Quebec History Marianopolis College


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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

Histoire de la littérature canadienne-française (Québec)

 

CHAPITRE 10

La Poésie de 1900 à 1939

 

Gonzalve Desaulniers - Charles Gill - Émile Nelligan - Albert Lozeau

Jean Charbonneau - Albert Ferland - Blanche Lamontagne - Engelbert Gallèze

Émile Coderre - Al­fred Des Rochers - Paul Morin - René Chopin

Rosaire Dion - Robert Choquette - Lucien Rai­nier   - Georges Bugnet

Payse - Simone Routier - Jovette Bernier

Éva Sénécal - Medjé Vézina,

et autres

 

[Ce texte a été écrit par l'abbé Camille Roy; il a été publié en 1962. Pour la référence complète, voir la fin du texte.]

Retour à l'histoire de la littérature québécoise

C'est la poésie qui paraît avoir apporté la part la plus large au renouveau littéraire du premier quart de ce siècle. Tout le long de cette période, elle a multiplié des oeuvres où apparut d'abord une inspiration différente de celle qui prévalut pendant la période précédente. L' École littéraire de Montréal, qui fournit les premiers recueils de cette poésie nouvelle, abandonna les thèmes patriotiques de l'École de 1860, pour s'appliquer plus spécialement à traduire les sentiments de l'âme, et à faire de la poésie psychologique.

 

La poésie s'est donc faite plus intérieure, en même temps que plus artistique. On vit d'ailleurs des poètes de l'époque précédente, comme Pamphile Le May et Louis Fréchette, essayer d'accorder leurs derniers chants avec l'art nouveau. Nérée Beauchemin, qui au siècle dernier avait été, avec Alfred Garneau, précurseur de la nouvelle école, se renouvela lui-même, et publia, en 1928, Patrie intime.

 

D'autre part, le terroir, thème fertile qu'avait connu et pratiqué Pamphile Le May, devint bientôt, sous l'influence des études de la Société du Parler français de Québec, le champ préféré et en tous sens retourné, d'un groupe nouveau de poètes qui l'ont mis en meilleure valeur. On devait cependant bientôt et trop vite abuser de ce thème souvent trop facile qui ne peut suppléer à l'inspiration véritable.

 

Plus tard, le symbolisme musical de Paul Verlaine a pénétré, très discrètement d'abord, dans notre poésie. Puis, sous l'influence de poètes français illustres comme Paul Valéry et Paul Claudel, on vit les procédés du symbolisme musical et du vers libre séduire quelques poètes nouveaux de chez nous. C'est depuis 1930 environ qu'une telle école essaie de s'établir. Délaissant les règles traditionnelles de la poésie française, on cherche dans la musique du vers, dans la prose rythmée, dans des rêves ou des symboles difficilement accessibles, dans une obscurité volontaire qui prétend être de la profondeur, des effets de poésie pure, d'harmonie, d'évocations qui s'adressent à des lecteurs rares. Une telle poésie, celle-là surtout qui se rattache à Paul Valéry, pourrait bien trouver dans son mystère aristocratique sa propre caducité. Paul Verlaine avait raison de ne pas vouloir, en poésie, sacrifier l'idée à la musique.

 

On a prétendu que l'hermétisme de cette poésie nouvelle n'était pas obscurité, mais éblouissement. A l'éblouissement comme à l'obscurité, l'esprit français préférera toujours, même en poésie, la lumière.

 

Les poètes de l'École littéraire de Montréal

 

Gonzalve Desaulniers (1863-1934) fut l'un des fondateurs de l'École littéraire de Montréal . Avocat, juge, il n'a jamais cessé de cultiver les lettres, et de s'adonner à l'art des vers. Il lut aux soirées du Château de Ramesay, où se réunissait le groupe de l'École ses premiers poèmes, et il attendit jusqu'à l'âge de soixante-sept ans avant de rassembler ses oeuvres et de les publier, sous le titre Les Bois qui chantent (1930.)

 

Vraisemblablement, l'artiste voulut polir avec grand soin ses strophes avant de les livrer au public. Elles portent la marque du travail de la lime. Aussi, Gonzalve Desaulniers a-t-il donné l'un des meilleurs recueils qui soient venus de l'École littéraire. Le titre même du recueil révèle la nature romantique de l'inspiration du poète. Celui-ci est un rêveur, un mélancolique amant de la nature. Il se plaît à chanter ses émotions, celles que lui procurent le spectacle des bois, des champs, et celui de la mer. Il le fait sans éclat de voix, avec une âme appliquée, mais sincère. Desaulniers représente chez nous le romantisme lamartinien. Sa poésie est plutôt molle que nerveuse, sans profondeur, parfois trop fluide. Mais parfois aussi le poète élargit la strophe, hausse le ton, et nous donne des pages d'épopée comme dans Les Voix du Golfe.

 

Charles Gill (1871-1918). A dix-neuf ans, il alla étudier la peinture à l'École des Beaux-Arts de Paris; il y resta cinq ans. Nature et tête d'artiste. Peintre d'abord, après son retour au Canada, il fut poète ensuite. Comme par délassement, il fréquenta les vendredis du Château de Ramesay. Il rêva d'une épopée lyrique de la nature dont notre fleuve, le Saint-Laurent, serait le centre : fleuve immense aux décors grandioses, inspirateurs, qu'habitent l'histoire et la légende. Le poème aurait trente-deux chants, en plusieurs livres. L'auteur n'a pu en esquisser qu'un livre resté inachevé : Le Cap éternité.

 

Dans ce livre, deux chants principaux. L'un, le premier, est une évocation du passé que fait surgir le glas de la cloche de Tadoussac . Il y a de l'ampleur et de la puissance dans ces strophes où passe la plainte lugubre de la nation morte des Montagnais. Le second, Le Cap Trinité, est à la fois descriptif et philosophique. Le vers y est en général solide et robuste. L'ensemble de ces deux poèmes caractérise bien la manière de Charles Gill : poète attiré vers les cimes de la nature ou de la pensée, où parfois sa muse éprouve de la fatigue ou du vertige. Le chant des Stances aux Étoiles s'apparente par son inspiration philosophique à celui du Cap Trinité.

