Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Juin 2006

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Qui est Esdras Minville ?

 

[Ce texte a été rédigé par Richard Arès en 1979. Pour la référence bibliographique précise, voir la fin du document]

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II convient, je pense, de commencer mon propos par quelques mots de remerciements. Tout d'abord, à la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal qui a bien voulu ajouter, aux cinq autres prix qu'elle décerne déjà, un autre prix en Sciences humaines, qu'elle a décidé d'ap­peler le prix Esdras-Minville. ensuite, aux membres du jury qui m'ont jugé digne de recevoir un tel prix et même d'en être le premier lauréat. Enfin, à celui qui vient de me présenter avec tant de bienveillance, même de com­plaisance, François-Albert Angers qui, depuis 30 à 40 ans, a été et est encore mon ami et mon fidèle com­pagnon de pensée et d'action dans diverses associations et organisations dont nous faisons mutuellement partie. Président du jury qui devait me décerner ce prix, heureusement qu'il m'a affirmé qu'il était absent lorsque la chose s'est produite, car on aurait pu — moi le premier — l'accuser de favoritisme, sinon de patronage.

 

Je me sens, ce soir, doublement honoré et flatté de ce qu'on me décerne ce prix en Sciences humaines: le seul qui me convienne quelque peu, car, je l'avoue bien franchement, je ne me vois pas du tout recevoir le prix ou de littérature, ou de musique, ou de théâtre, ou d'arts plastiques ou même de journalisme; honoré et flatté du fait que ce prix en Sciences humaines me soit présenté sous le nom d’Esdras-Minville, un homme pour qui j'ai toujours eu beaucoup d'estime et d'admiration et avec qui j'ai eu l'honneur de travailler et de collaborer durant les trois ans qu'a duré la Commission royale d'enquête sur les Problèmes constitutionnels, de 1953 à 1956, dite la

Commission Tremblay.

 

Permettez-moi, à titre de premier récipiendaire du prix qui porte son nom, de faire porter l'essentiel de mon propos de ce soir sur un sujet qui l'a toujours attiré et pour lequel il avait préparé et présenté aux autres com­missaires un premier jet et que tous ont accepté, sujet toujours d'actualité aujourd'hui: le Québec et la Confédération.

 

Ce sujet le passionnait. Lors des réunions entre com­missaires, il nous disait souvent:

"Nous ne travaillons pas seulement pour Duplessis, mais pour les générations futures; c'est la première fois qu'un gouvernement québécois accepte de financer une enquête aussi vitale et d'une telle envergure sur la situation du Québec dans la Confédération canadienne; il faut en profiter, ne négliger aucun aspect, analyser en détail les besoins ac­tuels du Québec et, par nos recommandations, lui assurer un fondement solide dans sa marche vers

l'avenir."

 

Le grand rêve d’Esdras Minville

 

Assurer au Québec un fondement solide dans sa marche vers l'avenir, voilà le grand rêve qu'a poursuivi le commissaire Minville tout le temps qu'a duré cette enquête Tremblay. Pour en saisir tous le sens, il faut bien se rappeler les circonstances qui ont entouré la rédaction de ce Rapport. Nous étions dans le début des années 50, époque où le nationalisme canadien-français était à son plus bas et personne alors ne parlait de l'indépendance du Québec; on se contentait de revendiquer l'autonomie provinciale. De cette partie du Rapport rédigée par Minville en vue d'assurer au Québec un fondement solide dans sa marche vers l'avenir, permettez-moi de vous citer trois passages qui me paraissent bien caractéristiques et toujours d'actualité: le premier énonce un principe général, le deuxième s'applique à la situation canadienne et la troisième formule un sévère avertissement au

Québec.

 

1. Un principe général ou une vérité fondamentale d'expérience

 

"Les institutions les plus propres à assurer la vie d'un peuple civilisé sont celles qu'il se donne lui-même, de sa propre initiative, qu'il façonne à son image comme une projection de son esprit. Pour se maintenir et se développer, toute culture particulière doit posséder quelque part un foyer, c'est-à-dire un milieu où elle est non seulement enseignée, mais vécue, un centre où, par con­séquent, elle est en chacune de ses données, d'usage courant, et par suite la condition du progrès personnel pour tous les individus de tous les milieux et de toutes les classes sociales... Sans un tel foyer, une culture par­ticulière est vouée au dépérissement et à la stérilisation à plus ou moins brève échéance — comme une plante sans racines... A défaut de quoi, d'un tel foyer, quelles que soient par ailleurs les garanties constitutionnelles, elle est atteinte dans sa vie de tous les jours, entravée dans son expansion matérielle et ses progrès culturels, réduite à l'alternative de laisser dépérir sa culture ou d'accepter dans son propre milieu la condition intérieure de l'étranger."

