Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Août 2006

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Stéphane ST-PIERRE, François-Albert Angers et la nation confessionnelle (1937-1960), Mémoire de M.A. (histoire), Université de Montréal, 2006, 181p.

 

Chapitre quatre

La nation confessionnelle et l’éducation

 

Comme nous l’avons observé dans les chapitres précédents, la religion catholique est profondément ancrée dans la pensée d’Angers, elle inspire ses positions et ses agissements. Or, la sécularisation de la société québécoise au cours des années soixante heurte directement sa pensée en sapant les bases de son projet de nation confessionnelle. Le déplacement de la religion de la sphère publique vers la sphère privée met en péril la survivance de la nation canadienne-française puisque la religion catholique constitue son principal trait identitaire.

 

Selon Angers, la structure mentale qui alimente la sécularisation montre que les gens veulent croire qu’ils ne croient pas. Cette attitude mène «toute l’humanité occidentale à ne plus vouloir que rien soit mal, à soutenir que tout est permis et qu’il n’y a plus rien de péché que pour les jansénistes… ou les capitalistes (1).» Elle correspond à un «infantilisme incroyant (2) » qui considère que tout est bon et rien n’est mal. Toutefois, ces prétentions à nier le mal n’amoindriront pas celui-ci, car l’homme doit utiliser le monde pour son bien selon sa propre nature et la nature des choses. La négation du mal empêche la personne de voir l’idéal vers lequel elle doit tendre et de juger avec justesse ses imperfections et ses fautes (3).

 

Il impute une partie de la responsabilité de la désaffection des Canadiens français par rapport à la rigueur disciplinaire aux changements d’attitude de la part de l’Église catholique (4).Toutefois, Angers nuance la responsabilité de l’Église en mentionnant que le magistère de l’Église est incapable de fournir aux catholiques de plus en plus gagnés par la sécularisation les directives sur la conduite de la vie. Celles-ci ne peuvent être comprises qu’en esprit de foi (5). L’incapacité d’agir de la part de l’Église démontre la nécessité d’utiliser les processus démocratiques afin de construire une cité correspondant à l’esprit des Canadiens français. Il revient donc à ceux-ci d’agir s’ils croient vraiment (6).

 

D’ailleurs, la civilisation nationale ne doit pas être exclusivement profane, c’est-à-dire que les éléments nationaux ne doivent pas être séparés des éléments religieux (7). Le critère le plus puissant de caractérisation des sociétés demeure la religion. Les religions, les areligions ou les non-religions définissent les idéaux fondamentaux des peuples et conditionnent l’ensemble du vivre collectif de la nation.Les éléments religieux et profanes de la culture sont indissociables (8). Or, la déconfessionnalisation de l’éducation cause une réaction de défense de la part d’Angers puisqu’elle constitue une attaque contre la nation canadienne-française et une aliénation de cette dernière par rapport à sa véritable nature. La sécularisation et la déconfessionnalisation imposées par certaines élites canadiennes-françaises rappellent à Angers l’épitaphe d’Olivar Asselin: «Ci-gît une chrétienté qui s’est suicidée (9).»

 

Il est normal qu’un incroyant veuille convertir les autres individus de la société à sa position. Ce qui est incompréhensible, c’est que les incroyants crient à l’intolérance et à l’intégrisme lorsqu’un croyant défend simplement son Dieu ou fait du prosélytisme afin d’instaurer un ordre catholique (10). Les catholiques ne doivent pas accepter la tactique de ceux qui cherchent à détruire le catholicisme traditionnel. Ce dernier a une valeur propre pour les Canadiens français et a le droit d’exister comme les autres religions.

 

Notre analyse du projet de nation confessionnelle exige donc de porter une attention particulière aux modifications s’opérant au cours des années soixante au sein de la société canadienne-française. Dans ce chapitre, nous analyserons la période allant de 1960 à 1967 afin de rendre compte des principales critiques d’Angers à l’égard de la déconfessionnalisation de l’éducation. Ces transformations du système d’éducation rendent le projet de nation confessionnelle non-viable. Par conséquent, ce chapitre nous permet d’observer la place qu’occupe l’éducation dans la réalisation du projet de nation confessionnelle. Pour ce faire, nous présenterons les réactions et les critiques d’Angers face à la Commission d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec (rapport Parent); ses critiques à l’égard de la neutralité de l’État et de l’école; et son opinion sur la valeur et le rôle de l’école confessionnelle au sein de la nation canadienne-française.

 

1. Commission d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec (rapport Parent)

 

Parmi les principaux symboles de la Révolution tranquille, mentionnons la Commission d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec, qui marque le passage d’une société conçue en fonction du modèle familial vers une société définie en fonction du modèle de la grande organisation (11). Le caractère désuet, élitiste, anarchique et sous-financé du système d’éducation inspire au gouvernement libéral de Jean Lesage une modification des structures et des méthodes pédagogiques (12). Cet esprit de réforme est alimenté par une nouvelle conception du fonctionnement de l’école et de ses fonctions au sein de la société. L’école est ainsi présentée comme une mécanique de différenciation sociale produisant des individus ajustés aux besoins de la société.

 

La Commission royale d’enquête sur l’enseignement, présidée par Mgr Alphonse-Marie Parent, entame ses travaux en 1961. Le rapport de la commission est divisé en trois parties, dont la parution s’échelonne de 1963 à 1967. Publiée en 1963, la première partie recommande des modifications aux structures supérieures du système scolaire.Elle suggère de regrouper toutes les institutions d’enseignement sous le contrôle d’un ministère de l’Éducation et d’un Conseil supérieur de l’éducation. En 1964, le bill 60 est approuvé et crée le Conseil supérieur et le ministère de l’Éducation. Ceux-ci ont l’autorité sur les programmes, les examens, les diplômes et les qualifications du personnel enseignant (13). Toutefois, les commissions scolaires conservent le contrôle de l’administration interne des écoles sur le plan pédagogique et financier.

 

Publiée en 1964, la deuxième partie du rapport est consacrée essentiellement aux structures pédagogiques du système scolaire. On suggère d’orienter l’éducation vers les besoins de l’enfant. On valorise une éducation s’inspirant de l’humanisme contemporain, c’est-à-dire une pédagogie active et une meilleure formation des enseignants. Également, on propose une restructuration du parcours académique de l’étudiant avec un cours élémentaire de 6 ans, un secondaire avec option de 5 ans, un préuniversitaire ou un professionnel de 2 ou 3 ans et un niveau universitaire de 4 ans ou plus (14). Finalement, on recommande la disparition des écoles ménagères, des écoles de métiers et des collèges classiques. Le nouveau parcours académique est instauré en 1965 et les cégeps en 1967. Publiée en 1967, la troisième partie du rapport insiste sur la nécessité de modifier l’administration de l’enseignement. Les principales composantes affectées par cette partie du rapport sont le financement, la diversité religieuse et culturelle ainsi que l’enseignement privé. Bref, les réformes proposées par l’entremise de cette commission visent une démocratisation, une rationalisation administrative du système scolaire et indirectement une dénonciation de l’influence de l’Église, des contenus et des structures qui s’en inspirent.