 

Charles Gill, qui se complaît dans les vols parfois trop hardis et inégaux de son imagination épique, savait aussi être gracieux et délicat dans les sujets de moindre envergure. Qu'on relise « Les deux étoiles » et « Chanson » dans les Étoiles filantes . Ses oeuvres ont été publiées après sa mort en un volume: Le Cap Éternité , suivi des Étoiles filantes et de Traductions d'Horace (1919).

 

Émile Nelligan (1879-1941) fut l'une des meilleures espérances de l'école littéraire. Son talent devait trop tôt sombrer dans le naufrage douloureux de son esprit. Né à Montréal, d'un père irlandais et d'une mère canadienne-française, il portait en lui l'intelligence vive, la fougue robuste du Gaulois et le mysticisme rêveur des Celtes. Ce mélange s'exaspéra dans les caprices d'une adolescence indomptée qui ne pouvaient qu'ébranler la sensibilité malade du jeune homme.

 

Il ne put terminer ses études classiques, et il se désespérait à la pensée de gagner prosaïquement sa vie. Il se mit à chanter dans des vers qui traduisaient toute l'inquiétude troublante de son âme.

 

Nelligan s'est défini lui-même dans deux poèmes infiniment tristes : Mon âme et Le Vaisseau d'or. Sa poésie, sortie tout en fièvre de son imagination et de sa pensée, tient au tempérament surexcité, malade, du poète, aux tristesses qui l'accablent, aux désirs qui le tourmentent, et nullement à nos traditions nationales ou religieuses. Mais cette âme impressionnable que la névrose secoue et ébranle, est une âme d'artiste. Elle s'inspire visiblement sans doute de Paul Verlaine, de Charles Baudelaire, ou de Maurice Rollinat, mais elle apporte à ces imitations un grand souci de la forme. Le poète cherche le mot pittoresque, original, qui fasse image ou harmonie. Des négligences qui paraissent voulues, des excentricités déconcertantes sont la rançon d'un art subtil qui n'est pas encore réglé.

 

Les poésies d'Émile Nelligan ont été groupées dans le recueil Émile Nelligan et son oeuvre (1903) . A dix-neuf ans, le poète malade s'abîmait dans la tristesse de son rêve inachevé. Il avait écrit quelques-uns de nos plus beaux vers. Il était promis à de meilleurs succès. Il fut longtemps la gloire et le deuil vivant de l'École littéraire.

 

Albert Lozeau (1878-1924). Né à Montréal où il devait mourir après une vie douloureuse, où la souffrance fut pour le poète une rude maîtresse. Dès l'âge de quatorze ans il éprouvait les atteintes du mal qui devait, à dix-huit ans, l'immobiliser sur son lit ou dans son fauteuil de malade. C'est dans l'isolement de sa chambre qu'il reprit ses études interrompues, et chercha dans les livres, dans la poésie classique et moderne, dans des ouvrages préférés, une consolation, un plaisir délicat et utile pour sa vie brisée.

 

L'Âme Solitaire (1907), Le Miroir des Jours (1912), Lauriers et Feuilles d'Érable (1916), sont les trois recueils qu'il publia. Après sa mort, on a réédité les Poésies complètes (1926) de Lozeau, en trois volumes: L'Âme Solitaire, Le Miroir des Jours, Les Images du Pays. Le dernier volume contient des poésies inédites; précédées des Lauriers et Feuilles d'Érable. L'auteur lui-même avait, quelque temps avant sa mort, revu cette ouvre complète et avait éliminé ou ajouté, selon qu'il le jugeait à propos. C'est donc une édition définitive, conforme à la pensée d'Albert Lozeau .

 

Il faut mentionner aussi trois séries de Billets du Soir (1911, 1912, 1918) qui avaient paru dans les journaux, sorte de petits poèmes en prose, dont quelques-uns sont d'un art extrêmement délicat.

 

Albert Lozeau a médité sur presque tous les thèmes lyriques. L'amour d'abord, auquel il rêve dans sa chambre, lui inspire des accents enflammés, brefs, parfois un peu artificiels. La solitude, la vanité des choses, le sentiment religieux reviennent souvent dans ses poèmes avec une grande sincérité d'émotion, et lui dictent des vers qui sont tout pleins de sa douloureuse expérience.

 

Chose curieuse, ce poète qui n'a guère vu la nature que par la fenêtre de sa chambre, a voulu la chanter : il l'a fait avec les dessins et les couleurs qui restaient comme des images précieuses dans sa mémoire et son regard.

 

Albert Lozeau aimait à enfermer dans le sonnet son inspiration. Il le fit en artiste occupé avec soin des effets de mots et de style. Parfois, l'art devient artifice. Quelques poèmes ressemblent à de fines broderies, et les dessins en sont trop menus. Mais dans l'ensemble l'oeuvre de Lozeau reste comme l'une des meilleures de la poésie psychologique qui parut chez nous aux premières années de ce siècle.

 

Jean Charbonneau, l'un des fondateurs de l'École littéraire, a successivement publié : Les Blessures (1912), L'Âge de Sang (1921) , Les Prédestinés (1923), L'Ombre dans le Miroir (1924) , La Flamme ardente (1928), Tel qu'en sa solitude (1940) . En prose : Les Influences françaises au Canada, trois volumes (1917, 1918, 1920), et un livre sur les origines et les influences de l'École littéraire de Montréal (1935).

 

Il se complaît surtout dans les spéculations philosophiques, et traite des grands problèmes de l'homme et de ses destinées. Son esprit, qui paraît plongé dans une sorte de panthéisme inconsistant, cherche à résoudre l'énigme des choses, sans d'ailleurs rencontrer de solution. Le poète aborde dans ces poèmes des sujets où sa pensée se dilue, se noie, ou se perd dans le vide. Les sujets dépassent souvent l'envergure des ailes de la muse. Cependant, M. Charbonneau a des dons précieux. Il a surtout celui de l'image, qui prend les formes les plus heureuses. On rencontre dans son couvre des tableaux, des ensembles, des constructions où se révèle un art véritable.