 

2. L'application à la situation canadienne

 

Ce principe général posé, Minville l'applique aussitôt à la situation au Canada, pays où coexistent deux principales cultures: l'une, qui est répandue dans neuf provinces sur dix, inspire la vie dans toutes ses manifestations, peut compter sur l'appui non seulement des neuf gouvernements provinciaux mais aussi sur la bienveillance additionnelle du gouvernement central, dans la mesure où, dominé par une majorité anglophone, il a naturellement tendance à s'inspirer de cette culture dans la plupart de ses interventions.

 

Alors que l'autre culture ne peut compter que sur la vie organisée de la province de Québec, seul centre où, de nécessité courante, elle peut s'exprimer librement, se renouveler et s'enrichir. Il s'ensuit que "toute intervention fédérale... dans les juridictions provinciales risque d'ig­norer ou contrarier la façon traditionnelle de penser et d'agir des Canadiens français. Et cela, pour la raison bien simple, vérifiable quotidiennement, que seuls ceux qui appartiennent à une culture donnée et en vivent au jour le jour, peuvent penser et bâtir selon l'esprit de cette

culture".

 

3. Un sévère avertissement au Québec

 

Avertissement qui demeure et résonne encore au­jourd'hui: "En aucun moment de l'histoire, la liberté de vie et d'action que l'autonomie du Québec représente pour lui en tant qu'unité nationale n'a été aussi fortement exigée par les circonstances. Il doit tout faire pour ne pas laisser détériorer le seul cadre politique dont l'effort de plusieurs générations lui a assuré la possession.

 

Or, pour le préserver, il doit s'en servir, et apprendre à s'en servir, donc fournir l'effort de renouveau culturel qu'exigent les circonstances... Si, sous prétexte de stabilité économique, de sécurité sociale, d'uniformité des conditions matérielles de vie d'une extrémité à l'autre du pays, de simplicité administrative, les Cana­diens français instaurent chez eux n'importe quelles formes d'organisation sans s'assurer si elles sont en ac­cord avec leur conception générale de la vie, ils se vouent eux-mêmes, à plus ou moins brève échéance à l'anémie, voire à la stérilité culturelle. En quel cas, ils n'auront de reproches à faire qu'à eux-mêmes...

 

Une culture doit vivre en s’épanouissant

 

Ce n'est donc pas le moment pour eux, loin de là, d'abandonner la moindre parcelle d'initiative politique dans aucun des domaines d'activité où ils peuvent en­core l'exercer efficacement: éducation, santé, assistance et sécurité sociales, propriété, droits civils, etc. qui cor­respondent précisément aux réalités où leur conception générale de la vie et les données les plus importantes de leur culture sont le plus largement impliquées. Ils savent, par une expérience vieille de deux siècles, ce qu'il pourrait leur en coûter de laisser à d'autres le soin de penser pour eux la politique de leur province. Si, sous prétexte d'accommodements financiers avec le gouvernement fédéral et le reste du pays, ils abandonnent l'initiative dans les divers moyens de l'exercer pleinement, mieux vaut pour eux renoncer tout de suite, comme groupe, à tout avenir culturel. En revanche, ils ne mériteront de garder l'initiative que s'ils savent l'utiliser, de manière à donner à leur culture d'origine un épanouissement proportionnel à sa fécondité intrinsèque, donc en se mettant en état de créer selon leur esprit des oeuvres qui seront enrichissement pour eux-mêmes et le reste du pays. Une culture n'a de chances de vivre que si elle s'exprime, s'épanouit et se donne..."

 

Dernier et final avertissement:

"C'est pourquoi la province de Québec, plus que toute autre, doit conserver les moyens financiers de l'administrer elle-même et avoir la certitude que ses prérogatives en ce domaine ne ris­quent pas à tout moment d'être remises en discussions."

 

Telles sont les grandes lignes de la pensée de Minville sur le Québec et la Confédération canadienne. Elles datent du début des années 50, du temps même où cer­tains ne se gênaient pas pour prédire la mort, à plus ou moins brève échéance, du nationalisme canadien-français. Un quart de siècle après ces lignes, il nous est donné de vivre un moment où la courbe de ces années 50 s'est progressivement redressée et pointe maintenant vers le haut. S'il en est ainsi, je suis, pour ma part, per­suadé que le commissaire et l'homme Minville a été pour quelque chose dans ce salutaire redressement.

 

Sa pensée, telle qu'il l'a exprimée dans le Rapport de la Commission royale d'enquête sur les Problèmes con­stitutionnels, se présente encore aujourd'hui comme le point de départ indispensable, comme la flèche in­dicatrice de la route à suivre par toute action, par tout mouvement et même par tout parti qui entend servir les véritables intérêts du Québec et lui assurer, comme le répétait Minville aux autres commissaires il y a vingt-cinq ans, un fondement solide dans sa marche vers l'avenir.

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Source : Richard ARÈS, « Qui est Esdras Minville », dans l’Action nationale, Vol. 69, No 1 (septembre 1979) : 48-52

 

 
© 2006 Claude Bélanger, Marianopolis College