 

a) Critique du rapport Parent

 

Comme le signale Xavier Gélinas dans sa thèse de doctorat, la Commission d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec provoque une véritable onde de choc au sein de la droite intellectuelle canadienne-française. Devant cette remise en cause du système d’éducation traditionnel, Angers devient l’un des défenseurs les plus acharnés de la confessionnalité scolaire. À ce titre, mentionnons que l’éducation est l’un des thèmes les plus abordés par Angers au cours des années soixante. Chacune des tranches du rapport Parent est décortiquée, analysée et critiquée. Il démontre comment les propositions de ce rapport entrent en contradiction avec les besoins des Canadiens français. Pour lui, le rapport Parent incarne un mépris des Églises et des croyants puisqu’il présente la religion comme étant simplement une forme de superstition nécessaire à l’ordre social (15). La vraie liberté exige de protéger et d’assurer la vitalité ainsi que le fonctionnement des institutions considérées comme nécessaires à l’ordre social (16). La confessionnalité scolaire devient un outil indispensable afin de développer la nation canadienne-française conformément à son caractère et ce, sans l’aliénation par l’introduction de méthodes étrangères.

 

Pour Angers, cette commission d’enquête n’est qu’un moyen détourné de la part du gouvernement de légitimer ses idées auprès de la population: «Comment ne pas croire que la Commission sert à endormir le public, à le mettre en attente pendant que le ministre fait ses trucs et place la population devant des faits accomplis (17)?» Le rapport Parent avec les diverses thèses qu’il défend au niveau de la nouvelle pédagogie n'«est rien d’autres qu’un amas de textes confus, nébuleux, amphigouriques, ampoulés de charabia psycho-analytique (18)». Ce rapport est un «véritable délire collectif (19)». En s’attaquant à l’école, on frappe le point névralgique de la survivance culturelle de la nation et on facilite l’assimilation des Canadiens français (20). L’éducation humaniste proposée dans le système d’éducation traditionnel permet grâce à la culture de s’adapter rapidement aux situations variées alors que l’éducation technique que propose le rapport Parent prépare exclusivement à une fonction spécifique (21). Ces deux types d’éducation présentent leur utilité dans la société, mais doivent être indépendantes.

 

Le principal problème au Canada français est que les Canadiens français sont soumis aux normes de la compétence technique des anglo-protestants alors que leur caractère latin et leur esprit cartésien exigent une formation humaniste (22). Pour les défenseurs de la formation technique, la formation humaniste paraît inadaptée aux besoins réels de la société. Toutefois, pour Angers, la formation humaniste demeure préférable puisqu’elle exige de penser et ce, contrairement à la formation technique qui se résume à l’exécution de diverses tâches. Il est préférable de former des individus qui peuvent s’adapter rapidement aux nouvelles réalités plutôt que d’orienter l’enseignement vers des métiers spécifiques qui ne permettent pratiquement aucune mobilité (23). Le problème n’est  donc pas l’incompétence des Canadiens français, mais l’incompréhension de la situation canadienne-française (24). En fait, le caractère minoritaire des Canadiens français exige que ceux-ci soient les meilleurs dans leur profession et soient en mesure de s’adapter aux nouveaux défis de la société, d’où l’importance de privilégier l’éducation humaniste. En résumé, le rapport Parent comporte deux vices: l’étatisme exagéré et sa conception antichrétienne, antifrançaise et antinationale. Les propositions d’Angers concernant l’éducation visent donc à protéger les catholiques et toutes les autres confessions contre l’étatisme et le laïcisme.

 

b) L’américanisation des structures d’éducation

 

La position d’Angers ne représente pas un refus d’intégrer les Canadiens français au continent puisqu’il est possible d’être américain sans être étasunien.

 

L’Amérique, dans ce qu’elle a de plus authentiquement «Amérique» par sa culture, ses tendances, son esprit, c’est au sud qu’elle s’incarne, ce sont les Américains qui la typifient; et c’est contre cette culture, ces tendances, cet esprit que le Canadien français, plus que tout autre groupe géographiquement intégré dans cette Amérique, porte le témoignage d’une autre culture, d’un autre monde que l’Amérique. Tel est notre paradoxe, que nous devons nous américaniser sans devenir Américains; mais en constituant en Amérique le témoignage vivant d’un esprit non américain (25).

 

Il s’agit d’une opposition entre l’esprit pragmatique anglo-américain et l’esprit intellectualiste et latin des Canadiens français. Il défend l’originalité canadienne-française sur le continent. Les propositions du rapport Parent concernant l’organisation de l’éducation représentent une américanisation de l’esprit des structures et des méthodes d’enseignement. Cette américanisation signifie l’imposition d’une sociologie aux dépens des valeurs à transmettre et à créer au sein de la nation (26). Il s’agit d’une américanisation de la structure mentale des Canadiens français. Selon lui, «à trop regarder vers le sud, nos éducateurs et les autorités universitaires auraient-elles perdu le nord? Ce nord de nos traditions, de nos valeurs incarnées dans des structures encore plus solides, de cet esprit qui prétend sauvegarder la culture générale (27)?» Il faut restaurer les valeurs qui caractérisent le Canada français plutôt que de se diriger vers le «précipice de l’américanisation (28)». Le principal problème est donc de savoir si les Canadiens français veulent créer une nation selon leur propre esprit en accord avec la «pensée humaniste européenne ou selon la tradition pratique de la préparation à la vie la plus rapide possible en fonction d’un mélange de subjects plus ou moins hétérogènes (29)». Les Canadiens français ne peuvent concilier convenablement les deux manières de penser. Il est impossible d’appliquer des structures d’enseignement américanisées et refuser le caractère qui les animent (30).

 

D’autre part, les conclusions du rapport Parent démontrent que le système d’éducation traditionnel ne mène pas à la démocratisation de l’éducation. Toutefois, pour Angers, la démocratisation des esprits est un objectif secondaire de la formation civique. Le rôle de l’enseignement est de former «l’esprit à un degré de connaissance conforme à ses virtualités intellectuelles propres (31)». Aussi, en redéfinissant les programmes des écoles et la formation des maîtres, le rapport Parent modifie toutes les structures et détruit pratiquement toutes les institutions traditionnelles (32). Il n’est pas de la responsabilité de l’État d’organiser l’éducation. La philosophie catholique refuse de reconnaître tous les droits à l’État en matière d’éducation. Cette tendance marque une régression au niveau de la liberté (33). Dans un pays catholique, «les droits principaux sont du côté de la libre initiative des parents, de l’Église et de l’État, chacun dans sa sphère. En confiant tout à l’État et en réduisant les autres au rang consultatif, nous montrons le peu de prix que nous attachons à ces droits des parents et de l’Église (34).» Ces structures d’enseignement ne respectent pas les droits des parents et de l’Église en matière d’éducation. Le rôle de l’école est de compléter l’éducation en procurant aux enfants les éléments dont que les parents sont incapables de leur fournir. Pour cette raison, il faut privilégier la collaboration entre les parents et les maîtres pour assurer une instruction et une éducation complètes aux enfants (35).