 

Dans les trois volumes de prose, Les Influences françaises au Canada , on retrouve le manque de précision, le goût des synthèses trop vagues qui ont fait tort à la poésie de M. Charbonneau. A côté de pages ou de considérations justes et ingénieuses, il y a des développements diffus, trop vastes, des souvenirs de lectures, une abondance livresque où s'éparpille trop la pensée de l'auteur.

 

Albert Ferland , qui fut secrétaire et président de l'École littéraire, a publié Mélodies poétiques (1893), Femmes rêvées (1899), à une époque où il fréquentait les poètes de l'École, et les Soirées du Château de Ramesay. Il s'y abandonne aux multiples inspirations qui lui viennent du sentiment ou de la nature. Plus tard, il s'est appliqué à chanter surtout la terre et la forêt canadiennes. Sous le titre général Le Canada chanté, il a publié Les Horizons (1908), Le Terroir (1909) , L'Âme des Bois (1909), et La Fête du Christ à Ville-Marie (1910).

 

Albert Ferland a depuis fait paraître dans les Mémoires de la Société Royale du Canada et dans les Soirées de l'École littéraire (1925) d'autres poèmes.

 

Sa poésie , délicate sans assez de force d'abord, et souvent gracieuse, a pris plus d'ampleur dans les poèmes du Canada chanté. Albert Ferland essaie d'y donner aux vers une facture artistique, et de la plénitude. Il évoque avec une vision personnelle le paysage canadien. On regrette que l'inspiration ne soit pas plus abondante, ni davantage continue. Autodidacte, habitué à se replier sur lui-même, Albert Ferland concentre son émotion jusqu'à ne pas assez la faire paraître. Il est plus ému qu'il ne le dit. Le sentiment chrétien et celui de la nature sont tous deux au fond de sa conscience. Il les exprime avec une simplicité sincère parfois trop sèche : le plus souvent agréable ou touchante.

 

Hector Demers a placé sous les auspices de l'École littéraire de Montréal le recueil des Voix Champêtres (1912), où la poésie, le long des chemins de vacances qu'elle fréquente, voisine trop avec la prose.

 

Les poètes du terroir

 

Madame Blanche Lamontagne fut la première après 1900, et à l'occasion du mouvement littéraire issu de la fondation à Québec, en 1902, de la Société du Parler français, à explorer et à exploiter cette veine du terroir où tant d'autres, après elle, devaient chercher la matière de leurs poèmes. L'étude du parler populaire avait peu à peu conduit à l'étude des choses familières qu'exprime ce parler; l'on était passé des mots aux objets de la vie du peuple, à toute cette richesse obscure que contient la poésie des traditions, des moeurs, des travaux de la campagne. Madame Blanche Lamontagne voulut s'emparer de cette richesse; elle en fit le motif et l'objet de ses premières pièces de vers. Le premier Congrès du Parler français au Canada couronnait, en 1912, son oeuvre première, où paraît l'inexpérience, Visions gaspésiennes (1913).

 

Le poète continua de chanter, de perfectionner ses moyens d'expression et publia Par nos Champs et nos Rives (1917), La vieille Maison (1920), Les Trois Lyres (1923), La Moisson nouvelle (1926) , Ma Gaspésie (1928), Dans la Brousse (1935).

 

Madame Blanche Lamontagne a puisé dans ses souvenirs d'enfance comme dans la vision directe de la nature de sa petite patrie gaspésienne, toute la matière de ses chants. Ses poèmes réalistes, descriptifs, et qui montrent avec vérité les choses les plus humbles de la vie rustique, sont aussi pénétrés d'un idéalisme très sain, qui les anime, les anoblit, leur donne un sens supérieur. Nos meilleures traditions religieuses soutiennent la pensée du poète et l'attachent à toute cette vie rurale de chez nous qui ne va pas sans la piété ancienne, fidèlement conservée.

 

La poésie de Madame Blanche Lamontagne, profondément sincère, est donc chargée de substance canadienne. L'auteur, cependant, n'a pas assez renouvelé, dans ses derniers recueils, ni l'inspiration principale de son oeuvre, ni l'art d'exprimer la pensée ou les choses. Elle se répète sans accroître son originalité.

 

Madame Blanche Lamontagne-Beauregard a aussi publié en prose : Récits et Légendes (1922) et un roman de moeurs canadiennes : Un Coeur fidèle (1924).

 

Englebert Gallèze (M. Lionel Léveillé) a publié Les Chemins de l'Âme (1910), La Claire Fontaine (1913), Chante, Rossignol, chante (1925), Vers la Lumière (1931). Ce poète a composé quelques-uns de nos meilleurs poèmes du terroir.

 

Dans son premier recueil, il entrecoupait volontiers de philosophie morale ses chants rustiques. Il a ensuite plus assidûment suivi sa voie. Ses souvenirs du village, son affection pour la terre et les moeurs des bonnes gens, voilà la claire fontaine où se renouvelle l'inspiration du poète. Inspiration réaliste, parfois un peu terne, le plus souvent vive et gracieuse.

 

Alphonse Désilets s'applique depuis ses années de collège à la poésie des choses de chez nous. Heures poétiques signées du pseudonyme Jacquelin (1910), Mon Pays, mes Amours (1913), Dans la Brise du Terroir (1922) contiennent tout son culte pour nos bonnes gens, leur vie joyeuse et rustique, et la terre où s'imprime leur simple histoire. Il chante tout cela sur un mode inégal, avec des strophes qui ne s'envolent pas toujours, mais qui souvent sont faites avec un art réel où la grâce s'ajoute à la précision du détail.

