloquence politique a été surtout représentée par Henri Bourassa , dont la puissance oratoire était faite de passions ardentes de l'esprit, d'une grande vigueur d'argumentation, d'une voix claironnante et d'une action mouvementée. L'orateur portait à la tribune les causes que le journaliste défendait ou discutait dans le Devoir.

 

Thomas Chapais a publié trois volumes de Discours et Conférences (1897, 1913, 1935) où domine l'éloquence patriotique. L'historien s'y retrouve avec le souci de dégager des leçons de l'histoire. Son éloquence est soutenue par un sentiment profond, vibrant, qui anime les idées générales et les faits.

 

Mgr Paul-Eugène Roy (1859-1926), archevêque de Québec, fut pendant plus de trente ans l'orateur à la fois le plus puissant et le plus académique de notre éloquence religieuse. Apôtre de l'oeuvre de l'action sociale catholique, il a multiplié les discours, les sermons, les conférences, propageant avec une vigueur toujours renouvelée les doctrines qui sont à la base de l'action catholique. Ses campagnes de tempérance sont restées mémorables. Jamais orateur n'a peut-être chez nous déployé une plus irrésistible éloquence, appuyée sur une dialectique plus serrée et accompagnée d'une action oratoire à la fois plus naturelle et plus conquérante. Sa parole, capable de se faire populaire, était toujours d'une impeccable correction, soucieuse d'une élégance simple, relevée d'images familières ou gracieuses, pénétrée, à l'occasion, d'émotion douce ou violente, exprimée par une diction nette et souple qui contribuait elle-même à faire pénétrer la pensée dans l'esprit des auditeurs.

 

On a recueilli, après la mort de Mgr Paul-Eugène Roy, quelques-uns de ses discours et de ses sermons, des lettres, des méditations où se révèlent les multiples aspects de l'âme de l'auteur : Discours religieux et patriotiques (1926), Apôtres et Apostolat (1927), Action sociale catholique et Tempérance (1927); deux volumes de sermons, La sainte Vierge, (1928, 1930); A travers l'Évangile (1928), D'une âme à Dieu (1928), A la suite du Maître (1926) et un volume de correspondance spirituelle et familière : D'une âme à une autre (1927).

 

Mgr L.-A. Paquet , dont l'oeuvre de théologie et de philosophie a été signalée plus haut, fut aussi l'un de nos orateurs religieux ou académiques les plus recherchés. Son éloquence se déroule en périodes classiques, harmonieuses. On retrouvera les meilleures pages de cette éloquence dans Discours et Allocutions (1915), où l'orateur traite de sujets religieux et patriotiques.

 

Le R. P. Dominique-Ceslas Gonthier , dominicain (1853-1917), fut à la fois écrivain et orateur, écrivain plutôt qu'orateur. On a recueilli, après sa mort, des sermons et des discours qui valent par leur tenue littéraire, plus qu'ils n'ont produit d'effets oratoires. Oeuvres oratoires (1930) est un premier volume qui ne contient qu'une partie de l'oeuvre du prédicateur. C'est la force doctrinale, accompagnée d'une dialectique vigoureuse, pénétrée d'une émotion toujours discrète, qui fait l'intérêt principal des sermons du Père Gonthier. Ce religieux fut aussi un polémiste dont la plume était piquante. Ceux qui ont lu, dans la revue la Nouvelle-France, ses articles Erreurs et Préjugés , s'en souviennent.

 

Mgr Camille Roy a publié les oeuvres oratoires suivantes: Études et Croquis (1928), qui contiennent des allocutions académiques, Leçons de notre Histoire (1929), qui sont des discours prononcés à l'occasion d'événements historiques, Nos Problèmes d'enseignement (1935), où l'on retrouve des discours sur nos disciplines classiques et sur l'oeuvre universitaire, Pour conserver notre héritage français (1937), où l'orateur a traité de questions qui importent à notre survivance, ou qui évoquent quelques aspects de notre héritage de vie française; Pour former des hommes nouveaux (1941), où le recteur de l'Université Laval a groupé des discours aux jeunes gens, pour la plupart prononcés à l'occasion de l'ouverture des cours universitaires; Semences de vie (1943), semences d'oeuvres historiques que l'orateur a racontées et de doctrines qu'il a exposées.

 

Nous avons signalé plus haut l'oeuvre oratoire, importante, pleine de vie et de mouvement, que l'abbé Lionel Groulx a étroitement liée à son oeuvre d'historien, entre autres recueils : Dix ans d'Action française (1926), Orientations (1935), Directives (1937). L'éloquence de l'abbé Groulx puise sa force dans les idées et les passions de l'historien qui, chez lui, accompagne toujours l'orateur; elle se drape volontiers de larges et flottantes périodes; elle se complaît dans la profusion du verbe sonore; elle joint l'image à la pensée.

 

Athanase David a groupé en un recueil les discours qu'il fit En marge de la Politique (1935), et où il traite particulièrement des problèmes de notre éducation nationale.

 

Mgr Adélard Harbour a d'abord publié des discours de circonstances, religieux et historiques: Les grands jours de notre vie religieuse (1939). Il a aussi fait paraître une première série des sermons de carême qu'il prêche à la cathédrale de Montréal : Le Mariage (1940).

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BIBLIOGRAPHIE

 

ROY (Mgr Camille) : Essais sur la Littérature Canadienne ; A l'Ombre des Érables. 

DAVID (L-0.) : Souvenirs et Biographies.  

PERRON (J.-T.) : Mgr Paul-Eugène Roy. Notes biographiques et documentaires.

D'ARLES (Henri) : Estampes.  

LAMARCHE (R. P. M.-A.) : Nouvelles ébauches critiques.  

SOEUR AMÉDÉE WELTON : Mgr Paul-Eugène Roy: un orateur apôtre. 

FRÈRE LUDOVIC : Bio-bibliographie de Mgr Camille Roy.

 

 

Source : Mgr Camille ROY, « Journalisme et éloquence », dans Manuel d'histoire de la littérature canadienne de langue française , Montréal, Beauchemin, 1962 [1939], 201p., pp. 153-159.

 

 

 

 

 
© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College