 

La direction proposée par le rapport Parent et le gouvernement du Québec concernant le système d’éducation québécois est «l’équivalent d’une perversion de l’esprit même de notre civilisation dans ce qu’elle a de plus profondément original (36)». Le rapport Parent est une recherche de conformisme et d’uniformisation avec le système d’enseignement anglo-protestant. L’application d’un système d’éducation identique mène immanquablement à des programmes identiques, à des méthodes d’enseignement identiques et finalement à un esprit identique (37). Cet aspect marque la volonté de la part d’Angers de former une jeunesse qui se distingue par ses caractéristiques culturelles et ce, afin de faire rayonner le prestige typiquement canadien-français sur l’ensemble du continent. Selon lui, il est encore plus dangereux pour la survie du Canada français de promouvoir une éducation américanisée que de céder aux efforts de centralisation du gouvernement fédéral. En défendant des structures américanisées les Canadiens français s’aliéneront par la base en absorbant une culture étrangère. Il est indispensable pour construire la nation canadienne-française de s’appuyer sur le passé et de reconnaître la valeur de l’éducation traditionnelle (38). Il y a lieu d’organiser le système d’enseignement à partir des institutions traditionnelles et par la suite de le compléter et de le corriger selon sa vocation propre et non pas d’édifier «une structure monolithique idéale, un pur modèle (39)». Pour Angers, le comportement des techniciens modernes démontre une rusticité et une inculture: «À quoi servirait de détruire l’ancien régime et d’y substituer une nouvelle construction, sans âme et sans esprit (40)?». Comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, le caractère propre des Canadiens français exige d’innover et non d’imiter les réalisations provenant de l’extérieur.

 

c) L’américanisation des méthodes d’enseignement

 

En recherchant une égalité entre les élèves, la nouvelle pédagogie nuit considérablement à la recherche de l’excellence. Les propositions du rapport Parent créent un nivellement par le bas de l’enseignement et de la formation académique. L’ambition de dépasser son semblable est un élément naturel de l’activité humaine et le domaine de l’enseignement ne fait pas exception. À cet égard, Angers s’interroge: «arrivera-t-on par ces sottises à supprimer les concours sportifs? Et s’il est normal de former un coureur dans la perspective de gagner la course aux prochains jeux, d’encourager le club à arriver le premier de sa ligue de baseball ou de hockey, pourquoi serait-ce si mauvais quand il s’agit de compétition intellectuelle? Seule l’élite d’esprit peut répondre aux mobiles purement désintéressés (41).» Le système d’enseignement traditionnel amène les élèves à développer leur intelligence en créant des conditions propices à leur réalisation intellectuelle alors que le nouveau système poursuit comme objectif l’égalité et ce, au détriment de l’épanouissement des élèves les plus doués intellectuellement (42). Ces élèves sont les principaux perdants de la réforme du système d’éducation puisqu’ils ne peuvent bénéficier d’un enseignement conçu en fonction de leurs aptitudes. En sacrifiant la formation de ces élèves, pour des fins d’égalité, la nation canadienne-française sacrifie elle-même son avenir. Selon Angers, l’accessibilité à l’éducation pour tous par l’instauration de la gratuité scolaire mène à une soumission des Canadiens français à l’État. À ce titre, il signale que l’université doit être une institution libre de la politique afin d’assurer la liberté de pensée. Il est plus approprié de développer un système de prêts et de bourses basé sur le mérite puisqu’il favorise l’accessibilité à l’éducation, sans compromettre la responsabilité de chacun.

 

D’autre part, le principe de polyvalence en proposant de réunir dans une même structure tous les élèves de la formation générale, préuniversitaire et de la formation professionnelle représente un risque pour la nation canadienne-française. Ce principe implique que chaque élève choisit selon ses intérêts et ses aptitudes des cours relevant de la technique et des disciplines académiques. L’élève acquiert ainsi une formation professionnelle à la fin de ses études. Pour Angers, la pédagogie traditionnelle a toujours distingué au moins deux grands courants de formation: la formation technique et la formation secondaire dans sa signification traditionnelle européenne. La formation technique propose à l’élève de réaliser des choses manuelles ou intellectuelles et ce, par la maîtrise concrète des recettes de fabrication. Quant à la formation secondaire, elle cherche à développer l’aptitude à la pensée personnelle, à la création intellectuelle, littéraire, philosophique, scientifique ou technique en allant jusqu’à la raison des choses et à leur enchaînement logique (43). Ces deux types de formation correspondent à la distinction entre la pensée-réflexe et la pensée-réfléchie. La première est limitée aux effets techniques alors que la seconde est créatrice. Une des forces de l’éducation traditionnelle est qu’elle est parvenue à associer la culture et la technique. Elle prépare les esprits humanistes à la civilisation et les techniciens à l’organisation de la vie sociale (44). La nouvelle pédagogie exige une formation technique axée seulement sur le savoir-faire par l’apprentissage d’une pensée-réflexe. Cette pédagogie est fondée sur un emmagasinage de notions-recettes et sur une utilisation pratique des apprentissages (45). Les méthodes actives et audio-visuelles préparent davantage à une «civilisation de Pavlov» plutôt qu’à une vraie civilisation humaniste. Angers craint que le déplacement de la formation du modèle humaniste vers le modèle, technique façonne l’homme à l’image d’un robot :

 

Je trouve qu’on ne réfléchit pas assez sur la différence entre faire emmagasiner au cerveau, par des procédés extrêmement habiles, un magasin croissant de données que l’activation de servomécanismes intérieurs permet à des intelligences humaines d’utiliser avec une très grande dextérité, souvent d’ailleurs à tort et à travers, comme la machine qui compose des vers; entre cela, dis-je, et la pratique d’une pensée véritable (46).

 

Néanmoins, le rapport Parent crée un régime d’enseignement technique valable, malgré qu’il réduit la culture à la technique (47). Le principal problème est l’abolition de la distinction entre les deux secteurs de l’enseignement dans la phase secondaire. Celle-ci constitue une violation des droits des élèves les plus doués intellectuellement (48). Malgré que l’éducation technique constitue une des faiblesses du régime d’éducation traditionnel, les Canadiens français ne doivent pas substituer la formation technique à la formation humaniste. Cette dernière permet aux élèves de travailler dans un programme équilibré menant au développement de leurs aptitudes intellectuelles. Par conséquent, pour Angers, le régime d’enseignement doit compter sur deux sortes d’éducation, une générale et une technique, c’est-à-dire l’une où l’on aborde des sujets concernant le développement de l’intelligence abstraite ou culturelle et l’autre où ce genre d’enseignement est réduit au minimum pour la préparation générale à la vie de citoyen et complété par la préparation à l’exercice d’une fonction (49). La première est une éducation secondaire puisque les méthodes sont orientées vers le développement de l’aptitude à penser (50). Quant à l’éducation technique, elle vise les étudiants surdoués autant que sous sous-doués et doit être modulée en fonction des aptitudes intellectuelles: «On a trop tendance, en effet, à restreindre le secteur de l’enseignement technique à la formation de techniciens des métiers manuels (51).» Il est nécessaire au Québec de former des techniciens dans tous les domaines afin que ceux-ci puissent surmonter les nouveaux défis du monde moderne.