 

Émile Coderre dans Les Signes sur le Sable (1922) a écrit ses poèmes lyriques où l'amour et la nature se partagent l'inspiration du poète. Il y montrait un goût très vif de l'image, un sens délicat du rythme. Ces qualités sont revenues dans un ouvrage où cette fois la nature occupe presque toute la place, Quand j'parl' tout seul (1932), que l'auteur a signé du pseudonyme significatif Jean Narrache. C'est la vie populaire qui est   peinte ou racontée dans des tableaux où l'observation s'accompagne de la satire. Jean Narrache, c'est l'ouvrier pauvre, sans le sou, le gueux qui aperçoit autour de lui la richesse, l'opulence, qui réfléchit et qui ex­prime dans la langue forte, savou­reuse, des faubourgs, ses jugements. Il n'y a pas de haine dans l'âme de Jean Narrache, mais quelle ironie      mordante dans ses paroles où paraît un bon sens qui est du plus vigoureux réalisme ! Quand j'parl' tout seul est une oeuvre qui jaillit de la vie, que celle-ci soit vêtue de guenilles, de soie ou de dentelles. La versification se permet toutes les licences du genre adopté : l'élision populaire y rac­courcit les mots et les phrases, détermine parfois le rythme, donne du relief à la pensée ou à l'image. L'assonance parfois remplace la rime. Émile Coderre a frappé une veine d'où il a fait jaillir une oeuvre originale. Il a plus tard transporté la satire dans une oeuvre en prose : Histoires du Canada... Vies ramanchées (1937). Dans un nouveau recueil en vers, J'parl' pour parler (1939), l'auteur reprend la manière de Quand j'parl' tout seul, sans assez renouveler sa pensée ou le fonds de sa poésie.

 

Alfred Des Rochers a renouvelé vers 1930 la poésie du terroir qui allait s'affaiblissant dans les redites des mêmes thèmes, dans les mêmes façons de les concevoir ou de les exprimer.

 

L'Offrande aux Vierges folles (1929) avait révélé tout à la fois la sensibilité lyrique de l'auteur et son application à regarder d'un oeil attentif la nature. L'année suivante, paraissait A L'ombre de l'Orford (1930), des scènes de vie rurale étaient décrites avec une précision toute réaliste. C'est la poésie du terroir qui se montrait sous des formes nouvelles, originales, plus pittoresques. Des tableautins ou pastels de vie paysanne, des scènes de travail ou d'amusement, aux champs, au camp des bûcherons, le long du torrent avec les draveurs, des gestes robustes, des mots rudes et familiers, toute une vie fruste, ramassée en sonnets: voilà les objets ou les souvenirs que le poète a rassemblés au pied de l'Orford. Le réalisme voisine parfois trop avec la prose; l'auteur ne réussit pas toujours à faire jaillir des choses, des scènes vécues, la poésie qu'elles peuvent contenir. Mais l'ensemble des poèmes donne une forte impression d'originalité, fait paraître avec constance un art véritable du raccourci.

 

D'autre part, le réaliste qu'est M. Des Rochers est aussi un lyrique qui exprime avec force les sentiments et les faits de conscience. Il y joint d'ordinaire, pour en élargir le cadre, le lyrisme de la grande nature. A ce point de vue, l'Hymne au Vent du Nord, Soir d'été, Prière sont des poèmes où l'auteur met avec sa vie personnelle, une inspiration haute et sincère. La fougue voulue des mots répond assez justement à celle de imagination, ale la pensée ou des souvenirs.

 

Le groupe des artistes

 

Les poètes artistes sont ceux que préoccupent surtout l'art du vers ou le souci de produire une impression artistique. Cette recherche principale de la forme plastique n'eut guère chez nous d'adeptes. L'école parnassienne n'a pas, à vrai dire, de succursale au Canada. Cependant, nous croyons devoir grouper ici quelques poètes pour qui l'art du vers fut un spécial souci.

 

Paul Morin a publié en 1911 Le Paon d'Émail. Ce livre fut pour notre public une surprise. Par lui entraient dans notre poésie canadienne l'art de décrire pour décrire, de peindre pour peindre, et l'exclusive préoccupation de montrer aux yeux des lignes souples et des couleurs harmonieuses. Cette oeuvre de dilettantisme était aussi, en son fond, une oeuvre païenne. Mais l'oeuvre était faite de bonne main d'ouvrier; et il faut reconnaître qu'il y a dans ce recueil la marque d'un talent précieux.

 

Marbres et feuillages, visions d'Orient et de l'Hellade, fantaisies et sentiments sculptés dans un verbe plastique, ce fut la matière préférée dont se compose le Paon d'Émail.

 

M. Morin a publié un autre recueil, Poèmes de cendre et d'or (1922), qui contient des pièces d'une remarquable perfection de forme; mais il y a aussi dans ce livre beaucoup de traces d'une fantaisie qui est de la faiblesse. D'autre part, le thème y est plus étendu que dans Le Paon d'Émail; le poète y mêle la méditation à la description. Il y a dans ce recueil quelques-uns des plus beaux vers que l'on ait écrits chez nous. M. Morin y a aussi quelquefois pratiqué le vers libre.

 

M. Paul Morin a publié en prose une thèse pour le doctorat ès lettres en Sorbonne: Les Sources de L'oeuvre de Henry Wadsworth Longfellow (1912).

 

René Chopin a publié Le Coeur en Exil (1913) et Dominantes (1933). Il y fait oeuvre d'artiste parnassien. Il s'applique à ciseler le vers plastique, imagé, rythmé, sonore. En quoi il s'apparente -- exotisme en moins -- à M. Paul Morin. Il a la religion de la beauté, des belles formes, et c'est la seule qu'il professe dans ses poèmes. Une sorte de paganisme imprécis se mêle à son inspiration. Il recherche, pour traduire sa pensée ou ses sentiments, des mots qui frappent l'oeil ou l'imagination, et parfois il les invente et recourt à des néologismes risqués.

 

Au surplus, la préoccupation du poète va aux mots et aux formes plus qu'à la substance des pensées, des sentiments, des réalités. Son paganisme lui-même, souvent chagrin, mélancolique, pessimiste,

comme il arrive dans Dominantes, paraît assez verbal. Ses peintures canadiennes n'ont de canadien que le nom. Mais il faut reconnaître en M. Chopin de précieuses qualités d'ouvrier, une imagination fertile, un sens délicat de l'harmonie.

 

Louis Dantin, qui a fait surtout de la critique littéraire, a publié Le Coffret de Crusoé (1932), poèmes de formé ciselée, artistique, exprimant les sentiments les plus divers : depuis l'optimisme qui trouve partout de la beauté, jusqu'aux amours multiples d'un coeur toujours béant. Entre ces deux thèmes ou ces deux états de conscience, toute la série des impressions, des souvenirs, des nostalgies, des visions où l'âme s'exalte, chante la nature, la vie, et cherche aux horizons terrestres, sans le pouvoir posséder, le bonheur inaccessible.

 

Rosaire Dion, poète franco-américain qui avait d'abord publié Le Chapelet des jours (1928) où s'essayait un art trop       inexpérimenté, a montré dans Les   Oasis (1930) et dans Vita (1939) une technique affermie, délicate,         où l'auteur s'applique à ramasser sous la forme du sonnet des visions, des impressions, qui y      sont présentées avec relief et couleur. Malgré certaines inégalités de facture et d'inspiration, ces poè­mes sont de mains d'ouvrier; ils veulent être très particulièrement des oeuvres d'art.

 

Symbolistes   et verlibristes

 

À côté des poètes artistes, souvent se confondant avec eux, en différant pourtant par leurs procédés, nous plaçons les symbolistes et les verslibristes. Les symbolistes qui, s'inspirant de Paul Verlaine, cherchent à exprimer par la mélodie ou la musique des mots la poésie subtile qui est au fond de l'âme et des choses; volontiers ils écrivent des vers inaccessibles où des transfigurations symboliques rendent [sic] plus mystérieuse encore la pensée. Les verlibristes qui substituent à la prosodie traditionnelle du vers français les formes libres du rythme et de la prose rythmée. Les uns et les autres se rencontrent dans une même conception musicale de la poésie, et souvent dans les mêmes obscurités voulues de leur art. Le vers libre est, d'ailleurs, issu des libertés prosodiques du symbolisme de Paul Verlaine.

 

Guy Delahaye (le docteur Guillaume Lahaise) est le premier chez nous qui ait tenté de faire de la poésie symbolique. Son recueil Les Phases (1910) se compose d'une série de triptyques, où la musique des mots accompagne, pénètre 1a pensée, tantôt lui donne plus de force et tantôt la fait moins intelligible, sinon tout à fait obscure. Il y a dans ces poèmes une émotion vraie, des visions intenses, des images neuves, un art soucieux d'être personnel. Le poète n'a pas donné suite aux promesses de son talent. Mignonne, allons voir si la Rose (1912) n'est guère qu'un caprice en vers où s'exercent la blague et la fantaisie.

 

Ce ne fut que bien plus tard que l'on vit paraître d'autres recueils où les auteurs, à l'imitation de Paul Valéry ou de Paul Claudel, pratiquent le symbolisme et le vers libre.

 

St-Denys Garneau a publié Regards et Jeux dans l'Espace (1937), recueil de poésies valéryennes, c'est-à-dire à peu près incompréhensibles. Il y a dans ces poèmes un effort certain, combien laborieux, soit d'introspection, soit d'interprétation des choses extérieures. Mais cet effort aboutit le plus souvent à l'inintelligible. Pour d'aucuns, l'hermétisme est du sublime. Le sublime est ici trop voilé. L'esprit français ne s'accommodera jamais d'une pensée qu'il ne peut apercevoir, le poète l'ayant cachée sous le boisseau d'un symbole trop obscur. M. Garneau, par surcroît, écrit sans points ni virgules. Cela fait partie de son art étrange. [ Exemples de poésies de Saint-Denys Garneau ]

 

François Hertel . Esprit toujours en quête, en mouvement, en ébullition. Il en jaillit des vers et de la prose. Des vers qui furent d'abord conformistes, réguliers, rimés, pleins d'un lyrisme très personnel, souvent mélancolique, s'alimentant de l'âme et de la nature, lyrisme qui était une très artistique et intelligible harmonie. Tout ce premier lyrisme, très touchant, qui sourit ou qui pleure, se trouve dans Les Voix de mon rêve (1934). François Hertel a voulu sortir des sentiers battus de la prosodie. Paul Claudel devint son maître. Il fit le vers claudélien dont il remplit Axes et Parallaxes (1941). Plus de rimes. Du rythme, mesuré sur les mouvements de la phrase ou de la pensée. Avec en plus une recherche de l'imprévu, de l'insolite, du bizarre, qui souvent s'apparente au mauvais goût. Il y a sûrement de la force dans ces rythmes claudéliens de François Hertel; il y a aussi une hardiesse d'images et d'expressions qui est tour à tour jaillissement de poésie et extravagance d'esprit. Le génie français s'accommode plutôt de l'ordre que de cette liberté incohérente. Aux audaces du mauvais goût, il préfère les hardiesses équilibrées de l'inspiration.

 

Mlle Rina Lasnier pratique le vers libre dans Images et Proses (1941). Vers libre qui est assujetti au rythme, à l'harmonie des mots, mais surtout à une pensée, à des sentiments, à des images qui sont d'un poète. Il y a aussi dans ces pages rythmées, illustrées de photographies explicatives, des symboles où, d'ordinaire, on découvre sans trop d'effort le rêve du poète. Rina Lasnier interprète la nature, s'en sert comme d'un truchement pour exprimer les sentiments subtils de l'âme humaine. Bonne façon d'être poète.