 

L’ensemble des propositions d’Angers implique un système d’enseignement structuré où chaque niveau permet à l’élève de se développer (graphique p.13). Il est ainsi nécessaire dans l’étape primaire de l’éducation d’inculquer à l’esprit des notions qui serviront par la suite à l’apprentissage de la pensée. À partir de celles-ci, l’élève apprend au secondaire à penser véritablement par lui-même. Une fois en mesure d’utiliser sa pensée l’élève approfondit son usage. Par la suite, au niveau universitaire par l’encadrement d’un maître, l’étudiant apprend à manier une spécialisation particulière (52).

 

Ce parcours académique souligne l’incompréhension de la différence entre la fabrication «d’un esprit destiné à la livraison rapide sur le marché pour une fonction à remplir et celle d’un grand cru qu’on s’impose de ne consommer que quand il aura atteint le suprême bouquet de qualité […] (53).» C’est donc par la maturation lente de l’esprit à travers les matières graduées du programme que se développent progressivement les aptitudes de l’élève dans un climat d’unité et de continuité (54) . Selon Angers, il existe une grande différence entre l’esprit cultivé qui peut n’avoir aucune disposition «créatrice et l’esprit de recherche et de création qui va aussi bien avec la tendance à la spécialisation (55)». Sa conception de l’éducation s’appuie sur l’idée que les Canadiens français doivent se démarquer étant donné leur situation minoritaire sur le continent. Ses propositions modifient la structure traditionnelle faisant passer le nombre d’années consacrées à l’enseignement primaire de sept à six et le cours classique de huit à sept ans. Ces modifications s’inscrivent en continuité avec les volontés de changements exprimées dans le rapport Parent.

 

Les nouvelles structures d’enseignement proposées par le rapport Parent risquent de mener la culture canadienne-française vers une aliénation par le rejet de ses principales caractéristiques. Ces structures nuisent à la transmission de la culture d’une génération à l’autre. La civilisation est réduite aux réalisations techniques et se trouve empêchée de surélever la pensée et ainsi d’accéder à des réalisations suprêmes. D’ailleurs, selon Angers, le remplacement de l’enseignement humaniste par l’enseignement technique amène à détruire l’esprit cartésien et la pensée-réfléchie. Au Canada français, l’abandon de l’enseignement humaniste constitue l’infidélité fatale.

 

Le problème n’est donc pas entre secteurs public et privé, entre enfants de parents pauvres et enfants de parents riches; il est entre les différents types d’enseignement qui sont nécessaires à la culture de différents esprits. Il faut mettre toutes les formes d’enseignement nécessaires à la portée de tous les talents et laisser aux parents la liberté d’opter pour le type d’institutions qui convient le mieux à leur enfant (56). Le système d’éducation ne doit pas limiter le développement des aptitudes de l’élève. Il doit favoriser son épanouissement intellectuel.

 

Graphique 1

Structure du système scolaire selon Angers (57)

 

 

d) L’éducation nationale

 

Le vrai problème qui aurait dû être solutionné par cette commission d’enquête est celui de l’éducation nationale. Il est indispensable de fixer l’enfant à un pays et à une culture afin d’éviter son aliénation. À ce titre, Angers souligne que : «la philosophie affirme que l’homme est un être social. Et la sociologie précise qu’il a besoin, pour son équilibre psychique de se sentir intégré, non pas dans une vague humanité, mais bien dans un groupe proche de lui, qui lui ressemble, et dans lequel il peut se reconnaître et se retrouver (58).» Cette conception marque le refus de la part d’Angers d’adopter des structures d’enseignement américanisées. Le retard des Canadiens français vient donc davantage de l’absence d’une véritable pensée nationale que des méthodes d’enseignement traditionnelles. Une bonne éducation nationale permettrait aux Canadiens français de discuter entre eux de tous les problèmes et de proposer des solutions qui répondent à leurs besoins.

 

Depuis la fin des années cinquante, le patriotisme qui est proposé aux élèves hésite «entre un patriotisme canadien et un patriotisme canadien-français. Craignant de se contredire les uns les autres ou d’être attaqués pas les partisans de l’un ou de l’autre, trop de nos écoles et de nos maîtres se retranchent dans un silence prudent ou dans les allusions discrètes (59).» L’éducation nationale, c’est-à-dire la formation d’un patriotisme canadien-français, est le point de départ afin de favoriser l’épanouissement de la personnalité des Canadiens français (60). Elle permet d’éviter une désintégration nationale et de transmettre un idéal commun qui s’inscrit en continuité avec le caractère français et catholique des Canadiens français. Angers s’oppose ainsi à la laïcisation de l’éducation en tant que catholique, mais également en tant que nationaliste, car sans la religion comme trait identitaire, le nationalisme est vidé de sa substance et de son essence. L’école confessionnelle catholique est donc un des principaux canaux de transmission des traditions, des valeurs et de la culture canadienne-française. Elle protège la nation contre les dangers de désintégration nationale (61).

2. La neutralité

 

a) La neutralité de l’État

 

 Le rôle de l’État est de réaliser le bien commun au niveau temporel. La morale est la seule discipline en mesure de définir convenablement les normes du bien commun (62). Par conséquent, l’État ne peut se déclarer neutre, il doit absolument adhérer à une morale. Le rejet de la morale catholique de la part de l’État québécois oblige celui-ci à s’approprier une autre morale religieuse ou civique. S’il n’adhère à aucune morale proprement définie, l’État créera à partir de divers accommodements une nouvelle morale. Toutefois, il est nécessaire de comprendre que la morale est définie à partir des personnes que l’État représente et régit. Elle s’inscrit en continuité avec leur conscience et leur conception du bien commun. Or, si ces personnes sont majoritairement catholiques, l’État doit se conformer aux normes et aux exigences de la morale catholique. Toutefois, il convient de préciser que l’État québécois ne doit pas nécessairement être constitutionnellement confessionnel, au même titre que le Liban, mais simplement s’inspirer de la morale catholique dans ses politiques et ses agissements (63). Il s’agit d’une sorte de confessionnalité de fait, en accord avec la prépondérance numérique des catholiques. Cette confessionnalité est compatible avec la séparation de l’Église et de l’État. Elle préserve un pan de la modernité. D’ailleurs, une recherche de la neutralité de l’État et des institutions témoigne de l’application de la sociologie plutôt que de la morale.