 

Mlle Anne Hébert fait paraître dans les Songes en équilibre (1942), et en vers libres, un sens extrêmement délicat du rythme et de l'harmonie verbale. Une vie intérieure intense qui éclate en songes, qui fleurit en images, qui se charge d'impressions, qui révèle à l'esprit du lecteur des pensées subtiles, fortes souvent, que l'on voudrait parfois plus précises, mais qui alors ne seraient plus des songes : voilà ce que contient son recueil. Il y a dans ce poète une vigoureuse sensibilité, un don précieux de voir et de transposer dans le rêve les choses vues. Il y a aussi chez elle un art de créer ou d'évoquer des symboles, qui est une part précieuse de son originalité. [Site discutant de la vie et des ouvres d'Anne Hébert ]

 

En dehors des groupes

 

Sous cette rubrique très générale nous plaçons tous les poètes qui, n'ayant pas fréquenté l'École littéraire , ou n'étant pas appliqués à chanter surtout les choses du terroir, ou ne s'étant pas isolés dans l'art plastique des vers, ont puisé soit dans la philosophie, soit dans les émotions de leur conscience, soit dans le sentiment religieux, la matière, l'inspiration habituelle de leurs poèmes. Il est difficile, en fait, de séparer en compartiments bien distincts les oeuvres de la poésie canadienne. Toute division littéraire est plus ou moins artificielle.

 

Alphonse Beauregard (1881-1924) a publié deux recueils: Les Forces (1912) et Les Alternances (1921). Le second est en progrès sur le premier. Mais la poésie d'Alphonse Beauregard, avec ses tendances philosophiques, manque de couleur et d'élan. Le poète manie une langue qui ne se prête pas assez aux subtilités de l'esprit.

 

Jules Tremblay (1879-1927), journaliste, traducteur aux Communes, à Ottawa, a beaucoup écrit en vers et en prose. En vers: Des Mots, des Vers (1911), Du Crépuscule aux Aubes (1917) , Les Ferments (1917), Aromes du terroir (1918), Les Ailes qui montent (1918). En prose : de nombreuses études et brochures, et en particulier un essai trop laborieux de littérature régionaliste ou du terroir: Trouées dans les novales (1921).

 

Jules Tremblay avait des goûts d'artiste, et le goût spécial de l'effet rare, nouveau, recherché, souvent trop artificiel. Il emploie cet art à la description, à l'expression des pensées philosophiques, religieuses, au développement de thèmes patriotiques. Il réussit mieux, d'ailleurs, dans les sujets plus restreints que lui offre le culte des choses de chez nous, que dans les grands sujets philosophiques.

 

Louis-Joseph Doucet a très abondamment publié des poèmes d'une inspiration inégale, parfois brillante, et parfois terne. La Chanson du Passant (1908), La Jonchée nouvelle (1910), Sur les Remparts (1911), Les Palais chimériques (1912), Les Grimoires (1913), Près de la Source (1914), Palais d'argile (1916), Au Vent qui passe (1917), Idylles symboliques et Vers les Heures passées (1918).

 

M. Doucet a des dons précieux de sensibilité, qui lui font écrire des choses exquises. Mais il s'embarrasse le plus souvent dans les impropriétés ou les lourdeurs d'une langue qu'il ne manie pas toujours aisément.

 

Il a publié en prose: Contes du vieux temps (1910), Pages d'Histoire (1914).

 

L'abbé Arthur Lacasse a consacré à la poésie les heures solitaires, sereines, ou ailées de son presbytère. Heures solitaires (1916), L'Envol des Heures (1919), Heures sereines (1927) marquent les étapes de son inspiration. Disons tout de suite que ces étapes nous montrent un art qui ne s'est pas assez renouvelé. Le sentiment religieux, et la poésie de la nature, le font facilement rêver sans qu'il fasse assez effort pour mêler au rêve des pensées originales ou des images nouvelles.

 

L'auteur vient de publier sous le titre de Le Défilé des heures (1939) une anthologie de son oeuvre

 

Albert Dreux, de son vrai nom Albert Maillé, a publié: Les Soirs (1910) et Le Mauvais Passant (1920). Dans Les Soirs, le poète chantait surtout et trop uniquement l'amour; ans Le Mauvais Passant , il met plus de variété dans son inspiration, mais il reste inégal, avec un art souvent très délicat.

 

Édouard Chauvin a publié Figurines (1918) qui est une collection jolie de poésies pour rire, de petits poèmes qui parfois font longuement penser. Vivre (1921), que M. Chauvin a publié ensuite, et qui contient des poèmes plus sérieux, ne donne pas la même impression de souplesse et de maîtrise de l'art des vers.

 

Alonzo Cinq-Mars a groupé dans son recueil De !'Aube au Midi (1924) des poésies, graves ou légères, écrites avec une émotion sincère, mais dans une langue qui manque de souplesse ou de grâce suffisante.

 

Paul Gouin a cherché dans l'histoire le sujet de ses Médailles anciennes (1927), poèmes courts qui sont le commentaire souvent vigoureux, ramassé, d'un texte historique qui les accompagne. Le lyrisme y est mesuré, discret, parfois sans assez d'éclat.

 

Robert Choquette publiait, à vingt ans, son premier recueil,   A travers les Vents (1925), où une inspiration à la fois très jeune et très hardie lui valut du succès. Tous les thèmes lyriques y étaient abordés, parfois avec une fougue qui ne dissimulait pas assez l'inexpérience de la pensée et de l'imagination. Le livre révélait un talent précoce et hardi. Pensées nouvelles (1933) nous l'ont montré en plein épanouissement. Le lyrisme y est devenu épique dans Metropolitan Museum, qui est la pièce principale du nouveau recueil, et où le poète déroule en strophes héroïques la fresque immense des époques de la civilisation humaine. D'ailleurs, Robert Choquette reste éloquent même lorsqu'il exprime les sentiments tendres du coeur. Il a le culte et le don de l'image et il cherche le verbe sonore. Il arrive que l'image remplace l'idée, ne s'y ajuste pas, ou se trouve trop grande pour elle. Il arrive aussi que le cliquetis des mots retienne trop l'oreille ou l'attention. Le lyrisme paraît alors sortir de la tête plutôt que du coeur. Mais il y a de la puissance jeune et violente dans son inspiration, et des sources profondes d'où jaillit la poésie. Et l'on aime à suivre une pensée, un sentiment qui s'expriment avec des accents aussi impérieux. On pourrait reprocher au poète une éloquence trop volontaire et trop continue. D'autre part, il y a dans certaines pièces un réalisme qui nous tient tout près des choses les plus familières.

 

Lucien Rainier (l'abbé Joseph Melançon) nous a donné Avec ma vie (1931), l'un de nos meilleurs recueils de poèmes. Ce recueil est tout plein de la poésie de la conscience, sereine ou inquiète, satisfaite ou douloureuse. Lucien Rainier fouille les replis de l'âme. II y a de la confidence romantique dans ces poèmes courts et expressifs. Le poète sait aussi sortir de lui-même et chercher dans la nature des thèmes lyriques; mais c'est pour associer la nature elle-même à sa vie intérieure. D'autre part, Lucien Rainier est un méditatif qui jongle sur les formes du rêve ou de la pensée. Il veut que ces formes soient belles, fines, ciselées. Il réussit le plus souvent dans son métier d'artiste.

 

Georges Bugnet , qui s'était révélé excellent prosateur dans Le Pin du Muskeg , poème en prose de la vie végétale en Alberta, nous a sûrement donné avec Voix de la Solitude (1938) l'un de nos plus vigoureux recueils de poésie, le plus puissant par le souffle qui l'anime et par la pensée. Georges Bugnet est le poète de la nuit. De la nuit profonde qui, au commencement des temps, a précédé la lumière, et d'où est sortie la lumière, de toutes les nuits de la nature et de la conscience, il tire des considérations, des symboles, une philosophie qui surpasse en originalité, en vigueur d'esprit, en constructions d'idées, ce que l'on voit chez nos poètes, où d'ordinaire s'avère trop vite une évidente carence de culture. Si parfois on se heurte, dans les poèmes de M. Bugnet, à quelque sens obscur, on aime à y suivre une méditation qui s'efforce d'être personnelle, et qui se renouvelle dans l'approfondissement de la pensée.

 

Roger Brien a des ressources verbales qui lui font parfois négliger le fond des choses, et rechercher trop le lyrisme oratoire. On le vit bien dans Faust aux Enfers (1935), qui contient aussi des poèmes de forte sincérité. Le poète, qui a le don de l'image, et le goût de l'éloquence, a cherché entre le mot et l'idée, sans le trouver toujours, l'équilibre nécessaire. Cet équilibre apparaît mieux, et le plus souvent stable, dans les recueils Les yeux sur notre temps, Sourires d'enfants, Chant d'amour, publiés en 1942. Le long poème Ville-Marie (1942) marque un retour à l'époque grandiloquente. C'est encore de la poésie épique que Les yeux sur notre temps, épopée religieuse, synthétique, où se heurtent les dialogues du Christ avec les âmes, souvent chargée de visions larges et de méditations profondes sur l'oeuvre rédemptrice. L'inspiration y est à la fois haute et soutenue. Dans Sourires d'enfants et Chant d'amour, M. Brien se dépouille de toute éloquence lyrique pour y faire voir soit les grâces légères, simples, de la vie neuve, soit des analyses sincères, multiples. suffisamment variées, de l'amour. Le sentiment y jaillit en flammes et en images. Par toutes les formes et toute la substance de son oeuvre, M. Roger Brien se révèle grand poète.

 

Benoît Desforets est un poète qui chante et qui prie sous la coule blanche des Trappistes. Poèmes de Solitude (1940) s'inspirent à la fois du cloître et de la nature. Il s'en dégage un sens supérieur de la vie et aussi de la beauté spirituelle, où se rencontrent des pensées hautes, des émotions personnelles, des images gracieuses, des souvenirs qui attendrissent. C'est de la poésie vraie, où il y a souvent plus de grâce que de vigueur, mais qui jaillit d'une source claire et chaude.

 

Des femmes poètes, après madame Blanche Lamontagne, ont apporté à la poésie canadienne des poèmes qui s'inspirent surtout de l'amour ou des sentiments et des passions du coeur humain.

 

C'est surtout le sentiment religieux, avec les mystères de la foi, qu'une religieuse de Jésus-Marie, Mère Saint-Ephrem (1872-1921), a chanté de façon délicate, parfois trop facile. dans Immortel Amour (1929) , publié après sa mort. Une autre âme religieuse, Millicent, dans ces Campanules (1923), d'inégale valeur, a célébré Dieu, la nature, et sa propre conscience.

 

Payse (Madame L.-J. Dugal) a donné à son recueil D'Azur, de Lys, de Flamme (1923) un titre qui a la couleur d'un drapeau. La poésie, qui y ressemble souvent à une broderie féminine, chante la patrie, et ce qu'elle contient de meilleur : religion, paysages, souvenirs, famille. Le sous-titre est justifié: Pensers en dentelles.

 

Mlle Simone Routier a montré dans Immortel Adolescent (1928) un réel tempérament poétique. Les stro­phes parfois trop laborieuses, un peu obscures, contiennent des analyses subtiles du sentiment, représentent un effort souvent heureux vers une beauté que l'auteur souffre de sentir inaccessible. Chez M lle Routier, la pensée, une pensée sérieuse, domine le sentiment. L'inspiration est sou­mise à l'esprit, mais l'esprit ne la soutient pas toujours assez. On le voit bien encore dans les recueils: Ceux qui seront aimés (1931), et Tentations (1934). Mlle Routier a publié en prose            Adieu, Paris! (1940) qui est le jour­nal d'une évacuée canadienne au moment de l'invasion de la France   par les troupes allemandes.