 

Le problème de l’État neutre n’en est donc pas un en soi, mais s’avère plutôt une donnée circonstancielle qui résulte d’un pluralisme tellement poussé que l’État n’arrive plus à se définir en fonction d’une morale (64). Dans un État où règne une unité de pensée suffisante, celui-ci a le devoir de chercher à sauvegarder la morale dominante (65). Il n’a pas l’obligation de se définir comme pluraliste et ce, parce qu’une minorité s’est détachée de la pensée commune. Son devoir se limite à respecter les libertés de cette minorité. Celle-ci ne peut exiger plus de la part de l’État que la garantie de ses droits personnels (66). En fait, l’État n’est pas autorisé à sacrifier les droits de la majorité, il doit davantage chercher à préserver l’unité de ce groupe. Pour Angers, il est insensé d’imposer à la majorité les normes qui conviennent le mieux à la minorité. Il n’incombe pas à l’État de faciliter aux minorités l’imposition de leurs conceptions à la majorité. La minorité doit convaincre la majorité de changer sa conception par des moyens qui n’affectent pas l’ordre public et social (67).

 

b) La neutralité de l’école

 

Comme nous venons de l’observer, l’État doit nécessairement adhérer à une morale ou se créer une nouvelle morale civique. Or, si l’État neutre n’est pas une réalité viable, il en est de même pour l’école neutre (68). Cette école utilise l’éducation pour inculquer des valeurs civiques (69). Selon Angers, les parents dont l’esprit n’est pas faussé par une propagande sont conscients que l’école neutre est exclusivement neutre par rapport à la religion. Elle est satisfaisante si les parents n’attachent aucune valeur à la formation religieuse et à l’implantation des principes religieux dans la pratique de chaque jour au niveau de la vie individuelle et civique.

 

De plus, il est «absurde de proposer l’école neutre comme le système idéal d’un régime démocratique parce que tout le monde s’y trouverait traité de la même façon, contre son gré, sous le régime de la médiocrité (70).» L’école neutre ne doit pas être créée dans le but d’intégrer, au nom de la liberté et de l’égalité, les minorités. Ce type d’école ne saurait jamais être qu’un pis-aller: «Après que le Christ et l’Église lui enseignent depuis près de 2000 ans que le christianisme est source de libération comment peut-on réclamer, au nom de la liberté, le neutralisme en matière religieuse (71)?» En fait, la démocratie est un régime de la liberté et des libertés et l’école neutre ne peut s’accorder les libertés de la majorité (72). Un gouvernement élu avec 51% de la population et ce, par une combinaison de compromis entre des factions minoritaires ne peut imposer à la majorité une école qui n’est pas conforme à ses aspirations et à ses croyances (73). Cette attitude de la part de la majorité correspondrait à se déclarer dissidente de sa propre conception puisqu’elle préfère l’école confessionnelle. L’école neutre cherche donc à éviter à la minorité l’obligation de se déclarer dissidente du régime commun (74).

 

En outre, l’école neutre ne correspond pas au droit des parents en matière d’éducation. Ceux-ci doivent déterminer le genre d’école qu’ils veulent pour leur enfant. Angers constate un risque pour les catholiques de permettre la création des écoles neutres: «l’école unique où se mêlent catholiques et non-catholiques et l’école neutre ou laïque où l’on croit pouvoir éduquer la jeunesse en faisant abstraction de tout principe religieux sont nocives (75).» En fait, «lorsque les religions sont différentes, le meilleur remède est l’école libre, protégée et subventionnée par l’État, qui a le devoir de respecter les droits et la liberté de conscience des citoyens, en distribuant sans parti pris et sans injustice, ses subventions à toutes les écoles (76).» Il n’est donc pas nécessaire de créer un régime d’écoles publiques neutres. Celles-ci doit être défendues seulement s’il y a une telle pluralité au sein de l’État que les individus ne peuvent se regrouper au sein d’écoles fonctionnelles.

 

La solution d’Angers s’inscrit en continuité avec le système existant avant la réforme Parent. Angers propose d’admettre les écoles libres, si les citoyens des autres religions ou athées ont le besoin d’une autre école que l’école catholique (77). Il suffit de faciliter l’instauration de l’école libre avec une exemption d’impôt scolaire. Selon Angers, ce régime devient l’un des plus généreux du monde envers les minorités. En fait, chaque groupe religieux ou areligieux doit compter sur des écoles de type confessionnel correspondant à ses besoins (78). Le régime qu’il défend comprend un département indépendant de l’État avec un corps composé moitié de notables nommés par l’État, moitié de représentants de l’Église avec une organisation scolaire appuyée sur les groupes de parents locaux et organisés en commission. Cette forme d’organisation demeure la plus efficace afin de préserver les droits des parents, de l’Église et de l’État en matière d’éducation.

 

Les défenseurs de l’école neutre soutiennent donc un idéal qui s’incarne par «l’école athéiste confessionnelle (79)». En soutenant que la religion ne constitue pas une institution nécessaire à l’ordre social et que l’école confessionnelle doit seulement être tolérée, le rapport Parent démontre que la religion est davantage une donnée personnelle que chacun aménage à son goût (80). Pour Angers, l’école neutre révèle l’égoïsme de certains hommes et résulte de l’incapacité de ces individus à développer une école correspondant à leur caractère. Ceux-ci cherchent à convaincre que l’école qui est la moins dommageable est la meilleure pour tout le monde. Ce comportement témoigne de la volonté de convertir les autres confessions à l’athéisme ou à l’agnosticisme en dirigeant les gens vers l’école neutre. Il est préférable pour eux de chercher à développer leurs propres écoles. Ainsi, ils ne tenteront pas de chercher à bannir complètement le nom de Dieu à l’école, après l’avoir admis au début comme un minimum (81).

 

Un des principaux problèmes de l’école neutre est le refus de parler de Dieu à l’enfant ou d’employer de nombreux détours afin de l’aborder. Ce comportement amène l’inculcation progressive de l’idée que Dieu n’existe pas ou encore que l’on peut se passer de lui pour expliquer le monde (82). En abordant Dieu dans les cours de religion et en l’évitant dans les autres cours, on inculque à l’enfant l’idée qu’il existe un fossé entre la religion et la vie. Pour Angers, deux positions s’offrent à l’égard de Dieu, soit d’accepter son existence ou de la nier totalement. En prodiguant à l’enfant un enseignement où Dieu n’existe pas on amène celui-ci à nier implicitement son existence et ce, malgré les cours de religion. L’existence de Dieu demeure peu significative à l’enfant si tout peut s’expliquer sans lui. Il existe une nécessité de communiquer à l’enfant une morale, une norme de vie, une conception de son rôle et de ses devoirs de citoyen. Cette neutralité représente un moyen de conduire les masses à déserter le catholicisme et à nuire au développement de la nation canadienne-française par l’abandon de son principal trait identitaire, le catholicisme.