 

Mlle Jovette-Alice Bernier a marqué son ascension d'artiste dans Roulades (1924), Comme l'Oiseau (1926), Tout n'est pas dit (1929), Les Masques déchirés (1932) . L'amour mal satisfait, déçu, qui attend son objet insaisissable est le thème favori qu'adopte l'auteur. D'autre part, le sentiment chez elle s'accompagne d'ironie, de stoïcisme, de sensualité. Le vers est volontiers hardi. Il y a dans ces recueils une force profonde, originale, qui n'est pas toujours assez disciplinée.

 

Madame Alice Lemieux s'inspire d'elle-même, des nostalgies du coeur, dont elle fait un thème trop uniforme et un peu étroit dans les Heures effeuillées (1926) et Poèmes (1929). Ses vers témoignent d'un sens délicat de l'harmonie.

 

Mlle Éva Senécal a révélé un talent assez vigoureux avec La Course dans L'Aurore (1929). Les thèmes y sont multiples, pris à l'histoire, à la nature et à la conscience. Le lyrisme y est parfois exprimé en images brillantes; volontiers, il se fait oratoire.

 

Mlle Medjé Vézina, dans Chaque Heure a son Visage (1934), s'analyse avec pénétration. Elle cherche parfois à nous étonner par des réflexions obscures, par des rapprochements de mots ou d'images qui se heurtent sans pouvoir toujours s'accorder; mais son inspiration est originale, vigoureuse; elle s'est exprimée dans quelques-uns des meilleure vers que nous ait donnés le lyrisme féminin, le lyrisme tout court.

 

Mlle Cécile Chabot a transposé dans Vitrail (1940) des états d'âme, des jeux de lumière spirituelle qu'elle fait jaillir de sa propre conscience. Il y a dans sa poésie, aux images parfois étranges, un effort de méditation, des reflets de vie intérieure qui la font attachante.

 

Mlle Jeannine Bélanger, dans ses Stances à éternel Absent (1941), montre une sensibilité subtile qu'éveillent des rêves, des désirs, des spectacles de la nature, et qui s'exprime, sinon toujours avec force, du moins avec grâce. On voudrait, mêlée à cette sensibilité, une philosophie plus profonde ou plus substantielle de la vie.

 

Pour donner un tableau plus complet, et pour donner une idée plus exacte des essais qui ont été tentée au domaine de la poésie pendant cette première période du vingtième siècle, nous ajoutons à tous les poètes que nous venons de mentionner, d'autres auteurs dont nous ne faisons qu'inscrire les oeuvres La plupart d'entre eux n'ont fait qu'une incursion rapide dans la poésie. Ils sont allés à des travaux littéraires plus appropriés à leurs talents, ou ils ont épuisé dans un premier essai tout leur effort. Telles quelles, leurs couvres sont un témoignage historique de l'activité qui a régné dans le champ dé la poésie canadienne.

 

RÉMI TREMBLAY, auteur bien inégal de plusieurs recueils, entre autres: Vers l'Idéal (1912). --   DERPLA (abbé Alfred Tremblay, 1861-1921), le poète de L'Oiseau Mouche du Séminaire de Chicoutimi, dont on a rassemblé les Poèmes (1932), où parfois surgit une inspiration délicate et rêveuse. -- HERMAS BASTIEN, qui a publié Les Eaux grises (1919), poèmes faciles et souvent agréables. -- JEAN BRUCHÉSI, qui n'a donné que ses premiers Coups d'ailes (1922). -- JEAN NOLIN, qui a coloré des Cailloux (1919) jolis et légers. -- FRANÇIS DES ROCHES, qui a chanté à Québec les Brumes du soir (1920). JO SEPH HARVEY, qui nous a donné, de l'Ouest canadien où il vit, un recueil aux grains très mêlés, intitulé Les Épis de blé (1923). -- LOUIS-JOSEPH CHAGNON, dont La Chanson des érables (1925) est d'une fort inégale harmonie. -- ULRIC GINGRAS, qui, s'inspirant surtout du terroir, a publié La Chanson du paysan (1917) et Du soleil sur l'étang noir (1933). -- JEAN GILLET qui, après de bien fragiles Paillettes (1933) , a chanté Brunes et Blondes (1936). -- LE DOCTEUR GEORGES-A. BOUCHER qui, aux États-Unis, se souvient avec attendrissement de Québec, et a publié Je me souviens (1933) . -- GÉRARD MARTIN a publié Le Temple (1939), que couronna le prix David.

 

Ajoutons à la liste des poètes féminins: ATALA (Mlle Léonise Valois), qui a publié Fleurs sauvages (1910) et Feuilles tombées (1934). -- Une religieuse, MARIE SYLVIA, qui a groupé en trois fascicules: Vers le Bien (1916), Vers le Beau (1924), Vers le Vrai (1928), de trop faciles et inégales méditations. -- CLARA LANCTÔT, une aveugle qui traduit avec grâce ses visions encloses (1930) . -- Mlle RAPHAËLLE-BERTHE GUERTIN, qui nous a livré d'agréables Confidences (1935). -- MARTHE DES SERRES (M lle Hélène Charbonneau) qui, après ses Châteaux de Cartes, en prose, a écrit des poèmes en prose, Opales (1924). -- Mlle JACQUELINE FRANCOEUR, qui a fait paraître dans Aux Sources claires (1935) les premiers essais d'une inspiration délicate. -- Mme REINE MALOUIN qui a publié les Murmures (1939), poèmes souvent gracieux mais d'inégale valeur. Elle a aussi écrit en prose souvent exquise Haïti l'lle enchantée et A travers la Vie (1940).

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BIBLIOGRAPHIE

 

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Source: Mgr Camille ROY, Manuel d'histoire de la Littérature canadienne de langue française , 21 ème edition, revue et corrigée par l'auteur, Montréal, Beauchemin, 1962 [1939], 201p., pp. 102-125. Le texte a été reformaté et les erreurs typographiques évidentes ont été corrigées.

 
© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College