 

3. La confessionnalité scolaire

 

Comme nous venons de l’observer, les propositions du rapport Parent entravent le droit des parents et empiètent sur celui des Églises en matière d’éducation. Le rôle de l’État est de défendre les intérêts des diverses communautés afin de leur permettre une éducation conforme à leurs croyances. Par conséquent, les catholiques de langue française doivent inscrire leurs enfants à l’école catholique française. Il s’agit d’imposer une règle d’unité nationale afin de défendre l’intégrité de la langue française et de la religion catholique.Ce n’est pas seulement la pertinence du catholicisme qui justifie le maintien des écoles confessionnelles, mais également l’intérêt national. L’Église doit imposer une conscience aux parents et une règle d’unité morale. Les Églises ont le droit et le devoir d’édifier des écoles correspondant aux exigences de leurs membres et de fixer elles-mêmes les critères dans le choix des maîtres (83).

 

Pour défendre l’école confessionnelle, Angers s’appuie sur le décret Gravissimum Educationis émis par l’Église en 1965. Ce décret rappelle aux gouvernements et aux dirigeants de l’éducation qu’il est essentiel de respecter les droits de la jeunesse jusqu’à la maturité de la personne (84). Il souligne aux pasteurs d’âmes le devoir de tout faire pour que les jeunes fidèles bénéficient de l’éducation chrétienne puisque l’Église fonde ses espérances sur eux afin d’assurer un avancement de l’humanité. Le décret souligne également aux parents leur devoir de confier leurs enfants à des écoles confessionnelles catholiques et leur devoir de soutenir financièrement ces écoles selon leurs ressources. Les parents doivent reconnaître le droit de la société civile dans l’organisation du bien commun temporel.

 

a) L’école confessionnelle

 

L’école confessionnelle est celle où l’enseignement est assis sur l’initiation de l’enfant à des vérités religieuses que l’on considère devoir informer toute sa vie. Celle-ci peut être catholique, protestante, juive ou encore musulmane. L’important est qu’elle soit de la religion de ses membres. Elle implique un enseignement spécifique de la religion et une liberté des maîtres afin que ceux-ci puissent utiliser leur intelligence dans toutes les matières et pour inculquer progressivement à l’enfant l’esprit qui doit l’animer dans sa vie adulte (85) . Elle vise une connaissance suffisante des matières enseignées et l’utilisation de ces dernières comme véhicule d’initiation de l’enfant au sens de sa vie. L’école confessionnelle cherche à montrer que la religion, la patrie et la vie civique ne sont pas seulement un culte ou un rite à connaître et à pratiquer à l’occasion, mais qu’elles imprègnent totalement la vie du sujet (86). Celle-ci ne cherche pas seulement des maîtres avec des compétences académiques ou pédagogiques, mais également avec une excellente tenue morale et une adhésion réelle aux principes qu’ils communiquent aux élèves (87).

 

b) L’école confessionnelle catholique

 

Plus précisément, l’école confessionnelle catholique est un lieu où l’on peut librement poursuivre la formation catéchétique. Il s’agit de former la personne humaine dans une perspective complète intégrant sa finalité temporelle et spirituelle. Selon Angers, le rôle de l’éducateur est donc de diriger la conscience et de poursuivre la formation, sans fausser les perspectives de vérité et d’objectivité. Selon le décret Gravissimum Educationis, l’éducation chrétienne vise essentiellement

à ce que les baptisés, introduits graduellement dans la connaissance du mystère du salut, deviennent chaque jour plus conscients de ce don de la foi qu’ils ont reçu, apprennent à adorer Dieu le Père en esprit et en vérité, surtout dans le culte liturgique, soient formés de façon à mener leur vie propre selon l’homme nouveau dans une justice et une sainteté véritable, et qu’ainsi, aboutissant à l’homme parfait, à l’âge de la plénitude du Christ, ils apportent leur contribution à la croissance du corps mystique (88).

L’école confessionnelle catholique exige la liberté de créer des institutions privées au nom de la liberté de pensée et d’expression. Elle exige la mise en place de structures, de programmes et d’une pédagogie répondant aux besoins des parents en matière d’éducation. En fait, le droit des Églises d’offrir aux parents de leur confession l’école nécessaire à la protection des intérêts moraux de leurs enfants doit être reconnu. La reconnaissance de ces droits est essentielle pour la réalisation d’un régime d’enseignement démocratique (89). 

 

D’autre part, Angers accorde une importance au maintien de l’enseignement caractérisant les collèges classiques, car en abandonnant leur mentalité et leurs valeurs, ceux-ci vont créer une génération de jeunes barbares (90). Cet abandon représente une «trahison des clercs dans le sens le plus authentique du mot, trahison de toute une élite (91)». Pour lui, il est incompréhensible que les clercs soient prêts à détruire ou à laisser détruire sans résister ce qu’ils ont mis cent ans à construire. Le Canada français doit aux collèges classiques son développement culturel (92). L’absence des cours classiques prive les élèves d’une formation d’une qualité supérieure et dont le Canada français a besoin pour assurer sa survie. Il est donc nécessaire de reconnaître la liberté de conserver la formule classique d’enseignement et le droit, de la part des collèges classiques, de recevoir des subventions publiques sur une base d’égalité avec les écoles du secteur public (93). Angers souligne les propos d’un prêtre irlandais qui affirme: «Vous venez d’abattre le dernier et le seul mur qui vous sépare de nous et vous maintenait différents: votre système d’enseignement, vos collèges classiques. Nous pouvons maintenant être tranquilles; dans vingt-cinq ans vous n’existerez plus (94).»

 

Selon Angers, la meilleure école est l’école confessionnelle, elle est le gage de la survivance de la nation canadienne-française et un moyen d’appliquer son projet de nation confessionnelle. L’école confessionnelle demeure la meilleure pour les Canadiens français puisqu’elle est l’«embryon de notre culture qui nous donne notre valeur propre sur ce continent et à laquelle notre fidélité a toujours été notre seul gage et notre seule bouée de survie (95)». Il estime déraisonnable de vouloir priver la majorité de la meilleure école sous le prétexte de prendre rang avec la minorité dans les mêmes classes et dans une école inférieure. Néanmoins, s’il y a un besoin, l’instauration d’écoles d’autres confessions est nécessaire. Le meilleur système est donc le système d’école confessionnelle libre sous surveillance de l’État en vertu du droit des parents de donner le type d’éducation qu’ils souhaitent (96). Le modèle de la confessionnalité scolaire est un modèle efficace qu’il est indispensable de sauvegarder et d’imiter plutôt que de saccager. Selon Angers, la problématique entourant la question de la confessionnalité scolaire, montre l’acharnement inconscient d’un peuple à «saboter lui-même son unité et au risque de sombrer dans le processus de digestion de ses divisions cultivées (97).»

 

c) Laïcs et clercs

 

Une laïcisation intégrale du personnel du système d’enseignement n’apparaît pas désirable pour la majorité des parents (98). Précisons que la notion de laïcisation doit être comprise ici comme le remplacement des clercs par des laïcs dans les institutions d’enseignement. Cette laïcisation est essentiellement motivée par «le manque d’adaptation présumé d’un enseignement clérical pour les laïcs destinés à vivre dans le monde (99)». L’argument de l’inadaptation de l’enseignement donné par les religieux par manque d’expérience du monde est irrecevable pour justifier le retrait des clercs du domaine de l’enseignement. Selon Angers, les enfants ne vont pas à l’école pour apprendre l’expérience du monde, mais pour apprendre le français, l’arithmétique, l’histoire, la géographie et le catéchisme. L’enseignement doit former l’esprit par l’apprentissage des langues, des littératures, des sciences et des philosophies. L’enfant a l’occasion d’acquérir une expérience du monde lorsqu’il est dans sa famille. L’adaptation et l’apprentissage au monde sont des responsabilités de la famille (100).

 

Par ailleurs, le rapport Parent présente les religieux comme étant nuisibles au progrès culturel de la nation étant donné qu’ils s’approprient des emplois destinés aux laïcs (101). Cet aspect relève d’un esprit syndicaliste trop poussé: «Ils [les laïcs] raisonnent donc comme le syndicat des peintres qui ne veut même plus permettre au propriétaire d’une maison de faire lui-même son peinturage, sous prétexte qu’il enlève ainsi du travail à ses membres (102).» Dans la nation canadienne-française, le système de castes et de classes n’existant pratiquement pas, les études préparatoires à l’enseignement ou aux autres professions sont établies en fonction de la demande sociale. Si un religieux veut orienter ses études vers l’enseignement, il enlève certes une place à un laïc, mais si le laïc obtient le poste, il enlève également une place à un religieux qui songeait à se consacrer à cette carrière (103). Les étroitesses liées à l’esprit clérical ne changent en rien la valeur de l’enseignement confessionnel. Tous les systèmes, qu’ils soient laïques ou religieux, ont leurs faiblesses et causent certains préjudices à l’individu (104). D’ailleurs, la façon de vivre du religieux est plus facilement conciliable avec la profession d’enseignant. Il rappelle que l’enseignant laïque compose avec des éléments pouvant entraver ou intervenir dans son travail telles ses responsabilités envers son épouse, ses enfants, les sollicitations du milieu non-intellectuel et les tentations de confort. Ces éléments influencent le travail du laïc dans l’enseignement alors que le clerc est davantage exempt de ces soucis provenant de l’extérieur et peut ainsi se donner entièrement à la formation des jeunes (105).  Bref, l’objectif de l’Église n’est pas de supplanter l’État, mais d’organiser l’enseignement et la sécurité sociale en fonction des principes de fraternité et de charité (106).

 

* * *

 

Comme nous venons de l’observer, le rapport Parent représente une américanisation des structures et des méthodes du système d’enseignement. Les réformes de ce rapport concernant l’éducation constituent une attaque des Canadiens français à l’endroit de la nation canadienne-française. Il fait passer la confessionnalité de la norme directrice de l’éducation à une norme parmi tant d’autres. Malgré que les Comités confessionnels soient maintenus, leurs pouvoirs sont considérablement limités. Or, l’école traditionnelle confessionnelle constitue, tout comme la famille, un des prolongements de la personne dans l’univers social. Cette éducation permet de poursuivre librement la formation catéchétique, de diriger la conscience et de satisfaire les perspectives de vérité et d’objectivité. La perpétuation de la culture canadienne-française est assurée en partie par l’école confessionnelle. Celle-ci  représente un des principaux canaux de transmission des valeurs chrétiennes, des traditions et de la culture canadiennes-françaises. Elle permet de définir la spécificité canadienne-française sur le continent. Pour Angers, l’éducation confessionnelle constitue la base sur laquelle la nation doit s’appuyer pour assurer une évolution fidèle à son caractère catholique et français.

Dans ce chapitre, nous avons pu constater qu’à partir des années soixante le projet de nation confessionnelle devient difficilement applicable à la nation canadienne-française. À partir de la fin des années soixante, Angers semble résigné à l’abandon définitif de son projet de nation confessionnelle et oriente son engagement vers la défense de la langue française. Cette réorientation est significative de l’acharnement déployé par celui-ci afin de défendre les intérêts de la nation canadienne-française. En effet, malgré l’échec de son projet, il poursuit son engagement au sein de la nation par la publication de nombreux textes traitant essentiellement du nationalisme, de l’économie et de la langue. Il semble vouloir limiter les dégâts causés par le recul de la confessionnalité et poursuivre la résistance de la nation face aux dangers qui la menacent, telle semble être sa position de repli. Sur le front confessionnel, il faut bel et bien conclure à l’échec, un échec qui va d’ailleurs en s’aggravant au fil des ans.

                                        

(1) François-Albert Angers, «L’encyclique Humane vitae», L’Action nationale,58, 1 (septembre 1968),      p. 44.

(2) Ibid., p. 43.

(3) Ibidem.

(4) Ibid., 44.

(5) Ibidem.

(6) François-Albert Angers, «L’heure de la foi!», L’Action nationale, 57, 1 (septembre 1967), p. 35.

(7) François-Albert Angers, «La singulière théorie du désengagement», L’Action nationale, 51, 1 (septembre 1961), p. 41.

(8) Ibid., p. 41-42.

(9) Jacques Saint-Yves [François-Albert Angers], «Dehors, Seigneur!... c’est la classe de français», L’Action nationale, 54, 4 (décembre 1965), p. 415.

(10) François-Albert Angers, «L’heure de la foi»…, p. 36.

(11) Jean Gould, Des bons pères aux experts. Les élites catholiques et la modernisation du système scolaire au Québec, Mémoire de M.A. (Théologie et sciences religieuses), Université Laval, 1999, p. 35.

(12) Xavier Gélinas, La droite intellectuelle québécoise et la révolution tranquille, Thèse de Ph.D. (Histoire), Université York, 2001, p. 501-502.

(13) Ibid., p. 503.  

(14) Ibid., p. 503-504.

(15) François-Albert Angers, «Le quatrième volume du Rapport Parent – 1», L’Action nationale, 56, 8 (avril 1967), p. 758.

(16) Ibid., p. 757.

(17) François-Albert Angers, «Les événements. Déshonneurs et sottise! Avec cela où allons-nous?», L’Action nationale, 54, 4 (décembre 1965), p. 462

(18) Ibid., p. 460. 

(19) François-Albert Angers, «La deuxième tranche du Rapport Parent - 1», L’Action nationale, 54, 6 (février 1965), p. 545.

(20)François-Albert Angers, «Le culte de l’incompétence», L’Action nationale, 26, 3 (novembre 1945),         p. 186.

(21) Ibid., p. 181.

(22) Ibidem.

(23) Ibid., p. 184.

(24) Ibidem.

(25) François-Albert Angers, «La querelle de structures», L’Action nationale, 52,6 (février 1963), p. 565.

(26) François-Albert Angers, «Les tristesses du mois», L’Action nationale, 50, 5 (janvier 1961), p. 482

(27) François-Albert Angers, «Nos éducateurs ont-ils perdus le nord?», L’Action nationale, 52, 1 (septembre 1962), p. 13.

(28) Ibid., p. 19.

(29) François-Albert Angers, «À propos de l’enseignement technique», L’Action nationale, 50, 2 (février 1960), p. 569-570

(30) Ibid., p. 573.

(31) François-Albert Angers, «La deuxième tranche du Rapport Parent – 1», L’Action nationale, 54,  6 (février 1965), p. 548-549.

(32) Ibid., p. 549.

(33) François-Albert Angers, «Ce ministère de l’Éducation», L’Action nationale, 53, 1 (septembre 1963), p. 6.

(34) Ibid., p. 16-17.

(35) François-Albert Angers, «Nos éducateurs ont-ils perdu le nord?», L’Action nationale, 52, 1 (septembre 1962), p.11.

(36) Ibidem.

(37) François-Albert Angers, «Nos éducateurs ont-ils perdu le nord?»…, p. 12.

(38) François-Albert Angers, «La deuxième tranche du Rapport Parent – 1»…, p. 538.

(39) Ibidem.

(40) Ibid., p. 539.

(41) François-Albert Angers, «Échecs scolaires», L’Action nationale, 53, 4 (décembre 1963), p. 379.

(42) Angers chiffre la proportion des élèves ayant les aptitudes intellectuelles nécessaires à la réussite du cours classiques à environ 20%, ces élèves sont les principaux perdants de cette réforme. Or, les propositions du rapport Parent constituent un système valable pour 80% des élèves, du moins à certains égards.

(43) François-Albert Angers, «La deuxième tranche du Rapport Parent – 1»…, p. 546.

(44) François-Albert Angers, «La deuxième tranche du Rapport Parent – II»…, p. 654.

(45) Ibid., p. 655-656.

(46) François-Albert Angers, «La deuxième tranche du Rapport Parent – I»…, p. 549.

(47) François-Albert Angers, «La deuxième tranche du Rapport Parent – II»…, p. 662.

(48) Ibid., p. 657.

(49) François-Albert Angers, «La réforme scolaire la plus urgente», L’Action nationale, 50, 3 (novembre 1960), p. 215.

(50) François-Albert Angers, «À propos de l’enseignement technique»…, p. 564.

(51) Ibid., p. 565.

(52) François-Albert Angers, «Les incompréhensions majeures du Rapport Parent», L’Action nationale, 54, 8 (avril 1965), p. 746.

(53) François-Albert Angers, «La deuxième tranche du Rapport Parent – II»…, p. 663.

(54) Ibid., p.658.

(55) François-Albert Angers, «La singulière théorie du désengagement»..., p. 157

(56) Ibid., p. 669-670.

(57) François-Albert Angers, «La deuxième tranche du Rapport Parent – II»…, p. 668.

(58) François-Albert Angers, «Le quatrième volume du Rapport Parent – 3», L’Action nationale, 55, 9 (juin 1967), p. 936.

(59) François-Albert Angers, «Le plus urgent: l’éducation nationale», L’Action nationale, 50,9 (juin 1961), p. 937.

(60) François-Albert Angers, «Le quatrième volume du Rapport Parent – III», L’Action nationale, 55, 9 (juin 1967), p. 940.

(61) François-Albert Angers, «Le plus urgent: l’éducation nationale», L’Action nationale, 50, 10 (juin),         p. 940.

(62) François-Albert Angers, L’école confessionnelle: conférence prononcée au congrès annuel des Amicales des Frères du Sacré-Cœur. Roussin, 1962, p. 19-20

(63) Ibid., p. 20.

(64) Ibidem.

(65) Ibidem.

(66) Ibidem.

(67) Ibid., p. 21.

(68) Richard Arès, L’homme du mois: François-Albert Angers…, p. 64.

(69) François-Albert Angers, L’école confessionnelle: conférence prononcée au congrès annuel des Amicales des Frères du Sacré-Cœur…., p. 12.

(70) Ibid., p. 10.

(71) François-Albert Angers, «Les événements. La neutralité en éducation», L’Action nationale, 50, 9 (mai 1961), p. 896.

(72) François-Albert Angers, L’école confessionnelle: conférence prononcée au congrès annuel des Amicales des Frères du Sacré-Cœur…, p. 8.

(73) Ibid., p. 8.

(74) Ibid., p. 9.

(75) Ibid., p. 18.

(76) Ibidem.

(77) Ibid., p. 21.

(78) Ibid., p. 24

(79) Ibid., p. 11.

(80) François-Albert Angers, «L’heure de la foi!»…, p. 36.

(81) François-Albert Angers, L’école confessionnelle: conférence prononcée au congrès annuel des Amicales des Frères du Sacré-Cœur..., p. 14.

(82) Ibid., p. 12.

(83) François-Albert Angers, «Le quatrième volume du Rapport Parent – II»…, p. 879.

(84) François-Albert Angers, «École confessionnelle: éducation chrétienne», L’Action nationale, 53, 1 (septembre 1964),  p. 1030.

(85) François-Albert Angers, L’école confessionnelle: conférence prononcée au congrès annuel des Amicales des Frères du Sacré-Cœur…, p. 3-4.

(86) Ibid., p. 4.

(87) Ibidem.

(88) François-Albert Angers, «Trois libertés à sauver à l’heure actuelle»…, p. 1029. 

(89) Ibid., p. 1041.

(90) François-Albert Angers, L’école confessionnelle: conférence prononcée au congrès annuel des Amicales des Frères du Sacré-Cœur…., p. 19.

(91) Ibid., p. 21.

(92) François-Albert Angers, «Trois libertés à sauver à l’heure actuelle», L’Action nationale, 55, 9-10 (mai-jun 1966), p. 1044.

(93) Ibid., p. 1045.

(94) François-Albert Angers,  «La foi dans la pédagogie moderne tient lieu de tout». L’Action nationale, 54, 1 (septembre 1965), p. 136.

(95) Ibid.,  p. 139.

(96) François-Albert Angers, L’école confessionnelle: conférence prononcée au congrès annuel des Amicales des Frères du Sacré-Cœur…, p. 4. .

(97) François-Albert Angers, L’école confessionnelle: conférence prononcée au congrès annuel des Amicales des Frères du Sacré-Cœur…, p. 22.

(98) François-Albert Angers, «La singulière théorie du désengagement», L’Action nationale, 51, 1 (septembre 1961), p. 50.

(99) Ibid., p. 39.

(100) François-Albert Angers, «La singulière théorie du désengagement», Revue de Nouvelle France, 18-19, 1 (décembre 1961), p. 159.

(101) François-Albert Angers, «La singulière théorie du désengagement»..., p. 39.

(102) Ibid., p. 42.

(103) Ibid., p. 158.

(104)François-Albert Angers, «La singulière théorie du désengagement»…, p. 154.

(105) Ibidem.

(106) François-Albert Angers, «Toujours cette suppléance», L’Action nationale, 51, 6 (février 1962), p. 521.

 

 

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Source : Stéphane St.-Pierre, Francois-Albert Angers et la nation confessionnelle (1937-1960), Mémoire de M.A. (histoire), Université de Montréal, 2006, 181p., pp. 118-141.

 
© 2006 Claude Bélanger, Marianopolis College